CONCLUSION
Si je n'avais pas de prénotion précise sur l'art
contemporain, ma connaissance de ce monde se limitant au Balloon Dog
de Jeff Koons il y a encore quelques mois, force est de constater que j'ai pu
apercevoir les deux faces d'une même pièce depuis le début
de nos recherches. La première face est le monde de l'art contemporain
tel que Nathalie Heinich le décrit dans Le paradigme de l'art
contemporain. Structures d'une révolution artistique;
c'est-à-dire la partie de l'art contemporain dans laquelle, à
partir des années 1990, s'est développée « des
formes spectaculaires et sensationnalistes, donc attentatoires aux valeurs de
bon goût ainsi que d'intériorité, et dotées d'un
haut niveau de visibilité et de plus-value marchande, donc attentatoires
aux valeurs d'autonomie, de modestie et de désintéressement.
»230 L'autre face, loin de ce haut niveau de
visibilité et, dans une certaine mesure, du monde marchand, est celle
que j'ai rencontré sur mon terrain d'enquête, les Hauts-de-France
et les artistes du Parcours d'Art Contemporain. Si ces plasticiens s'inscrivent
davantage au sein d'un réseau institutionnel et local de l'art, ces
derniers peuvent aussi se caractériser par leur pluriactivité et
la diversité de leurs ressources économiques. Notons que
l'actuelle crise sanitaire a mis en lumière les conditions d'exercice
précaires du travail artistique; cette précarité
étant au coeur des préoccupations soulevées durant
diverses réunions auxquelles j'ai pu assister ces derniers mois,
à l'occasion de mon stage au sein du réseau 50° Nord ou
encore à l'occasion des rencontres professionnelles du Parcours d'Art
Contemporain qui ont été maintenues. Les plasticiens
rencontrés, comme d'autres artistes, interviennent aussi dans l'espace
public; que ce soit par leur propre démarche artistique ou par
l'intermédiaire de diverses politiques culturelles comme nous avons pu
le voir avec la thématique du Parcours d'Art Contemporain. «
Les artistes, par leur présence dans la ville, apportent eux aussi
leur contribution à la vie sociale et à l'attractivité
urbaine. Dans les années récentes on a vu émerger un art
d'intervention urbain qui n'hésite pas à bousculer les
repères des habitants, les incitant à porter un autre regard sur
leur environnement. »231 Cette articulation entre
l'artiste et la ville est le point de départ de mon mémoire et ce
à quoi j'ai tenté de répondre au cours de mon second
chapitre; entre la participation des habitants à la réalisation
d'une oeuvre et les propos que peuvent porter des oeuvres sur la ville.
Cependant, au sein de cette articulation entre l'art et la ville, nous pouvons
relever l'importance du discours autour de l'oeuvre, cette dernière ne
pouvant se comprendre en elle-même mais par ce qui l'entoure. L'oeuvre ne
réside pas tant dans l'objet proposé par l'artiste mais dans
l'ensemble des
230 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain.
Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 58.
231 Saez, J. (2008). « Les grandes villes et la culture :
des enjeux croisés ». L'Observatoire, 34(2),
16-20, p. 19.
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discours, des actes, qu'elle entraîne232.
D'ailleurs, quand j'ai posé aux plasticiens la question du lien entre
leur oeuvre et le territoire, que ce soit le territoire d'Amiens ou celui des
Hauts-de-France, certains ne cachaient pas leur absence de discours; tels Aude
Berton (« Le lien avec la ville d'Amiens par rapport à mes
propres réalisations ? Il y a pas vraiment quoi; c'est pas
spécifique à la ville d'Amiens en fait. C'est un travail sur
l'architecture, en général, mais pas ...
»233) ou encore Marion Richomme qui, avant même le
début de notre entretien, m'expliquait que le lien entre son oeuvre et
la ville a surtout été créé pour le dossier de
candidature. Ainsi, le discours, s'il ne provient pas tout le temps des
artistes, se construit par la thématique de l'événement ou
de l'exposition qui le crée tout autant, si ce n'est plus, que les
artistes exposés.
Pour terminer le résumé de mon mémoire,
et avant d'en venir à l'instrumentalisation de l'artiste, resituons le
Parcours d'Art Contemporain dans son contexte, celui d'une structuration de
l'art contemporain à Amiens.
I. Une structuration de l'art contemporain à
Amiens
En introduction, j'évoquais le peu de structures
accueillant l'art contemporain à Amiens. Pour renommer ces
dernières, il était question de la Maison de la Culture, de la
collection timide du Musée de Picardie, du FRAC (« L'endroit
est situé dans un quartier résidentiel qui ne se voit pas.
»234) ou encore du Carré noir au Safran. Le
Parcours d'Art Contemporain d'Amiens Métropole est alors une
réponse à ce manque sur le territoire de la ville mais aussi une
volonté de visibiliser l'art contemporain. Si les espaces exposant des
oeuvres d'art contemporain existent bel et bien sur le territoire d'Amiens
Métropole, ces derniers ne sont pas articulés, coordonnés,
mis en réseau. Ainsi, l'événement marque le commencement
d'une structuration de ces lieux; c'est ce que m'expliquait Fabiana De Moraes,
chargée de projets Patrimoine et Arts Visuels au sein de la Direction de
l'action culturelle et du patrimoine d'Amiens Métropole («
L'idée officielle c'était de mettre en réseau toutes
les structures pouvant exposer l'art contemporain sur le territoire d'Amiens
Métropole. »235). Autour du Parcours d'Art
Contemporain, ce sont donc d'autres acteurs qui participeront à cette
structuration; dont 2 nouvelles personnes qui s'inscriront elles aussi dans le
développement de l'art contemporain à Amiens (« Il y a
de nouvelles personnes qui arrivent, des « étrangers »
qui
232 Agora Des Savoirs. (2015, 12 mai). Agora des Savoirs -
Nathalie Heinich - L'art contemporain : une révolution artistique ?
[Vidéo]. YouTube.
233 Entretien avec Aude Berton
234 Entretien avec Fabiana De Moraes
235 Ibid.
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viennent occuper des postes importants, qui viennent avec
un regard nouveau, un désir, vraiment, d'investir et de
développer. »236).
Parmi ces acteurs, je peux relever le Musée de
Picardie; que j'ai pu visiter au cours de l'année et, pour rappel, qui
ne consacrait alors qu'une moitié de salle à l'art contemporain.
Il est important de préciser que, depuis les années 1960 en
Europe, les politiques culturelles publiques soutiennent les tendances «
les plus novatrices de l'art »237 et que, dès
les années 1970, l'art contemporain est entré dans les
musées avec une prétention à « desserrer quasi
expérimentalement l'étau de l'élitisme culturel
»238; nous avons, en France, le cas du Centre Pompidou.
Mais, pour en revenir au Musée de Picardie, ce n'est que
récemment que j'ai pu être « témoin » d'un
nouveau mouvement en faveur de l'art contemporain; la nomination de Maya
Derrien comme conservatrice responsable des collections Art moderne et
contemporain. Dans un entretien accordé à La
Bête239 dans le numéro de septembre 2020, cette
dernière faisait part de son envie de rencontrer les artistes et
structures du territoire, de travailler avec les acteurs culturels comme le
FRAC d'Amiens ou encore le FRAC de Dunkerque, mais aussi de sa «
volonté d'amener l'art au plus près des habitants.
»240
D'ailleurs, le Parcours d'Art Contemporain permet de remettre
le FRAC Picardie au centre de la structuration de l'art contemporain à
Amiens. En effet, étant fermé depuis le début du premier
confinement en mars, le FRAC Picardie devait initialement rouvrir ses portes
à l'occasion du lancement du Parcours d'Art Contemporain le 13 novembre
2020. Les plasticiens rencontrés au cours de mon enquête de
terrain m'ont ainsi expliqué que ce dernier accueillerait une exposition
sur le croquis, la note, la recherche, tout ce qui pourrait avoir trait au
processus de création d'une oeuvre. Dans ce sens, des inspirations ou
encore des oeuvres non terminées seront exposées au FRAC; telle
la pièce Origines de Nicolas Tourte, une forme oblongue
constituée de 378 pièces en bois, qui sera démontée
en ceintures pour être exposée (« Et ça me
plaisait de montrer ça parce que, en même temps, il y a un rapport
à l'architecture, c'est presque quelque chose qui est lié,
peut-être, à la tour de Babel, peut-être ... Il y a plein de
choses qui peuvent se répondre en tout cas. »241).
Comme je le disais précédemment, cette exposition est une
volonté, de la part du directeur du FRAC Picardie, de montrer ce qu'il
se passe dans l'atelier de l'artiste, le cheminement artistique de l'oeuvre.
Nommé au cours de l'été 2020 à la direction du FRAC
Picardie après avoir été à la tête du FRAC
Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pascal Neveux est aussi le président
du CIPAC, la fédération des professionnels
236 Entretien avec Fabiana De Moraes
237 Menger, P. (2009). Le travail créateur.
S'accomplir dans l'incertain. Gallimard, p. 891.
238 Ibid, p. 895.
239 Teyssedou, L. (2020, septembre). « Portrait : Maya
Derrien, conservatrice au Musée de Picardie ». La
Bête, 6, 10-12, p. 10.
240 Ibid, p. 10.
241 Entretien avec Nicolas Tourte
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de l'art contemporain. Dans un entretien accordé au
Courrier Picard242 durant le mois d'octobre, le nouveau directeur,
outre sa volonté de réunir les artistes du territoire et de
s'ouvrir au grand public d'Amiens et ses environs, se donnait une mission :
« Remettre le FRAC au coeur d'un écosystème artistique
et régional. »243
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