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L'artiste et la ville en Hauts-de-France. Le cas du parcours d'art contemporain d'Amiens métropole.


par Julien Cossart
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 Culture, Patrimoine et Innovations Numériques 2020
  

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VII. La fin de l'artiste créateur ?

Je parlais, en introduction, de l'article de Sophie Le Coq sur « l'effritement du modèle de l'artiste créateur ». Il est vrai que j'ai rencontré toutes sortes d'artistes au cours de mon enquête de terrain; mais, ce qui revient souvent, ce sont les plasticiens qui interviennent auprès de publics. « Tout se passe comme si nous assistions là à une inscription socio-historique de la participation sociale des artistes. Plus précisément, il ne s'agit plus, pour le praticien d'art, de viser la pérennité de sa personne artiste par la réalisation d'une potentielle oeuvre susceptible de se révéler par des publics futurs, mais de se construire socialement dans ce qu'il peut apporter aux autres par

144 Entretien avec Marion Richomme

145 Entretien avec Louis Clais

146 Entretien avec Daniela Lorini

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l'exercice de pratiques artistiques. »147; pour reprendre Sophie Le Coq. En effet, par moment, la création d'une oeuvre n'est pas tant visée que la volonté de pratiquer l'art avec des publics. L'artiste créateur s'efface, en quelque sorte, au profit de l'artiste intervenant; qui doit, plus que montrer une oeuvre, montrer sa propre présence aux publics et prouver son utilité sociale. Cette participation sociale peut être conscientisée par l'artiste comme j'ai pu le voir avec Violette Mortier. Cet été, Amiens Métropole l'a contacté pour animer un atelier d'initiation à la photographie. Sa rencontre avec des habitants est, pour elle, une manière de connaître des histoires, des visions, et de les porter dans ses oeuvres (« L'artiste se doit de diffuser aussi des messages et, au-delà de l'introspection identitaire, au-delà de créer un projet pour soi, on crée aussi pour les autres, et de mettre en avant des personnes qui ont des choses à dire, qui ont un passé, qui sont dans le militantisme ou pas; c'est aussi mon devoir de les mettre en avant, de travailler avec eux. »148). Aude Berton a, au cours de sa carrière, arrêté sa propre création artistique pour donner des cours de céramique. Pour elle, la culture, à travers la pratique artistique, est une manière de s'exprimer, de se construire un esprit critique; c'est le sens qu'elle donne à ses interventions, en milieu scolaire ou en milieu carcéral (« Apporter la culture c'est vachement extra quand c'est des petits, parce qu'on va les aider à s'exprimer, à avoir un esprit critique, c'est vachement important. Et, en milieu défavorisé comme ça peut l'être dans les maisons d'arrêt, les prisons, souvent ce sont des gens qui n'ont pas eu la chance de bénéficier de cette ouverture là. »149).

Les interventions des artistes dans l'espace urbain me permettent une transition, celle de l'oeuvre au projet. En effet, à partir de ce que j'ai montré dans les précédentes parties, de ces derniers exemples, et du fait que j'ai rencontré les artistes du Parcours d'Art Contemporain, qui ont été sélectionnés sur un appel à candidature, nous comprenons que les plasticiens rencontrés s'inscrivent davantage dans une économie de projets que dans une économie d'oeuvres. L'économie de projets fonctionne par « la recherche de financements susceptibles de permettre la réalisation de productions personnelles onéreuses (logique de « guichets » dans les collectivités territoriales auprès desquelles les artistes viennent chercher des financements) »150, comme nous l'avons vu avec la DRAC aussi, et par la réponse à des appels à projets. Dans cet article de Muriel De Vrièse que je viens de citer, cette dernière précise que cette économie est celle qui concerne principalement, mais non exclusivement, les artistes liés au monde institutionnel, et c'est bien ces artistes que nous avons rencontré; le monde marchand, celui de la vente d'oeuvres, étant très peu représenté. Mais l'économie de projets peut prendre différentes formes.

147 LeCoq, S. (2004). « Le travail artistique : effritement du modèle de l'artiste créateur ? ». Sociologie de l'Art, 5(3), 111-131, p. 123.

148 Entretien avec Violette Mortier

149 Entretien avec Aude Berton

150 De Vrièse, M., Martin, B., Melin, C., Moureau, N., & Sagot-Duvauroux, D. (2011). « Diffusion et valorisation de l'art actuel en région. Une étude des agglomérations du Havre, de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen ». Culture études, 1(1), 1-16, p. 3.

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Une de ces formes est l'action artistique. « L'économie de projets d'action artistique n'a pas prioritairement vocation à financer la production d'oeuvres mais davantage des interventions artistiques dans l'espace urbain ou dans des centres d'art (actions, performances, événements, résidences). Les associations et les collectifs sont les acteurs principaux de ce modèle dont les financeurs sont les collectivités publiques et les institutions culturelles. À la différence de l'économie de commande, les projets associent le plus souvent artistes, opérateurs et médiateurs dans des actions qui ont une finalité artistique, sociale et politique. »151 L'intervention de l'artiste dans des espaces, urbains mais aussi ruraux comme j'ai pu le remarquer au cours de mes entretiens, est alors devenu une pratique courante, et peut-être même primordiale, pour les artistes rencontrés; du moins, pour ceux qui s'inscrivent dans le tissu institutionnel de l'art. Cela est notamment le cas de Aude Berton, qui travaille pour Amiens Métropole en tant que professeure de céramique au Safran, pouvant être incitée par la DRAC à intervenir dans les territoires des Hauts-de-France (« Là, par exemple, j'ai été sollicitée par la DRAC pour intervenir en tant qu'artiste dans la région de la Thiérache. C'est la culture dans le milieu de la Thiérache; c'est une partie de la région qui est plutôt pauvre, culturellement parlant. La DRAC m'a proposé, si cela me convenait, d'intervenir dans cette région. Je suis amenée à intervenir là-bas; et notamment autour de ... C'est une région qui est très riche en églises fortifiées. Ce sont des églises qui, au XIVe siècle, ont été affublées d'architecture du monde médiéval militaire; on y a collé des tours. C'est vraiment assez étonnant comme complexe architectural. C'est autour de ça qu'on travaille. »152). Cette idée d'apporter l'art à des populations revient aussi dans le travail de Marion Richomme, donnant elle aussi des cours à l'espace culturel Nymphéa de Camon, qui m'a ainsi confié réaliser des oeuvres dans les galeries d'établissements scolaires sur le territoire de l'ancienne Picardie (« Je peux faire aussi un truc qui est très spécifique à la région, c'est les galeries de collèges, c'est les galeries dans les établissements; et ça c'est vachement bien qu'ils fassent ça, ça n'existe pas ailleurs, c'est vraiment typique de notre région, donc c'est cool, ça permet aux élèves d'avoir directement accès à l'art et puis à un artiste vivant, donc c'est très bien. »153); bien qu'elle déplore qu'une telle oeuvre ne soit pas ouverte à un public extérieur à l'établissement. Je citerai un dernier exemple relevant des rôles qui sont donnés à l'artiste. Suite à la crise sanitaire, la DRAC Hauts-de-France a créé un dispositif, nommé Plaines d'été, pour permettre des rencontres entre artistes et habitants154. Dans ce cadre, Marion Richomme a animé, avec une autre artiste de l'association La Menuiserie 2, un atelier de

151 De Vrièse, M., Martin, B., Melin, C., Moureau, N., & Sagot-Duvauroux, D. (2011). « Diffusion et valorisation de l'art actuel en région. Une étude des agglomérations du Havre, de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen ». Culture études, 1(1), 1-16, p. 13.

152 Entretien avec Aude Berton

153 Entretien avec Marion Richomme

154 Site Internet du Ministère de la Culture

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sculptures collectives en briques; ces dernières étant en terre crue, le projet artistique consistait à prendre des photographies de la destruction progressive des sculptures au fil du temps.

Car il serait réducteur de ne donner à l'artiste qu'un rôle d'animateur, ces ateliers et interventions peuvent aussi s'inscrire dans un projet qui se « concrétiserait » par une oeuvre. Seulement, cette dernière ne permet pas, en soi, de recevoir des financements. Dans l'économie de projets, « l'évaluation a trait au processus créatif et c'est la démarche qui est jugée et qui donne droit à des aides à la production »155. Cependant, pour recevoir ces aides à la production, peu importe les formes par lesquelles elles sont fournies (aides individuelles à la création, appels à candidatures, subventions, etc.), l'artiste doit renouveler ses projets artistiques et rentre donc dans « une organisation du travail artistique proche de l'intermittence »156. C'est ce que Marion Richomme m'expliquait en évoquant ses incertitudes sur les mois prochains (« C'est ça qui est un peu difficile, c'est que, là, tu vois, je sais ce que je fais jusqu'à Noël, à partir de Noël, je ne sais pas ce que je fais. Il faut que je réponde à des appels à candidatures pour avoir des projets qui arrivent derrière. Souvent t'as une marge de 6 mois, tout les 6 mois il faut renouveler les appels pour avoir des projets qui tombent. »157).

Pour revenir aux projets en eux-mêmes, l'intervention auprès de publics n'est pas une condition sine qua non de tout les appels à candidatures, cela dépend aussi des démarches des artistes. L'artiste, en dehors d'un appel à candidature qui inciterait à la rencontre de publics, peut aussi utiliser les habitants dans une démarche artistique qui lui est propre. C'est ce que j'ai vu avec Rémi Fouquet (« De plus en plus, dans ma démarche, 80-90% de la création se fait avec des habitants, avec des participants. »158). Ses travaux portant principalement sur les questions « Comment investir un territoire ? Comment porter un regard sur un territoire ? », c'est la rencontre avec des habitants, des collégiens notamment, qui constitue une partie de son activité artistique. Outre une rencontre avec des publics, un projet peut aussi être une importante recherche pour construire ensuite une oeuvre. C'est notamment le cas de Daniela Lorini. Pour réaliser l'oeuvre qu'elle présentera au Parcours d'Art Contemporain, cette artiste a, durant 5 mois, travaillé avec un laboratoire de l'Université de Lille et des étudiants en suivant un protocole de recherche scientifique; son travail portant sur les insectes qui habitent sous terre. Mais les rencontres sont une récurrence dans le travail des artistes, ce que me confiait aussi Katerini Antonakaki; animant des rencontres à l'occasion de projets spécifiques. Ces exemples servent à montrer ce que peut être un

155 De Vrièse, M., Martin, B., Melin, C., Moureau, N., & Sagot-Duvauroux, D. (2011). « Diffusion et valorisation de l'art actuel en région. Une étude des agglomérations du Havre, de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen ». Culture études, 1(1), 1-16, p. 9.

156 Ibid, p. 12.

157 Entretien avec Marion Richomme

158 Entretien avec Rémi Fouquet

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projet artistique, l'oeuvre, en tant que telle, n'étant pas le critère d'évaluation utilisé, la démarche est davantage importante dans cette économie de projets.

Vous aurez peut-être remarqué l'utilisation du terme d'animation pour parler de l'activité de certains plasticiens; cela car c'est le terme qui est apparu dans les entretiens, de la part des plasticiens. Le titre de cette partie, « La fin de l'artiste créateur ? », n'est en rien une tentative de réduction de la création artistique mais bien un sentiment qui a pu s'exprimer durant mon enquête de terrain. Gabriel Folli relevait ainsi le temps consacré aux interventions durant les résidences d'artiste, la création étant mise au second plan (« J'ai pas forcément ce besoin de faire de résidences tu vois. J'aime bien travailler ici, chez moi, tout seul. Et puis, après, les résidences, c'est aussi beaucoup, maintenant, des résidences où l'artiste il est un peu vu comme un animateur tu vois. C'est-à-dire qu'on donne plus trop le temps à l'artiste de créer 100% du temps sur son boulot, c'est plutôt 70% du temps où tu vas dans des classes, tu vois, etc; ce qui peut être bien, tu vois, mais bon, du coup, t'as très peu de temps pour ta pratique artistique et donc ça doit être assez frustrant. »159). Une anecdote, non représentative de l'ensemble des artistes mais qui peut montrer une partie de l'activité artistique et de ses « dérives », est la situation vécue par Aude Berton, qui n'a pas été reconnue comme artiste auprès de la Maison des Artistes mais comme une animatrice (« Tout au début, quand je me suis inscrite en tant qu'artiste et que j'ai eu un numéro de SIRET, je me suis inscrite à la Maison des Artistes, et puis, au bout de quelques temps, je faisais pas mal de workshops ou des ateliers, que j'animais en tant que plasticienne, et puis la Maison des Artistes, il y a quelques années, a trouvé, estimé, que mes prestations elles correspondaient pas à un statut d'artiste et donc elle m'a demandé de me rapprocher des impôts pour déclarer ces revenus. [...] A cette époque là, elle considérait qu'il s'agissait d'animation auprès d'un public. »160).

Pour conclure ce premier chapitre consacré à la présentation des artistes et de leurs vécus, la diversité des situations est ce que nous pouvons retenir de ces entretiens. En effet, parmi ces artistes qui s'inscrivent tous dans une dimension contemporaine de l'art, certains ne vivent que de l'art tandis que d'autres n'ont que très peu de revenus liés à leur activité artistique. Loin du monde de l'art contemporain tel qu'il a pu être décrit par Nathalie Heinich161, mon terrain d'enquête me renvoie à une autre réalité du travail artistique, celle développée par le sociologue Pierre-Michel Menger dans Le travail créateur. S'accomplir dans l'incertain en 2009. Ce dernier montre que le début de carrière artistique est marqué par l'étirement de cette période d'épreuve et d'incertitude durant laquelle

159 Entretien avec Gabriel Folli

160 Entretien avec Aude Berton

161 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique. Gallimard.

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« l'éventail du cumul de ressources est plus large »162; entre les aides de l'État, de la famille ou encore des amis. Pierre-Michel Menger me permet aussi de dire que les artistes que j'ai rencontré sont des artistes « normaux », au sens statistique du terme. « Les enquêtes sur les diverses populations de créateurs nous apprennent qu'en règle générale, moins de 10% des artistes de chaque catégorie sont, au moment de l'enquête, en situation de vivre exclusivement de leur art. C'est suggérer que pour l'immense majorité de ceux qui n'occupent pas d'emplois stables dans des organisations artistiques où l'exercice de leur métier est rémunéré comme tel, le recours à d'autres ressources et à un emploi ou à une série d'autres emplois stables, intermittents ou temporaires, est une obligation économique qui cohabite plus ou moins aisément avec la pratique du travail artistique de vocation. »163

Une constante est cependant présente parmi les plasticiens rencontrés, leur proximité avec le réseau institutionnel de l'art; et, précisément, leur inscription au sein du territoire des Hauts-de-France. Ainsi, Marion Richomme me confiait sa relation avec la DRAC Hauts-de-France (« On va dire que, maintenant, je commence à être bien implantée ici, je suis bien repérée par les structures, par la DRAC. »164). Si nombre d'artistes ont pu exposer hors des Hauts-de-France, voire même hors de la France, le réseau institutionnel local est prépondérant dans leur activité artistique; une activité artistique s'inscrivant sur un territoire « où la consécration parisienne n'a pas encore eu lieu »165 et sur lequel le public prend le pas sur le privé pour reprendre un titre de Nathalie Heinich. Leur proximité avec ce réseau institutionnel et ce territoire peut aussi être perçue comme une limite. Aude Berton m'expliquait d'ailleurs qu'elle souhaitait sortir, ne serait-ce que d'Amiens Métropole, aller au-delà des frontières des Hauts-de-France (« Par contre, ce que je désire vraiment, c'est sortir du territoire. J'ai vraiment envie d'aller ailleurs en fait, de montrer mon travail; c'est une chose que j'avais pas nécessairement envie avant. J'ai envie de le montrer, mais vraiment ailleurs et même vraiment loin, de me donner l'occasion de rencontrer d'autres espaces et d'autres personnes. »166).

A la croisée des parcours des artistes rencontrés se dévoile notre terrain d'enquête en sa caractéristique d'événement; le Parcours d'Art Contemporain d'Amiens Métropole. Et si j'ai terminé ce premier chapitre en évoquant les interventions et autres rencontres des plasticiens avec des habitants, dans l'espace urbain ou sur les « territoires », autrement dit, la manière par laquelle

162 Menger, P. (2009). Le travail créateur. S'accomplir dans l'incertain. Gallimard, p. 320.

163 Ibid, p. 308.

164 Entretien avec Marion Richomme

165 Heinich, N. (2014). Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique. Gallimard, p. 169.

166 Entretien avec Aude Berton

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l'artiste peut devenir un acteur de la démocratisation culturelle, c'est que la thématique de cet événement permet aussi d'entrer dans le rapport entre l'artiste et la ville.

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