Les agents immobiliers et le blanchiment des capitaux en afrique centralepar Mariette POKAM MAKOUPPO TAJOUO Université de Dschang - Master 2020 |
Paragraphe 2 : L'indispensable dilution du secret professionnelL'agent immobilier agit par mandant, le mandant peut inclure une obligation au secret pendant la relation d'affaire. S'il est indéniable que l'agent immobilier n'est pas tenu au secret professionnel, il est néanmoins soumis à un devoir de discrétion114 qui porte sur les confidences que lui sont faites par son client. L'obligation de déclaration de soupçon et l'obligation à la discrétion peuvent coexister pacifiquement. D'ailleurs, en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux l'obligation de déclaration doit primer sur ce secret (A), 110 Art. 18 du Règlement CEMAC de 2016. 111 Selon l'article 17 du Règlement de 2016, le prix de vente d'un bien immobilier dont le montant est supérieur à trois millions de francs CFA ne peut être acquitté qu'au moyen d'un virement ou d'un chèque. 112 Dans un arrêt du 31 mars 2004, le Conseil d'Etat avait considéré que la déclaration de soupçon s'impose dès lors qu'après avoir exercé son devoir de vigilance et recueilli les informations nécessaires prévues par les textes, l'assujetti ne peut pas exclure que les sommes proviennent pas d'un délit. 113 TSOBGNI DJOUMETIO (N. L.), Les banques et la mise en oeuvre du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux au Cameroun et en France. Thèse de doctorat en droit pénal et sciences criminelles, Université de Strasbourg, 2015, p.165. 114 Qui dans une certaine mesure peut être considéré comme le secret professionnel au sens plein du terme. Car la confidence est faite dans le cadre de l'exercice de la profession. 50 ceci pour assurer une sécurité aux agents immobilier et les inciter à une déclaration accrue (B). A- La primauté de l'obligation de déclaration sur le devoir de discrétion de l'agentimmobilier L'agent immobilier, en plus des obligations qui pèsent sur lui dans le cadre de sa profession, a d'autres obligations en matière de lutte contre le blanchiment, qui concerne la dénonciation de tout fait dont il aurait connaissance et en raison de sa profession ; il est tenu de déclarer toutes les sommes ou transactions suspectes. L'agent immobilier est en réalité soumis à un devoir de discrétion qui porte sur les confidences qui lui sont faites par son client ou des informations personnelles qui lui sont confiées à titre confidentiel. Ce devoir devra être assumé tout en respectant l'obligation d'information et de loyauté qui pèse sur l'agent. Il doit informer les autorités des informations nécessaires relatives aux biens pour lequel il intervient. A cet effet, le tribunal de 1ère instance de Bruxelles indique dans un jugement du 8 mai 2006115 que « l'agent immobilier doit se comporter comme tout professionnel de la même spécialité normalement prudent et diligent et ne peut méconnaitre les intérêts légitimes des tiers. Il doit informer les tiers sur les caractéristiques du bien, ce qui pourrait déterminer son consentement »116. En effet, si l'obligation de l'agent immobilier est dissoute face aux informations qu'il est tenu de donner à l'acquéreur des biens qu'il a reçu la charge de vendre, ce devoir est encore plus dissout en matière de dénonciation de toutes transactions suspectes telle que posé par les dispositions anti-blanchiment. Le législateur communautaire fait obligation aux agents immobiliers de dénoncer toute transaction ou toutes les sommes qu'ils soupçonnent provenir d'une activité criminelle117. Le devoir de discrétion et l'obligation de dénonciation ne sont cependant pas incompatibles. Ils sont au coeur d'un conflit entre deux intérêts contradictoires : d'une part l'impératif de sécurité118 et d'autre part, la préservation des droits et libertés fondamentaux de 115 RGDC 2006, p. 438. 116 https://www.pim.be/. 117 Voir les dispositions de l'article 83 du Règlement CEMAC de 2016. 118 Qui provient de la règlementation anti-blanchiment, qui oblige une lutte contre le crime organisé par tous les moyens préventifs et répressifs. 51 l'individu par le respect de sa sphère individuelle119. Le premier impératif commande d'associer au dispositif de lutte contre le crime financier les professionnels dont les activités sont particulièrement susceptibles d'être utilisées à des fins criminelles. Le législateur CEMAC ayant opté pour la participation des professionnels à la lutte, prône ainsi la primauté de l'obligation de déclaration de soupçon des opérations et sommes suspectes. Cette obligation n'éteint pas le devoir de discrétion qui demeure effectif pour des questions bien déterminées. Il s'agit par exemple de l'existence d'une procédure judiciaire ou lors de l'évaluation de la situation juridique d'un client120. En fin, selon l'article 101 du Règlement CEMAC, le secret professionnel ne peut être invoqué par les assujettis pour refuser de fournir les informations aux autorités de contrôle ainsi qu'à l'ANIF ou de procéder aux déclarations prévues par le Règlement121. De même les agents immobiliers sont tenus à un devoir de confidentialité vis-à-vis de leurs clients, ceci concerne l'interdiction faite de porter à la connaissance du propriétaire des sommes ou de l'auteur de l'une des opérations induisant une déclaration, l'existence et le contenu d'une déclaration faite à l'ANIF et de donner des informations sur les suites qui ont été réservées à ladite déclaration122. Il y apparait clairement que face à toute opération suspecte, la discrétion du professionnel de l'immobilier doit prendre du recul. Car sa responsabilité est en jeu en cas d'omission ou de défaut de diligence de ses obligations déclaratives. Mais aucune poursuite ne peut être engagée pour violation du secret professionnel123 ceci pour encourager les agents immobiliers à dénoncer davantage les soupçons. |
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