La modernisation des moyens de paiement et la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme en zone CEMAC.par Didi Stéphane YONDJE SITCHEDIE Université de Yaoundé 2 - Master professionnel en droit de la banque de la microfinance et les assurances 2017 |
INTRODUCTION GENERALE :Le 11 Septembre 2001, les Etats Unis d'Amérique sont frappés par l'attentat terroriste le plus meurtrier, jamais commis sur le sol américain. Cet acte criminel, qui fait environ 3000 victimes, et qui est revendiqué par le groupe terroriste Al QUAEDA1, marque un tournant dans la lutte contre le Blanchiment d'argent sale et le financement du terrorisme. En effet, depuis cette tragédie, le mode de traitement de la criminalité transfrontalière a connu de nombreux changements. On note à ce titre, la révision en Juin 2003 des Quarante recommandations du GAFI2, qui en renforce les dispositions relatives à la lutte contre le financement du terrorisme. Déjà en 2001, lors de sa réunion tenue à Washington les 29 et 30 octobre, le GAFI décidait de reformuler son mandat en modifiant sa mission pour l'étendre aux missions de lutte contre le financement du terrorisme. A cet effet, huit recommandations spéciales ont été adoptées demandant, entre autres, à chaque État d'incriminer le financement du terrorisme, de se donner les moyens de geler, saisir et confisquer les « avoirs terroristes », de veiller à ce que les transactions suspectes liées au terrorisme soient déclarées et d'encourager la coopération internationale. Le blanchiment et le financement du terrorisme constituent désormais « un couple indissociable », comme l'affirme Gilles Favarel-Garrigues3 1 Al QUAEDA : Organisation terroriste fondée en 1987 par le cheikh Abdullah Yusuf AZZUM et son élève Oussama Ben Laden. Entre 2004 et 2008, on compte plus de 313 attaques à son actif. 2 LE GAFI : désigne le Groupe d'Action Financier International. C'est l'organisme international, crée en 1989 lors du sommet du G7 à Paris, qui est chargé de superviser et de coordonner les politiques de luttes anti-blanchiment et de financement du terrorisme à l'international. 3 Gilles Favarel-Garrigues est le Directeur de recherche du Centre National de Recherche Scientifique de France. Et du Centre de recherches internationales à Paris. Il est docteur en science politique et auteurs de plusieurs Articles parmi lesquels L'évolution de la lutte anti-blanchiment depuis le 11 septembre 2001, paru dans la revue scientifique Critique internationale n°20 - juillet 2003. Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi Stéphane 8 | P a g e Thème : La modernisation des moyens de paiement et le dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en zone CEMAC C'est dans un souci d'arrimage de la sous-région Afrique Centrale à cette nouvelle exigence du GAFI, que les leaders communautaires de la zone CEMAC se sont à leur tour, engagés dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. A cet effet, on a pu relever aussi bien, la mise sur pieds d'un ensemble d'institutions communautaires chargées de la coordination de cette lutte (comme le GABAC en 2002 et l'Anif en 2005), en même temps qu'un cadre réglementaire était mis sur pied. Le 17 Mai 2014, une conférence internationale est organisée à Paris, sur le thème de la Sécurité au Nigéria. Y prennent part, les Chefs d'Etat du Bénin, du Cameroun, de la France, du Nigéria, du Niger et du Tchad, ainsi que les représentants des Etats-Unis, du Royaume Uni et de l'Union Européenne. Cette rencontre au sommet, qui regroupe aussi bien les dirigeants des grandes puissances occidentales et les chefs d'Etats des pays du bassin du Niger4, est la première du genre à se tenir sur le terrorisme en Afrique et témoigne de la préoccupation des dirigeants du monde, à endiguer ce phénomène, qui est portée dans cette région du monde par le groupe terroriste BOKO-HARAM5. Les conclusions de ces travaux, posent les bases d'une réponse militaire sur le théâtre des opérations, et prône une coopération entre les différents Etats, à travers les échanges de renseignements de leurs services de sécurité respectifs. Déjà les participants à ce sommet ont pris conscience de la nécessité d'apporter une réponse commune à un problème transnational6. C'est ce qui a amené le président camerounais Paul BIYA, à affirmer lors de son discours aux corps diplomatiques, à l'occasion de la présentation des voeux le 08 Janvier 2015 que : « A menace globale, riposte globale ». Cette déclaration, interviens un an après l'entrée officielle en guerre, du Cameroun contre la secte terrorisme Boko-Haram, qui à ce moment, occupe déjà le nord-est du Nigéria et ambitionne d'y implanter un « KHALIFAT ISLAMIQUE »7. Quelques années plus tard, en Avril 2018, un autre sommet de haut niveau est organisé sous l'égide du président français Emmanuel MACRON, sous le thème « NO MONEY FOR TERROR8 ». Cette conférence, à la différence de celle de 2014, se focalise sur la lutte contre le financement du terrorisme et ambitionne de trouver des voies et moyens pour assécher les sources de financement des organisations terroristes. Cette conférence a le mérite d'établir le lien très étroit qui existe entre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux. En effet, le président français ne se trompe 4 Le bassin du Niger est le 4e plus grand bassin d'Afrique, après ceux du Congo, du Nil et du lac Tchad. Il couvre une superficie de 2 262 000 km2 et s'étend, en Afrique de l'Ouest, sur les pays suivants : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Nigeria, Tchad. ( Https://fr.wikipedia.org/wiki/bassin_du_niger) 5 Boko Haram est un mouvement insurrectionnel et terroriste d'idéologie salafiste djihadiste, originaire du nord-est du Nigeria et ayant pour objectif d'instaurer un califat et d'appliquer la charia. Formé en 2002 à Maiduguri par le prédicateur Mohamed Yusuf, le groupe est à l'origine une secte qui prône un islam radical et rigoriste, hostile à toute influence occidentale. ( Https://fr.wikipedia.org/wiki/boko_haram) 6 En effet, on relève les exactions du groupe terroriste Boko Haram, dans au moins quatre pays africains (Nigéria, Cameroun, Tchad, Niger). 7 Un califat ou khalifat désigne le territoire et la population musulmane qui y vit reconnaissant l'autorité d'un calife, littéralement « un successeur », dans l'exercice politique du pouvoir. Ce mot sert aussi à désigner le régime politique lui-même et la période pendant laquelle il s'exerce, ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Califat). 8 La conférence de Paris sur la lutte contre le financement du terrorisme, a connu la participation de 72 Etats et organismes internationaux, et s'est focalisée autour de la nécessité d'assécher les sources de financement du terrorisme international, cette fois différemment de ce qui avait déjà été fait jusque-là. Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi Stéphane 9 | P a g e Thème : La modernisation des moyens de paiement et le dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en zone CEMAC pas, lorsqu'il décide d'orienter cette rencontre sur les sources de financement du terrorisme et particulièrement sur les moyens modernes de paiement, dont l'impact n'est pas efficacement pris en comptes dans l'élaboration des diverses politiques de lutte contre le financement du terrorisme. Cette lutte, tant au niveau national qu'au niveau international, a évolué au fil des années avec une efficacité relative que Peter NEUMANN, directeur de l'institut de recherche du Kings Collège de Londres, qualifie de « gaspillage de temps et de ressources »9. Il soutient que, la surveillance des comptes, l'établissement des listes noires et la saisie des actifs, qui constitue l'essentiel des méthodes de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme à ce jour, ont été établie sans tenir compte du mode de fonctionnement des terroristes10. En le disant, Peter NEUMANN comme beaucoup d'autres chercheurs, touche du doigt, l'une des causes de l'inefficacité du dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Le GABAC, prenant la mesure du problème, organisait entre Juin et Août 2017, deux séminaires à l'effet de se pencher tout d'abord, sur la question du financement du terrorisme en Afrique centrale, qui est un fléau en pleine croissance dans la sous-région, mais aussi et ensuite sur la lutte contre le blanchiment d'argent, au regard de la modernisation des moyens de paiement. En effet, c'est partant du constat selon lequel, les banques, les établissements de microfinance (EMF) et les opérateurs de téléphonie mobile ont introduit, au cours de la dernière décennie, des innovations sur les plans technologique et organisationnel afin de renforcer l'inclusion financière des populations n'ayant pas accès aux produits financiers dans la Sous-région. Et considérant l'arrivée, dans les secteurs bancaires et financiers, de la monnaie électronique, matérialisée les Nouveaux moyens de paiements (NMP), que le GABAC a jugé important, de s'arrêter un moment afin de se pencher sur la question de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme à l'ère du numérique. Dès lors, le constat de l'obsolescence du dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, au regard de l'introduction des nouveaux moyens de paiement a été établi. Il nous est donc apparu intéressant, de nous interroger sur le point de savoir, si le dispositif de lutte anti-blanchiment et du financement du terrorisme est à la hauteur des défis de protection des circuits bancaires et financiers à l'ère de la modernisation des moyens et instruments de paiement en zone CEMAC ? Cette question revêt un triple intérêt :
D'abord, elle revêt un intérêt 9 Peter Neumann considère que l'inadéquation des méthodes de lutte contre le terrorisme, transforme tous les efforts de la communauté internationale en perte de temps et d'argent. Conférence de lutte contre le financement de Daech et d'Al-Qaïda Dossier de presse FR 23 -04 - 2018 10 En effet, la grande majorité des fonds des terroristes ne transite jamais par des comptes bancaires. Leur argent provient de dons, rackets et trafics dans des pays, Syrie, Afghanistan, Irak, etc., où presque toute la population ne travaille qu'en cash et, quand un virement international se révèle indispensable, passe par le système hawala très répandu au Proche Orient et extrêmement opaque. Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi Stéphane 10 | P a g e Thème : La modernisation des moyens de paiement et le dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en zone CEMAC Ensuite, cette problématique revêt aussi un intérêt économique, dans la mesure où les Nouveaux Moyens de Paiement, s'ils constituent un facteur de risque du point de vue de la lutte contre le blanchiment d'argent et du financement du terrorisme, il reste que ceux-ci sont venu permettre l'accès aux services bancaires de bases, aux populations en marge du circuit bancaire traditionnel, qui constitue environ 60% de la population active dans la sous-région. Enfin, on pourrait y trouver un intérêt socio-politique. En effet, force est de constater que, les Etats dans lesquels sévissent le blanchiment de capitaux, et dans lesquels sont établis des organisations terroristes, souffrent généralement d'une instabilité politique, due à la pression exercée par ces fléaux sur leur population. Aussi, pour une bonne analyse de notre problématique, notre contribution va s'organiser autour d'un plan en deux parties, dont la première traitera de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, à l'ère du numérique (1ère Partie), et la seconde, sera consacrée à la nécessaire adaptation du dispositif communautaire de lutte anti-blanchiment et du financement du terrorisme, au nouvel environnement des paiements dans la sous-région (2nde Partie). Mémoire rédigé et YONDJE SITCHEDIE Didi Stéphane 11 | P a g e Thème : La modernisation des moyens de paiement et le dispositif communautaire de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en zone CEMAC |
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