2. La ville pour questionner l'identité
Si je parle des interventions des artistes au cours du
Parcours d'Art Contemporain, n'oublions pas que ce sont les oeuvres
présentées qui doivent avoir une démarche participative,
en incluant les habitants dans la réalisation d'un projet artistique, ou
porter un propos sur la ville, un rapport avec le territoire.
Le projet de Violette Mortier s'inscrit dans la
démarche participative dans la mesure où ce dernier commence avec
des rencontres entre la photographe et des habitants de la ville d'Amiens.
Avant même le moment de la rencontre, Violette Mortier laisse l'habitant
choisir le lieu de l'entretien, pour qu'il puisse se sentir à l'aise
mais aussi pour saisir un lieu qui peut être important pour la personne
(« La dernière fois c'était au parc Saint-Pierre, parce
qu'il vient ici lire tout les jours, ou alors il vient écrire. Et
ça devient hyper intéressant de s'investir et de s'inscrire dans
un lieu qui leur est cher, qui est pas forcément celui où ils se
sentent chez eux mais c'est un premier pas. »197). Elle
photographie alors ces lieux, là où se déroulent les
entretiens, pour, potentiellement, les utiliser comme support, comme trame pour
une oeuvre. A cette trame, se superposerait des éléments de la
vie de l'habitant; des éléments relevant de la vie quotidienne,
d'une habitude. Ces éléments de vie deviendront alors une partie
de l'oeuvre de Violette Mortier (« L'idée ce serait de
récolter aussi, dans leur discours, leur récit de vie, des formes
plus concrètes auxquelles on donnera le statut de reliques. Mais,
vraiment, moi j'ai un côté où ... J'ai un souvenir
où ma mère, à
196 Entretien avec Violette Mortier
197 Ibid.
64
chaque fois qu'elle est au téléphone, elle
gribouille la même chose; et, en fait, je me suis rendue compte que
ça traduit aussi d'une histoire, même si elle se rend pas compte,
ça traduit d'une mémoire qui est ancrée et qui ressort
dans des petits moments comme ça où l'esprit rentre pas
forcément en compte. Et, du coup, c'est de récupérer ces
bribes de vie un petit peu, même une liste de courses tu vois. Des fois
tu vas avoir un gribouillage, où t'écriras toujours la même
chose, et quand tu lui donnes le statut de ... Tu l'agrandis, ça change
d'état quoi; c'est hyper intéressant. »198).
L'oeuvre sera donc une composition de textes, de dessins, d'images, de
photographies; une composition réalisée à partir de ces
rencontres avec les habitants. Elle sera exposée au Centre Culturel
Léo Lagrange ainsi que dans la salle Picasso à Longueau;
anciennement Espace Culturel Picasso qui s'est uni avec l'Espace Culturel
Antoine de Saint-Exupéry de Glisy pour devenir Le Trait d'Union, une
scène culturelle.
Le questionnement, ici, porte sur l'identité et le
territoire dans la mesure où, à travers sa rencontre avec des
habitants, Violette Mortier les renvoie à leur manière de se
créer un chez-soi, leur manière de s'ancrer quelque part. «
C'est vraiment l'idée que ton identité dépend du
territoire où tu es et où tu t'ancres. Et la quête d'un
chez-soi c'est une question qui est hyper présente quand, par exemple,
t'as été déraciné ou quand t'es issu, que ça
soit de troisième génération, d'une colonisation plus ou
moins lointaine, sans forcément m'arrêter sur des questions de
personnes racisées ou pas, vraiment, ça peut être
très lointain ou, même, pas l'être.
»199 Cette quête d'un chez-soi s'inscrit donc dans
un espace, un « territoire » qui serait le socle de
l'identité; le chez-soi, définie par l'artiste, serait là
où on se sent bien. La mémoire est aussi un terme qui est revenu
de cet entretien; notamment la mémoire liée à l'histoire
de l'individu, l'histoire de sa famille. Le chez-soi est-il uniquement le
territoire sur lequel nous nous inscrivons ?
Cette recherche, cette thématique, est à
recontextualiser avec l'histoire personnelle de la photographe. Violette
Mortier me confiait que, à partir de la pratique de la photographie,
c'est son propre chez-elle qu'elle questionnait; l'endroit où elle se
sent bien. Cette quête passe aussi par la question de la provenance et
Violette Mortier me parlait de sa grand-mère qui est arrivée du
Vietnam, ou de l'Indochine française à ce moment là, quand
elle avait 10 ans. L'artiste a alors un sentiment d'apatride et ne se
définit pas par rapport à sa nationalité (« C'est
très difficile pour moi de me définir en fonction de mon
territoire; c'est pour ça aussi que je questionne ça. C'est parce
que, à travers leur récit de vie, c'est aussi une introspection
identitaire pour moi. »200). Si l'identité peut
reposer sur le territoire sur lequel nous nous inscrivons, ce dernier peut
aussi ne pas nous
198 Entretien avec Violette Mortier
199 Ibid.
200 Ibid.
65
définir en tant qu'individu; la quête d'un
chez-soi n'est pas tant notre inscription dans un espace donné qu'un
lien que nous créons avec ce territoire.
Partant d'éléments donnés par les
habitants d'Amiens pour réaliser une oeuvre et questionnant
l'articulation entre l'identité et le territoire, le projet artistique
de Violette Mortier s'inscrit bien dans la thématique du Parcours d'Art
Contemporain; mais il n'est pas le seul à se construire sur le
vécu des habitants.
|