PREMIERE PARTIE : UN INCIDENT DE PROCEDURE DANS
LE TRAVAIL LEGISLATIF
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La procédure législative n'est pas un long
fleuve tranquille en régime parlementaire rationnalisé au regard
des multiples interruptions et interventions dont elle peut faire l'objet. Ces
interruptions et interventions constituent techniquement des incidents de
procédure législative.
Selon le dictionnaire Le Robert, un incident désigne un
événement imprévu, qui est accessoire mais capable
d'entrainer de graves conséquences70 . Sur le plan juridique,
un incident de procédure désigne au sens large « toute
procédure greffée sur une instance principale ou initiale
»71 ; au sens strict un incident est « une
contestation distincte du principal dont l'objet très particulier peut
être de critiquer la validité d'un acte de procédure...
»72 . Ainsi définit, il faut souligner
d'entrée de jeux que les incidents de procédure sont le plus
souvent mobilisés en procédure judiciaire, plus
précisément en contentieux administratif dans lequel ils sont
légion. Toutefois, au regard de leur implications, ils sont aussi
identifiables en procédure législative, dans le processus
d'élaboration des lois. A cet effet, ils viennent se greffer à la
procédure initiale tout en entrainant des conséquences non
négligeables. C'est donc dans cette logique qu'il convient
d'appréhender la seconde lecture comme incident de procédure
législative à travers sa nature incidente (chapitre 1) et ses
conséquences incidentes (chapitre2)
70 Le Robert pour tous, dictionnaire de la langue
française, Paris, 1994, p. 591. 71CORNU (G.), (dir.),
Vocabulaire juridique, 10e éd, PUF, janvier
2014, p. 630. 72 Ibid., p. 531.
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CHAPITRE 1 : LA NATURE INCIDENTE DE LA SECONDE
LECTURE
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Etymologiquement, le mot nature vient du latin natura
qui désigne l'ensemble des caractères, des
propriétés qui définissent un être, une chose
concrète ou abstraite. Le langage juridique ne s'éloigne pas de
cette conception dans la mesure où il désigne dans un premier
temps ce qui définit en fait une chose73 . Dans un
deuxième temps il désigne ce qui définit en Droit une
chose ; sa nature juridique, sa substance au regard du droit74.
C'est cette dernière conception qui sera retenue car il est question de
présenter en quoi la seconde lecture constitue un incident de
procédure législative en droit. Pour le droit, un incident de
procédure est un événement accessoire qui affecte une
procédure initiale. De la sorte, la procédure législative
peut soit se dérouler normalement sans faire face à un quelconque
obstacle, soit faire face à une pluralité d'incidents
déclenchés par les différentes autorités qui
interviennent dans ladite procédure. Pour mieux analyser la nature
incidente de la seconde lecture, il convient de la restituer dans la
catégorie de la pluralité d'incidents de procédure
(section 2) pouvant affecter la procédure législative normale
(section 1).
SECTION 1 : L'ARTICULATION DE LA PROCEDURE LEGISLATIVE
NORMALE
La procédure législative normale est celle
suivant laquelle l'élaboration de la loi ne rencontre aucun incident de
procédure. Cette procédure varie selon que le parlement est
monocaméral ou bicaméral. Lorsque le parlement est
monocaméral c'est-à-dire composé d'une seule chambre, la
procédure législative est maitrisée par la chambre unique
qui est le plus souvent la chambre basse. Ce fut le cas au Cameroun dès
l'accession à l'indépendance le 1er janvier 1960 jusqu'en 1996 ou
le parlement était composé exclusivement d'une assemblée
nationale. Par contre, lorsque le parlement est bicaméral, la
procédure législative est maitrisée par deux chambres dont
l'une est la chambre haute et l'autre la chambre basse. A cet effet, il
convient de faire la distinction entre trois types de bicamérisme
liés à la forme de l'Etat à savoir : d'abord le
bicamérisme aristocratique pratiqué en Grande Bretagne, dans le
cadre de la monarchie parlementaire; ensuite le bicamérisme
fédéral pratiqué aux Etats Unis d'Amérique, dans le
cadre de l'Etat fédéral ; et le bicamérisme politique
pratiqué en France et au Cameroun dans le cadre de l'Etat unitaire
décentralisé75 . Relativement au bicamérisme
camerounais, la loi constitutionnelle du 18 janvier 199676
érige l'Assemblée Nationale et le Sénat comme étant
les deux chambres du parlement, chargées de légiférer
concurremment
73 CORNU (G), (dir.), Vocabulaire juridique, op.
cit., p. 677.
74 Ibid.
'5 PACTET (P.), Institutions politiques et droit
constitutionnel, 15 éd, Armand Colin, 1996
76 Loi constitutionnelle n° 96/01 du 18
janvier 1996, Titre 3, Art 14 (1) : « le pouvoir législatif est
exercé par le parlement qui comprend deux chambres : l'Assemblée
Nationale et le Senat ».
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avec le gouvernement. L'élaboration de la loi
s'opère conformément à une procédure
précise. Cette procédure législative est articulée
sur le dépôt des textes d'une part (paragraphe 1), et d'autre part
sur la délibération et la promulgation des lois (paragraphe
2).
PARAGRAPHE 1 : LE DEPOT DES TEXTES
Le dépôt des textes est le mécanisme qui
met en branle la procédure législative. Il s'agit d'un acte
préparatoire qui conditionne la délibération sur un texte.
En d'autres termes, si le dépôt d'un texte n'est pas
effectué, le texte ne saurait faire l'objet de
délibération. C'est donc à cet effet que la Constitution
et les lois portant règlement intérieur des assemblées
encadrent rigoureusement ce mécanisme, tant en ce qui concerne
l'initiative des lois (A), qu'en ce qui concerne la recevabilité des
lois (B)
A- L'INITIATIVE DES LOIS
L'initiative est définie comme étant la
faculté conférée par la loi, soit à une ou
plusieurs personnes déterminées, soit au plus diligent, d'agir le
premier, de prendre avant toute autre une décision77. Il faut
donc souligner que, depuis l'avènement des systèmes
démocratiques, l'initiative des lois est partagée entre le
peuple, le parlement et l'exécutif. Au Cameroun, « l'initiative
des lois appartient concurremment au Président de la République
et au parlement » 78. De cet énoncé, il
ressort clairement que le peuple ne dispose pas d'initiative au Cameroun. Il
convient donc de s'appesantir sur l'initiative présidentielle (1), puis
sur celle parlementaire (2).
1- L'initiative
présidentielle
L'initiative présidentielle signifie que le
Président de la République dispose de la faculté de
déposer des textes de loi au parlement ; on parle donc de projets de
loi. Ces projets de loi couvrent l'ensemble du pouvoir exécutif car le
Président de la République est l'organe au nom duquel les
démembrements du pouvoir exécutif peuvent initier les
lois79. Ainsi, les projets de loi sont déposés par le
Président de la République, le Premier Ministre et les ministres
en fonction de leurs secteurs d'activité. Les projets
rédigés par les membres du gouvernement répondent à
un formalisme rigoureux dans leur élaboration. Ils sont d'abord
présentés en conseils de cabinet où ils font l'objet de
débats préliminaires et d'éventuelles
77 CORNU (G.), (dir.), op. cit., p. 547.
78 Art 25 de la loi constitutionnelle du 18 janvier
1996
79 NTONGA BOMBA (S.), « La procédure
législative devant l'assemblée nationale au Cameroun »,
C.A.A.P, p. 6.
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modifications au niveau du Premier Ministre80. Ces
projets doivent comporter l'exposé des motifs du ministre dont le
département est l'initiateur et signés par le titulaire
constitutionnel du pouvoir d'initiative ou son représentant. C'est donc
par la suite que ces projets partent pour être déposés au
parlement « à la fois sur le bureau de l'Assemblée
nationale et du Sénat »81.
Au regard de cet énoncé, force est de constater
que le dépôt des projets de loi se fait simultanément sur
le bureau des deux chambres. Ceci laisse entendre que les deux chambres
étudient le texte concomitamment alors que tel n'est pas le cas. Non
seulement l'Assemblée Nationale est prioritaire dans l'examen des
projets de lois82 , mais aussi l'ordre d'examen est
déterminé par le sens de la première navette car le
Sénat examine les textes adoptés et transmis l'Assemblée
Nationale83. Cette approche n'est pas la même relativement
à l'initiative parlementaire.
2- L'initiative parlementaire
L'initiative parlementaire est la faculté dont dispose
les membres du parlement de déposer des textes de loi devant leur propre
assemblée ; on parle donc de propositions de loi. De la sorte, les
députés et les Sénateurs peuvent initier des propositions
de loi par le truchement d'un parlementaire, d'un groupe parlementaire ou de la
chambre toute entière.
Logiquement, chaque parlementaire dépose sa proposition
sur le bureau de son assemblée qui l'examinera en premier lieu ;
d'où la distinction avec l'approche mise en oeuvre en matière de
projets de lois. Ainsi, « les propositions de loi et de
résolution émanant des sénateurs (...) sont
adressées au président du Sénat (...) »84.
Nous pouvons donc en déduire que l'ordre de transmission du texte
pour l'adoption par l'autre chambre sera inversé dans la mesure
où le texte partira du Senat pour l'Assemblée Nationale
La pratique de l'initiative des lois au Cameroun permet de
constater que le parlement est effacé dans cette faculté dont
elle dispose. La majorité des lois en vigueur sont d'initiative
présidentielle ou gouvernementale et traduisent implicitement mais
certainement la
80 INJECK (D.), La fonction législative
dans la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996,
mémoire de DEA de droit public, université de Yaoundé
II, 2001, p. 34. Cité par NTONGA BOMBA Serge, op. cit., p.
6.
81 Art 29 (1) LC 18 janvier 1996
82 FLAMBEAU NGAYAP (P.), Le droit parlementaire au
Cameroun, éd. L'Harmattan, 2017, p. 109.
83 Ibid.
84 Art 47 Al. 1b de la loi n°2014 du 9 septembre
portant règlement intérieur de l'Assemblée Nationale
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superposition de l'exécutif sur le législatif.
Néanmoins, bien que le parlement soit amoindri dans l'initiative des
lois, il reste et demeure le seul juge de la recevabilité des lois.
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