La question de l'habitat indigne est difficile à
traiter notamment parce que l'on regroupe sous le terme d'habitat indigne une
diversité de situations. L'habitat indigne se caractérise par des
situations diverses qui mêlent à la fois un type particulier de
biens, une catégorie de ménages et des caractéristiques
précises de dégradations qui affectent le logement. Cette
présente partie portera sur les catégories de ménages
touchées par ces conditions d'habitat en étudiant leurs
caractéristiques économiques et sociales, les raisons de leurs
replis sur le parc de logements indignes, " logements sociaux de fait ".
Les caractéristiques des ménages occupants des
logements indignes
Les ménages occupants des logements insalubres ou
indignes n'ont pas tous le même profil. En milieu rural, ce sont avant
tout des propriétaires occupants, alors que dans les grandes
agglomérations, il s'agit principalement de locataires. On constate
néanmoins que ces ménages présentent des
caractéristiques récurrentes et similaires.
En effet, les occupants du parc de logements indignes sont
des ménages qui ont été conduits par leurs
spécificités sociales et économiques à vivre dans
ce parc très précaire. Une étude de la Direction
Générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature
montre en 2012 par exemple que les habitants de ce parc de logement sont des
personnes isolées ou des familles qui, quelle que soit leur origine, ont
des ressources très précaires. Ce sont des personnes
bénéficiant de revenus sociaux, titulaires de pensions
d'invalidité, de salariés pauvres, ou de personnes ayant des
revenus irréguliers, voire très précaires (intérim,
"petits -boulots"...). D'autres situations comme la monoparentalité, la
situation administrative irrégulière ou encore la
nationalité étrangère, l'analphabétisme, la "non
connaissance" de la langue du pays d'accueil peuvent fragiliser ces
ménages qui seront alors plus vulnérables et donc contraints de
se rabattre sur le parc privé dégradé.
Des personnes étrangères ou d'origine
étrangère, anciennement ou nouvellement installées peuvent
rencontrer des difficultés d'intégration. Le parc de logement
existant doit absorber ces nouveaux arrivants or aucune politique de logement
n'est prévue pour les accueillir
41
dignement. Victimes d'exclusion, ils n'ont d'autres choix que
de se rabattre sur le parc de logements indignes. Les Cahiers du mal logement
de la fondation Abbé Pierre font le point sur ces situations : Il peut
s'agir d'étrangers primo arrivants et donc en règle
général de jeunes adultes isolés en couple ou en famille,
avec ou sans titre de séjour. En situation de précarité
extrême à leur arrivée, et éventuellement en
situation irrégulière, ces ménages sont souvent une proie
facile pour les "marchands sommeils" ou se replient vers les squats. A
Marseille, par exemple, c'est une importante communauté comorienne ou
des ressortissants des pays d'Europe de l'Est qui sont obligés de vivre
dans ces conditions d'indignité. Il peut s'agir également de
migrants vieillissants, en invalidité partielle ou totale, en
difficulté ou en incapacité de retrouver du travail ou encore des
femmes d'origine étrangère, divorcées ou
séparées, qui se retrouvent seules ou isolées avec leurs
enfants.
Dans d'autres cas, il peut s'agir de jeunes ou de familles en
difficulté d'insertion et/ou en difficultés sociales et
familiales plus ou moins lourdes. Il s'agit de jeunes couples avec des enfants
en bas âge n'ayant qu'un seul salaire, des jeunes célibataires
sans travail ou avec un emploi précaire. Sans emploi ou avec des
premiers emplois précaires, peu qualifiés et peu
rémunérés, ils parviennent difficilement à
préserver la solvabilité suffisante pour accéder à
un premier logement autonome. D'autres familles précaires se
caractérisent par leurs fragilités sociales et/ou
économiques, ils sont très éloignés de l'emploi,
subsistent grâce aux minima sociaux, accumulent les problèmes de
santé (handicaps, alcoolisme, fragilité psychologique...). Ces
familles cumulent souvent des histoires familiales douloureuses (ruptures
brutales, violences familiales, enfants placés...) et un parcours
résidentiel chaotique (expulsion, hébergement chez un tiers...).
Ces ménages aux conditions de vie précaires entrent alors dans un
mécanisme d'exclusion, de part leurs situations économiques et
sociales difficiles mais également par leurs conditions de logement
indigne.
42
L'habitat indigne : un «
troisième marché » du logement
L'accès à un logement indigne pour ces
ménages est motivé par une situation d'urgence: à
l'arrivée en France, dans une nouvelle région, à la suite
d'une décohabitation forcée, en sortie de foyer
d'hébergement, ils ont besoin d'avoir un toit rapidement... C'est donc
en l'absence d'autre choix, parce que l'accès à d'autres parcs de
logements leur est inaccessible qu'ils sont contraints de loger dans des
logements indignes. Ils sont en effet victimes des blocages d'accès au
parc privé classique ou au parc social.
Les exigences de solvabilité des bailleurs dans le
parc privé écartent d'emblée les ménages qui ont
trop de difficultés économiques ou sociales. Compte tenu du
revenu médian français de 1650 euros en 2010, les loyers ne
devraient pas dépasser 300-400 euros charges comprises afin
d'éviter qu'ils ne soient trop élevés, ce qui dans les
grandes agglomérations est très rare.
Le parc social est également peu accessible aux
occupants des logements indignes et cela pour plusieurs raisons. On constate
dans un premier temps qu'ils ne font pas toujours partie des populations
prioritaires, soit parce que leurs revenus sont relativement
élevés, soit parce qu'il s'agit d'individus isolés. Le
parc HLM est en effet avant tout destiné aux familles. De plus, le parc
de logements est aujourd'hui saturé, ils présentent des
délais d'attente excessivement longs, en plus des critères de
sélection exigeants. L'attente pour qu'un dossier de demande de logement
dans le parc social aboutisse est important, certains postulants ignorent
également que leur demande doit être renouvelée chaque
année et voit donc leur dossier déclassé pour non
renouvellement. Certains ménages peuvent également se retrouver
démunis face aux démarches à effectuer pour obtenir un
logement ou même pour remplir un document de demande de logement car ils
ne maîtrisent pas ou mal la langue française et connaissant mal le
système en place.
Les caractéristiques des ménages en dehors de
leurs situations économiques et sociales peuvent également
entraîner un retard dans le traitement de leurs dossiers. On voit par
exemple qu'une composition familiale trop importante ou nécessitant une
typologie de logement fortement demandée peut ralentir les
procédures. Prenons l'exemple d'un couple avec deux enfants (une fille
et un garçon), la famille doit être logée dans un T3 afin
que le
43
couple et les enfants disposent de leurs propres chambres. Les
normes des bailleurs proscrivant que fille et garçon partagent la
même chambre. Or, on constate que les logements T3 sont fortement
demandés et donc quasi inaccessibles.
Enfin, pour certaines personnes, le logement social reste un
produit trop coûteux, et ce, même lorsqu'il s'agit d'une habitation
construite avec un prêt locatif aidé d'insertion. Le
système du logement social, qui a été dessiné dans
les années soixante, en vue de l'accueil de ménages stables
disposant d'un emploi au moins rémunéré au Smic ne
correspond plus aux évolutions économiques et sociales
actuelles.
L'habitat indigne répond donc à des besoins non
satisfaits par le logement social et le parc privé classique. Didier
Vanoni, directeur de la rédaction de la revue « Recherche sociale
» le qualifie d'ailleurs de « troisième marché ».
Il s'agit pour ces ménages d'une situation de repli dans laquelle il
s'installe de manière durable.