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Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.


par Gaëtan Jouve
Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019
  

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- CHAPITRE 2 -

LES BLOCKCHAINS.

Les blockchains publiques comportent de multiples caractéristiques qui les rendent impropres à l'usage que nous voudrions en faire. Leur construction qui suppose un accès libre et anonymisé suppose une élaboration du consensus ultra sécurisé qui ne convient pas au registre dénué de vocation probatoire que nous avons pu présenter tout au long de cette étude. C'est pourquoi nous ne pouvons que constater l'inadaptabilité de la technologie des blockchains publiques à notre projet de registre des sûretés réelles mobilières (Section 1). Toutefois, chacun des reproches que nous ferons aux blockchains publiques pourra être contrebalancé par l'une des qualités de la technologie des blockchains privées que nous avons retenue. Ainsi notre proposition finale nous amènera à nous inspirer du permissioned ledger mis en place des septembres afin de perfectionner le registre du commerce et des sociétés (Section 2).

Section 1 : Le constat de l'inadaptabilité de la blockchain publique aux problématiques du registre des sûretés réelles mobilières.

1. La blockchain publique. En définitive, il n'y a qu'une reine. Quand Laurent LELOUP évoque la blockchain publique, la première à avoir vu le jour, il nous confie que « Les puristes considèrent que seul le singulier s'applique à cette technologie : on parle alors de la blockchain290 ». Cette blockchain fait peu de cas de l'identité de ceux qui la font vivre. C'est le propre d'une blockchain publique, « C'est un registre (ledger) ouvert à tous. Cette blockchain se caractérise par son ouverture totale : tout le monde peut y accéder et effectuer des transactions et tout le monde peut participer au processus de consensus291 ». Dans le détail, « Son fonctionnement est fondé sur les « cryptoeconomics », c'est-à-dire la combinaison d'incitations économiques et les mécanismes de vérification en utilisant la cryptographie comme une preuve de travail (PoW) ou preuve de la participation (PoS)292 ». C'est caractéristique technique et ses propriétés sont profondément disruptive, et pour cause « C'est le modèle le plus connu, celui qui est à l'origine de la technologie, selon une approche communautaire, voire alternative, de l'économie293 ».

C'est aussi le modèle auquel nous nous intéresserons le moins. Du fait de l'idéologie libertaire qui a présidé à sa création, la blockchain publique est loin d'avoir été taillée sur mesure pour faire bon ménage avec l'économie de notre siècle. On peut aisément dresser un parallèle avec l'invention d'internet, une innovation qui devait faire souffler un vent de liberté inédit au profit des individus et qui de plus en plus se mue en un outil de contrôle entre les mains des GAFAM294. La blockchain publique n'a pas révolutionné l'ordre des choses, c'est l'ordre des choses inébranlable qui a réformé la blockchain pour en faire son outil : la blockchain privée.

La première illustration qui viendra à l'esprit quand on évoquera la blockchain est évidemment le Bitcoin, prince aîné de la lignée crypto monnaie. La blockchain Bitcoin à vocation à certifier les transactions de la monnaie du même nom, par conséquent elle a

290Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 93.

291Ibid.

292Ibid.

293Ibid.

294L'acronyme des mastodontes du web, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

vocation à apporter la preuve de la propriété de ce bien fongible et consomptible. Autre caractéristique notable, cette blockchain ne s'intéresse pas à l'identité des utilisateurs de Bitcoin295, l'anonymat faisant partie intégrante de l'idéologie du projet de son fondateur, le mystérieux Satoshi Nakamoto. Tant et si bien que lui même disparut dans les méandres de l'internet sans que jamais sa véritable identité ne soit révélée au grand jour296.

En pratique, pourquoi voudrions-nous tailler notre registre des sûretés mobilières sur une base de blockchain publique ? Nous avons vu que l'usage de la blockchain en tant que registre des sûretés mobilières exige de nous que nous résolvions plusieurs difficultés liées à la nature de toute blockchain. Dans ce chapitre, nous découvrons que la blockchain qui bénéficie de la plus grande ferveur médiatique, la blockchain publique et sa cohorte de crypto monnaie, pose des difficultés supplémentaires.

Premièrement, il faut savoir que moins les membres du réseau se connaissent et se font confiance, plus il faut adopter un système d'élaboration du consensus contraignant. Un algorithme proof of work serait un gouffre financier et énergétique qui ne nous assurerait même pas une sécurité suffisante. En effet, vu l'état de la puissance de calcul à travers le monde et sa constante augmentation boosté par l'appât du gain de Bitcoin, notre petit système serait une proie facile. On peut imaginer un algorithme de consensus basé sur une preuve d'enjeu297. En lieu et place du dépôt de cryptomonnaie, l'enjeu serait la valeur totale des sûretés inscrite au registre. Plus la valeur d'une créance garantie serait haute, plus le créancier correspondant aurait de chance d'être désigné par l'algorithme de consensus pour valider le prochain bloc. Mais cette alternative nous montre le véritable problème, un tel système exigerait des agents économiques une participation on ne peut plus active à la blockchain registre, ce qui suppose des récompenses élevées que le registre n'est pas en mesure de fournir. Nous recommandons donc d'abandonner totalement l'idée d'un registre des sûretés mobilières basé sur une blockchain publique.

2. La solution des blockchain privés. Avant de s'intéresser aux questions techniques, il faut opter pour ce premier choix. Le registre des sûretés réelles mobilières bénéficiera de l'appui d'une blockchain privé ou devra être pensé sans cette technologie. Cette décision se justifie au regard des caractéristiques particulières des blockchains privées. « Si la blockchain publique représente une solution de confiance décentralisée pour beaucoup, la blockchain

295Question qui a pu susciter autant d'inquiétude légitime que de fantasmes quant à l'utilisation du Bitcoin lors de transaction illicite. Même si on ne saurait dire là où s'arrête la réalité et où commence la fiction, l'ombre de Silk Road (le marché noir du darknet où les échanges monétaires usés du Bitcoin) et de ses successeurs plane encore sur les crypto monnaie.

296« Le 12 décembre 2010, un dernier message est posté par Nakamoto sur le forum Bitcointalk. Peu de temps avant son évanescence, Nakamoto désigne Gavin Andresen comme son successeur en lui donnant accès au projet SourceForge Bitcoin et une copie de la clé d'alerte, une clé cryptographique privée unique permettant d'atténuer les effets d'une attaque potentielle sur le système Bitcoin. », Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 33.

297« La preuve d'enjeu est un algorithme de consensus pour blockchains publiques (...) Le mécanisme de la preuve d'enjeu peut être décrit comme un «minage virtuel ». Là où la preuve de travail prévient efficacement les attaques Sybil en se fondant sur la rareté et le coût du matériel informatique, la preuve d'enjeu repose sur la crypto monnaie de la blockchain elle-même. Avec la preuve de travail, un participant peut investir 1 000 dollars dans un ordinateur de minage, le brancher, commencer à participer au réseau en produisant des blocs et recevoir une récompense. Avec la preuve d'enjeu, le même participant investit 1 000 dollars en achetant directement la cryptomonnaie de la blockchain puis met en dépôt ces crypto monnaies en utilisant le mécanisme de preuve d'enjeu, qui va ensuite (pseudo-)aléatoirement assigner à ce participant le droit de produire des blocs et de recevoir une récompense », définition par Ethereum France, 3 janv.2017, mis à jour le 29 avr.2018, accessible en ligne sur le site d'Ethereum France : https://www.ethereum-france.com/quest-ce-que-la-preuve-denjeu-proof-of-stake-faq-par-v-buterin-traduction-francaise/

privée peut être complètement centralisée entre un petit nombre d'acteurs, prenant le contrepied du rêve libertaire de la blockchain publique298 ». Bien que cette centralisation ne soit pas vertueuse en elle même, elle a le mérite de nous dispenser de la recherche d'une solution coûteuse d'élaboration du consensus, ce qui demeure l'une des problématiques majeures des blockchains publiques. En effet en matière de blockchain privé « le processus de consensus est contrôlé par un ensemble présélectionné de noeuds (participants)299 ». C'est cet entre-soi qui permet le recours à un algorithme de consensus bien plus souple.

Du côté des inconvénients de telles blockchains, on relèvera que « Dans le cas d'une blockchain publique, tous les noeuds sont autorisés à écrire dans celle-ci, et à y lire les données. À l'opposé, seul un petit nombre de noeuds sont autorisés à écrire dans une blockchain privée300 ». Autrement dit, cette caractéristique va à l'encontre du projet d'un registre en accès direct en lecture comme en écriture que nous avions préconisé. Toutefois, on peut tout à fait imaginer un système d'autorisation d'écriture qui reposerait sur des critères automatisés, une sorte d'algorithme d'autorisation. Et pour ce qui est de la lecture au sein des blockchains privées il est possible de restreindre les autorisations de lecture.

Ce dernier point fait figure d'atout majeur à considérer dans l'élaboration de notre projet de registre. En effet, « L'une des différences majeures entre blockchain privée et blockchain publique est liée à la confidentialité des smart contracts, des transactions et des données ». Ainsi « il est relativement facile de garantir la confidentialité des données stockées dans des blockchains privées, puisque seul un nombre limité d'acteurs peut y avoir accès301 ». À l'inverse, « Les données stockées dans les blockchains publiques sont au contraire accessibles à tous, puisqu'il s'agit de construire un registre public décentralisé302 ». Opter pour un système de blockchain privée c'est la garantie que nous pourrons protéger des informations, tel que le détaille de la clientèle des prêteurs, qui n'ont pas vocation à être révélés par notre registre.

Une prédiction décline à mesure qu'une prise de conscience prend forme : Non la blockchain ne remplacera pas les tiers de confiance. On eût pu encore le penser lors du plein essor des blockchains publiques, qui avait en effet cette prétention révolutionnaire. Cependant même si la blockchain porte en elle le germe de ce potentiel disruptif on comprend que ce monde sans intermédiaires ne verra jamais le jour. La raison en est très simple, les blockchains publiques ne peuvent s'épanouir hors de leurs espaces alternatifs. Une plus grande ou une plus petite échelle sont pour elles des mondes inaccessibles. En effet, on ne voit pas comment, à grande échelle, nous pourrions tous commercer en Bitcoin alors même que cette blockchain commence déjà à souffrir303 de son manque de scalabilité304. À l'autre bout du spectre, à petite échelle, les blockchains publiques doivent faire face à une concurrence dont elles ne peuvent triompher : les blockchains privées. En effet si l'on souhaite créer une blockchain pour un petit nombre de membres, potentiellement des personnes qui se connaissent il est hors de question de baser le projet sur une blockchain

298Patrick WAELBROECK, « Les enjeux économiques de la blockchain », préc., p.13.

299Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p.94.

300Patrick WAELBROECK, « Les enjeux économiques de la blockchain », préc., p. 10.

301Ibid., p. 13.

302Ibid.

303« Le passage à l'échelle est difficile sur une blockchain publique utilisant un consensus basé sur le proof-of-

work (comme celui utilisé par le réseau Bitcoin), puisque celui-ci demande un hash-power qui croît avec la taille

du réseau et nécessite plusieurs validations avant l'ajout d'un nouveau bloc, ce qui peut prendre une heure »,

ibid.

304La scalabilité est la capacité d'un réseau ou d'un système à adapter son fonctionnement à une augmentation

de la demande.

publique. Enfin, la fonction des tiers de confiance est éminemment plurielle, elle ne s'arrête pas à une simple question de certification. On s'en rend compte aisément quand on considère les mésaventures des aventuriers du Bitcoin, qui aurait sans nul doute tiré un grand bénéfice de la fonction de conseil associé à la mission du banquier. Dès lors, ces intermédiaires, s'ils sont capables d'ajouter un minimum de valeur ajoutée à leurs services, ne seront pas remplacés. Pourquoi le serait-il dans la mesure où ils peuvent eux même exploiter tous les attraits de la blockchain via une blockchain privée ? Peut-être la blockchain aura-t-elle un impact retentissant dans les pays du tiers monde où l'on peut douter de l'intégrité de certains intermédiaires, toutefois il semble plus raisonnable de considérer que « dans nos pays développés, où les tiers de confiance existent, les usages seront différents. Les blockchains ne les remplaceront pas, bien au contraire, elles les outillent afin d'améliorer leur productivité et la rentabilité des entreprises qui les adoptent.305 »

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry