4. La ville comme matériau tactile au sein de
l'oeuvre
Si les précédents projets impliquaient la
participation des habitants dans la réalisation d'une oeuvre, là
n'est pas la démarche de Louis Clais. Une semaine avant le Parcours
d'Art Contemporain, le plasticien créera l'oeuvre in situ,
c'est-à-dire qu'elle sera construite à l'entrée du
Musée de Picardie et restera à l'entrée du Musée de
Picardie au cours de son exposition.
Dans sa dimension matérielle, l'oeuvre consistera en
une cabane en bois recouverte de peinture. L'intérieur de cette cabane
en bois verra des étagères sur lesquelles seront exposées
des dessins de l'artiste et certaines de ses oeuvres imprimées; «
des oeuvres imprimées », nous sommes bien là dans le monde
de l'art contemporain. Louis Clais m'a aussi expliqué qu'il disposera,
dans cette cabane, des choses qu'il aura récupéré mais
aussi de choses dont il veut se séparer dans son atelier. Mais l'oeuvre
ne s'arrête pas à sa dimension matérielle; l'interaction
avec le visiteur, qui devient participant, est toute aussi importante et
constitue elle aussi l'oeuvre. Le visiteur est ainsi incité à
prendre un élément, et même trois, de l'installation.
L'oeuvre racontée par Louis Clais
« C'est une cabane en bois qui doit faire 3
mètres sur 2 et qui est ouverte, il y a pas de toit, et elle fait 1
mètre 90; si bien que, si quelqu'un est dans la cabane et qu'il est
très grand, on voit un peu le sommet de son crâne qui
dépasse de l'extérieur. C'est en bois mais c'est tout un travail
de peinture, enfin ... Je peux dire que c'est une installation, je peux dire
que c'est une sculpture mais je peux aussi dire que c'est une peinture. C'est
une manière de peindre que j'aime beaucoup; qui
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204 Entretien avec Rémi Fouquet
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est de recouvrir ... Je prends plusieurs pigments, souvent
un peu irisés, et plusieurs qualités de vernis, et je mets des
couches et des couches, et puis après j'en remets encore. [...] Et puis,
à l'intérieur, des petites étagères et plein
d'objets; certaines de mes oeuvres, qui sont en format papier et qui sont
imprimées, des dessins que j'ai commencé, et puis des graines,
des cailloux, des trucs que j'ai récupéré, beaucoup de
choses qui sont dans mon atelier dont j'ai envie de me débarrasser. Il y
a tout ces objets, et une porte, ouverte, avec une affiche, qui explique
très bien que tu peux entrer dans la cabane, une personne à la
fois, et tu peux prendre tout ce que tu veux dedans, mais à une
condition, c'est que tu dois prendre 3 choses, tu dois choisir 3 choses, tu
dois pas en prendre 4, ni 2, ni 1, tu dois en prendre 3 si tu veux prendre
quelque chose. »205
La participation des visiteurs vient alors dans le fait
d'entrer dans la cabane en bois et d'emporter quelque chose de l'oeuvre avec
eux. L'oeuvre, comme une installation composée elle-même
d'éléments variés, se répartira donc dans le
domicile des visiteurs. Ces éléments, comme me l'expliquait le
plasticien, pourront, sans que ce ne le soit indiqué, être des
textes écrits sur la ville d'Amiens, des cailloux ramassés dans
la ville, des plantes ou autres références qui seront faites
à Amiens.
Si le lien avec la ville n'est pas explicite dans l'oeuvre de
Louis Clais, la participation requise du visiteur, si ce dernier répond
positivement à cette demande d'interaction, est aussi un propre de l'art
contemporain. L'installation de Louis Clais est une oeuvre qui sollicite «
la participation active du spectateur, par le toucher, qui permet à
celui-ci de transgresser lui-même la limite sacralisée entre
l'oeuvre et le monde »206. Loin d'un rapport sacré
à l'art, du musée comme un espace où le visiteur ne peut
qu'admirer, ou pas, une oeuvre par le seul sens de la vue, cette
dernière incite ce même visiteur à l'emporter avec lui.
Pour terminer sur cette partie, « Faire de l'art ensemble
», la frontière entre le monde ordinaire et le monde de l'art se
dissout sous les propositions artistiques dans lesquelles les habitants
participent à la réalisation de l'oeuvre et/ou rentrent en
interaction avec cette dernière, par le toucher; rendant l'oeuvre «
accessible ». Car c'est bien l'accessibilité de l'art contemporain
qui est voulue; de la part d'Amiens Métropole dans le cadre du Parcours
d'Art Contemporain mais aussi de la part des artistes qui défendent la
vision d'un art contemporain proche des populations. « Il est probable
aussi que, ce faisant, les artistes contemporains tentés par la
politisation de leur positionnement aspirent à renouer le lien avec ce
« peuple » dont l'art contemporain s'est de plus
205 Entretien avec Louis Clais
206 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain.
Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 94.
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en plus coupé à mesure qu'il radicalisait
ses ruptures avec le sens commun. »207 écrivait
Nathalie Heinich. Dans la continuité des interventions des artistes dans
l'espace public, l'art en commun, ou le « faire ensemble », inclut
les participants dans le processus de création; l'artiste devenant alors
un acteur au service de la démocratisation culturelle.
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