III. Faire de l'art ensemble
Je traiterai, dans cette partie, du Parcours d'Art
Contemporain et, principalement, des oeuvres qui relèvent de l'art en
commun, de l'idée de faire de l'art ensemble, artistes et habitants.
D'ailleurs, j'avais conclu mon précédent chapitre sur l'artiste
qui intervient dans l'espace public. Force est de constater que le Parcours
d'Art Contemporain s'inscrit lui aussi dans cette demande auprès des
artistes pour intervenir sur les « territoires », auprès des
habitants.
1. Des interventions en lien avec le Parcours d'Art
Contemporain
Les interventions des artistes au sein du milieu scolaire est
ce qui est revenu couramment dans les entretiens; des interventions de
l'école élémentaire à l'Université. Pour
commencer, Aude Berton, dans le cadre d'un Contrat Local d'Education
Artistique, va intervenir au sein d'une école élémentaire
pour travailler sur le thème des bidonvilles brésiliens, les
favelas; utilisant l'habitat comme un module architectural constituant un
ensemble (« Je vais les faire travailler autour des favelas; on va
faire une construction en terre, en grand format, et les enfants vont venir
agglutiner leurs petites structures, dans cet état d'esprit des
constructions anarchiques qu'on trouve dans ces lieux. C'est un travail qui
cuira pas et qui restera en terre crue; et puis ça va se constituer au
fur et à mesure. »187). Aude Berton
s'intéresse aux favelas car ce sont des territoires qui ont
été investis par des individus qui n'« avaient pas le
choix, ils avaient rien d'autre, il fallait bien se loger, et ce sont des
espaces anarchiques, des constructions anarchiques, ça répond pas
à un plan urbanistique très défini.
»188 Elle relève alors, avec le cas des favelas, la
capacité de l'homme à devenir le constructeur de son propre
habitat, avec divers matériaux et sans autorisation de construction,
mais aussi la promiscuité présente dans cet habitat où vit
toute une famille. Si la réalisation d'une oeuvre par les
élèves est une manière de faire de l'art ensemble, elle
peut aussi être précédée d'une visite au
musée, comme dans le cas de Louis Clais qui va proposer un atelier
d'écriture ou encore de dessin collectif (« Ce qu'on m'a
demandé de faire là, par contre, c'est d'intervenir en milieu
scolaire. Les enfants vont venir voir l'exposition au musée, voire le
musée aussi, le découvrir pour la première fois pour
certains. On va faire des activités ensemble et ça sera une
manière de leur donner mon point de vue sur l'art et puis, pour eux, de
découvrir des choses et d'expérimenter, et sous plein de formes.
»189).
187 Entretien avec Aude Berton
188 Ibid.
189 Entretien avec Louis Clais
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Marion Richomme, quant à elle, m'expliquait que son
oeuvre n'avait pas de démarche participative mais qu'elle-même
interviendra, à l'occasion d'un atelier durant le Parcours d'Art
Contemporain, dans une classe de 5e au collège Rosa Parks
d'Etouvie. Au cours de la première semaine de l'événement,
l'artiste créera, avec cette classe, une sculpture collective
monumentale constituée d'une tonne de terre. Le « faire ensemble
» a été relevé par Marion Richomme comme une
manière de retrouver un lien, un lien qui n'existerait plus («
On a perdu le lien avec les gens, on se parle pas. A travers des
écrans, tout ce rapport là aux réseaux sociaux qui fait
que, finalement, le "faire ensemble" a un peu disparu.
»190). Il est ainsi question du rôle de l'artiste,
comme je l'expliquais au cours du premier chapitre, et j'ai donc demandé
à Marion Richomme si ce dernier, le rôle du plasticien, est la
reconstruction d'un lien social; d'autant que, cette année, la crise
sanitaire a été un moment particulier durant lequel, avec le
confinement, des personnes se sont retrouvées isolées («
Je pense qu'on a ce rôle. Je pense que c'est primordial, encore plus
actuellement, encore plus en période de crise sanitaire; où, les
gens, on leur demande d'être confinés, de se regrouper que sur
eux-mêmes et de pas avoir de contact avec l'extérieur. On l'a vu
dans les ateliers qu'on a fait; les gens ils redevenaient enfants, ils
s'éclataient. Pendant trois quarts d'heure, ils ont juste mis les mains,
comme des gosses, dans la terre, à jouer, à faire ... Et
voilà, et c'était un moment hyper fort en fait.
»191). Pour terminer sur une autre intervention au
collège, Aude Berton travaillera aussi sur des dessins architecturaux
avec une classe de 3e.
L'ouverture, au cours de cette rentrée scolaire 2020,
d'une Classe Préparatoire à l'Enseignement Supérieur -
Classe d'Approfondissement en Arts Plastiques au lycée Louis Thuillier
d'Amiens a aussi été une opportunité pour intervenir en
milieu scolaire. Ainsi, Nicolas Tourte va travailler avec cette classe pour
préparer une oeuvre qui sera exposée à la Maison de
l'Architecture durant le Parcours d'Art Contemporain; une oeuvre nommée
Provision en attendant sa réalisation (« A chaque fois
j'essaie que ça soit pas vraiment un atelier de pratique qui soit de
l'ordre de l'occupationnel, c'est-à-dire que j'ai pas envie de donner du
travail, de faire un dessin ou de faire quelque chose en rapport avec ma
pratique. Je préfère que les étudiants soient vraiment
investis dans la construction de la pièce et puis transformer un petit
peu ce qui aurait été un atelier en une unité de
production, que tout le monde ait sa tâche et puis que chacun puisse
participer à l'élaboration de la pièce; je trouve
ça beaucoup plus enrichissant que de faire des choses qui n'ont pas
beaucoup de sens, pour moi ni, quelque part, pour eux.
»192). Aude Berton interviendra aussi au sein de cette
classe; non pour construire une oeuvre mais pour apprendre aux
élèves à réaliser des expositions.
190 Entretien avec Marion Richomme
191 Ibid.
192 Entretien avec Nicolas Tourte
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Mais l'intervention en milieu scolaire n'inclut pas
nécessairement une activité artistique au sein même d'un
établissement. « L'important c'est aussi de s'approprier la
ville par la création, c'est l'idée de base.
»193 Et, pour s'approprier la ville, il peut être
intéressant d'investir ses rues. Gabriel Folli établira alors
divers parcours dans divers quartiers d'Amiens, avec la classe du lycée
Louis Thuillier dont je parlais précédemment, mais aussi avec des
étudiants de l'UFR des Arts de l'Université de Picardie Jules
Verne. A travers ces parcours, il sera question de faire des croquis de la
ville, de la prendre en photo, de ramasser des choses; l'intérêt
étant, à partir de ces éléments, de travailler sur
des oeuvres en apportant chacun son rapport à la ville (« Ce
sera un travail qui sera plutôt sur l'architecture, sur le patrimoine,
sur l'histoire, sur ce qu'il se passe aussi à Amiens, sur le vécu
de chacun aussi, sur ses références personnelles, sur sa propre
culture. J'avais envie que ça mélange tout ça tu vois; que
ça soit un travail sur le territoire, l'architecture, mais aussi que
ça aille aussi plus loin quoi, tu vois. »194). Le
plasticien, Gabriel Folli, m'expliquait aussi qu'être artiste a ses
contraintes, comme nous l'avons vu au cours du premier chapitre, et que ces
rencontres, entre des étudiants en art et lui, peuvent permettre de
penser la suite des études, la transition, de se confronter au monde de
l'art.
De manière similaire, au cours de cet été
2020, donc en amont du Parcours d'Art Contemporain mais en lien avec celui-ci,
Violette Mortier a été sollicité par Amiens
Métropole pour un atelier d'initiation à la photographie. Ce qui
revient dans cet atelier, comme pour celui de Gabriel Folli, c'est de parcourir
des chemins qui peuvent paraître quotidiens (« L'idée
c'était vraiment de les pousser, de leur côté, si ils en
ont envie, à redécouvrir leur chemin quotidien avec l'appareil
photographique et de se dire « En fait, oui. Je le vois tout les jours
mais c'est la première fois que je le vois comme ça. ». En
fait, c'est des ressources inépuisables, parce que, même si tu
l'as déjà photographié, et c'est ça la question que
je posais aussi, c'est « Comment photographier quelque chose qu'on a
déjà vu cent fois, mille fois, qui a bercé vraiment notre
enfance ? », « Comment tu photographies quelque chose que tu connais
par coeur ? ». En fait, c'est hallucinant, et vraiment c'est un exercice
hyper intéressant, c'est que c'est inépuisable. Tu continues
forcément à redécouvrir des choses; pourtant c'est quelque
chose de très formel le territoire, les bâtiments, le paysage.
»195). L'interaction entre identité et territoire,
la manière par laquelle l'un peut transmettre l'autre, sont les 2
thèmes qu'abordent Violette Mortier dans ses oeuvres; et notamment dans
ce qu'elle présentera pour le Parcours d'Art Contemporain. Encore une
fois, la question du rôle du plasticien a été
mentionné au cours de l'entretien avec Violette Mortier, son atelier
comme son oeuvre reposant sur la participation des habitants. Elle me confiait
alors tendre vers une vision de
193 Entretien avec Gabriel Folli
194 Ibid.
195 Entretien avec Violette Mortier
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l'art accessible, avec un caractère social; au
contraire d'une vision de l'art contemporain élitiste, inaccessible
(« J'aime bien le participatif, j'aime bien le partage. Je pars du
principe que mon statut d'artiste, à partir du moment où on me
donne l'opportunité de créer et d'investir un lieu, c'est un peu
mon devoir d'aussi faire participer d'autres personnes, qui soient dans le
milieu artistique ou pas, mais qu'il y ait ce sentiment de partage. Je trouve
que c'est hyper important parce que l'art c'est ça aussi, on crée
pour soi et pour les autres, pour dire des choses. On a un peu un devoir,
aussi, de diffusion. »196)
Avant d'en venir, précisément, au projet
artistique de Violette Mortier, je mentionnerai l'atelier de Franck Kemkeng
Noah. Dans la continuité des ateliers qu'il animait au Cameroun, le
plasticien participera à des ateliers, au sein de l'association
Emmaüs, pour réaliser des oeuvres à partir d'objets
récupérés.
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