SECTION 2 : LA PLURALITE DES INCIDENTS DE PROCEDURE
LEGISLATIVE
La nature incidente de la seconde lecture, au même titre
que la navette parlementaire et le contrôle de constitutionnalité,
se manifeste par sa capacité à affecter la procédure
législative initiale ou normale. C'est donc la raison pour laquelle ces
éléments constituent des écueils à la
procédure législative normale car ils la modifient dans la forme
et dans le fond. Les caractères qui font de la seconde lecture un
incident (A) doivent donc être abordé avec les autres facteurs
incidents (B) pour mieux rendre compte de leur impact sur la procédure
initiale.
PARAGRAPHE 1 : LA SECONDE LECTURE COMME INCIDENT DE PAR
SES
CARACTERES
Qu'est-ce qui érige la seconde lecture en incident de
procédure ? Qu'est-ce qui lui donne la capacité d'affecter la
procédure législative initiale ? Ce sont ses caractères.
Un caractère désigne un trait distinctif propre à une
personne ou à une chose120. Les caractères qui font de
la lecture un incident sont, son imprévisibilité (A) et son
irrésistibilité (B).
A- L'IMPREVISIBILITE DE LA SECONDE LECTURE
L'imprévisibilité est le caractère de ce
qui n'a pas été prévu. Le plus souvent utilisé en
matière contractuelle, il occupe une place non négligeable en
droit parlementaire et la seconde
118 Ibid., p. 151.
119 NTONGA BOMBA (S.), op. cit., p. 18.
120 Le Robert pour tous, dictionnaire de la langue
française, Paris, 1994, p. 154.
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LA SECONDE LECTURE EN DROIT PARLEMENTAIRE CAMEROUNAIS
lecture en est l'illustration. La seconde lecture est
imprévisible dans la mesure où sa survenance (1) et son
résultat (2) sont incertain, c'est-à-dire échappent
à toute prévision.
1- L'incertitude de la survenance
La survenance de la seconde lecture est imprévisible ou
incertaine dans la mesure où nul ne sait si elle sera
déclenchée. Par « nul ne sait » il faut entendre ses
destinataires qui sont les membres du parlement car celui qui la
déclenche, le Président de la République, maitrise
l'opportunité de sa mise en oeuvre. Il faut dire que cette libre
appréciation constitue l'une des manifestations du pouvoir
discrétionnaire à côté de celle relative au choix du
contenu de la décision121. Pour s'en convaincre, nous pouvons
nous référer à l'article 31 alinéa 1 de la
Constitution qui pose une éventualité en disposant que le
Président de la République promulgue les lois adoptées par
le parlement « s'il » ne formule aucune demande de seconde
lecture. De la sorte, la survenance de la seconde lecture apparait comme une
éventualité, une incertitude tout comme son résultat.
2- L'incertitude du résultat
Le résultat de la seconde lecture est
imprévisible au même titre que sa survenance. Cette incertitude
est liée à l'absence de règles justifiant le
déclenchement de la seconde lecture. De plus, la demande de seconde
lecture n'exige pas de motivation et permet donc au président de la
république d'orienter ses attentes dans cette seconde lecture ; donc
c'est en fonction des attentes du Président de la République que
le résultat de la seconde lecture peut être
déterminé.
La seconde lecture n'est pas seulement imprévisible, elle
est aussi irrésistible. B- L'IRRESISTIBILITE DE LA SECONDE
LECTURE
L'irrésistibilité est le caractère de ce
qui est irrésistible, c'est à dire à quoi on ne peut
résister. La seconde lecture est donc irrésistible dans la mesure
où elle s'impose à ses destinataires. La Constitution
française est suffisamment éloquente à ce sujet
lorsqu'elle dispose que « le Président de la République
(...) peut demander au parlement la nouvelle délibération de la
loi (...). Cette nouvelle délibération ne peut être
refusée »122. Au Cameroun, la constitution de 1996
n'est pas précise à ce sujet ; néanmoins elle se situe
dans
121 BOCKEL (A.), « Contribution à l'étude
du pouvoir discrétionnaire de l'administration », AJDA, juillet -
août 1978, pp. 356-359.
122 Art 10 C. de française du 4 octobre 1958
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LA SECONDE LECTURE EN DROIT PARLEMENTAIRE CAMEROUNAIS
l'esprit des précédentes constitutions,
notamment celle du 4 mars 1960 qui dispose en son article 34 que : «
(...) dans les délais de la promulgation, le Président de la
République peut demander à l'Assemblée Nationale une
nouvelle délibération qui ne peut lui être refusée
»123. La seconde lecture est donc irrésistible dans
la mesure où elle implique l'ouverture apparente d'une phase
législative complémentaire (1) qui dans le fond n'est qu'une
survivance manifeste d'une procédure législative ordinaire
(2).
1- L'ouverture apparente d'une phase
législative complémentaire
L'adjectif apparence renvoie à ce « qui n'est
pas tel qu'il parait être ; qui n'est qu'une apparence
»124. Quant à l'adjectif complémentaire, il
renvoie à ce qui « apporte un complément
»125 . Ainsi, la réalisation de la seconde lecture
pourra paraitre aux yeux de tous comme étant une phase
législative qui vient en complément de la phase
législative initiale alors que tel n'est pas vraiment le cas car il faut
effectuer certaines précisions.
En effet, si le Conseil Constitutionnel français
considère « qu'il s'agit (...) de l'intervention, dans la
procédure législative en cours, d'une phase législative
complémentaire »126, nous ne saurions partager cet
avis car la seconde lecture ne peut être considérée comme
phase législative complémentaire car elle n'est d'aucun
complément sur la forme, au regard de la procédure qui sera mise
en oeuvre. En réalité, la loi constitutionnelle camerounaise ne
précise nullement quelle sera la procédure suivant laquelle le
texte devra être réexaminé mais seulement le quorum requis
pour le vote du texte. Au regard de ce mutisme, l'on est fondé à
penser que le texte suivra la même procédure que celle qui l'a
conduit à la présidence de la République pour
promulgation. Même si nous serons devant deux procédures
législatives pour un seul texte, il n'en demeure pas moins que la
seconde lecture se fera suivant la même procédure que durant la
première lecture, d'où la survivance manifeste d'une
procédure législative ordinaire.
2- La survivance manifeste d'une procédure
législative ordinaire
Le nom survivance renvoie au fait de continuer à
vivre127. Quant à l'adjectif manifeste, il renvoie
à ce dont l'existence ou la nature est évidente128
. De ces clarifications
123 GUIFFO MOPPO (J.-P.), Constitutions du Cameroun, op.
cit., p. 34 ; voir aussi PACTET (P.), Institutions politiques et Droit
constitutionnel, éd ARMAN COLLIN, 1996, p. 436.
124 Le Robert pour tous, op. cit., p. 49.
125 Ibid., p. 212.
126 CC, Décision n°85-197 du 23 Août 1985,
évolution de la nouvelle Calédonie, (23)
127 Le Robert pour tous, op. cit., p. 1078.
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LA SECONDE LECTURE EN DROIT PARLEMENTAIRE CAMEROUNAIS
terminologiques, il ressort clairement que la seconde lecture
s'effectue conformément à la procédure législative
ordinaire ou normale. Pour s'en convaincre, les lois portant règlement
intérieur des chambres du parlement camerounais disposent en des termes
identiques que l'Assemblée Nationale ou le Sénat «
délibère dans le cadre de cette seconde lecture suivant la
même procédure que durant sa première lecture
»129.
Au regard de ces dispositions il ressort clairement que la
première lecture dont il s'agit est celle qui commence au
dépôt du texte, et de sa délibération. En
l'espèce, le dépôt sera effectué sur le bureau des
chambres par le Président de la République puisque c'est lui qui
déclenche la seconde lecture ; puis s'en suit l'examen en commission et
en plénière avant l'adoption conforme par les deux chambres et la
transmission au Président de la République pour promulgation.
Durant la procédure législative normale, la
seconde lecture peut apparaitre comme un incident déterminant si elle
est demandée, mais elle ne constitue pas le seul incident pouvant
affecter cette procédure. La navette parlementaire et le contrôle
de constitutionnalité peuvent survenir car ils constituent aussi
d'autres facteurs incidents.
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