Chapitre II : Présentation de la politique
agricole mondiale et les particularités régionales
Ce chapitre est composé de deux (2) parties. La
première est consacrée à la présentation de la
production et la commercialisation mondiale du riz tout en soulignant les
différentes politiques agricoles mises en oeuvre par certains pays. Nous
avons tenté de démontrer que le marché mondial du riz a
les caractéristiques d'un oligopole et dominé par les pays en
développement d'Asie. De même que certains pays
développés comme les Etats-Unis et l'Union Européenne, ces
pays asiatiques prennent des mesures pour protéger leurs agricultures.
La deuxième partie est relative à l'exposition de la situation
des Pays les Moins Avancés (PMA). Les particularités de la
République d'Haïti seront exposées afin de démontrer
qu'il est l'un des pays les plus ouverts économiquement au monde depuis
le début des années 2000.
2.1 Le marché du riz mondiale : Un oligopole
Le riz, la céréale la plus consommée par
les humains, est l'élément central dans l'alimentation des
ménages les plus pauvres. Il est utilisé pour nourrir plus de la
moitié des habitants de la planète, avec plus de 140 millions
d'hectares cultivés produisant un montant avoisinant 420 millions de
tonnes en moyenne par années (Delot, P. 2015). De 1960 à 2005,
avec un taux de croissance annuel de 2.5%, la production rizicole mondiale a
plus que doublée, passant de 276 à 626 millions de tonnes (Mendez
del Villar, P. 2008). Contrairement aux années 1990 durant lesquelles la
production du riz excédait la croissance de la population mondiale, le
début des années 2000 est marqué par une hausse de la
croissance démographique et de la demande de consommation du riz.
Cependant, la production ne suit pas le rythme de la croissance de la
population, ce qui entraine des cas de sous-alimentation dans certains pays.
Par ailleurs, cette situation semble être le
résultat d'une forte concentration du marché mondial du riz,
toujours selon Mendez del Villar, P (2008). En effet, la quasi-totalité
de la production du riz est consommée localement puisque seulement 7% de
la production est vendue sur le marché mondial en 2006. Les pays qui
sont considérés comme de grands producteurs, sont de grands
consommateurs du riz simultanément. En plus de cela, pour montrer la
concentration du marché mondial du riz, il parait évident de
souligner le fait que les exportations des six premiers pays exportateurs,
à savoir « la Thaïlande, le Vietnam, l'Inde, les
Etats-Unis, le Pakistan et la Chine », représentent 88% du
total des exportations en 2006. Cependant, la destination de ces exportations
est formée d'un groupe de pays plus ou moins élargi. Les six
principaux importateurs du riz pour la décennie 2001-2010, à
savoir « Indonésie, Nigeria, Philippines, Iran, Union
Européenne et l'Irak », importent seulement 40% du total des
importations. L'écrasante majorité des importateurs est
formée principalement des pays pauvre d'Asie du Sud, de l'Afrique
14
Subsaharienne et de l'Amérique Latine. Cette
asymétrie ; un petit groupe d'exportateurs contre un grand nombre
d'importateurs, fragilise l'économie des riziculteurs dans la
quasi-totalité des pays pauvres et augmente leurs dépendances par
rapports aux pays exportateurs. Elle augmente leur vulnérabilité
face à une augmentation du prix, comme c'était le cas des
riziculteurs haïtiens lors des « émeutes de la faim
» de 2008 [(Lançon, F. & Mendez del Villar, P. 2008) ;
(Ahmadi, N. & Bouman, B. 2013)].
En somme, l'analyse des données de la FAO concernant la
répartition des exportations par pays et en pourcentage (%)
présentées dans le tableau 2.1 qui suit, nous montre que les
exportations mondiales du riz sont dominées par la Thaïlande.
Hormis l'année 1980 durant laquelle les Etats-Unis se trouvaient en
première position, la Thaïlande domine ce classement entre 1980 et
2010 avec des pourcentages variant de 35% à 26%. Les exportations des
Etats-Unies ont diminuées de 12.14 points de pourcentages. Elles passent
de 23.29% à 11.15% en 1980 et 2010 respectivement. Une situation
analogue a été constatée pour les exportations de la Chine
qui passe de 10.79% à 1.81% pour la période
considérée, soit une baisse de 8.98 points de pourcentage. Cette
baisse des exportations états-uniennes et chinoises se fait au profit de
celles du Viêt-Nam. En effet, les exportations vietnamiennes augmentent
de 20.24 points de pourcentage. Elles passent de 0.26% en 1980 à 20.50%
en 2010.
Tableau 2.1 : Evolution en pourcentage (%) des exportations du
riz par pays entre 1980 et 2010
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1980
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1985
|
1990
|
1995
|
2000
|
2005
|
|
Inde
|
3.76
|
2.75
|
4.07
|
21.91
|
6.55
|
13.82
|
|
Thaïlande
|
21.84
|
35.29
|
32.32
|
27.60
|
26.20
|
25.54
|
|
Viêt-Nam
|
0.26
|
0.52
|
13.09
|
8.87
|
14.86
|
17.86
|
|
Pakistan
8.49
6.27
6.00
8.26
8.62
USA
23.29
16.64
19.58
13.58
11.49
Brésil
0.01
0.03
0.01
0.08
0.11
Chine
10.79
9.24
3.46
1.18
13.08
Autres
31.55
29.26
21.46
18.51
19.09
Source : Calcul de l'auteur à partir des données de
la FAO (2018a)
2010
6.62
26.49
20.50
9.84
12.43
12.89
11.15
0.93
1.25
2.27
1.81
16.86
19.74
Total
100.00
100.00
100.00
100.00
100.00
100.00
100.00
Cependant, nous avons constaté une hausse des
exportations indiennes au détriment de celles
de la Thaïlande en 2013. Toujours selon les données
de la FAO, avec un pourcentage de 31% des
exportations totales an 2013, l'Inde se trouve en
première position dans le top sept (7) des
exportateurs mondiaux du riz. Il est poursuivi par le
Thaïlande, le Viêt-Nam qui accusent des taux
de 18% et 11% respectivement. Force est de constater que les
exportations états-uniennes (9% en
2013 contre 11.15% en 2010) et chinoises (1% en 2013 contre
1.81% en 2010) ne cessent de
diminuer. Toutefois, les pays de l'Asie dominent les
exportations mondiales du riz depuis 1980. En
15
2013, les quatre (4) premiers exportateurs mondiaux du riz
« Inde, Thaïlande, Viêt-Nam et Pakistan »
exportent environ 69% du total des exportations mondiales. La
figure 2.1 suivante nous permet d'expliciter la situation exposée
ci-dessus.
Figure 2.1: Répartition par pays et en pourcentage (%) de
l'exportation mondiale du riz en 2013
Brésil 2%
Chine 1% Autres 19%
Exportations du riz par pays et en
pourcentage (%) en 2013
USA 9%
Pakistan 9%
Viêt-Nam 11%
Thaïlande 18%
Inde 31%
Source : Calcul de l'auteur à partir des données de
la FAO (2018a)
2.1.1 Protection de l'agriculture dans certains pays
développés
L'agriculture, élément fondamental dans la
consommation des habitants et indispensable à la survie de
l'espèce humaine, a été, dès la fin de la crise de
1929, protégée par certains pays développés. Cette
politique protectionniste a été appliquée par ces
puissances agricoles afin d'augmenter la production et de répondre aux
besoins de consommation de leurs populations. Considéré comme un
secteur stratégique ou même une arme de combats par certains Etats
dans les relations internationales, les dirigeants de ces pays pensent qu'ils
ne peuvent pas le laisser à la libre concurrence. Dans ces conditions,
l'Etat doit intervenir afin d'atteindre certains objectifs spécifiques.
Bien que la production de riz en Europe soit marginale (0.4% de la production
mondiale), son cas est extrêmement intéressant, puisqu'aux
côtés des Etats-Unis, il est l'un des premiers à appliquer
une politique de protection de l'agriculture afin d'atteindre l'autosuffisance,
garantir la sécurité alimentaire de ses habitants et d'augmenter
le revenu des planteurs.
2.1.1.1 Une agriculture fortement
protégée aux Etats-Unis
La protection de l'agriculture états-unienne ne date
pas d'hier. Dès le début des années 1930, une politique
basée sur la régulation de l'offre et de soutient des prix a
été mis en oeuvre en réponse à la grande
dépression de 1929. Durant cette période, les dirigeants
états-uniens arrivent à eux seuls,
16
à assurer la régulation du marché mondial
des céréales. L'offre a été contrôlée
par l'Etat à l'aide des dépôts publics et de l'accumulation
des stocks. Vraisemblablement, le but de la mise en place cette politique
n'était pas de contribuer à l'évolution de la
libéralisation agricole, mais plutôt de maîtriser les prix
et permettre aux agriculteurs états-uniens d'avoir un niveau de revenu
adéquat.
Parallèlement, à l'aide du programme d'aide
alimentaire public Law 480 en vigueur depuis en 1954, les dirigeants
états-uniens accordent aux agriculteurs des soutiens à
l'exportation. Des subventions, variant en fonction du prix du marché,
ont été accordées aux producteurs de
céréales (le blé, le riz et le maïs). L'analyse des
données disponibles montre que plus le prix du marché est faible,
plus le montant des subventions accordé est élevé. Une
situation de la hausse des subventions agricoles a été
constatée au début des années 1980, suite à la
baisse de la demande solvable, la hausse de la capacité de production ou
la confirmation de l'autosuffisance alimentaire des pays de l'Europe ainsi que
l'entrée en force des Pays en Développement d'Asie et
d'Amériques du Sud dans le marché mondial du riz. Entre 1982 et
1986, à cause de la fermeture des frontières de certains pays de
l'Amérique latine et des Caraïbes, la demande du riz
états-unien ainsi que son prix diminuent et l'Etat accorde des
subventions à la tonne allant de 24% à plus de 66% du prix total
(Chataigner, J. & Salomon, C. 1996).
Toutefois, cette situation va être
améliorée vers la seconde moitié des années 1980.
Selon les données de l'OCDE, entre 1986 et 1995, les subventions
accordées aux agriculteurs états-uniens diminuent fortement.
Elles représentaient 23.50% des recettes agricoles en 1986 contre
seulement 9.75% en 1995, soit une baisse de 13.75 points de pourcentage pour la
période considérée. Par ailleurs, il faut souligner que
cette période coïncide avec la mise en place du Programme
d'Ajustement Structurel (PAS) des Institutions Financières
Internationales (IFI) dans les Pays les Moins Avancés d'une façon
générale et en Haïti en particulier [(Perchellet, S. 2010) ;
(Pierre, L-N. 2008)]. Etant considéré comme l'un des principaux
importateurs du riz états-uniens [(CJ-Consultants, 2012) ; (FEWS NET,
2014)], cette baisse des subventions accordées aux agriculteurs
états-uniens peut être considérée comme une
conséquence de la hausse des exportations de ces derniers vers
Haïti.
Au milieu des années 1990, la politique agricole
états-unienne va avoir une tournure. Avec les prévisions de
croissance de la FAO et d'autres institutions évoluant dans le domaine
agricole, l'année 1996 est marquée par l'abandon de la
régulation de l'offre mise en place depuis le début des
années 1930. Cette dernière a été substituée
par une politique de découplage des aides de la production. Par
ailleurs, grâce à leur avantage comparatif dans ce domaine, les
autorités états-uniennes profitent de la libéralisation de
l'agriculture prônée par l'Organisation Mondiale de Commerce (OMC)
pour acquérir des parts de marché perdues au début des
années 1980.
17
Cependant, malgré la signature de l'accord de Marrakech
en 1994, elles continuent à subventionner directement le revenu des
agriculteurs par la politique de commercialisation (marketing loans et
Price Loss Coverage). Cette politique de soutien direct engendre le
financement de l'agriculture par des montant très élevés
représentants l'équivalent de 46% à 86% du revenu de
l'exploitation [(Lançon, F. & Mendez del Villar, P. 2008), (MAAF,
2015)]. Elle se fonde sur l'autorisation donnée aux agriculteurs
à réclamer la différence entre le prix du marché et
celui du stockage. Cette politique encourage les planteurs états-uniens
à mettre leurs denrées sur le marché, et ceci même
quand les prix sont très bas. Cette situation entraine des
dépenses de subventions très élevées, quand les
prix du marché sont très faibles, comme c'était le cas
pour la période allant de 1997 à 2002 (Devienne, S. et al.
2005).
En effet, selon les données de la FAO, les prix
payés aux producteurs états-uniens diminuent
considérablement pour la période allant de 1996 à 2001.
Ils passent de 212 USD/TM en 1996 à 94 USD/TM en 2001. Donc, une
diminution de 55.66% durant cette période. Cette baisse des prix
à la tonne payés aux producteurs peut être
considérée comme le résultat, entre autres, de la baisse
des droits de douanes après la création de l'OMC et le
renforcement de la politique néolibérale au niveau des Pays les
Moins Avancés (PMA). Paradoxalement, cette période est
marquée par la hausse des subventions étatiques accordées
aux planteurs états-uniens. Ces dernières passent de 12.75% des
recettes agricoles en 1996 à 22.67% en 2000, soit une hausse de 9.92
points de pourcentage. Donc, il n'est pas faux de dire qu'il existe une
relation inverse entre ces dernières et le prix du marché. La
figure 2.2 qui suit présente l'évolution des Soutiens aux
Producteurs (ESP) états-uniens en pourcentage (%) des recettes agricoles
brutes entre 1986 et 2016 afin d'élucider la situation
précitée.
Figure 2.2 : Evolution des soutiens aux producteurs (ESP)
états-uniens pourcentage (%) des recettes agricoles brutes entre 1986 et
2016
25.00
20.00
15.00
10.00
5.00
Soutien aux producteurs (ESP) états-uniens en
pourcentage (%) des
recettes agricoles brutes entre 1986 et
2016
Source : Calcul de l'auteur à partir des données de
l'OCDE (2018)
18
Donc, les dirigeants états-uniens appliquent une
politique de dumping. Ils exportent leur supplément de production aux
niveaux de certains pays sous-développés à des prix
inférieurs aux coûts de productions. L'agriculture
états-unienne est mécanisée depuis les années 1950.
Cette mécanisation a permis aux agriculteurs de produire aux coûts
les plus bas que possible contrairement à leurs homologues des pays
pauvres. Ces derniers cultivent leurs terres en utilisant des intrants
agricoles peu performants, des outils archaïques et des techniques
rudimentaires. De plus, les dirigeants états-uniens subventionnent
l'agriculture par des sommes exorbitantes, créant ainsi une concurrence
déloyale et pénalise le revenu des agriculteurs des pays
importateurs.
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