B. GOUVERNEMENT ILUNGA
Le 20 mai 2019, Tshisekedi et Kabila finissent par s'entendre
sur un partage du pouvoir. Sylvestre Ilunga est nommé Premier ministre
sur proposition du président sortant, dont il est un proche allié
politique, originaire comme lui de la province du Katanga. Âgé de
plus de 70 ans, plusieurs fois ministre sous les gouvernements
précédents ainsi que docteur
69 Thierry VIRCOULON,
République Démocratique du Congo : la
cohabitation insolite, notes de l'Ifri, Ifri, juin 2019, P.18-19.
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en sciences économiques et professeur à
l'université de Kinshasa, Ilunga était alors à la
tête de la Société nationale des chemins de fer congolais
(SNCC).
Les négociations mettent cependant encore plusieurs
semaines, et ce n'est que le 26 août, près de huit mois
après les élections, qu'est formé le nouveau gouvernement.
Outre le Premier ministre, celui-ci est composé de 65 membres dont 5
vice-premiers ministres, 10 ministres d'États, 31 ministres et 17
vice-ministres. Sur ce total, 42 sont des membres du FCC, dont notamment les
titulaires des ministères de la Défense nationale, de la Justice
et des Finances, contre 23 pour les membres de la coalition Cash de
Félix Tshisekedi, dont l'UDPS obtient les portefeuilles de
l'intérieur et des affaires étrangères. Près de 77
% des membres du nouveau gouvernement n'ont alors jamais occupé de place
dans un gouvernement congolais. Le gouvernement est investi le 6 septembre
suivant, après avoir bénéficié la veille d'un vote
de confiance des députés par 375 voix pour, 4 abstentions et 121
absents, la séance étant boycottée par l'opposition.
C. SCENARIOS DE LA COHABITATION INSOLITE
FCC-CASH69
Les dernières élections en RDC ont donné
lieu à une situation exceptionnelle dans l'histoire congolaise : la
cohabitation politique. Cette cohabitation politique se traduit par un rapport
de force asymétrique entre le nouveau président (Félix
Tshisekedi) et l'ancien pouvoir (le clan Kabila). De ce fait, la mise en place
des nouvelles institutions est l'occasion d'un premier match où chacun
teste l'autre sous le regard très attentif de la population
congolaise.
En République Démocratique du Congo, peu de gens
croient à une cohabitation fonctionnelle et encore plus rares sont ceux
qui estiment à une cohabitation fonctionnelle et durable d'une part ,
les conditions d'une cohabitation fonctionnelle ne sont pas réunies
(respect des prérogatives constitutionnelles de chacun et entente sur un
socle minimal d'objectifs communs); d'autre part l'asymétrie du rapport
de force joue en défaveur du président et risque de
l'empêcher d'incarner la volonté de rupture de la population avec
le régime précédent.
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Toutefois, il ne faut pas oublier que ce rapport de force
n'est pas figé et peut évoluer en fonction des réactions
de la population et des appuis internes et externes que le président
obtiendra.
Plusieurs scénarios d'évolution de cette
cohabitation insolite sont envisageables :
Une cohabitation-captation: tenu par ses
engagements secrets avec Joseph Kabila, le président Tshisekedi est
progressivement étouffé par le clan Kabila, n'a aucune marge de
manoeuvre et est réduit à un « roi sans royaume »
à l'instar du parti Lumumbiste unifié (Palu) qui avait
occupé le poste de premier ministre de 2007 à 2012 sans que l'on
s'en souvienne. Il mène une politique qui ne heurte pas les fondamentaux
du pouvoir du clan Kabila et est discrédité dans l'opinion
publique congolaise.
Une cohabitation pacifique : chacun se
contente de son espace de pouvoir et respecte les engagements pris-en vers
l'autre camp. Les deux camps trouvent un équilibre politique et la
cohabitation se déroule sans accroc majeur jusqu'à la prochaine
élection.
Une cohabitation guerre-de-tranchée :
chacun essaie de rogner progressivement l'espace de pouvoir de l'autre camp et
tente de bloquer ses initiatives. La cohabitation devient une
négociation permanente et une longue série de batailles
juridico-constitutionnelles sur les limites du pouvoir présidentiel et
législatif. Ces luttes interinstitutionnelles bloquent les
réformes de vie de la population. La cohabitation se traduit par
l'inertie gouvernementale mais va jusqu'à son terme électoral.
Une cohabitation belliqueuse : Chacun essaie
de déstabiliser l'autre grâce à des manoeuvres
politiciennes et des coups tordus (motions de défiance de
l'assemblée nationales contre le président, dissolution de
l'assemblée nationale par le président, instrumentalisation
à Kinshasa, etc.).
La cohabitation se transforme en une série de crises
politiques qui accroissent le risque politique, bloquent les réformes
nécessaires pour faire avancer le pays et peuvent aboutir à
l'interruption du mandat présidentiel et/ou à de nouvelles
élections législatives en cas de dissolution de
l'assemblée nationale.
Un coup de force orchestré par le clan
Kabila : la montée des tensions entre les deux camps aboutit à
l'épreuve de force. Un coup de force qui peut prendre des formes
multiples (accident, empoisonnement, putsch, etc.)
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vient mettre un terme au mandat du président Tshisekedi
et replonge la RDC dans l'instabilité politique.
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