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L'artiste et la ville en Hauts-de-France. Le cas du parcours d'art contemporain d'Amiens métropole.


par Julien Cossart
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 Culture, Patrimoine et Innovations Numériques 2020
  

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4. La ville comme « cadre » de l'oeuvre

Le terme de cadre peut recouvrir une variété d'interprétations; d'autant que les 2 oeuvres que nous allons voir dans cette sous-partie n'utilisent pas la ville de manière similaire. Cependant, elles ont en commun d'en faire un support, « matériel », sur lequel elles s'inscrivent; établissant aussi un lien entre l'espace d'exposition et l'oeuvre.

L'espace d'exposition est d'ailleurs une « contrainte » avec laquelle Nicolas Tourte pense ses oeuvres. Ainsi, le plasticien m'expliquait apprécier créer des pièces en fonction de l'architecture, de l'environnement ou encore de l'histoire de son espace d'exposition. Ces oeuvres s'adaptent alors à l'espace, établissent un lien intime avec lui (« Pour simplifier les choses, dès que je vois un lieu, je pense à quelque chose. Ce nouveau lieu va influencer ma production quoi qu'il arrive, les idées de pièces viennent aussi comme ça, c'est la contrainte du lieu qui va aussi faire penser à quelque chose. »222).

A l'occasion du Parcours d'Art Contemporain, les artistes ont alors, en amont, pu visiter les divers espaces d'exposition de l'événement; et Nicolas Tourte a pu penser sa pièce en fonction de la bibliothèque Louis Aragon à Amiens. Cette pièce, nommée Champ et détachement, sera une projection vidéo de pixels blancs réalisée sur un bas-relief situé au-dessus d'une cheminée de la bibliothèque.

Champ et détachement racontée par Nicolas Tourte

« Ces pixels blancs vont avoir une certaine autonomie, une certaine gravité. Ils vont interagir avec les contours et les moulures de cette cheminée, ils vont rebondir un petit peu comme si tu versais des grains de sable dans un bocal en verre, tout va rebondir. En fait c'est un générateur de pixels, qui est comme une petite fontaine, et, si tu veux, ça va remplir petit à petit cet espace. Donc, au début, il y a quelque chose de très léger, avec 2-3 stimuli qui rebondissent les uns contre

222 Entretien avec Nicolas Tourte

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les autres, quelque chose de très épuré, quelque chose qui fait plus penser au début des jeux vidéo. Et puis, très vite, il va y avoir une surpopulation, une surdensité de ces pixels qui va créer une matière. Et cette matière elle va être plutôt affiliée visuellement au manque de signal, comme des télés, comme une neige. Dans ce cadre là, il va se passer des choses, plutôt du domaine de l'abstraction, de l'incompréhension. »223

C'est par cette interaction avec l'espace d'exposition, le bas-relief et la cheminée, que la ville, à travers la bibliothèque Louis Aragon, devient le « cadre » de l'oeuvre, comme une nouvelle délimitation pour cette dernière, une délimitation autre que le cadre d'un tableau; nous pouvons d'ailleurs, d'une certaine manière, comparer la projection vidéo de Nicolas Tourte au spectacle Chroma à la cathédrale Notre-Dame d'Amiens. Champ et détachement, pour reprendre Nathalie Heinich dans sa tentative de décrire l'oeuvre d'art contemporain, intègre son propre contexte. En effet, l'artiste utilise un espace et fait de cet espace son oeuvre; si bien que l'oeuvre est repensée à chacune de ses expositions (« Pour la première oeuvre, Champ et détachement, c'est vraiment parce que c'est une pièce in situ dont le principe a été éprouvé ailleurs, parce que c'est la 10e version, mais elle est vraiment pensée pour la bibliothèque, donc c'est vraiment un geste dédié. »224).

Pour terminer sur cette oeuvre de Nicolas Tourte, le plasticien m'expliquait que la projection vidéo serait une boucle de 2 minutes, le temps que le visiteur puisse accéder de manière rapide à l'oeuvre dans cet espace qu'est la bibliothèque; dans laquelle le visiteur ne vient pas particulièrement pour voir une oeuvre (« Finalement, le but, c'est peut-être capter un petit peu le regard et puis rendre un peu prisonnier le spectateur, qui n'est pas forcément au début un spectateur, qui ne vient pas forcément voir une oeuvre d'art. »225).

Une autre manière d'investir la ville, autrement qu'en utilisant certains de ses éléments comme support matériel d'une oeuvre, est de la traverser. Ainsi, c'est par une performance que Franck Kemkeng Noah utilisera la ville comme un « cadre » dans lequel il s'inscrira. La performance représentera le parcours d'un africain qui arrive en France; selon le propos que donne l'artiste sur la ville, que nous avons vu précédemment, comme un espace, une étape de son parcours où se cristallisent son identité et celle de la ville.

L'oeuvre racontée par Franck Kemkeng Noah

223 Entretien avec Nicolas Tourte

224 Ibid.

225 Ibid.

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« Je vais traverser la ville. La ville va devenir vraiment comme un support, pour moi, de réalisation de ma performance. [...] Je vais interpréter le parcours d'un jeune qui quitte l'Afrique et qui vient en ... Je veux prendre ces jeunes là qui vont vraiment traverser la route pour arriver en Europe, pour arriver en France; le bateau, le désert. C'est dans cet esprit là que je vais réaliser la performance. Je vais traverser la ville pieds nus avec un costume que j'aurai moi-même confectionné, avec la peinture sur le corps qui va un peu rappeler l'énergie des parents, des ancêtres, qui vont m'accompagner dans ce trajet là. Et, peut-être, ça sera accompagné d'un jeu de djembé, instrument de musique traditionnelle. »226

La performance se situe à la frontière entre l'art en commun et la représentation de la ville dans la mesure où les habitants d'Amiens vont aussi participer, d'une quelconque manière, à la performance, à ce moment artistique. Ils pourront intervenir à certains moments au cours de la réalisation de la performance nous confiait Franck Kemkeng Noah; comme durant une cérémonie traditionnelle dans laquelle il invitera des personnes présentes à poser des actions. Les habitants d'Amiens participeront à la performance ne serait-ce qu'en assistant à l'oeuvre, en se posant des questions (« Ils participent par la curiosité, c'est une forme de participation; « Qu'est-ce qu'il fait ? C'est quoi ça ? ». »227) Dans le cas d'une performance, l'oeuvre a un caractère éphémère, devient donc un spectacle. Le spectateur participe alors à l'oeuvre par sa présence dans le moment durant lequel se déroule la performance. « Là, l'oeuvre se situe d'autant plus au-delà de l'objet qu'il n'y a, littéralement, plus d'objet autre que le corps de l'artiste - mais aussi, ne l'oublions pas, l'indispensable présence du public. Car tandis que l'oeuvre se déplace de l'objet à l'expérience, elle s'ouvre en même temps aux spectateurs, qui deviennent partie prenante du moment que constitue la performance, quel que soit leur degré d'implication : même muette et immobile, leur présence fait partie du « cadre » ainsi « transformé » par rapport au « cadre primaire » de l'expérience ordinaire. »228

Ce chapitre avait vocation à répondre à ma problématique qui portait sur la démarche artistique et le propos des artistes sur la ville. Si de tels propos existent, que l'art et la ville peuvent entrer en interaction, n'oublions pas que cela repose aussi sur diverses causes. D'une part, le Parcours d'Art Contemporain incitait les artistes à prendre en compte les habitants; par des

226 Entretien avec Franck Kemkeng Noah

227 Ibid.

228 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 76.

interventions et/ou par leur participation dans les projets artistiques. Comme nous l'avons vu, le plasticien devient un acteur de la démocratisation culturelle amené à intervenir auprès de « publics » sur des « territoires »; si cela n'a pas été dit de cette manière, à apporter la culture, à partir de l'art contemporain, dans des espaces qui en seraient dépourvus en quelque sorte. D'une autre part, nous remarquons aussi que les représentations de la ville dans les oeuvres rencontrées peuvent être tacites. Pensons à l'oeuvre de Louis Clais dans laquelle la ville pourra être représentée à travers des cailloux; ou encore à Champ et détachement de Nicolas Tourte, dans laquelle l'artiste me donnait un propos sur la surpopulation des villes comme interprétation possible de l'oeuvre. La construction d'un discours autour des oeuvres, d'une thématique autour de l'exposition qu'est cette seconde édition du Parcours d'Art Contemporain, « Art, territoires : Créer et habiter », des interprétations qui établissent des liens entre les oeuvres et la ville, voici une manière de caractériser l'exposition d'art contemporain. « Discours, thématique, interprétation : telles sont les trois composantes, à la fois indispensables et indissociables, qui organisent désormais la conceptualisation de la forme exposition, et que tout un chacun doit savoir, sinon pratiquer, du moins repérer, s'il veut déambuler sans se perdre dans le monde de l'art contemporain. »229

Mais le Parcours d'Art Contemporain d'Amiens Métropole s'inscrit aussi dans d'autres dimensions, d'autres utilisations de l'art, que nous ne pourrons qu'aborder en conclusion.

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229 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 188.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille