1.2 Revue de littérature
Les règles de décisions d'investissement (RDI)
sont parmi l'un des sujets les plus étudiés par les «
chercheurs-sondeurs », c'est-à-dire utilisant les sondages en
finance pour appuyer leurs recherches (Baker, Singleton, et al., 2011). Baker
et al (2011) font mention de plus d'une centaine de recherches sur le sujet. De
son côté, Lazaridis (2004) souligne que les RDI peuvent affecter
la compétitivité de l'entreprise, dans la mesure où, le
bon choix des RDI peut lui donner un avantage sur ce plan.
Les projets d'investissement doivent par essence aider
à maximiser la valeur de l'entreprise pour ses actionnaires ou ses
propriétaires, car du point de vue Welch, il s'agit de l'un de ses
objectifs majeurs (1980). A cet effet, des règles ou techniques
conduisant au bon choix des projets d'investissement ne peuvent être que
très importantes pour l'entreprise.
La pratique et la préférence pour certaines RDI
varient selon le pays dans lequel l'entreprise se trouve. Des auteurs tels que
Graham et Harvey (2001), Hermès, Smid et Yao (2007) soutiennent que les
RDI sont influencées par « l'effet-pays6
»; en témoigne la disparité dans la pratique des RDI,
à travers les différentes recherches menées au cours des
deux dernières décennies. Par exemple, les entreprises
américaines et canadiennes préfèrent en
général, la VAN et le TIR (Bennouna et al., 2010;
Chadwell-Hatfield, Goitein, Horvath, & Webster, 1997; Cooper, Morgan,
Redman, & Smith, 2002; Graham & Harvey, 2001; Ryan & Ryan, 2002).
Dans la littérature pour les entreprises françaises, une forte
préférence est observée pour le DRS et le TIR (Brounen et
al., 2004). Celle-ci est plus ou moins la même pour bon nombre d'autres
pays européens tels que l'Italie, la Bulgarie, la Croatie, la Roumanie
(Andor, Mohanty, & Toth, 2015; Rossi, 2014). L'Allemagne, les Pays-Bas et
la Suède ont, quant à eux une forte préférence pour
le DRS et la VAN (Brounen et al., 2004; Daunfeldt & Hartwig, 2014). A
l'exception de quelques pays d'Europe de l'est (Bulgarie, Romanie), la pratique
en Europe du taux de rendement comptable (TRC) est quasiment inexistante (Andor
et al., 2015). Les pays asiatiques tels que la Chine et la Malaisie pratiquent
quant à eux fortement la VAN et le DRS (Hermes et al., 2007; Kester et
al., 1999). D'autres pays asiatiques comme Hong Kong, Singapour et les
Philippines préfèrent davantage le TIR et le DRS (Kester
6 Se dit des facteurs spécifiques à un
pays tels que : les politiques économiques, le type de taxation, les
principes comptables, le climat socio-comportemental, la culture, la
technologie, le type de gouvernement, la situation politique et les
infrastructures (Kengatharan, 2016).
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et al., 1999). Au Japon, on observe beaucoup plus
l'utilisation du DRS et de la VAN (Shinoda, 2010). Le TIR est,
également, très populaire en Inde (Babu & Sharma, 1996; Singh
et al., 2012; Verma, Gupta, & Batra, 2009). En Afrique, la majorité
des entreprises sud-africaines jonglent entre la VAN et le TIR (Correia &
Cramer, 2008; Maroyi & van der Poll, 2012). En Amérique du sud, ils
ont opté, le plus souvent, pour les RDI telles que la VAN, le TIR et le
DRS (Maquieira, Preve, & Sarria-Allende, 2012; Mendes-Da-Silva & Saito,
2014). D'autres pays tels que le Nigéria, Chypre et la Jordanie ont une
certaine préférence pour le DRS (Elumilade et al., 2006; Khamees,
Al-Fayoumi, & Al-Thuneibat, 2010; Lazaridis, 2004). Selon Elumilade et al
(2006), le taux de rentabilité comptable (TRC) est aussi très
pratiqué au Nigéria, et Khamees et al (2010) soulignent que
l'indice de profitabilité (IP) est la méthode la plus populaire
chez les entreprises jordaniennes. Au Pakistan, il existe une certaine
popularité pour la VAN et le DRS auprès des petites entreprises
et pour le TIR, chez les grandes entreprises (Zubairi, 2008). Au Népal,
après un sondage auprès de 50 fermes de café, on a
observé une certaine popularité pour la méthode ratio
bénéfice-coût, la VAN , le TIR et le DRS (Poudel et
al., 2009).
Jusqu'à nos jours, les recherches
réalisées sur la pratique des RDI dans divers pays ont
montré qu'il existe une certaine divergence entre la théorie et
la pratique. Néanmoins, d'ordre général, on peut observer
qu'il y a un certain penchant pour les règles de flux de
trésorerie actualisé. De plus, on constate que dans la
littérature, davantage de sondages sont réalisés dans les
pays développés au détriment des pays en voie de
développement. D'ailleurs, Kengatharan (2016) s'en plaint et invite
d'autres chercheurs à en faire plus, pour vérifier l'influence de
l'effet-pays sur les RDI.
Toutefois, le peu de recherches disponibles sur la pratique
des RDI dans les pays en voie de développement, a confirmé une
forte utilisation de la règle du délai de
récupération simple (DRS), allant à l'encontre de la
recommandation de la théorie. Holmen (2009) souligne que des facteurs
comme l'imperfection du marché, l'instabilité ou la crise
politique influencent le choix des RDI dans les pays en voie de
développement. En effet, en situation de crise politique, les chefs
d'entreprises utilisent beaucoup plus de techniques simples comme le DRS
plutôt la VAN. Aussi, il explique qu'en situation de marché
imparfait, il est très complexe pour une entreprise d'estimer les effets
des risques politiques dans le calcul de la VAN. (Holmen & Pramborg, 2009;
Kengatharan, 2016).
Kengatharan (2016) a regroupé les différents
facteurs influençant le choix des RDI évoqués dans la
littérature au cours des deux dernières décennies, et
parmi ceux-ci, on retrouve l'éducation financière des
chefs d'entreprise. D'après lui, presque tous les auteurs s'entendent
que les chefs d'entreprise qui ont un bon niveau d'éducation
financière ont moins de difficulté à saisir les
méthodes de RDI dites sophistiquées, et de ce fait, devraient
être en mesure de les appliquer. Par exemple Hermes et al (2007), Graham
et Harvey (2001) ont observé qu'il existe aux États-Unis une
corrélation positive entre les chefs des grandes entreprises qui ont un
MBA7 et l'utilisation de la VAN. Inversement, les petites
entreprises dont leurs chefs n'ont pas de MBA, sont plus portés à
utiliser le DRS. A l'exception de l'Angleterre, cette tendance a, aussi,
été observée en France, aux Pays-Bas et en Allemagne,
où les chefs d'entreprises ayant un niveau MBA utilisent des
méthodes comme le TIR et la VAN (Brounen et al., 2004). Selon Pike
(1996) et Sangster(1993), la disponibilité des mécanismes
complexes de computation et de softwares informatiques, surtout dans les pays
développés, a facilité l'expansion et la popularité
des méthodes de flux de trésorerie actualisé. Cependant,
selon Kengatharan (2016), aucun sondage auprès des pays en voie de
développement n'a été fait pour vérifier
l'existence ou non, d'une corrélation entre un niveau d'éducation
en MBA et l'utilisation des méthodes de flux de trésorerie. Ce
dernier et d'autres auteurs tels que Léon et al (2008) soulignent que
les décisions en matière de finance, par extension les RDI, sont
influencées par les «illusions cognitives8» des
décideurs ou chefs d'entreprise. Ils ont donc démontré
l'importance de la finance comportementale dans la compréhension des
choix de RDI. Selon eux, les chefs d'entreprises ne font pas toujours montre de
rationalité, comme le préconisent les théories
traditionnelles de la finance. De ce fait, des facteurs comme l'influence
culturelle des entreprises peuvent jouer un grand rôle dans le choix des
RDI. En ce qui concerne les pays en voie de développement, Kengatharan
(2016) déplore l'inexistence de recherches sur les RDI, en
matière de finance comportementale.
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7 Master in Business Administration.
8 Se dit des biais cognitifs.
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