4.3 Analyse des résultats
Cette partie du travail est très importante dans la
mesure où elle nous permet de comprendre la problématique afin de
formuler les propositions nécessaires. Dans les lignes qui suivent, la
réponse des différentes questions qui ont été
formulées dans le guide d'entretien seront analysées.
4.3.1 Libéralisation de la riziculture
haïtienne
La libéralisation économique de la
République d'Haïti débute en 1986 avec l'application du
Programme d'Ajustement Structurel (PAS) de la Banque Mondiale (BM) et du Fond
Monétaire International (FMI). La libéralisation de l'agriculture
quant à elle commence en 1994 avec la signature de l'accord sur
l'agriculture du cycle de l'Uruguay. Avant cette date, le libéralisme
commercial n'avait pas pris en compte l'échange des denrées
agricoles. Le néolibéralisme, depuis après la seconde
guerre mondiale, suivi des deux crises pétrolières et
l'effondrement du bloc socialiste en Europe, préconisait le
désengagement de l'Etat dans l'économie.
La libéralisation de la riziculture haïtienne est
une question très complexe. Avec l'application du PAS, Haïti a
procédé à l'ouverture de son marché interne
à partir de l'abaissement significatif des droits de douane sur
l'importation du riz et du démantèlement de certaines mesures
protectionnistes applicables. L'analyse des données recueillies relate
que des droits de douanes de 50% et 35% ont été appliqués
sur le riz importé entre 1950 et 1980 respectivement contre seulement 3%
depuis le début des années 199011.
Parallèlement, les dirigeants haïtiens ont
éliminé certaines subventions directes qui ont été
accordées aux agriculteurs afin de leur permettre d'avoir un revenu
raisonnable (Vivas, E. 2010). Ils ont procédé à la
réouverture des ports des villes de provinces qui ont été
fermés avant les années 1980 et ont privatisé certaines
entreprises étatiques figurant parmi les plus rentables, comme la
Minoterie d'Haïti et Huilerie ENAOL. De plus, les planteurs
interviewés soulignent le désengagement des dirigeants
haïtiens dans l'entretien des infrastructures agricoles. Selon eux, avant
1986, l'Etat haïtien assurait l'entretien des canaux d'irrigations aux
moins deux fois par année, contrairement à cette
période.
11 Informations recueillies auprès du cadre de
l'IICA le 04 mars 2018
47
4.3.2 La baisse du revenu des riziculteurs
Vraisemblablement, le revenu des riziculteurs de la
Vallée de l'Artibonite diminue au fil du temps [(CNSA, 1996a) ;
(CJ-Consultants, 2012)]. Comme vous pouvez le constater dans le tableau 4.3 qui
suit, entre 1996 et 2012, le revenu brut d'exploitation agricole12 a
enregistré une baisse de 263.86 USD. Il est passé de 713.78 USD
à 449.92 USD, soit une diminution 36.97 % pour la période
considérée.
Cette variation négative du revenu des agriculteurs
(-36.97%) est le résultat, entre autres, d'une faible augmentation
(16.17%) du produit brut d'exploitation (Rendement à l'hectare x prix de
vente). En effet, le rendement à l'hectare de la riziculture de la
Vallée de l'Artibonite reste très faible et diminue de 0.65%
durant la période considérée. Il est passé de
4,026.11 Kg/ha en 1996 contre 4000.00 Kg/ha en 2012. Toutefois, nous avons
assisté à une hausse du prix de vente du Kg de paddy. Ce dernier
est passé de 0.30 USD en 1996 à un montant de 0.35 USD en 2012,
donc une hausse de 16.93% durant cette même période.
Parallèlement, les coûts d'exploitations à
l'hectare augmentent considérablement. Ils ont passés de 507 USD
à un total de 968.30 USD en 1996 et 2012 respectivement, soit une hausse
de 90.99%. Selon les riziculteurs interviewés, pour cultiver une
parcelle13, ils doivent faire face à plusieurs coûts
dont les plus récurrents, sont « les intrants agricoles, la
main-d'oeuvre, la préparation du sol, le transport et la rente
foncière».
Il a été démontré que les intrants
agricoles (engrais et semence) dont le marché est dominé par le
secteur privé, représentent des coûts énormes pour
les riziculteurs de la Vallée de l'Artibonite. En effet, depuis le
début des années 2000, l'Etat haïtien cherche à
stimuler la production agricole du pays par la mise en place d'une politique de
subvention d'engrais. Avec l'application de cette politique, une hausse de la
consommation d'engrais au niveau de la Vallée de l'Artibonite, la plus
grande zone de production agricole du pays, a été
constatée. Durant la période allant de 2004 à 2008,
15,000.00 TM d'engrais ont été consommées contre 32,000.00
TM en 2008-09 et 50,000.00 TM en 2010 (MARNDR, 2014b). Toutefois, les
riziculteurs interviewés relatent que la quantité d'engrais
subventionnée est insuffisante pour répondre à leurs
besoins. Selon eux, pour cultiver un lopin de terre, ils ont besoin de «
6 sac d'engrais14 » environ. Or, le gouvernement
haïtien, par le biais de la « Caravane Changement » a
subventionné seulement 2 sacs de 50 Kg d'engrais en 2017. Pour les
autres 4 sacs, il faut les acquérir à des prix très
élevés.
12 Dans la majeure partie des cas, le
propriétaire foncier est différent de l'exploitant agricole.
13 En moyenne les parcelles sont inférieures
à un (1) hectare de terre
14 Informations recueillies auprès d'un
riziculteur de la Vallée de l'Artibonite le 19 février 2018
48
Par ailleurs, le coût de la main-d'oeuvre agricole
augmente considérablement. Selon les résultats du Recensement
Général Agricole de 2009, la quantité de travail agricole
du département de l'Artibonite a été estimée
à un totale de 694,473.00 dont 2.4% salariés permanents
(16,662.00). En dépit du fait que l'exploitation agricole soit
assurée à 97% par les membres de la famille, dont 59.4% de
façon permanente (412,811.00) et 38.2% aides familiales (265,000.00),
force est de constater que les dépenses salariales augmentent
considérablement (MARNDR, 2009). Cette situation est le résultat,
entre autres, de la hausse du salaire minimum haïtien depuis le
début des années 2000. En effet, le prix d'une journée de
travail (8h) était fixé à 36 Gds en 2001 contre 70 Gds en
2003 et 200 Gds en 2010 (BRIT, 2012). Cette hausse des coûts salariaux
pénalise le revenu des riziculteurs et devant l'incapacité de
s'adapter, certains agriculteurs pratiquent le « konbit15
».
En outre, la mécanisation de la riziculture de la
Vallée de l'Artibonite est relativement faible. La majorité des
riziculteurs utilisent des outils archaïques et préparent leurs
terres de façon manuelle ou à l'aide de la traction animale.
Seulement 4.40% des exploitants agricoles de la Vallée de l'Artibonite
utilisent des Motoculteurs en 2009 (MARNDR, 2009). Généralement,
les services de mécanisation sont assurés par le secteur
privé des affaires, et ceci, à des prix très
élevés.
De plus, le transport de la production reste un handicap
majeur pour les riziculteurs. Le mauvais état des infrastructures
routières et la position de certaines parcelles entrainent des
coûts de transport très élevés. Certains
riziculteurs utilisent les services d'un motard et paient des sommes allant
jusqu'à 6016 Gds par sac de 50 Kg de paddy. D'autres au
contraire, préfèrent de vendre leurs productions sur les
parcelles afin de minimiser les dépenses de transport et de
transformation. Dans ses conditions, le prix de vente appliqué est
relativement faible, puisque les planteurs n'ont qu'un faible pouvoir de
négociation auprès des intermédiaires commerciaux.
Tableau 4.3 : Evolution du revenu brut d'exploitation agricole
entre 1996 et 2012
|
Coût de Production
|
Rendement à l'ha (Kg)
|
Prix de vente
0.30
|
Produit brut
|
713.78
|
1996
|
507.00
|
4,026.11
|
0.35
|
1220.77
|
449.92
|
2012
|
968.30
|
4,000.00
|
16.93
|
1418.22
|
|
%
|
90.99
|
(0.65)
|
|
16.17
|
(36.97)
|
Marge Brute
Sources17 : Calcul de l'auteur à partir des
données de la CNSA (1996a :7) et de CJ-Consultants (2012 :16).
15 C'est une forme traditionnelle d'organisation de
travail dont celui qui invite donne des repas et de boissons en contrepartie au
travail. C'est une forme d'aide réciproque
16 Informations recueillies auprès d'un
riziculteur de la Vallée de l'Artibonite le 21 février 2018
17 Nous avons considéré les taux de
change de la BRH afin de convertir les données disponibles en DUS.
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