VI. La galerie, un intermédiaire peu
présent et contesté
Mon enquête de terrain m'aura permis de franchir les
portes d'une galerie pour la première fois. La ville d'Amiens a bien, en
son sein, quelques espaces où des oeuvres peuvent se vendre, des espaces
comme l'Imprimerie, une « librairie-galerie » qui achète et
vend des tableaux et autre dessins, qui expose même des artistes
contemporains tels que Gabriel Folli durant le Parcours d'Art Contemporain.
J'ai aussi appris l'existence d'un espace mis à disposition par l'Amiens
Athletic Club, un club de tennis, pour les artistes et l'exposition de leurs
oeuvres. Si ces espaces sont utilisés par les plasticiens et, en tant
que lieu de monstration des oeuvres, peuvent leur permettre leurs
premières ventes, comme cela a été le cas avec la galerie
de l'Amiens Athletic Club pour Franck Kemkeng Noah (« Il y a un
monsieur qui est arrivé, il a dit « J'achète ça,
ça, ça. ». Il en a acheté 3, à raison de 1.500
euros l'oeuvre. Je ne m'attendais même pas à ...
»133), ils ne représentent pas les artistes
autrement qu'en leur accordant un espace d'exposition; c'est ce que
m'expliquait Gabriel Folli, avec le sens qu'il donne à la galerie
(« Un artiste est représenté par une galerie,
c'est-à-dire qu'il fait partie d'une liste de 15 artistes en moyenne.
L'intérêt pour la galerie c'est de défendre les artistes,
c'est-à-dire de faire une expo solo tout les 2 ans, une expo collective
tout les ans, mettre les artistes sur des stands dans des foires, mettre en
relation avec des collectionneurs, faire de la visibilité via
131 Site Internet du Ministère de la Culture.
132 Entretien avec Marion Richomme
133 Entretien avec Franck Kemkeng Noah
47
les réseaux sociaux. »134).
Pour découvrir ce que pouvait être une galerie, j'ai alors
dû me rendre à Lille; où se situent 24 des 51 galeries
recensées par l'état des lieux des arts plastiques en
Hauts-de-France135. J'ai d'ailleurs commencé par une des
galeries qui représentent Gabriel Folli (« J'en ai 2. J'en ai
une à Lille, la galerie Provost-Hacker, et la galerie Artitude à
Bruxelles. »136). Des toiles, uniquement des toiles, pas
de prix visibles. J'ai continué ma visite avec d'autres galeries; comme
la galerie Jean-Luc Moreau, avec des peintures et sculptures qui se comptaient
en milliers d'euros. Aucune installation, aucune oeuvre vidéo, l'art
contemporain et sa diversité de disciplines n'est pas ce qui est
ressorti de ma visite.
Pour en revenir aux artistes rencontrés, peu sont
représentés par une galerie. « Une part importante de
l'économie artistique locale s'effectue en dehors du «
système galerie », comme par exemple dans le département de
la Loire-Atlantique où les trois quarts des artistes recensés par
le conseil général ne sont représentés par aucune
galerie. »137 Sur notre échelle d'étude,
c'est-à-dire les 10 plasticiens du Parcours d'Art Contemporain, 2 sont
représentés par des galeries, mais la vente d'oeuvres ne
constitue pas leur principale source de revenus pour autant (« Au
niveau des revenus, il y a un très faible quotient qui est
affilié à la vente d'oeuvres. »138).
Plusieurs raisons ont été citées
concernant leur rapport à cette intermédiaire qu'est la galerie;
un intermédiaire dans la transaction marchande, entre un artiste et un
collectionneur, mais aussi dans la monstration d'une oeuvre. La
première, non par ordre d'importance, est la démarche à
réaliser pour cela. Rémi Fouquet et Daniela Lorini m'ont ainsi
confié, outre le peu d'intermédiaires en Hauts-de-France, n'avoir
aucun contact avec le « domaine privé
»139, ou encore, qu'il était compliqué
d'aller voir une galerie (« Non. Je sais pas comment faire ce pas. Je
me demande si ça serait intéressant de contacter ou avoir une
galerie, mais ... Peut-être ça fonctionnerait mieux mais ... Je
sais pas comment vraiment faire ce pas, ou contacter la galerie, ou contacter
un critique d'art, non. Peut-être ça fonctionne, peutêtre il
y a des artistes qui ont fait ce pas et ils réussissent à ...
Oui, je pense que tu peux réussir à mieux te montrer, te vendre.
Mais moi, je l'ai pas fait; et je sais pas si je vais le faire,
peut-être, un jour. »140). Pour prendre le cas de
Gabriel Folli, qui est représenté par 2 galeries, ce dernier
m'expliquait que, à sa sortie d'études, une exposition à
Amiens lui a permis d'avoir des contacts à Bruxelles et que c'est par
l'envoi de mails qu'il a pu être représenté par la galerie
Artitude par la suite; en allant lui-même vers les galeries.
134 Entretien avec Gabriel Folli
135 Carton, A., Dubruel, V., & Sourisseau, R. (2020).
Etat des lieux des arts plastiques en Hauts-de-France. Arts Visuels
Hauts-de-France, p. 136.
136 Entretien avec Gabriel Folli
137 De Vrièse, M., Martin, B., Melin, C., Moureau, N.,
& Sagot-Duvauroux, D. (2011). « Diffusion et valorisation de l'art
actuel en région. Une étude des agglomérations du Havre,
de Lyon, de Montpellier, Nantes et Rouen ». Culture
études, 1(1), 1-16, p. 3.
138 Entretien avec Nicolas Tourte
139 Entretien avec Rémi Fouquet
140 Entretien avec Daniela Lorini
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L'art contemporain, comme nous l'avons vu, est aussi
composé d'une diversité de démarches et de pratiques
artistiques. Certaines de ces démarches et pratiques se prêtent
ainsi moins à la vente que d'autres; à la vente d'une oeuvre dans
une galerie du moins. Par exemple, Katerini Antonakaki, avant d'être une
artiste plasticienne, est artiste scénographe, la création
plastique n'est qu'une partie de son activité artistique et ne prend
sens que sur scène, à l'occasion de ses spectacles. De
même, la démarche de Rémi Fouquet, qui sera
détaillée plus tard dans ce mémoire, s'inscrit sur des
territoires donnés; ce dernier me confiait alors que, si la question de
la vente venait à se poser, cela aurait davantage de sens de vendre ses
oeuvres à un FRAC, pour que les visiteurs puissent voir une oeuvre
réalisée à propos d'un territoire sur ce même
territoire. Un autre artiste, Nicolas Tourte, est représenté par
2 galeries; la galerie Laure Roynette, à Paris, et la galerie L'Oeil
Histrion, à Caen. Sa pratique artistique inclut la vidéo et,
selon lui, la dématérialisation de l'oeuvre, contrairement
à l'art classique dans lequel peintures et sculptures sont faites de
matière, la rend moins vendable (« J'ai une galerie à
Paris, j'ai une galerie à Caen et je travaille avec plusieurs galeries,
notamment à Bruxelles, ça dépend vraiment des projets.
Disons que la galerie parisienne ... Je me pose un peu la question de la
réelle nécessité d'avoir une galerie attitrée. J'ai
une pratique qui est pas très facilement vendable, parce que les
médias impalpables comme ça, c'est pas comme une peinture, c'est
pas comme un dessin. Quand c'est dématérialisé c'est pas
forcément très facile de vendre. »141).
Car, à travers la galerie, c'est bien la vente
d'oeuvres que j'aborde. Si quelques artistes ont vendu, de manière
occasionnelle, certaines de leurs oeuvres, la galerie n'est que rarement
utilisée comme intermédiaire. A l'opposé, des plasticiens
rencontrés, le seul à avoir la vente d'oeuvres comme principale
source de revenus artistiques n'utilise pas la galerie comme
intermédiaire; ou alors comme lieu de monstration durant des
expositions, mais la galerie ne le représente pas (« Oui, c'est
ma principale source de revenus; ça vient des ventes, en ligne ou suite
à des expositions, et, aussi, il y a beaucoup d'appels à
candidatures. »142). Cette réticence envers la
galerie s'explique en partie par le fait que, en tant qu'intermédiaire,
cette dernière perçoit, de manière générale,
la moitié des revenus provenant de la vente d'une oeuvre (« Les
oeuvres se vendent bien; même si la galerie prend 50%, c'est un peu
beaucoup. »143). Hormis cette répartition de la
vente entre l'artiste et la galerie, nous avons aussi pu ressentir une crainte
d'être enfermé dans des choix artistiques et/ou dans un espace
d'exposition où l'artiste n'aurait pas le droit de sortir, de montrer
son travail ailleurs (« Jusque là je voulais pas une galerie
parce que c'est assez contraignant et ça veut dire que tu fais pas de
projets ailleurs aussi. A la fois c'est bien parce qu'ils peuvent faire la
promotion de ton travail aussi, d'un autre côté ils prennent
énormément sur la vente des pièces. Trouver la
bonne
141 Entretien avec Nicolas Tourte
142 Entretien avec Franck Kemkeng Noah
143 Ibid.
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galerie, avec qui ça se passe bien, qui ne dirige
pas ton travail non plus, où t'es libre d'aller faire tes projets aussi.
Moi j'aime bien cette liberté d'aller faire un truc, un autre, et de pas
être dépendante d'un truc. »144).
Pour terminer, l'idée de vendre une oeuvre est
difficilement acceptable pour quelques uns des plasticiens rencontrés.
La critique porte alors sur le fait qu'une oeuvre devient un produit et, comme
tout produit, elle vise à être vendue sur un marché, le
marché de l'art (« Idéalement, si il y avait pas ces
questions d'argent, j'aimerais que ça puisse marcher autrement et pas
avoir besoin d'une galerie. La galerie elle va être limitée
à montrer des travaux qui sont des choses qui doivent pouvoir se vendre
ou alors faire publicité. »145). Un certain
tiraillement est donc présent pour les artistes, comme Louis Clais, qui
aimeraient pouvoir se rémunérer avec leur activité
artistique sans avoir besoin de vendre leurs oeuvres. Cela est aussi le cas de
Daniela Lorini qui, elle, ne vit que de son activité artistique mais
avec des ressources limitées, ne dépendant que des aides à
la création et autres appels à candidatures («
Honnêtement, j'aime pas le marché de l'art; chose que j'ai
constaté et j'ai pu voir ici, en France. C'est un marché qui me
plaît pas. C'est produire, produire, produire; et comment l'art se vend,
je n'aime pas. Des fois, je me dis que ça peut être
intéressant mais, des fois, de l'autre côté, j'aime pas,
mais de l'autre côté, il faut vivre aussi. Donc, moi, en ce
moment, je vis des appels à candidatures, des bourses, des aides
à la création, mais ils sont pas infinis non plus; donc,
peut-être, justement, je devrais faire ces démarches, mais
j'hésite. »146).
Pourtant, au vu des plasticiens et des situations
rencontrées au cours de mon enquête de terrain, nous ne pouvons
que constater la prépondérance d'une économie de projets
sur une économie d'oeuvres. C'est ce que nous allons voir dans la partie
suivante.
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