IV. Représenter la ville
Si la totalité des artistes du Parcours d'Art
Contemporain, ou au moins les 10 artistes que j'ai rencontré sur les 12
au total, interviendront auprès des publics au cours de
l'événement, une importante partie des oeuvres qui seront
exposées n'inclut pas de démarche participative.
Néanmoins, elles portent un propos sur la ville; c'est ce que nous
allons voir dans cette partie.
1. La ville à l'échelle de l'habitat
Au début de ce chapitre, je parlais de l'habitat, qui
peut être une première échelle pour penser notre rapport
à l'espace. C'est aussi à cette échelle que Katerini
Antonakaki a pensé les oeuvres qu'elle exposera au cours du Parcours
d'Art Contemporain (« La ville .. C'est plutôt encore
l'unité de la maison. Donc, la maison, c'est dans la ville, mais tout
les projets sont plus ... Évidemment, ça renvoie à la
ville une maison; mais la préoccupation part de la maison.
»208). Avant même la ville, la maison est un premier
« contenant », un espace dans lequel nous vivons et que nous
investissons.
Katerini Antonakaki a des parents architectes et me confiait,
en conséquence, avoir une certaine vision du maniement de l'espace du
quotidien; ne serait-ce que penser au courant d'air dans la maison, à la
circulation pour que les personnes puissent se rencontrer. Par la suite, la
scénographe s'est rendue compte de l'omniprésence de l'espace, de
la maison principalement, dans ses travaux. Ses oeuvres s'intéressent
ainsi à l'interaction entre la maison et son habitant; comme son travail
en février 2020 sur la thématique « Habiter un corps, un
espace, un monde ». L'association La Main d'Oeuvres, par
l'intermédiaire de Katerini Antonakaki, traite alors de l'Homme de son
quotidien (« Et à La Main d'Oeuvres, c'était
affirmé dans tout mes projets, la question de l'habitat, de la maison,
du quotidien, une espèce de philosophie de la place de l'Homme dans son
environnement du quotidien. »209).
207 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain.
Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 96.
208 Entretien avec Katerini Antonakaki
209 Ibid.
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Pour en venir à ses oeuvres du Parcours d'Art
Contemporain, Katerini Antonakaki en présentera 3; toutes étant
des oeuvres plastiques. La première, Instants Minuscules, sera
composée d'une maison, dessinée, ainsi que de 26 scènes de
vie suspendues et d'autant de textes en lien avec ces scènes de vie.
Instants Minuscules sera exposée à la
Bibliothèque d'Amiens. La seconde, Moving House, sera une
maquette de maison cinétique, mouvante, dans laquelle aucun individu ne
sera présent. Cependant, dans les pièces de la maison, des
éléments de la maquette seront en mouvement, attisant la
curiosité du spectateur qui est invité à se projeter dans
l'oeuvre. Moving House sera exposée à la Maison de
l'Architecture et sera, à travers la vitrine de la Maison de
l'Architecture, visible de l'extérieur. La dernière oeuvre,
Forêt de Murmures, sera une installation, une petite maison
à traverser, où images et sons renverront, d'une certaine
manière, à la vie quotidienne. Forêt de Murmures
sera exposée au Centre Culturel Léo Lagrange.
Les oeuvres racontées par Katerini Antonakaki
« Donc, à la Bibliothèque d'Amiens, il
y aura une partie qui s'appelle Instants Minuscules; ce sont des oeuvres
créées avec du papier, du fil de fer, des plaques d'alu, des
dessins, des collages. Donc ça se présente sur un motif qui est
une petite maison, comme un enfant qui dessinerait une maison, avec des
déclinaisons de situations suspendues, des choses qui peuvent inviter le
spectateur, celui qui regarde, à se mettre dedans, comme une oeuvre,
comme un tableau. Donc il y en a vingt-six, c'est comme les lettres de
l'alphabet, c'est un sous-titre, "L'abécédaire d'espaces", au
pluriel. Chaque petite maison, situation, scène, est accompagnée
par un petit texte en trois lignes qui est en rapport avec la scène.
Donc ça sera présenté, c'est 9 bandes de 70
centimètres sur 14 qui sont présentées et, dessus, il y a
toutes ces maisons. Donc, ça, c'est le premier volet. Le deuxième
c'est à la Maison de l'Architecture. C'est une maquette cinétique
où il y aura une maison, construite en maquette donc, je ne sais pas,
d'1 mètre 20 à peu près. Elle sera présentée
en vitrine de la Maison de l'Architecture, on pourra regarder de dehors. C'est
une maison où il se passe des choses un peu bizarres, parce qu'elle est
vide, il n'y a personne qui y habite, mais les choses bougent, c'est un hommage
à l'absence. Ça s'appelle Moving House. Du coup, dans chaque
pièce, il y a un petit événement, avec des
mécanismes, ça bouge en boucle. Donc, là-dedans, le
spectateur est invité à regarder un peu et mettre dedans des
émotions, des choses que, lui, il a éprouvé, surtout en ce
moment, avec l'appréhension et l'apprivoisement de la maison, on y est
resté beaucoup de temps. Puis, le troisième volet, c'est au
Centre Culturel Léo Lagrange et c'est une serre à images, ou
à sons; ça s'appelle Forêt de Murmures. C'est une
installation interactive où on traversera une
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petite structure de maison et on pourra regarder, entendre
les sons du quotidien, mais qui sont un peu transgressés, un peu
poétiques. C'est requestionner le sens de l'habitat; habiter, habitat,
habit. »210
Dans le travail de Katerini Antonakaki, la démarche
artistique part de l'habitat. Au cours de notre entretien, la question a alors
été posée de savoir en quoi ces oeuvres pouvaient
être liées avec la ville d'Amiens; l'artiste m'expliquant, par
exemple, que les 26 scènes suspendues dans Instants Minuscules
seraient inspirées de sa propre vie. Cependant, l'installation
Forêt de Murmures sera une manière d'inclure des
éléments de la ville; mais, comme pour l'oeuvre de Louis Clais,
cela sera implicite. Ainsi, les sons qui seront émis par l'installation
proviendront donc d'Amiens (« Oui, ça, par contre, ça
sera des enregistrements de la ville; d'ici, de la nature, de la ville.
Maintenant, est-ce qu'on les reconnaîtra ? Je ne sais pas. J'essaie
plutôt de partir de quelque chose de précis et d'aller vers
quelque chose de plus universel que le contraire. Du coup, Amiens sera
très présente comme ville, mais on ne la reconnaîtra pas.
»211).
Des rencontres sont aussi prévues; au moment de notre
entretien, Katerini Antonakaki évoquait des ateliers avec une
association ainsi qu'avec des adhérents du Centre Culturel Léo
Lagrange. Par ailleurs, l'installation Forêt de Murmures sera
liée à un spectacle et, durant le Parcours d'Art Contemporain,
les visiteurs auront l'occasion d'assister aux répétitions de ce
spectacle, de voir un « work in progress » pour reprendre le terme
utilisé par Katerini Antonakaki en entretien.
C'est aussi sur la question de l'habitat que reposent les
oeuvres de Aude Berton; dont j'avais parlé à l'occasion de son
travail sur les favelas. Une partie des oeuvres qu'elle exposera au cours de
l'événement, à la Maison de l'Architecture, seront des
sculptures réalisées en plâtre; ou des séries de
sculptures, car c'est la reproduction de sculptures à partir d'un moule
qui intéresse la plasticienne. Les sculptures sont ainsi reproduites
à des tailles variées (« Moi, ce qui m'intéresse,
dans ma recherche, c'est l'idée du moule, le moule comme pièce
matrice, qui va permettre de reproduire à échelles multiples la
pièce. L'idée c'est, à partir de moules en carton, de
couler le plâtre dedans; alors ça prend des formes pas
forcément aléatoires puisque, quand je dispose mes cartons, je
fais des petits modules que j'assemble. Et puis, ensuite, l'idée c'est
de venir retirer une fois que le plâtre a pris. Et, ensuite, je viens
retirer le carton là où j'ai envie de le retirer. Donc on est
dans des petites constructions architecturales. »212).
210 Entretien avec Katerini Antonakaki
211 Ibid.
212 Entretien avec Aude Berton
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La plasticienne revient alors à une conception de
l'architecture en modules; et, si les favelas étaient
considérées comme un ensemble de constructions, c'est
l'échelle de la pièce qui est compris par l'utilisation du terme
de module dans ce cas. Pour cela, Aude Berton a pris l'exemple des
Amiénoises. En effet, ces maisons standardisées sont souvent
revues et, me disait-elle, de nouvelles pièces peuvent être
installées. Que ce soit dans le cas des favelas ou des
Amiénoises, l'artiste s'intéresse à la construction,
à la capacité de l'Homme à se construire un chez-soi
(« Moi, ce que j'aime bien, c'est cette idée de la
construction. En fait on est tous capable de se construire un abri, de se
construire son chez-soi, sa maison. Si vous vous trouvez dans n'importe quel
endroit, dans la forêt ou ... voilà, et que vous savez que vous
allez y rester un certain temps, il vous faut un toit, quelque chose pour vous
protéger, vous trouverez toujours le moyen de trouver un espèce
d'abri en fait; et c'est cette idée là, de l'Homme ... On a tous
cette faculté de constructeur en fait. »213).
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