4.6 Le patriotisme
économique : un instrument de la puissance industrielle et
commerciale
Le développement des pôles de
compétitivité, la préservation d'entreprises liées
à la nation et l'éclosion des industries d'avenir constituent le
socle de toute stratégie de puissance industrielle et commerciale.
v Le développement des pôles de
compétitivité
Dans son ouvrage La concurrence selon
Porter (1999), Porter propose une théorie de la
compétitivité nationale publique et locale dans le contexte d'une
économie mondialisée. Cette théorie considère que
les grappes « regroupements géographiques
d'entreprises liées entre elles et d'institutions associées
(services publics, universités, centres de
recherches) » mettent en oeuvre les logiques de
réseaux, seules capables de porter l'innovation et donc de
générer de la croissance. Le concept de grappes fait
apparaître un nouveau rôle pour l'État qui n'est plus un
État producteur mais un État stratège et partenaire au
service du développement.
Cette politique de pôles de compétitivité
est mise en oeuvre sous des formes et des niveaux très variés
dans de très nombreux pays. Elle paraît beaucoup moins performante
en Europe qu'aux États-Unis. Elle émerge en Chine avec les
« centres d'innovation », structures regroupant chercheurs
et entreprises dans le but de favoriser le transfert des résultats de la
recherche vers l'environnement économique. En France, elle
apparaît de plus en plus comme une politique d'impulsion au
développement durable, comme le montre la mise en place d'un nouveau
pôle de compétitivité pour l'aéronautique et le
spatial (ASTech) plus respectueux de l'environnement.
v La préservation des entreprises et des
activités liées à la nation
La volonté de favoriser l'émergence de champions
nationaux dans les secteurs d'avenir, comme c'est le cas aux États-Unis
et en Chine. Le gouvernement chinois, dans sa volonté de créer
des champions nationaux, susceptibles de concurrencer les multinationales
étrangères, accorde des aides aux groupes leaders, notamment en
prenant des mesures pour faciliter les prises de contrôle d'entreprises
étrangères par les sociétés chinoises. Au sein de
l'Union européenne, chaque pays favorise la constitution de grands
conglomérats financiers, associant activités bancaires et
assurance. Ces champions nationaux ont reçu, pour mission implicite de
leur gouvernement, de maintenir des centres de décision
considérés comme stratégiques en matière
financière sur le territoire national. Fondamentalement, la constitution
de champions nationaux est en rupture avec la politique de concurrence de la
Commission européenne qui vise au contraire à réduire les
aides publiques aux entreprises.
L'instauration d'un » Small Business
Act » permettant de garantir plus de commandes publiques aux PME
et d'accélérer la recherche-développement et l'innovation
dans ce type d'entreprises. Aux États-Unis, le Small Business
Act réserve un pourcentage significatif des marchés
publics, civils et militaires aux PME américaines ;
Le maintien sur le sol national des centres de décision
majeurs et la maîtrise d'activités et d'entreprises sensibles,
indispensables à la préservation de la capacité de
décision de l'État (Delbecque, 2008). Ce qui apparaît
décisif aujourd'hui pour un État, c'est d'attirer, dans le pays,
des centres de décision économiques et de conserver ceux qui y
sont implantés de longue date. Cet objectif s'avère essentiel
pour l'indépendance et la sécurité nationale mais
également pour le développement de l'emploi. Les activités
de recherche et de développement se situent souvent dans le même
lieu que le siège de l'entreprise.
La mise en oeuvre du patriotisme économique peut
être réexaminée dans l'optique de l'économie du don
et du contre-don, développée par Marcel Mauss (1923-24), à
propos des sociétés archaïques, mais appliquée
également aux sociétés contemporaines (Chanial, 2001,
2008a,). Dans son Essai sur le don, Marcel Mauss explique que le
don implique pour les acteurs une triple obligation qui assure la
cohésion de la société dans son ensemble : obligation
de donner, de recevoir et de rendre. Les individus, qu'ils appartiennent
à des tribus ou des clans, au sein des sociétés
archaïques, ou qu'ils vivent dans une société moderne,
tissent ainsi, grâce au don, des relations durables et ne laissent pas le
marché réguler, seul, l'ensemble de leurs relations. Les acteurs
se placent volontairement en dehors des relations marchandes, car le don ou le
contre-don ne s'inscrit pas dans la perspective d'un échange marchand,
même si chaque partenaire, tour à tour, donateur et donataire, se
doit de déterminer l'importance du don et du contre-don, en
évitant tout écart susceptible de froisser ou de
mécontenter l'autre partie.
Dans les sociétés contemporaines des pays
développés, un individu, dès sa naissance, reçoit,
de sa famille ou de la collectivité à laquelle il appartient, de
nombreux dons : éducation, protections
diverses, etc.. Certains de ces « dons »,
comme l'éducation, lui sont d'ailleurs imposés par la
société, et il ne peut les refuser. Tout individu
bénéficie, en outre, de dons sous la forme d'une protection
constante que lui apporte la société, quels que soient le niveau
et le domaine concerné. En retour, dans la logique maussienne du
contre-don, chacun doit se montrer solidaire vis-à-vis de sa famille, de
ses proches, ainsi que de la collectivité qui l'entoure. Cette
solidarité se manifeste notamment à travers
le « patriotisme
économique » dont chaque individu est invité
à faire preuve. Il devra, au plan économique, privilégier
et protéger les intérêts économiques de ses proches,
de la collectivité ou des autres membres de la nation à laquelle
il appartient, au détriment parfois de ses propres
intérêts. Ce contre-don, qui s'exprime ainsi à travers le
patriotisme économique, prendra des formes matérielles ou
immatérielles très diverses : participer au financement
des dépenses d'éducation ou de santé concernant les
membres de sa collectivité, soutenir l'activité économique
des siens en achetant leur produit, leur apporter une assistance technique en
consacrant une partie de son temps, etc.. Ces obligations
concernent même les organisations, comme les entreprises ou les
associations qui affectent volontairement des ressources à des actions
de solidarité.
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