3. La ville par opposition à la nature
Au cours de mes entretiens, j'ai aussi été
témoin d'un propos sur la ville dans lequel cette dernière
s'opposerait, en quelque sorte, à la nature. C'est une vision que j'ai
entendu, dans un premier temps, au cours de mon entretien avec Nicolas Tourte.
Si les oeuvres qu'il présentera au cours du Parcours d'Art Contemporain
ne traitent pas directement de ce propos, la conception qu'il a de la ville
relève d'une recherche d'harmonie avec une nature qui serait peu
présente. L'artiste nous a ainsi présenté une conception
organique de la ville, dans laquelle les artères seraient les principaux
axes de la ville et les poumons seraient ses parcs (« Je trouve que,
les villes, c'est de plus en plus horrible. J'aurais tendance à donner
une vision très pessimiste de la ville, même si, à un
moment donné, on peut s'y amuser, etc. Par exemple, une rue sans arbres,
ça me déprime. Pour reprendre un terme de biologie, il y a pas
d'osmose en fait, ça manque de symbiose. Et, moi, la ville, je la
conçois comme ça. Je pense que, si il y a un avenir pour
l'humanité, c'est dans le développement d'une symbiose avec la
nature au sein de la ville; ce qui paraît pas encore compris.
»218).
217 Entretien avec Franck Kemkeng Noah
218 Entretien avec Nicolas Tourte
75
Le travail de Daniela Lorini s'inscrit aussi dans ce propos
sur la ville. La ville serait une construction de l'Homme sur un espace
naturel, un espace naturel que l'Homme détruirait en même temps
qu'il construit la ville (« Malheureusement, les êtres humains
... Quand on arrive à un endroit, on détruit tout. Quand tu
construis une ville, tu détruis presque tout ce qui était avant.
»219). Daniela Lorini a ainsi réalisé son
post-master sur l'environnement et les thématiques récurrentes de
son travail sont en lien avec cela; l'utilisation des ressources naturelles, la
perte de la biodiversité. Dans sa propre démarche artistique,
l'artiste m'expliquait utiliser des matériaux qui ont le moins d'impacts
sur la nature, des matériaux qu'elle peut réutiliser,
recycler.
L'oeuvre que Daniela Lorini exposera dans le cadre du Parcours
d'Art Contemporain, Le chant des vers, est une installation plastique
et sonore. L'intérêt de la plasticienne porte sur le monde
souterrain des Hauts-de-France, de sa biodiversité, des êtres qui
vivent dans ce sol. Durant 6 mois, avec l'aide de scientifiques et
d'étudiants de l'Université de Lille, Daniela Lorini a recueilli,
à partir de leur sol, les sons de 5 sites situés dans les
Hauts-de-France : une ancienne usine de métallurgie, un champ
d'agriculture biologique, un champ d'agriculture conventionnelle, une prairie
et une prairie située à côté d'une autoroute. Cette
recherche, par éco-acoustique, lui a permis de saisir les
conséquences des activités humaines sur la biodiversité du
sol; notamment de la pollution sonore liée à la circulation.
Certains des sons présents dans l'oeuvre ont ainsi dû être
produits en laboratoire.
Le chant des vers racontée par Daniela
Lorini
« L'oeuvre, c'est une sorte d'escargot, de 3
mètres de diamètre sur 3 mètres d'hauteur, où ils
ont posé 24 haut-parleurs et vibrateurs. Et, à l'intérieur
de l'oeuvre, il y a ... Ils ont accroché 5 troncs d'arbres, que j'ai
récupéré, j'ai pas tué un seul arbre, j'ai
récupéré les troncs et j'ai fait un trou dans chaque
tronc; et, le tronc, c'est le canal qui nous communique à
l'extérieur. Le cylindre de 3 mètres, c'est l'espace
intérieur, dans le sol, et, quand on rentre dans le cylindre, on voit
qu'ils sont accrochés, les troncs, que ça forme les canals que
font les vers de terre; donc ça sous-entend que le ver de terre fait le
canal et il nous communique avec l'extérieur. »220
L'installation de Daniela Lorini est alors le résultat
d'une recherche cherchant à démontrer l'impact de l'Homme sur son
environnement à partir de la comparaison de 5 sites et des sons qu'elle
a pu en entendre. Pour reprendre les mots de la plasticienne, à partir
d'une immersion dans le monde
219 Entretien avec Daniela Lorini
220 Ibid.
76
souterrain, l'oeuvre est une manière de montrer comment
l'être humain transforme son milieu naturel; en relevant notamment
l'impact de l'industrie et l'importance des espaces naturels pour
préserver la faune du sol. Nous pouvons remarquer que l'installation ne
permet pas, en soi, de saisir cette recherche, ce travail de sensibilisation.
C'est pour cela que, à l'occasion du Parcours d'Art Contemporain,
Daniela Lorini expliquera le processus de recherche durant des
conférences et visites qui auront lieu autour de l'installation; qui
sera elle-même exposée à l'Ecole Supérieure d'Art et
de Design d'Amiens.
Si Le chant des vers essaie de sensibiliser le
spectateur à l'impact de l'Homme sur son environnement, Marion Richomme,
de la même manière que Nicolas Tourte dont je parlais au
début de cette sous-partie, essaie, par la sculpture en
céramique, de représenter la ville en croisant ce qui
relèverait de l'activité naturelle et de l'activité
humaine. Elle me donnait pour source d'inspiration le cas d'Angkor, au
Cambodge; où architecture et éléments naturels sont
étroitement liés. Ainsi, durant l'événement, la
plasticienne exposera 2 colonnes au Centre Social et Culturel d'Etouvie. Ces
colonnes seront une fusion entre des colonnes antiques, telles que nous pouvons
nous les représenter, et des formes naturelles, telles que des
arbres.
L'oeuvre racontée par Marion Richomme
« Je vais présenter 2 colonnes au CSC Etouvie,
2 colonnes qui font 2 mètres 50 de haut et qui sont à mi-chemin
entre des formes naturelles, issues du vivant, parce qu'une grosse partie de
mon travail touche à ça, aux motifs issus de la nature que je
peux utiliser, me réapproprier et transformer; en jouant sur
l'ambiguïté entre motifs artificiels et motifs naturels. A la fois
ça peut ressembler à des arbres ou des motifs de stalagmites ou
des choses comme ça, qui rappellent le vivant, et, en même temps,
on est dans une forme très architecturale de la colonne antique avec des
fioritures, presque de l'ordre de la moulure quoi. Je joue sur cette
ambiguïté là parce que, en fait, tout mon travail c'est pas
de reproduire quelque chose qui existe déjà dans la nature, en
disant "C'est ça et c'est pas autre chose.", mais plutôt d'aller
vers des mélanges de plusieurs choses qui restent un peu non
identifiables au final; on dit "Ah ça me rappelle quelque chose mais je
sais pas exactement quoi; ça me fait penser à ça mais
c'est pas tout à fait ça.", tu vois. » 221
Outre cette recherche d'harmonie entre une architecture,
provenant de l'Homme, et une nature, la sculpture de Marion Richomme
établit un lien avec son propre espace d'exposition et, par
221 Entretien avec Marion Richomme
77
extension, avec la ville d'Amiens. En effet, les colonnes, qui
seront exposées au Centre Social et Culturel d'Etouvie, seront une
référence, un renvoi, à La porte bleue de Didier
Marcel. La porte bleue est une oeuvre, des colonnes aussi,
située sur le parterre devant le CSC Etouvie. Les colonnes de Marion
Richomme répondent donc, en quelque sorte, à la ville d'Amiens;
elles établissent un rapport à la ville, l'utilise comme
déclenchement d'une démarche artistique.
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