3.2. Deuxième situation
La patiente évoquée est d'origine marocaine et ne
vivait que depuis quelques années au Grand Duché de Luxembourg.
En situation de migration, la maladie, vécue hors de sa culture
d'origine, impliquait un stress supplémentaire. Elle se voyait alors
contrainte de remplacer ses stratégies jusqu'alors opérantes par
de nouvelles (phénomène d'acculturation)15.
Cette patiente marocaine se plaignait de douleurs aux genoux.
Mais, après une anamnèse plus poussée, la patiente nous
disait : « Je suis travaillée, je le sens, c'est les parents de
mon mari qui n'ont jamais accepté notre mariage, c'est eux qui font des
choses sur moi ». Elle ajoutait : « Je ne suis pas malade,
la preuve les médecins que j'ai rencontrés ne m'ont pas
donné de traitement ! ». Ce qui se passait, c'est que cette
patiente exprimait un mal-être en dirigeant ses plaintes à un
endroit de son corps. Cette manière de procéder peut
paraître assez inhabituelle pour notre culture occidentale. La
somatisation peut être différente selon les cultures. Rappelons
nous aussi qu'une plainte est en quelque sorte « une invitation
à entrer dans le monde du patient où une souffrance psychique est
présente »16.Une plainte exprimée, outre
l'aspect purement médical, peut aussi avoir un aspect symbolique. Il est
donc assez courant de voir formuler une plainte inhabituelle par un patient
étranger. Notre patiente marocaine exprimait symboliquement son
mal-être en termes de santé physique (douleurs aux genoux)
plutôt que psychique. Pour elle, son bien-être dépendait
surtout de sa place au sein de sa famille. Elle déprimait car sa
position était menacée. Mais, plutôt que d'exprimer une
dépression, elle utilisait, de part ses références
culturelles, des métaphores. Elle déviait sur son corps un
mal-être psychique.
L'infirmier se doit donc d'être prudente lorsqu'il
interprète une plainte d'un patient.
A. Sayad évoque, à juste titre, le concept de
« maladie de l'immigré » selon lequel « sa
pathologie dont on ne sait si elle est vraiment pathologique au sens
médical du terme ou si elle est sociale. (...) Les sinistroses sont des
immigrés malades précisément de leur condition de malade,
et ce qui est demandé à la thérapeutique de la
médecine (du soma ou du psyché) n'est pas tant de les
guérir d'une quelconque maladie, mais de les délivrer d'un mal en
leur restaurant l'intégrité de l'état antérieur et
en les restaurant dans l'équilibre perdu »17.
Dans notre culture occidentale (plutôt individualiste),
c'est une relation duelle (soignant versus soigné) qui sera
préférée. Par contre, dans d'autres cultures, c'est la
famille, le groupe ou le clan qui sera privilégié. Il arrive
aussi que la hiérarchie familiale d'un patient étranger soit
différente de la nôtre. Le père, l'époux, l'oncle,
le frère ou le chef de clan peuvent posséder le pouvoir de
décision en ce qui concerne les soins que l'on donnera à une
femme. Ce fut le cas pour cette patiente marocaine.
Il est donc assez courant de voir arriver, à
l'hôpital psychiatrique, un patient étranger accompagné de
sa famille ou de ses proches. La famille et/ou les proches peuvent aussi
être une aide précieuse pour traduire et/ou interpréter les
dires et/ou les comportements du patient.
15L'acculturation désigne les processus
complexes de contact culturel au travers desquels des sociétés ou
des groupes sociaux assimilent ou se voient imposer des traits ou des ensembles
de traits provenant d'autres sociétés. BONTE P. et IZARD M.,
Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Op. Cit., p.1.
16 FERRANT L., La plainte : point de départ
d'une approche, in : Santé Conjuguée / Cahier : Patients
sans frontières : l'approche interculturelle en soins de santé
primaire, 1999.
17 SAYAD A., Vieillir dans l'immigration, in
: Migration Santé, n° 99, pp. 7-23.
Nous estimons encore trop souvent que c'est au patient
étranger à s'adapter à notre manière de percevoir
les soins. Cela est vrai en partie. La loi est la loi, même pour un
étranger. Néanmoins, pour le faire adhérer à nos
soins, il convient de ne pas nier leur culture et de ne pas rabaisser leurs
habitudes.
De même, la prise en considération de la famille du
patient étranger, dans le processus du soin, favorisera souvent la
relation qui va s'établir entre le soignant et le soigné et
permettra d'éviter de négliger certaines étiologies
auxquelles on aurait, à priori, pas pensé.
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18
Cahier - Patients Sans frontières - Santé
Conjuguée, n°7, janvier 1999
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