ANNEXE 3 : Entretien avec Nicolas Drouet
Date : le 22 janvier 2021
Présentation : Nicolas Drouet est l'un des
membres fondateurs du Collectif Lacavale. Cette compagnie voue un
intérêt particulier aux formes participatives et aux publics
adolescents.
Marguerite Corrieu : « J'aurais voulu savoir quand vous
aviez commencé à vous pencher sur les publics adolescents et
pourquoi ?
Nicolas Drouet : On est six et on n'a pas eu tous et toutes
les mêmes parcours. Il y a plusieurs réponses. On a
questionné à un moment le pourquoi des ados et ce que
çà nous faisait et on s'est rendu compte, surtout ces
dernières années, que les raisons pour lesquelles on a
commencé ne sont pas les mêmes pour lesquelles on continuait. En
fait, on est quatre du collectif à venir d'une formation du
cinéma documentaire, les autres viennent du théâtre. [...]
Et nous on s'est plutôt tournés vers l'éducation à
l'image. Après moi j'étais animateur et c'est quelque chose que
j'ai pas mal amorcé au sein du collectif. Le public adolescent, je le
connaissais depuis longtemps et même quand j'étais animateur et
étudiant en sociologie plus jeune, j'avais déjà
essayé de faire des films avec des adolescents. Pour moi c'était
assez naturel et le fait est qu'il y a des budgets pour. Il y a une
économie à créer autour des ateliers, des pratiques, ...
C'est une porte d'entrée à la fois dans la réalisation
audiovisuelle, dans les problématiques sociales avec des publics qu'on
appelle publics empêchés. Dans le cas de Julie, elle a fait un
conservatoire d'arrondissement et a fait beaucoup de projets avec des enfants
pour vivre. Pour nous il y a un souffle propre à l'adolescence. C'est
quelque chose auquel on a beaucoup réfléchi. En étant avec
des adolescents, il y a quelque chose de miroir qui s'opère car nous
même on vit une sorte d'adolescence de l'âge adulte où l'on
se fabrique quelque chose de très beau. Donc il y a cet espèce de
souffle des possibles à gravir dans lequel on trouve beaucoup de joie.
Les ados, ils sont hyper graves et hyper dramatiques en même temps, et
cela de façon simultanée. Et quelque chose bien sûr
à ne pas ignorer, il y a des fléchages financiers propres
à cela. On a eu plein d'idées dans les premières
années du collectif et lorsqu'on a commencé à se dire
qu'on allait faire quelque chose mêlant vidéo et
théâtre, et bien on a répondu à un appel à
projet qui émanait du département du nord qui s'appelait
Paroles d'ados et c'est là qu'on a créé Les
choses en face qui est un dispositif de création qu'on a repris
plusieurs fois après et du coup çà a été la
date de naissance du collectif au niveau du théâtre.
Marguerite Corrieu : Avez-vous la sensation que dans d'autres
compagnies ou dans des structures, il y a un oubli au niveau de ce
public-là ? (actions de médiation, représentations
proposées, ...)
Nicolas Drouet : Moi je connais beaucoup de compagnies qui
travaillent avec des adolescents car c'est aussi un moyen de financer des
projets, il ne faut pas se mentir. Alors des fois, je trouve que
çà tombe à côté car il y a des distorsions,
des envies de créations qui vont aller vers des dispositifs pas
adaptés et parfois c'est un peu malheureux. Parce que çà
distord la création et ce n'est pas réellement en lien avec les
adolescents. Après il y a pleins de choses supers qui se
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font avec des adolescents. Au niveau des oublis je vais plus
penser aux théâtres, aux lieux qui existent avec des personnes
permanentes. Ce n'est pas un oubli vu que c'est quand même au coeur du
projet, surtout dans les lieux que l'on fréquente nous, vu que l'on a
une entrée ado assez forte. Donc les lieux où on va vont dans la
même direction. Je ne pense pas sinon que c'est un oubli mais c'est au
niveau des méthodes que je trouve un peu « old school ». Comme
typiquement se retrouver debout sur un pupitre devant une classe assise
à dire des trucs sur une pièce. Moi je sais qu'en tant
qu'adolescent çà m'aurait ennuyé et du coup nous, ce que
l'on a toujours défendu c'est d'amener les enfants à
découvrir le théâtre en en faisant. Je pense que
découvrir le théâtre de l'intérieur, les coulisses
comment cela se construit, je pense que c'est la meilleure manière pour
leur donner envie d'y retourner. En se rendant compte que c'est un travail.
Marguerite Corrieu : Vos projets s'adressent plutôt
à des « adolescents-collégiens », des «
adolescents-lycéens », ou est-ce que c'est un mixte entre les deux
?
Nicolas Drouet : C'est un mixte. Après maintenant on
est un peu malin. On sait que les premières-terminales sont un peu
embêtants sauf si tu as des jeunes qui sont en option
théâtre. Au début on était un peu frileux sur les
options théâtre. On se disait qu'on voulait des jeunes beaucoup
plus éloignés du théâtre que ça. Et puis
Julie nous a un peu calmés là-dessus en nous disant qu'il y avait
plein d'options théâtre dans des petites villes et où ce
n'est pas parce que tu es en option théâtre que cela t'ouvre
réellement des portes. Il y a des jeunes qui sont en option
théâtre et qui sont finalement assez éloignés. Donc
on aime bien les groupes mixtes et aussi au niveau des âges. On aime bien
les collégiens. C'est pas exactement le même travail mais disons
qu'avoir des groupes allant de la 4ème à la
1ère c'est assez marrant. Les 4ème vont un
peu s'identifier aux 1ère.
Marguerite Corrieu : Est-ce que selon vous, il est
envisageable de mettre en place les mêmes projets avec des adolescents
plus jeunes (12-15 ans) et des plus grands (15-20 ans) ?
Nicolas Drouet : Oui carrément ! Tu peux
responsabiliser les plus grands au niveau de l'accompagnement. Avec des statuts
différents. On sait très bien que les 5ème
à un moment ils vont devoir jouer, mais jouer au sens le plus
littérale qui soit. Et que sur les choses plus « intellectuelles
» on pourra aller moins loin là-dessus. Il faut des choses plus
ludiques [...].
Marguerite Corrieu : Quelles sont selon vous les
difficultés pour mettre en place des actions participatives avec des
adolescents ?
Nicolas Drouet : Ce n'est pas forcément des blocages ou
des difficultés mais cela va se référer à la
question du temps. En moyenne en cinéma documentaire, une
création prend plusieurs années. Donc forcément, nous on
fait des trucs beaucoup plus ramassés, qui donnent des choses pas
inintéressantes mais oui c'est le rapport au temps la difficulté.
Et puis en vidéos c'est l'aspect post production, montage. [...] Donc
sur certains projets on le capte assez vite : il y a certains jeunes qu'on
amènera pas avec nous au montage donc on va faire une sorte de
montage
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papier sur le mur avec les différentes séquences
en essayant de leur expliquer qu'en fait le film on peut le mettre dans ce
sens-là mais on peut aussi le mettre dans ce sens-là. On souhaite
qu'ils saisissent un peu ces enjeux-là. Depuis le temps qu'on fait
çà il y a quelques jeunes qu'on a embarqué avec nous en
montage et c'était super [...] mais çà c'est assez rare.
Et il y a le rapport au groupe aussi. Quand on fait ce genre de projet c'est
compliqué d'être plus de 10-12 et parfois les gens ont du mal
à comprendre que ce n'est pas possible, dans le rapport à la
parole, à l'intimité, dans le rapport de confiance qu'il faut
mettre en place, ...Là on a eu çà cette année dans
le projet L'âge de nos pères, un projet où l'on
est tous les six au plateau. Dans ce cadre-là on a eu un financement
d'Ile et Vilaine pour une résidence en collège. On s'est
retrouvé dans un groupe classe de 28 jeunes. Et la professeur avait du
mal à comprendre que pour nous c'était compliqué de
travailler avec un groupe aussi important. En plus on parle des violences
physiques et sexuelles [...]. Nous on savait que statistiquement on allait
avoir 5-6 jeunes touchés de près par la question de la violence.
Et donc ça, çà nécessite d'avoir des temps à
moins où la bienveillance est plus simple. [...]
Marguerite Corrieu : Tout à l'heure, vous me parliez
d'un projet que vous aviez mis en place dans une classe de 28 jeunes. J'aurais
aimé savoir quelle avait été la place de la professeur
dans le processus de création? Ce projet a-t-il été
coconstruit ? Comment la communication a -t-elle pu se mettre en place ?
Nicolas Drouet : [...] Là la place de la prof
c'était un peu compliqué. Aussi à cause de la situation
mais c'était quand même un petit raté. Pourtant j'ai
l'impression que l'on avait laissé la place à la co-construction,
à l'interconnexion, à la possibilité de faire du lien avec
les programmes scolaires. [...] C'est jamais très simple, moi je n'aime
pas trop être avec des profs, alors là elle était
là, on ne lui a pas demandé de partir. Mais c'est
compliqué la place des profs. Souvent on travaille avec des gens qui
sont là en médiation culturelle et qui sont là lors des
labo, ateliers. Des fois c'est cool parfois c'est pas cool. çà
dépend des gens, les professeurs çà peut amener une
présence très scolaire. Après parfois c'est chouette parce
que le ou la professeur peut amener un aspect relationnel avec les
élèves. Mais même sur le langage, moi je montre aux jeunes
qu'on peut dire des gros mots, ce n'est pas dramatique. L'enjeu c'est de
s'écouter, d'être très premier degré dans ce qu'on
dit et parfois la présence d'un professeur ne permet pas ça.
[...]
Marguerite Corrieu : Avez-vous une préférence
entre travailler avec des adolescents dans un cadre volontaire ou dans un cadre
scolaire ?
Nicolas Drouet : C'est une question qui est compliquée.
C'était tout l'enjeu avec Suzanne du Théâtre de Poche
à Hédé où l'on fait juste la résidence
en milieu scolaire. Elle, elle a commencé en disant : « moi je
veux un groupe classe ». Parce que l'idée c'est de toucher des
jeunes qui à la base n'auraient pas envie. Je suis complètement
d'accord avec cette idée. Mais c'est beaucoup plus compliqué et
surtout quand il sont nombreux. 28 c'est énorme. Moi je n'ai pas de
préférence. Je pense qu'un projet comme J'aurais aimé
que le monde soit parfait, çà engage tellement que si les
jeunes ne sont pas volontaires çà peut être beaucoup trop
de souffrance. Çà
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peut être génial pour des jeunes qui
découvrent en fait. Mais là c'est quand même un engagement
très important, çà leur prend toutes leurs vacances, ils
vont rater quasiment une semaine de cours qu'ils vont devoir rattraper, ils
vont jouer cinq fois sur un grand plateau. Donc c'est quand même
important. Donc si certains n'ont pas envie, çà peut devenir un
cauchemar, c'est un coup à les dégouter de toutes formes
d'expressions. Et puis après il y a d'autres questions qu'on se pose.
Bien évidemment quand on fait ce travail-là et on est
persuadé que c'est très important pour la vie, la
société, ... Mais c'est à relativiser. Il y a plein de
gens qui vivent très bien sans avoir jamais fait de théâtre
et c'est pas une obligation. [...]
Marguerite Corrieu: Quels sont pour vous aujourd'hui les
enjeux que soulèvent théâtre et adolescence ou
cinéma documentaire et adolescence ?
Nicolas Drouet: C'est d'être ensemble [...] Trouver ses
propres mots, ne laisser personne parler à leur place et en même
temps être très ouverts au monde. C'est permettre à ces
jeunes de s'emparer du monde et des enjeux qui les dépassent. On est
dans quelque chose de très intime et en même temps politique et
très collectif. Il faut continuer cela. En plus on a constaté des
choses avec l'école, ces dernières années. Quand on a
commencé à travailler avec des adolescents, parcours sup
n'existait pas et on a remarqué en quelques années, avec parcours
sup et la réforme du bac, qu'on a une entrée dans l'âge
adulte qui est quand même assez différente. Aujourd'hui les jeunes
je les trouve soumis à quelque chose qui est très lourd avec une
pression très importante dès la troisième. [...] Nous on
essaie de fabriquer un truc où il n'y a pas de casting, il n'y a pas de
sélection, on est inclusif, on ne reproduit pas un monde de
compétition. Je pense que le théâtre et les arts en
général, il faudrait que çà puisse continuer
à être çà dans les projets adolescents [...]
Marguerite Corrieu : Quels sont vos outils pour mettre en
place une relation plus horizontale et faire participer les adolescents?
Nicolas Drouet : Il y a plusieurs choses. Déjà
on va toujours interviewer chaque adolescent individuellement. C'est toujours
en parallèle. C'est-à-dire que le groupe est souvent avec
Chloé et Julie qui viennent vraiment du théâtre. Et en
parallèle on va s'entretenir avec un jeune durant 30 minutes. A la fois,
une partie de l'équipe rencontre un groupe et commence à
fabriquer un truc en groupe avec des jeux. Et nous individuellement on fabrique
un autre truc qui est quand même un peu raide, c'est un face
caméra un peu dur. Et en même temps çà permet de
montrer aux jeunes ce que çà veut dire être devant une
caméra. Après on fait des micros de paroles, c'est-à-dire
comme un bâton de parole, sauf qu'on enregistre parce que
çà peut être des matières sonores qu'on
réutilise après. Et puis montrer aux ados que l'on se livre, on
se mouille autant qu'eux dans les projets.
Marguerite Corrieu : Avez-vous des méthodes pour mieux
responsabiliser les jeunes ?
Nicolas Drouet : Je ne sais pas. Les choses en face,
on vient et on discute de plus de trucs. C'est quoi être adulte ?
Vous vous imaginez comment dans 20 ans ? De là on se dit : qui on
pourrait
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interviewer pour poser ces questions-là. [...] C'est
les jeunes qui décident et qui font les interviews. On leur dit : vous
téléphonez et vous expliquez le projet. Et çà pour
un jeune de 15 ans, passer un coup de fil c'est hyper dur en fait. Du coup le
fait qu'il le fasse c'est super. Après on va les former pour les
entretiens. [...] C'est toujours les adultes qui choisissent pour eux et
là çà change tout. Les adultes ne sont pas à la
même place et ils se retrouvent avec des jeunes qui les écoutent
vraiment. [...] Et après la responsabilité c'est d'avoir
vécu ce moment et que la parole des gens, on ne va pas faire n'importe
quoi avec ça. Pour te dire des cas concrets pour Les choses en face
2, on avait interviewé la présidente des femmes maliennes du
quartier dans lequel on était et donc elle nous parle de pleins de trucs
super intéressants sur la place des femmes, des choses qui te font
relativiser culturellement sur l'émancipation en tant que femme. Tu sens
que cela donne de la force et de l'espoir aux adolescentes avec lesquelles on
est. Et là l'interview finit par une remarque extrêmement
homophobe de sa part. [...] Mais face à cela les jeunes assurent, ils
sont outrés mais toujours dans l'échange, la discussion. Sauf
qu'après nous on se dit, on fait un spectacle qui va être
diffusé dans différents endroits, pas que dans le quartier. Alors
qu'est-ce qu'on fait de cette parole ? Qu'est-ce qu'on a envie de montrer ? Et
çà, çà a été en discussion avec les
jeunes et c'est le genre de moment qui les responsabilise. Là on est
dans le réel, c'est pas juste une idée comme çà.
Finalement, on a choisi de ne pas diffuser çà, on a gardé
que ce qui était très chouette chez cette dame et pas du tout
l'aspect hyper homophobe. [...]
Marguerite Corrieu : Comme il y a eu plusieurs versions des
Choses en face, j'aurais aimé savoir si avant la
première version, vous aviez préparé des choses, fait des
hypothèses sur comment allait se dérouler le projet ?
Nicolas Drouet : On se questionne toujours. On a fait
plusieurs fois un dispositif qui était le même et on ne le refera
pas car nous avons fait le tour. En début de projet on interviewe
toujours les jeunes pour que çà crée une première
matière. Donc çà c'était plutôt en
début de projet, en octobre. Et ce qui est génial c'est que ces
jeunes, entre octobre et juin, changent énormément. Mais sinon la
structure, le déroulé est posé avant car vu le temps
qu'on, a on n'a pas le temps de se demander ce qu'on va faire, ... Des fois on
sent que c'est important de se remettre plutôt à discuter, que
parfois dans le jeu, il y a des choses qui ne marchent pas. [...] A Vire,
c'était un peu particulier parce qu'on a monté Les choses en
face avec un seul groupe alors que d'habitude on a toujours
travaillé sur Les choses en face avec plusieurs groupe qui ne
se connaissaient pas et qui finissaient par jouer ensemble pour une seule date
à la fin. Et parfois avec eux, on avait l'impression d'être dans
une cellule psy donc on leur a dit, donc parfois on s'adapte et parfois on leur
dit : c'est çà qu'on a prévu et on va le faire. [...]
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