INTRODUCTION GÉNÉRALE
2
Les changements politiques intervenus depuis 1990 ont
donné, au sujet de la gouvernance en Afrique, une dimension
renouvelée en raison essentiellement des mutations juridiques touchant
l'intégrité de la Constitution1. L'histoire
constitutionnelle des États africains indépendants a
été particulièrement mouvementée et ressemble
à un parcours difficile et tortueux. C'est dans un contexte social,
culturel, économique et politique diversifié que le
constitutionnalisme africain a été confronté à la
problématique de son émergence, de son élaboration, de sa
réactualisation et de sa légitimation2. L'idée
de mettre sur pied une Constitution était au coeur du fonctionnement des
systèmes démocratiques qui suppose non seulement, dans chaque
État, l'adoption d'une Constitution placée au sommet de la
pyramide des normes, mais aussi la mise en place des dispositifs
institutionnels garantissant le respect de cette Constitution. Cette
Constitution apparait, par sa stabilité et son caractère
solennel, comme la meilleure protection contre les décisions arbitraires
et excessives des gouvernants, en même temps elle promeut un ordre
légitime universel.
Vers les années 1990, sous la poussée multiforme
des changements sociaux, des crises économiques et culturelles, des
revendications politiques nationales, les sociétés africaines ont
basculé dans la démocratie représentative d'inspiration
occidentale, comme témoigne l'actuel Préambule de l'Union
Africaine3 (UA). L'idéologie nouvelle impose désormais
à chaque État africain de se conformer aux nouvelles donnes, qui
sont la souveraineté électorale du peuple, le multipartisme, le
respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens, la
reconnaissance des droits de l'opposition politique. Mais la pratique
constitutionnelle montre bien que la rigidité de la norme suprême
proclamée par la Constitution elle-même ne suffit pas pour
garantir sa stabilité. C'est pourquoi, en Afrique, nous assistons
à une modification constante de la Constitution au détriment des
pouvoirs en place. Nous ne pouvons dire qu'une Constitution remplie ses
fonctions en raison des modifications rares ou multiples qu'elle a subies. Les
vingt-quatre modifications4 apportées à la
Constitution française de 1958 et les différentes modifications
apportées à la Constitution tchadienne de 1996 n'en font pas
moins une norme fondamentale qui, selon la doctrine
française5 et tchadienne, remplit sa fonction.
1 NGUELÉ ABADA Marcelin, «
L'indépendance des juridictions constitutionnelles dans le
constitutionnalisme des États Francophones post guerre froide : exemple
du Conseil Constitutionnel camerounais »,
Revue de la Fondation Raponda-walker pour la science et la culture, 2010,
p.1.
2 ZOGO NKADA Simon-pierre, « Le nouveau
constitutionnalisme africain et la garantie des droits socioculturels des
citoyens : cas du Cameroun et du Sénégal », RFDC,
N°92/2012, p.5.
3 NYAMSI Franklin,
L'État de droit ou le plus grand défi de la
civilisation politique africaine du 21e siècle,
Paris, Edition du net, 2018, p.1.
4 Mélin-souscramanien, Constitution de la
République française de 1958, Paris, Dalloz, 2008, pp.
102-104.
5 WALINE Joël, « Les révisions de
la constitution de 1958 », in droit et politique
à la croisée des cultures, Mélanges en honneur de Philipe
ardant, Paris, LGDJ, 1999, pp. 235-249 ; VERPEAUX Michel, La
révision
3
En clair, les multiples révisions constitutionnelles
n'ont pas donné aux Constitutions une garantie de leur stabilité.
C'est avec les exigences théoriques intégrées dans les
Constitutions africaines que certains ont pu penser que nous assistons au
retour du droit constitutionnel et au rêve d'une ère de discipline
politique et de la judiciarisation de la vie politique. Et pourtant, ces
révisions constitutionnelles à répétition
s'inscrivent en réalité dans une perspective d'entrave au nouveau
constitutionnalisme africain6. Ces révisions ne favorisent
non plus la consolidation de l'État de droit, même si une nuance
doit être faite concernant certains amendements qui viennent à
point nommé renforcer, dans une certaine mesure, la démocratie.
C'est dans cette logique que le Professeur AIVO Frédéric
Joël affirmait que : « la forme constitutionnelle se fragilise
par la sensibilité des amendements qui lui sont apportés. Cette
thèse défendue tant de fois par tant de voix et de forte belle
manière, se ramène à une idée clé : les
révisions constitutionnelles africaines, pour la plupart, se
particularisent par leur objet peu licite et controversé. La doctrine a
déjà relevé de façon convaincante que les
modifications apportées depuis 1996 aux constitutions africaines sont
peu fortifiantes pour l'État de droit. »7. Le
constat est clair en Afrique, quand il y a révision constitutionnelle
dans un pays, cette mutation est souvent accompagnée de
soulèvements de la part des gouvernés qui sont assoiffés
de la démocratie. Le cas du Tchad en est une parfaite illustration
lorsqu'en 2017, le Haut Comité pour les Réformes
Institutionnelles (HCRI) entame ses travaux pour déboucher, en mars
2018, sur la convocation d'un forum national inclusif. Ces réformes ont
été boycottées par l'opposition et la
Société Civile.
Comme dans tous les pays d'Afrique noire francophone,
l'histoire constitutionnelle du Tchad est accompagnée de
l'évolution des régimes politiques qui se sont
succédés. Chaque fois qu'un régime nouveau prend la
tête du pouvoir, généralement, intervient la
révision ou la modification de la Constitution. En effet, les
réformes politiques, institutionnelles ou constitutionnelles sont
inhérentes à la vie démocratique d'un pays8. En
2016, le Président tchadien a entamé des réformes. Cette
volonté de réformer les institutions s'est traduite par le
décret n°681/PR/PM/2016 du 26 octobre 2016 instituant le Haut
Comité Chargé des Réformes Institutionnelles. Après
le Forum National Inclusif tenu du 19 au 29 mars 2018, l'Assemblée
constitutionnelle à l'arracher,
in révision de la Constitution : la Vème
République rénovée ? À propos de la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008, n°31-35, pp. 16-21.
6 HOLO Théodore, « Démocratie
revitalisée ou démocratie émasculée ? Les
constitutions du renouveau démocratique dans les États de
l'espace francophone africain: régime juridique et système
politique », RBSJA, 2006, n° 16, pp. 31-39.
7 AIVO Frédéric Joël,
« La crise de la normativité de la
constitution en Afrique », RDP,
Décembre 2012, n°1, p.141.
8 Rapport alternatif des organisations de la
société civile tchadienne, Les réformes
institutionnelles au Tchad : entre ambitions partisanes et unité
nationale, Ndjamena, octobre 2017, p.51.
4
Nationale a adopté le projet de loi constitutionnelle
le 30 mars 20189. Ce qui a conduit le Président de la
République à promulguer la nouvelle Constitution le 04 mai
2018.
Cette Constitution procède à des
réaménagements tant sur le plan institutionnel
qu'organisationnel. Ainsi, ces aménagements nous amènent à
nous atteler sur l'apport de la nouvelle Constitution dans le renforcement de
la démocratie au Tchad. Alors, il apparait donc important pour nous de
porter un regard critique sur l'évolution de la démocratie et de
l'État de droit à l'aune de la nouvelle Constitution.
Il conviendrait donc de mettre, dans un premier temps, en
évidence son cadre théorique (I), avant d'explorer son cadre
opératoire (II), dans son second temps.
I - LE CADRE THÉORIQUE DE L'ÉTUDE
Il convient d'aborder ici, le contexte de l'étude (A),
la définition des concepts clés du sujet (B) et la
délimitation de l'étude (C).
A - LE CONTEXTE DE L'ÉTUDE
La présente étude est abordée dans des
contexte historique (1) et juridico-politique (2) bien précis.
1 - Contexte historique
Devenu République en 1958, le Tchad acquiert son
indépendance le 11 Août 1960. Après la proclamation de la
République, les élections de 1959 ont été
remportées par le Parti Progressiste Tchadien (PPT). Son leader
TOMBALBAYE François a été désigné Premier
Ministre10 puis Président de la République à
l'indépendance de 196011. Mais la gestion du pouvoir va
être très vite critiquée. Ces critiques vont conduire une
partie importante des populations du Nord et du Centre à se
révolter. Cette révolte est à l'origine de la
création du premier mouvement rebelle au Tchad, le Front de
Libération Nationale du Tchad, (FROLINAT)12. Depuis 1963, le
pays est entré dans un cercle infernal de guerres13.
Après la
9 François Albert-Stauder, « Tchad :
une nouvelle République sans État de droit ? »,
Fondation pour la recherche stratégique, 12 juin 2018, p.1.
10 DINGAMADJI Arnauld, Les gouvernements du Tchad. De
Gabriel LISSETE à IDRISS DEBY ITNO 1957-2010, Paris, L'Harmattan,
2011, p.70.
11 DINGAMADJI Arnauld, NGARTA TOMBALBAYE :
Parcours et rôle dans la vie politique du Tchad, 19591975, Paris,
L'Harmattan, 2007, p.44.
12 BUIJTENHUIJS Robert, Le Frolinat et les
guerres civiles du Tchad (1977-1984): la révolution introuvable,
Paris, Karthala, p.47.
5
chute de TOMBALBAYE, le 13 avril 1975, et la prise du pouvoir
par le général Félix MALLOUM en avril 1975, le pouvoir
passe aux mains des leaders de FROLINAT, GOUKOUNI WEDDEY en 1978 puis HISSEIN
HABRE le 07 Juin 1982. Ce dernier instaure une dictature avec son parti unique,
Union Nationale pour l'Indépendance et la Révolution (UNIR) et sa
police politique, la tristement célèbre Direction de la
Documentation et de la Sécurité (DDS). HABRE a été
chassé du pouvoir par IDRISS DEBY le 01 décembre 1990.
La prise du pouvoir d'IDRISS DEBY a coïncidé avec
le vent de la démocratie qui soufflait sur le continent africain. Ne
pouvant échapper à cette logique de démocratisation de
l'espace politique, une Conférence Nationale Souveraine (CNS) fut
organisée en 1993 pour arrimer le pays à la vague du processus
démocratique. La CNS a jeté les bases d'un nouvel ordre
constitutionnel. Une période de transition a été
observée jusqu'à l'adoption de la loi fondamentale du 31 Mars
1996. Elle prit fin avec les premières élections de la même
année.
La vie politique semble retrouver alors une relative
tranquillité mais qui ne sera que de courte durée. Car,
dès 2005, une réforme constitutionnelle est intervenue et a fait
sauter le verrou constitutionnel de limitation du nombre de mandat
présidentiel. Ainsi, le FNI a été organisé pour
aboutir à l'adoption de la nouvelle Constitution.
|