v La protection de certains secteurs
d'activité
Le patriotisme économique se manifeste également
lorsqu'il s'avère nécessaire de protéger des secteurs
d'activité dont la « survie », menacée par la
concurrence étrangère, paraît indispensable. Cette
protection s'inscrit également dans la logique du « don et du
contre-don », visant à maintenir la cohésion de la
nation. L'exemple le plus caractéristique est sans doute celui de
l'agriculture en France. Pour des raisons de sécurité
économique, analysées dans la première partie, ce secteur
a bénéficié de mesures de soutien, dès 1892, avec
les lois Méline, qui ont instauré une protection contre les
importations étrangères à bas prix. À la
différence de la Grande Bretagne, qui a préféré
établir, dans ce domaine, le libre-échange afin que le pays
puisse bénéficier d'un approvisionnement alimentaire au
coût le plus faible possible, il a été demandé aux
citoyens, en France, de faire preuve de patriotisme économique en
soutenant leur agriculture, considérée comme une activité
fondamentale. Ce soutien s'inscrit dans la logique du « don et du
contre-don » dans la mesure où ce secteur d'activité,
avec ses gains de productivité, était à l'origine d'une
relative prospérité et avait rendu possible la révolution
industrielle dans ce pays. La protection des riziculteurs, au Japon, contre les
importations de riz américain relève de la même logique. De
nombreux autres secteurs industriels dans le monde, comme cela a
été rappelé dans la première partie, ont aussi
bénéficié, dans cette optique du « don et du
contre-don », de fortes protections, notamment en périodes de
crises économiques.
C'est dans le cadre de ce patriotisme économique,
visant à assurer une société plus juste, et se traduisant
notamment par l'instauration de systèmes de protection sociale, que
s'inscrit le refus, par certains États, de s'intégrer ou de
renforcer leur intégration dans une union régionale,
entraînant des contraintes dans leurs choix de politique
économique. C'est le cas du rejet de l'Euro par la Suède. Les
Suédois, dans leur ensemble, ont estimé que les contraintes,
inévitables dans le cas d'une monnaie unique, risquaient de compromettre
leur système de protection sociale. La renonciation par nombre de
citoyens suédois aux avantages indiscutables apportés par l'Euro,
peut être considérée comme un contre-don, qu'ils ont fait
à l'ensemble de leur collectivité nationale, afin de garantir,
dans leur esprit, une société plus juste et mieux
organisée, dont ils ont déjà
bénéficié. Par ailleurs, les États européens
ont tenu, au sein de l'Union européenne, à préserver la
spécificité de leur système de protection sociale en
adoptant la règle de l'unanimité pour l'adoption de directives
communautaires dans ce domaine ou dans celui de la fiscalité, dont
l'autonomie est indispensable pour assurer la pérennité d'une
politique sociale. Le coût de la « non-Europe »,
supporté par certains acteurs nationaux peut aussi être
considéré comme un contre-don permettant le maintien d'un
système social, dont les membres de la collectivité ont
bénéficié.
Le patriotisme économique orienté vers la
protection de l'environnement, dans un pays ou au sein d'une région
régionale, devrait contribuer globalement à réduire le
volume de pollution au niveau de la planète, même si certains pays
en développement sont réticents à adopter des mesures
comparables à celles des pays développés. De plus, le
patriotisme économique, tel que nous l'avons envisagé dans le
cadre de la protection de l'environnement, a pour objectif, de montrer à
l'ensemble des acteurs du monde, selon les termes de Durkheim, que le pays, qui
le pratique, est « mieux organisé » que les autres,
car il se montre plus efficace que les autres à mettre en oeuvre une
stratégie de protection de l'environnement. Ce pays, animé par un
fort sentiment de patriotisme économique, serait susceptible de servir
d'exemple aux autres pays, à l'instar de l'Allemagne et des pays du Nord
de l'Europe, qui ont largement influencé les directives
européennes et les législations nationales de l'Union
européenne dans ce domaine.
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