![]() |
Le développement des ports de plaisance en droit de l’urbanisme et de l’environnement.par Yao Justin OUATTARA Université La Rochelle - Master 2 Droit public 2020 |
Introduction« Le port de plaisance est un lieu conçu pour que les navigateurs qui ne prennent pas la mer puissent rencontrer les vacanciers qui n'ont pas de bateau »1. Cette célèbre citation du journaliste et écrivain Philippe BOUVARD indique parmi tant d'autres le rôle que peut jouer un port de plaisance. Historiquement l'activité de plaisance vient du « yatching »2 qui se développe en Angleterre à partir du XIXe siècle. À l'origine réservée à l'aristocratie royale, cette activité va connaitre un tournant majeur de démocratisation3 à partir de la découverte « de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux de construction qui vont rendre les bateaux accessibles à tous et à moindre coût ». Les années 1960 vont également accélérer la vulgarisation des activités de plaisance à travers le monde. À l'instar des autres activités ludiques en rapport avec la mer, la plaisance est une activité qui rencontre un franc succès et dont les lendemains chantent. On note ainsi de plus en plus de plaisanciers avec un nombre total de 13 millions de plaisanciers et les immatriculations qui ne cessent d'augmenter au fil des années avec 12 000 unités par an4. Ces chiffres rendent compte de la place de choix qu'occupe la plaisance dans l'économie française. Les activités de plaisance aussi diverses soient elles se rattachent matériellement à des équipements qui servent principalement d'« interface entre la terre et la mer »5 : ces équipements sont les ports de plaisance. Le concept de port de plaisance s'avère difficile à définir. Il renferme en effet une dimension matérielle rattachée à la notion de port, et fonctionnelle qui renvoie à la pratique de la plaisance. Juridiquement, le port ne fait pas l'objet d'une définition claire en droit national. De la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, il ressort une tentative de définition. Au regard de cette jurisprudence le port se présente comme l'ensemble « des infrastructures, même de faible importance, dont la fonction est de permettre l'embarquement 1 P. BOUVARD, « Le journal de Bouvard », 1992-1996 (1997), https://citation- celebre.leparisien.fr/citations/51072, consulté le 17/05/2020. 2 N. BERNARD, Les ports de plaisance équipements structurants de l'espace littoral, L'Harmattan, 2005, p.13. 3 N. BERNARD, op cit, p. 14. 4 Ministère de la transition écologique et solidaire, « Le secteur de la plaisance et des loisirs nautiques » https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/secteur-plaisance-et-des-loisirs-nautiques consulté le 06/05/2020. 5 V. HERBERT, C. GIBOUT (dir), Plaisance et urbanité, L'intégration des ports dans les villes contemporaines, Presses universitaires du Septentrion, 2017, p.11. 2 et le débarquement des marchandises ou des personnes transportées par mer »6. Cette définition met en relief la vocation commerciale du port dans la mesure où il permet l'embarquement et le débarquement des marchandises. Mais également le port, outre sa vocation purement commerciale peut être un ouvrage servant à la mobilité des personnes qui accèdent à la mer. C'est cette dernière fonction du port qui nous rapproche de l'activité de plaisance. Quant à la notion de plaisance, le dictionnaire Larousse nous renvoie à « la navigation pratiquée pour le loisir, le sport... »7. De ce qui précède il convient donc de distinguer les ports de plaisance des ports commerciaux. Cette distinction est fondamentale en ce sens que les régimes juridiques applicables sont distincts. Cette étude sera fondamentalement axée sur les ports de plaisance qui regroupent les ports maritimes et les ports fluviaux. Ces derniers seront exclus de notre champ d'étude. Sur le plan institutionnel, en France, la création et la gestion des ports en général a toujours été la chasse gardée de l'État. Cela pourrait s'expliquer par le fait que l'activité portuaire a longtemps été considérée comme un service public8 donc relevant de la compétence de la puissance publique. Cette conception traditionnelle de gestion sera abandonnée avec les lois de décentralisation des années 1980. On assiste en 1983 avec la loi n° 83-8 du 7 janvier 19839 et la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 au transfert de la compétence des ports de l'État aux collectivités territoriales. Plus précisément la compétence des ports plaisance est reconnue aux municipalités car le législateur n'y voit pas « une préoccupation d'intérêt national »10. Cette décentralisation de la gestion des ports est consacrée par l'article L. 601-1 du Code des ports maritimes en ces termes : « ...Les communes ou, le cas échéant, les communautés de communes, les communautés urbaines ou les communautés d'agglomération, sont compétentes pour créer, aménager et exploiter les ports maritimes dont l'activité principale est la plaisance... ». Il faut tout de même relativiser ce transfert au profit des communes qui n'emporte pas derechef un transfert de propriété au profit des destinataires. Les ports de plaisance restent donc les propriétés de l'État dans la mesure où ils sont construits sur le domaine public. La compétence reconnue aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est mise en oeuvre à condition qu'il existe sur leur territoire un schéma 6 CJCE, Commission c/ Espagne, 9 mars 2006, aff. n° C-323/03 point 33. 7 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/plaisance/61332. 8 N. BERTOURNÉ, S. VALCKE, Les ports de plaisance en France, Une approche dynamique et multidimensionnelle, L'Harmattan, 2015, p. 65. 9 Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, complétée par la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, JORF 23 juillet 1983. 10 R. RÉZENTHEL, « les spécificités du régime juridique des ports de plaisance », Neptunus, Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, vol. 22, 2016, p.1. 3 de mise en valeur de la mer (SMVM). L'article L.5314-8 du Code des transports prévoit par ailleurs qu'« en l'absence de schéma de mise en valeur de la mer ou de chapitre individualisé valant schéma de mise en valeur de la mer au sein du schéma de cohérence territoriale, les décisions de création et d'extension de port sont prises par le préfet sur proposition de la collectivité territoriale intéressée et après avis du ou des conseils régionaux concernés ». L'existence du SMVM conditionne donc la mise en oeuvre des prérogatives en matière de port de plaisance. Aujourd'hui face au développement de la plaisance, les ports de plaisance posent de nouvelles problématiques. D'abord les ports sont des équipements facteurs de rayonnement touristique et économique. Les élus locaux y voient de plus en plus un outil efficace de redynamisation de l'économie locale et ce, dans un contexte de crise financière des collectivités territoriales. Ensuite on note une croissance de la demande en anneaux dans les ports. Ce qui conduit à une multiplication des projets d'extension des ports existants. Par exemple le port des Minimes à La Rochelle a été étendu pour accroitre sa capacité d'accueil avec environ 1160 anneaux supplémentaires. Cependant le développement et l'extension des ports de plaisance se heurte de façon pratique à une règlementation qui se veut plus contraignante en raison des répercussions dommageables des activités de plaisance. En ligne de mire, la protection du littoral qui est appréhendé comme un espace fragile nécessitant donc une limitation des projets de développement des équipements dédiés à la plaisance dans la mesure où ceux-ci sont pour la plupart érigés sur le littoral. Par ailleurs les ports de plaisance sont des équipements qui entretiennent un lien important avec la ville avec la montée en puissance de la notion de « ville-port ». Le port est donc un élément déterminant de l'identification du territoire urbain. C'est en ce sens que les enjeux spatiaux d'intégration des ports dans les villes se posent11. Il devient de ce fait un élément stratégique à considérer dans la politique de planification d'urbanisme. Cet aspect des ports de plaisance conduit inexorablement à des questions d'aménagement de l'espace avec des documents d'urbanisme qui ont vocation à être de plus en plus stratégiques. Dans cette même logique, la prise en compte de ces ports par les documents de planification à vocation maritime montre non seulement la dimension maritime notable de ces ouvrages, mais également la place de choix qu'occupent les ports de plaisance dans une logique de gestion intégrée des zones côtières. 11V. HERBERT, C. GIBOUT (dir), op. cit, p. 139 4 Au vu de ce qui précède, une étude sur le développement des ports de plaisance en droit de l'urbanisme et en droit de l'environnement apparait utile. L'intérêt d'une telle investigation réside dans le fait qu'elle nous permettra de nous rendre compte des multiples enjeux liés aux ports de plaisance qui sont parfois contradictoires. L'étude nous permettra également de faire l'état sur l'ensemble des règles juridiques applicables en la matière de plaisance et leur portée sur le développement des activités de plaisance. D'autant plus qu'on se trouve aujourd'hui dans un contexte marqué par une multiplication des projets d'extension des ports existants face à la technicité des règles qui rendent les procédures particulièrement complexes. Sans pouvoir épuiser l'ensemble des questions, cette étude pourra s'articuler autour d'une problématique centrale. Ainsi on pourrait s'interroger de la manière suivante : comment les ports de plaisance sont intégrés en droit de l'urbanisme et de l'environnement ? Cette interrogation suscite d'autres questions sous-jacentes : quelle place occupent ces équipements dans l'aménagement du territoire littoral ? Quelles sont les problématiques du droit de l'environnement qu'ils suscitent et quel dispositif pour encadrer juridiquement les éventuels impacts sur l'environnement ? La réponse à cette problématique nous conduit à envisager un raisonnement en deux temps. Il s'agira d'analyser dans une première partie le volet urbanisme des ports de plaisance c'est-à-dire leur prise en compte dans la politique d'aménagement de l'espace urbain. Cette première partie consistera à étudier la soumission des ports de plaisance aux règles d'urbanisme (Chapitre 1) et leur intégration dans les documents d'urbanisme et de planification (Chapitre 2). L'investigation sur l'impact des ports de plaisance sur l'environnement constituera l'axe de notre réflexion dans la deuxième partie. Cette dernière sera également déclinée en deux chapitres dont le premier s'articulera autour des nuisances générées par les ports de plaisance (Chapitre 1), ce qui conduit à l'adoption d'un dispositif de protection que nous présenterons in fine (Chapitre 2). 5 |
|