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Pour une publicité efficace des sûretés réelles mobilières.


par Gaëtan Jouve
Université Clermont Auvergne - Master droit privé parcours droit civil 2019
  

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-TITRE 2 -

L'INNOVATION TECHNOLOGIQUE A CONSIDÉRÉ : DE LA BLOCKCHAIN
AUX BLOCKCHAIN.

Après avoir asséné que l'efficacité en matière de publicité des sûretés réelles mobilières se ferait via la création d'un registre entièrement informatisé ou ne se ferait pas, nous nous apprêtons à livrer bataille contre les machines. Puissions-nous percer le secret de leurs lignes de codes grâce au glaive de l'interdisciplinarité. Notre quête commencera par une approche générale de la notion de blockchain, nous relativiserons les propriétés de cette pierre philosophale, à laquelle les juristes prêtent toutes les vertus, en nous demanderons si une simple base de données ne pourrait pas remplir nos objectifs (CHAPITRE 1). Enfin, si la Blockchain publique nous fera défaut, nous ne désespérerons pas de trouver réponse à nos exigences d'efficacité via l'inspirant projet de blockchain privé porté par les greffes des tribunaux de commerce (CHAPITRE 2).

- CHAPITRE 1 -

L'APPORT DE LA TECHNOLOGIE BLOCKCHAIN

Il est nécessaire de placer un cadre théorique des plus basique avant de s'interroger quant au potentiel de la blockchain. En effet, les blockchains sont si nombreuses, la renommée de certaine est si écrasante que l'on peine à se figurer à quoi peut bien ressembler cette technologie dans son plus simple appareil. Notre première section sera l'occasion de poser une théorie générale de ce qu'est une blockchain (Section 1) en l'opposant aux innovations successives, véritables mutations de l'ADN originel qui a débouché sur une ample généalogie où les blockchain historiques ont toutes leurs caractéristiques particulières. Dans notre deuxième section, nous opposerons la blockchain aux bases de données traditionnelles (Section 2) afin d'évaluer si ses particularités intrinsèques peuvent nous aider à répondre aux impératifs de la publicité des sûretés mobilières.

Section 1 : La notion de blockchain, définition générale.

Il ne faut pas confondre la technologie blockchain, qui est un outil, et les différentes blockchain, qui sont autant d'oeuvres aux caractéristiques particulières. En effet, « Ce n'est pas une blockchain, mais plusieurs types de blockchains qui existent, cohabitent, voire interagissent. Ainsi, une blockchain peut posséder des spécificités techniques pour des utilisations ou des applications particulières263 ». Cette distinction est d'autant plus importante que la notoriété de certaines blockchains tant à éclipser une grande part du champ des possibles en imposant leurs particularités dans l'esprit général. Ainsi quand il est question de blockchain, les juristes ont tendance à raisonner sur le modèle Bitcoin alors même que celui-ci est inadapté à leurs besoins. De manière plus générale, les définitions de la blockchain ont le tort de passer sous silence l'existence des blockchains privés, une nuance

263LELOUP Laurent, « Blockchain, la révolution de la confiance »,« Blockchain, la révolution de la confiance »,

Eyrolles, 17 février 2017, accessible en ligne
http://univ.scholarvox.com.ezproxy.uca.fr/reader/docid/88838650/page/1, p. 15.

dont une définition générale de la blockchain ne devrait pas faire l'économie selon nous. Les blockchains ne se résument pas à la blockchain publique. La blockchain est doublement protéiforme.

1. L'outil blockchain, une définition pour une technologie plurielle. L'outil blockchain ne peut être défini que par une liste non exhaustive des technologies mise en synergie par chaque créateur. Même si on peut dégager quelques « briques264 » récurrentes il est, comme nous le verrons, très périlleux265 de faire des généralités en la matière.

Bien souvent, les définitions que l'on propose pour la Blockchain sont centrées sur son apparition historique. C'est le cas de la définition généraliste que propose Laurent LELOUP, pour qui la blockchain est une technologie « pour une nouvelle génération d'applications transactionnelles qui, grâce à un mécanisme de consensus collectif couplé avec l'utilisation d'un grand livre de compte public, décentralisé et partagé, établit la confiance, la responsabilité et la transparence266 ». Il poursuit en évoquant « un grand livre distribué ou distributed ledger ou registre 2.0 construit sur le modèle des livres comptables et partagé entre les participants267 ». Ce registre est distribué sur un réseau qui repose sur « la décentralisation et la désintermédiation : aucune autorité centrale ne contrôle la blockchain, il n'y a pas de tiers de confiance268 ». On qualifie ce type de réseaux de réseau pair-à-pair, une technologie préexistante utilisée dans l'immense majorité des blockchains.

Il y a sûrement un intérêt pédagogique à présenter la notion de blockchain en mettant en avant son fonctionnement historique et traditionnel. Cependant, cette définition empreinte d'un parti pris généraliste ne sied pas à une exposition du potentiel de la blockchain dans le milieu juridique. Ainsi afin de proposer une définition plus englobante nous ajouterons premièrement, que le degré de décentralisation peut beaucoup varier d'une blockchain à une autre, et que deuxièmement toutes les blockchains ne reposent pas sur un « distributed ledger ». Pour ne citer qu'un exemple, nous nous intéresserons bientôt à un « permissioned ledger».

La modification des données du registre (Distributed, permissioned ou autre) ne peut se faire que selon les conditions prévues par l'algorithme ayant vocation à rechercher le consensus entre les pairs. Ainsi « le fait qu'une transaction soit acceptée ou rejetée est le

264Selon Côme BERBAIN le terme blockchain s'applique à des technologies différentes qui « s'appuient sur des briques techniques préexistantes (registre distribué, signature électronique, cryptographie asymétrique, preuve de travail, machines virtuelles...), l'innovation résidant dans leur assemblage », Côme BERBAIN, « La blockchain : concept, technologies, acteurs et usages, réalités industrielles », dans Dardayrol (J.-P.), (coordinateur), « Blockchains et smart contracts : des technologies de la confiance », Réalités industrielles, annales des mines, Série trimestrielle l, août 2017, p. 6.

265Il est assez difficile de poser une liste des technologies qui participe à l'univers blockchain, car n'importe qui peut créer une blockchain en lui insufflant une hybridation particulière avec la plus basique ou la plus complexe des technologies de l'informatique et de la mise en réseaux. Par exemple, on ne peut pas dire que la technologie Bluetooth soit au coeur de la sphère blockchain, pourtant il est possible de faire jouer à cette technologie le rôle d'internet dans une blockchain locale de notre invention. Pour être qualifiée de blockchain, une technologie doit répondre à certains critères, cependant ces critères ne sont pas exhaustifs et la liste de propriétés que l'on pourrait ajouter à une blockchain est infinie. Exemple d'ajout possible, un système de blockchain peut prévoir ou non des « smart contracts ». (Une technologie qui a acquis ce nom au sein de la blockchain Ethereum, mais qui peut exister sous différentes appellations dans d'autres blockchains). Dès lors, affirmer que la technologie blockchain comprend le domaine des « smart contract » serait une généralisation trompeuse et erronée.

266Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 13

267Ibid., p.14

268Ibid., p.15

fruit d'un consensus distribué269 ». À ce stade, bien saisir la notion de blockchain exige du juriste qu'il soit capable de différencier un élément particulier de sa fonction. Ainsi toutes les blockchains ont besoin d'un système d'élaboration du consensus. L'élaboration du consensus est une fonction là où la preuve de travail, par exemple, est un simple moyen d'assurer cette fonction.

2. Les créations blockchain, l'ombre du Bitcoin. Non seulement les définitions proposées de la blockchain ont tendance à adopter le prisme exclusif de la blockchain publique, mais plus encore c'est l'empreinte laissée par l'avènement du Bitcoin qui semble avoir marqué les esprits. Cependant, a notre sens c'est prendre un raccourci néfaste que d'affirmer que « Les teneurs de registres sont appelés des mineurs270 » ou que « le système de décalage aléatoire est appelé « preuve de travail271 » ». Ces illustrations des principes généraux de la blockchain qui usent des particularités de la plus célèbre d'entre elles, le Bitcoin, présentent le risque d'installer une confusion dans les esprits. En effet, des notions telles que « le minage » ou la « preuve de travail » peuvent, certes, constituer une certaine norme en matière de cryptomonnaie272. Toutefois, ces mécanismes sont bien souvent hors sujet quand il est question d'application juridique, et non cryptofinancière, de la blockchain. Pour une vulgarisation moins orientée Bitcoin de la notion de blockchain, il faudrait s'en tenir à dire que toutes les blockchains ont besoin d'un algorithme de consensus quel qu'il soit et que potentiellement cet algorithme suppose une pratique telle que le minage273 de Bitcoin. Mais s'il fallait anticiper le futur nous dirions que jamais les notaires de France n'exploiteront de blockchain assise sur la « proof of work », et pour cause ce modèle est l'apanage des blockchains publiques (pensée pour se passer d'eux) là ou une blockchain privée servirait éminemment mieux la vocation de cette profession274.

Il faut souligner l'embarras du choix qui existe en termes d'algorithme de consensus pour de futurs projets blockchain275. Cet algorithme est d'ailleurs plus qu'un simple rouage. À propos de la fonction de l'élaboration du consensus au sein de la technologie blockchain, Laurent LELOUP écrit que « C'est d'ailleurs de cet algorithme que dérivent la plupart des propriétés du registre distribué276 ». On peut en conclure que c`est parce qu'il a été pensé en

269Ibid.

270Barbara THOMAS-DAVID et Jean-Luc GIROT, « La blockchain expliquée autrement - Libres propos par Barbara Thomas-David et Jean-Luc Girot », La Semaine Juridique Notariale et Immobilière, LexisNexis, n° 2122, 25 mai 2018, act. 480, p. 2.

271Ibid.

272Précisions que même en ce domaine le petit frère de Bitcoin, Ethereum, à déjà signifié son ambition de passer de la preuve de travail à la preuve d'enjeu en raison du coût énergétique exponentiel décrié de cette méthode de consensus.

273Le « minage » de Bitcoin consiste à se procurer un coûteux matériel informatique afin de mettre sa puissance de calcul au service de l'élaboration du consensus sur le réseau Bitcoin. Les mineurs concourent les uns contre les autres pour trouver la réponse à un casse-tête informatique (il s'agit d'ajouter des données à un bloque jusqu'à ce que le passage de ce dernier dans la fonction de hashage donne un hash commençant par une série de zéros). Plus la puissance de calcul mondial augmente plus le réseau Bitcoin exige que les hash de ses bloques commence par plus de zéro. Cette augmentation artificielle de la difficulté du minage a pour but d'empêcher un mineur ou une coalition de mineurs de s'emparer du consensus en fournissant la majorité des block. Cette sécurité est renforcée par le nombre de mineurs croissant, attirés par la récompense en Bitcoin pour celui qui fournit le premier un block valide.

274Voir infra, Chap. 2, pour un développement de la distinction blockchain privé, blockchain publique et une analyse de leurs potentielles dans le milieu juridique.

275Pour préserver la cohérence collective du registre, les solutions via différent algorithme de consensus sont légion. Pour un tour d'horizon des consensus, voir Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. Cit., p. 98.

276Laurent LELOUP, « Blockchain, la révolution de la confiance », op. cit., p. 92.

considération des propriétés nécessaires à l'élaboration des systèmes de crypto monnaie que l'algorithme de consensus via la preuve de travail est difficilement transposable dans d'autres matières. Dès lors, on ne peut que recommander aux juristes d'adopter une définition plus générale de la blockchain en mettant de côté ce particularisme du Bitcoin qui ne nous sera d'aucuns secours.

Pour notre projet par exemple il est souhaitable que nous concluions cette définition générale en nous concentrons sur les propriétés communes à toutes les blockchains plutôt qu'a leurs différentes pièces détachées. Pour certains, la force de la blockchain réside dans le fait qu'elle permette « d'attester de manière irréfutable et datée le moment où a été effectuée une transaction : il s'agit d'une technologie d'horodatage généralisée277 ». Ajoutons l'éloge de son immutabilité : « il est impossible de modifier ou de supprimer des écritures278 », et on tient un portrait fidèle de cette technologie. Demandons-nous à présent si nous voulons tailler notre registre des sûretés mobilières de ce bois-là, l'essence de la blockchain se pliera-t-elle à nos objectifs sans se rompre ?

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard