L'ART DANS LA VILLE ET LA VILLE DANS L'ART
Pour rappel, la thématique de cette seconde
édition du Parcours d'Art Contemporain est « Art, territoires :
Créer et habiter »; non sans suivre celle de la première
édition qui était « Art, territoires et mutations » en
2018. L'événement, en valorisant les interactions entre pratiques
artistiques contemporaines et espace urbain, tente d'inclure les habitants
d'Amiens à sa démarche de diffusion de l'art contemporain; de
proposer un parcours dans lequel « chacun est à la fois
spectateur et acteur »167. Le Parcours d'Art Contemporain,
initialement prévu du 13 novembre au 16 décembre 2020 mais
reporté en novembre 2021, se répartit sur l'ensemble d'Amiens
Métropole, incitant les visiteurs à « s'aventurer
à la découverte d'un quartier, d'une diversité de lieux et
de propositions »168. Citons les lieux qui participeront
au Parcours d'Art Contemporain : l'Artothèque et les
Bibliothèques d'Amiens Métropole, l'Auberge de Jeunesse d'Amiens,
le Centre Culturel Léo Lagrange, le Centre Culturel Nymphéa de
Camon, le Centre Social et Culturel d'Etouvie, l'Ecole Supérieure d'Art
et de Design d'Amiens, le Fonds Régional d'Art Contemporain Picardie,
l'Imprimerie, la Maison de l'Architecture des Hauts-de-France, la Maison de la
Culture d'Amiens, le Musée de Picardie, le Safran, le Trait d'Union de
Longueau et l'UFR des Arts de l'Université de Picardie Jules Verne.
Deux thèmes transversales composent ainsi cette
édition du Parcours d'Art Contemporain. Dans un premier temps, celui de
l'art en commun; l'art, à travers la démarche de l'artiste,
rentre alors en interaction avec ce qui l'entoure, son environnement. Dans un
second temps, mais dans la continuité du premier thème, le
Parcours d'Art Contemporain propose de penser « la question de la
relation de l'homme avec l'espace qu'il occupe »169; et la
manière par laquelle la création peut permettre à l'homme
de s'approprier un espace, de l'investir, en d'autres termes, d'habiter le
territoire. Car c'est le rapport entre l'artiste et l'habitant qui importe dans
cet événement, qui est le mot d'ordre de ce Parcours comme nous
le confiait Fabiana De Moraes, chargée de projets Patrimoine et Arts
visuels d'Amiens Métropole (« Il y a un impératif, c'est
que les artistes doivent se tourner vers les habitants et doivent proposer des
démarches participatives, inviter les habitants à participer;
soit à la réalisation, soit à un moment de
médiation de l'oeuvre. Il faut que les habitants soient là au
bout d'un moment. Il faut que les gens soient mobilisés autour d'un
projet artistique. »170)
167 Amiens Métropole. (2019). Appel à
candidature, p. 2.
168 Ibid, p. 3.
169 Ibid, p. 3.
170 Entretien avec Fabiana De Moraes
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I. L'« habiter » et les sciences sociales
Ne nous méprenons pas, c'est bien la conception de la
ville par l'artiste qui m'intéresse dans ce mémoire; mon avis
d'étudiant avec une démarche de sciences sociales important peu.
Cependant, il peut être intéressant de relever comment l'espace
autour de nous peut être pensé par les sciences sociales.
J'introduirai cela par une anecdote personnelle. Il y a
quelques mois, alors que j'allais retrouver une amie rentrant d'un mois au
Japon, cette dernière m'a demandé de retirer mes chaussures
à l'entrée de son domicile; une pratique qu'elle ne me demandait
pas avant, mais la coutume est telle au Japon. Derrière ces pratiques
quotidiennes, ces banalités trompeuses, c'est tout un rapport à
l'habitat qui se dévoile; un rapport à l'habitat qui n'a rien
d'universel. « L'espace habité est évidemment une
construction sociale. »171 Cette construction sociale
varie dans l'espace et le temps mais la vie quotidienne, dans ce qu'elle peut
avoir d'intime, peut être un point de départ pour comprendre
l'« habiter »; le logement étant l'« espace de
l'enracinement, de la reproduction et de la conservation des modèles et
des valeurs. »172
Marion Ségaud, sociologue, s'est
intéressée à la rencontre entre l'architecture et les
sciences sociales. « Dans les années 1970, les sciences
sociales se sont proposées d'améliorer l'information des
architectes tant sur les problèmes de l'habitat que sur les modes
d'opérations sur l'espace »173; mais, si la
question de l'habitat est importante à comprendre, c'est parce qu'elle
retranscrit aussi un rapport social. « Aujourd'hui des formes de
stigmatisation sociale passent par la localisation : dans les cités ou
dans certains lieux. »174 Ainsi, l'habitat peut permettre
de montrer un statut social. Je pense, à un autre temps, au
Familistère de Guise, dans lequel résidaient les ouvriers de
l'entreprise Godin. Cet exemple permet de comprendre que, à partir de
l'habitat, c'est un rapport à l'Autre que nous pouvons saisir; le
logement n'étant que le premier maillon de la chaîne qui
mène à la ville. Maintenant que nous avons dépassé
la séparation entre l'espace privé, celui de l'habitat, et
l'espace public, celui de la ville, je mentionnerai, au début du
XXe siècle, l'Ecole de Chicago comme le moment où les
sciences sociales, l'anthropologie urbaine notamment, ont commencé
à penser la spatialisation des rapports sociaux; à partir de
l'étude de la déviance dans un premier temps. La ville devient
alors « l'inscription au sol des rapports sociaux
»175; et c'est bien ces rapports sociaux qui
171 Ségaud, M. (2010). Anthropologie de l'espace.
Habiter, fonder, distribuer, transformer. Armand Colin, p. 7.
172 Ibid, p. 53.
173 Ibid, p. 16.
174 Ibid, p. 85.
175 Ibid, p. 81.
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intéressent les sciences sociales. Car comprendre
"comment le social se territorialise"176, c'est aussi
saisir la manière par laquelle les individus se répartissent dans
la ville, la division sociale de l'espace urbain.
Revenons aux artistes du Parcours d'Art Contemporain, car
c'est leur conception de la ville qui m'intéresse ici. Je rappelle ma
problématique : « Quel propos l'artiste porte-t-il sur la ville ?
Quelle conception de la ville révèle sa démarche
artistique ? ». La ville, comme nous allons le voir au cours de ce
chapitre, peut être vue de diverses manières, que ce soit comme
« une mosaïque d'espaces singuliers »177 ou
encore, avec une tendance dualiste, par son opposition à la nature.
« Cette recherche de l'harmonie de l'homme et de l'environnement
s'inscrit d'ailleurs dans les thématiques actuelles de
développement durable. »178 Quoi qu'il en soit,
l'espace est investi par l'Homme et n'est pas neutre, il est structuré
par ce dernier autant qu'il peut structurer l'identité des individus;
les sciences sociales étant une manière de « mettre en
évidence la relation réciproque entre le spatial et le social
»179.
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