2.3. ÉVOLUTION DE LA TRANSMISSION DES LANGUES
ENTRE LA GÉNÉRATION DES GRANDS-PARENTS ET CELLE DES PARENTS
Dans cette partie, nous comparons le pourcentage de
transmission des langues premières entre la génération des
grands-parents et celle des parents.
Les soixante-douze parents enquêtés ont
déclaré avoir transmis à leurs enfants en situations de
monolinguisme, les langues véhiculaires à 41,67% et les
vernaculaires à 30,56%. Les situations de bilinguisme et de
trilinguisme
45
s'élèvent à 27,78% ; alors que ces
mêmes parents avaient pour langues premières, les
véhiculaires à 25% et les vernaculaires à 72,22% selon
leurs déclarations.
À la première génération, celle
des grands-parents, le lingala était transmis à 20,83%, tandis
que dans celle des parents il l'est à 27,78%, soit 6,94% de plus.
Le gangoulou qui était la langue la plus transmise dans
la génération des grands-parents avec un pourcentage
énorme (63,89%) fait une chute libre et passe à 25% à la
génération des parents après le lingala. En d'autres
termes il perd ses 38,89% de transmission.
Le français passe de 2,78% à 13,89%, soit, une
augmentation de 11,11%.
De la première à la deuxième
génération, le mbochi passe de 5,56% à 4,17%. Soit un
recul de 1,39%.
Les cas de bilinguisme qui n'étaient
représentés qu'à 2,78% chez les grands-parents,
apparaissent chez les parents à 25%, soit une augmentation de 22,22%.
Les cas de trilinguisme font également leur apparition à
2,78%.
Le boma, le moyi et le kituba qui avaient 1,39% chacun
à la génération des grands-parents, ne sont plus
exclusivement transmis à celle des parents, mais apparaissent
plutôt dans des cas de bilinguisme constitués d'une langue
véhiculaire et une langue vernaculaire, puis de deux langues
véhiculaires.
Toujours dans la deuxième génération, on
note l'apparition du laari dans la transmission en cas de monolinguisme
(1,39%), de l'anglais et de l'akwa dans des cas de bilinguisme et de
trilinguisme.
Pour mieux visualiser les résultats, nous les
présentons dans le tableau suivant :
46
|
Langues
|
Statuts
|
1ère
génération
(grands- parents)
|
2ème
génération (parents)
|
De la 1ère à la
2ème génération
|
Recul
|
Hausse
|
|
|
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Eff
|
%
|
Monolin guisme
|
Lingala
|
Véh
|
15
|
20,83
|
20
|
27,78
|
|
|
5
|
6,94
|
Gangou- lou
|
Ver
|
46
|
63,89
|
18
|
25
|
28
|
38,89
|
|
|
Français
|
Véh
|
2
|
2,78
|
10
|
13,89
|
|
|
8
|
11,11
|
Mbochi
|
Ver
|
4
|
5,56
|
3
|
4,17
|
1
|
1,39
|
|
|
Boma
|
Ver
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
|
|
Moyi
|
Ver
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
|
|
Kituba
|
Véh
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
|
|
|
Laari
|
Ver
|
0
|
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
Bilinguis me
|
Lin+gan
|
Véh+ver
|
1
|
1,39
|
8
|
11,11
|
|
|
16
|
22,22
|
Lin+fra
|
Véh+véh
|
|
|
4
|
5,55
|
|
|
lin+bom
|
Véh+ver
|
|
|
2
|
2,77
|
|
|
Lin+mbo
|
Véh+ver
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Lin+ték
|
Véh+Ver
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
fra+kit
|
Véh+véh
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Fra+ang
|
Véh+véh
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Mbo + moy
|
Ver+ver
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
Trilingui sme
|
Lin+gan +fra
|
Véh+ver +véh
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
Lin+mbo +akw
|
Véh+ver +ver
|
|
|
1
|
1,39
|
|
|
|
|
Total
|
|
|
72
|
100
|
72
|
100
|
29
|
40,28
|
29
|
40,27
|
Tableau 13 : Comparaison des langues transmises entre
la génération des grands-parents et celle des parents
47
Nous constatons une grande différence et un grand
écart dans la transmission des langues entre les deux
générations. Lorsque les parents étaient enfants, leurs
parents (grands-parents par rapport à la génération des
enfants) leur avaient hautement transmis les langues vernaculaires. Plus le
temps passe et suite à diverses raisons que nous verrons dans le
chapitre 4, la tendance a complètement basculé.
Autrefois, avant la tendance actuelle de l'émergence
des langues véhiculaires comme langues premières (L1) chez les
enfants dans les certains centres urbains, particulièrement à
Gamboma, les langues vernaculaires étaient plus transmises que les
langues véhiculaires avec un écart considérable de
trente-quatre points, soit 47,22%. Actuellement, les langues
véhiculaires prennent le relais et sont plus transmises que les
vernaculaires avec un écart de huit points, soit 11,11%. Aujourd'hui cet
écart n'est peut-être pas énorme, dans l'avenir, avec
l'allure où vont les choses il pourrait être accentué et
causer avec le temps l'extinction des langues vernaculaires.
Quand nous avons posé aux enfants (de la
troisième génération par rapport à celle des
grands-parents) la question de savoir quelle(s) langue(s)
souhaiteraient-ils transmettre à leur tour à leurs enfants,
la majorité (quatre-vingt-quatre sur cent-trois) ont
déclaré souhaiter transmettre les langues véhiculaires (y
compris l'anglais et l'espagnol en tant que langues
préférées, soit 0,98% chacun) à 82,35%, et les
vernaculaires à 5,88% seulement. Le pourcentage de ceux qui souhaitent
transmettre à la fois deux langues véhiculaires est de 5,88% ;
une langue véhiculaire plus une vernaculaire est de 3,92% ; 1,96% est le
pourcentage de ceux qui souhaitent à la fois trois langues, soit deux
véhiculaires plus une vernaculaire.
Le constat fait est que des 82,35% des langues
véhiculaires que ces enfants de la dernière
génération envisagent transmettre, le français à
lui seul
48
représente 69,61%, le lingala 10,78%, le gangoulou
3,92%, le mbochi et le téké 0,98% chacun.
En deux générations (celles des grands-parents
et des parents), nous observons un grand changement dans la transmission des
langues. Nous sommes passés de la dominance des langues vernaculaires
à celle des langues véhiculaires.
Si la génération des enfants arrive à
réaliser ses souhaits, alors dans l'avenir, ce ne sera plus le statut de
langue véhiculaire nationale qui dominera comme facteur dans le
choix de la transmission des langues, mais plutôt le statut de langue
officielle. La langue officielle exercera sa suprématie
sur les langues véhiculaires nationales. Ceci vient appuyer la
tendance générale selon laquelle :
« Il y a donc en ville..., une baisse sensible de la
« production linguistique » vernaculaire qui entraîne tout
naturellement le ralentissement puis l'arrêt du développement de
la langue vernaculaire, du fait que le « le procès de reproduction
» n'est plus assuré... » ; « Dans un deuxième
temps, le développement des langues véhiculaires et des
koinè se trouve confronté au poids de la langue française.
Celle-ci étant la seule à jouer la fonction de communication dans
toutes les activités officielles, se trouve être la seule à
avoir un statut élevé, à jouir de tout le prestige
dans la société. Et le poids de la domination
socioculturelle, économique et politique aidant, la langue officielle se
trouve être la langue dominante, et les langues véhiculaires les
dominées.28 »
28 Ndamba, Josué, « Des
véhiculaires aux vernaculaires à Brazzaville : la ville et les
changements de fonctions linguistiques », in Le
plurilinguisme urbain, actes du colloque de Libreville "Les villes
plurilingues" (25-29 septembre 2000), Calvet, L-J. &
Moussirou-Mouyama, A., Institut de la Francophonie, Diffusion Didier Erudition,
Paris, 2000, p.p.142-143.
49
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