3. La ville comme espace de mobilité
En effet, le projet artistique D'ici on voit... de
Rémi Fouquet commence aussi, en partie, avec les habitants d'une ville.
D'ici on voit... est un projet qui a été pensé
par le plasticien en 2018 et qui n'est pas exclusif à la ville d'Amiens;
ainsi, si l'oeuvre se nommera D'ici on voit Amiens dans le cadre du
Parcours d'Art Contemporain, le concept peut s'appliquer dans d'autres
villes.
La démarche de Rémi Fouquet est la suivante.
L'artiste s'intéresse à une ville, à son histoire,
à ses quartiers et à leurs particularités. Il rencontre
ensuite des habitants de la ville en question et, au cours d'entretiens, leur
demande de se présenter, de présenter leur lieu d'habitation, les
lieux qu'ils empruntent quotidiennement, les lieux qu'ils aiment et qu'ils
détestent ou encore les lieux importants pour eux. A partir de ces
données, Rémi Fouquet va établir un parcours qui prendra
en compte les espaces de la ville dans lesquels les habitants passent souvent,
un parcours dans lequel peuvent se reconnaître les personnes
rencontrées. L'oeuvre, une installation, sera alors constituée
d'une structure métallique, formant le parcours, sur laquelle des
écrans montreront des vidéos prises sur ce même parcours et
des empreintes reproduites en céramique.
D'ici on voit... raconté par Rémi
Fouquet
« L'idée c'est de rencontrer les habitants
d'un territoire et d'essayer de faire une cartographie, justement, de ce
territoire; d'essayer de s'intéresser aux habitants, leur manière
de vivre une ville. Est-ce qu'ils vivent uniquement dans leur quartier ?
Quelles sont leurs habitudes ? Leurs déplacements ? A partir de ces
récits, eux, ils vont me raconter leurs déplacements, ils vont me
raconter des lieux et ils vont me raconter aussi pourquoi ils y vont; donc il y
a une part d'intime, forcément, dans ces récits. Et moi, ce que
je vais faire, c'est compiler toutes les cartes que je vais avoir, tout les
déplacements, pour faire un seul parcours; un parcours, finalement, de
rassemblement, le parcours où on peut retrouver un maximum de personnes
interrogées. Donc, sur
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ce parcours, ensuite, moi, je vais le parcourir et je vais
porter un regard à ce qu'il y a dans ce parcours. Alors, moi, je ne le
connais pas à l'avance, ça fait partie du projet; c'est que
là, aujourd'hui, j'ai pas de carte prédéfinie. Ensuite,
c'est eux qui me donnent le parcours et, ensuite, j'essaie de
réfléchir un petit peu et de penser à ce qui m'a
été dit en amont, les récits de vie, les récits
intimes, les éléments auxquels les personnes sont très
sensibles. Moi, en fait, je vais les prendre en compte et je vais essayer,
justement, de regarder ça aussi dans ce parcours et essayer d'y faire
référence. Alors, ça va être soit en vidéo,
parce que je vais faire des espèces de courtes vidéos, de petits
films, un peu comme des petits chapitres sur différents lieux du
parcours; et en même temps je vais faire aussi des empreintes. Alors, les
empreintes, ça peut être du mobilier urbain, ça peut
être l'écorce d'un arbre, ça peut être selon ce qui
m'aura été dit dans les récits avec les habitants; et
c'est aussi ce qui, moi aussi, m'intéresse et ce que je peux trouver
intéressant dans le parcours. Donc, au final, ça aura la forme
d'une installation où il y aura une structure métallique qui
reprendra la forme du parcours; et, cette structure métallique, elle va
être aussi le socle pour les empreintes de mobilier, etc, que j'aurai
reproduit en céramique, et il y aura aussi des écrans sur la
structure métallique. »201
C'est à travers l'intermédiaire de la presse, le
Courrier Picard et le JDA pour être précis, et
du Safran, qui a mis l'artiste en contact avec des associations, que le
plasticien avait rencontré une quarantaine d'habitants au moment de
notre entretien; des habitants de divers quartiers d'Amiens, car c'est bien la
diversité qui revient dans sa recherche (« C'est aussi
ça qui est intéressant. C'est de rencontrer des gens de quartiers
différents, de milieux différents, d'origines différentes.
J'ai vraiment essayé de trouver une diversité.
»202). Des entretiens à la volonté de
construire une cartographie de la ville à partir des déplacements
de ces habitants, Rémi Fouquet porte un projet artistique qui pourrait
relever des sciences sociales; cependant, l'artiste me confiait n'avoir aucune
prétention à généraliser et que son travail,
dépendant des personnes rencontrées, n'était en rien une
vérité absolue. Pourtant, en créant une installation
à partir de leurs déplacements, Rémi Fouquet questionne la
mobilité des habitants dans leur ville, la mobilité
géographique; d'autant que, en attribuant, comme il me l'avait
expliqué, des particularités à des quartiers, la ville est
conçue à travers un découpage, « une
mosaïque d'espaces singuliers »203 pour reprendre un
terme de Marion Ségaud.
201 Entretien avec Rémi Fouquet
202 Ibid.
203 Ségaud, M. (2010). Anthropologie de l'espace.
Habiter, fonder, distribuer, transformer. Armand Colin, p. 158.
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Comme dans le cas de Violette Mortier, D'ici on voit...
relève de l'art en commun dans la mesure où les habitants
sont inclus dans le processus de création et, s'ils ne font pas l'oeuvre
eux-mêmes, ils participent à sa réalisation et sont
représentés de cette manière par l'oeuvre, l'oeuvre
dépend d'eux et pas que du plasticien (« La participation elle
vient à la fois sur la création du parcours et elle vient aussi,
en partie, sur ce que je vais montrer; pas totalement mais en partie. C'est
eux, c'est les habitants, qui sont la voix du projet et de ce que je vais
montrer. Sans les habitants, je peux rien faire. »204).
Dans la continuité de cette participation des habitants de la ville
d'Amiens, la structure métallique qui composera l'installation sera
réalisée par une classe de métallerie du lycée de
l'Acheuléen. L'installation D'ici on voit Amiens sera
exposée au Safran.
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