Conclusion du chapitre 1
La finalité de l'État de droit étant la
sauvegarde des droits fondamentaux par la limitation des pouvoirs publics par
le droit. Cette mission est, en grande partie, remplie par le juge
constitutionnel tchadien. Les juges de l'administration, juge administratif et
juge judiciaire, apparaissent comme un protecteur secondaire des droits et
libertés fondamentaux des citoyens. Malgré les réformes
institutionnelles qui ont profondément changé le statut du juge
constitutionnel au Tchad, cela n'a pas empêché celui-ci de jouer
pleinement son rôle de protecteur des droits et libertés
fondamentaux garantis par la Constitution. De plus, le constituant tchadien n'a
pu donner l'occasion aux citoyens d'accéder directement au juge
constitutionnel comme cela se passe dans certains pays. Les juridictions
administratives constituent une pièce importante dans
l'édification de l'État de droit en soumettant l'État au
droit. Le juge judiciaire vole également au secours des citoyens
offensés par l'administration dans ses actions. Si la Constitution
confère aux juges de l'administration la protection des droits et
libertés fondamentaux, il faut souligner cependant que les citoyens ne
maîtrisent pas assez les procédures devant les juridictions afin
de dénoncer les atteintes portées à leurs droits
fondamentaux.
Si les libertés sont protégées par le
juge, il faudra limiter la puissance du pouvoir exécutif pour un bon
encrage de l'État de droit au Tchad.
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CHAPITRE 2 : LA LIMITATION CONSTITUTIONNELLE DE
LA PUISSANCE DU POUVOIR EXÉCUTIF
Saint-Just avançait en 1793 que « le peuple
n'a qu'un seul ennemi dangereux, c'est le Gouvernement
»145. Cette affirmation montre que le pouvoir
exécutif est potentiellement porté à menacer les droits et
libertés du peuple. C'est dans ce sens que le constituant a entendu
limiter le pouvoir exécutif en le soumettant au droit.
L'analyse de toute question liée au pouvoir
exécutif requiert une définition préalable de celui-ci.
Ainsi, au sens organique, le pouvoir exécutif désigne l'organe ou
l'ensemble des organes chargés d'exercer à titre principal la
fonction exécutive146.
Le nouveau constitutionnalisme issu des transitions
démocratiques a apporté des profonds changements dans l'histoire
politique et constitutionnelle des États africains en
général et celle du Tchad en particulier. L'un des changements
réside dans la constitutionnalisation du contrôle du pouvoir
exécutif par l'Assemblée Nationale (Section 1).
Ce contrôle qui trouve son fondement dans l'idée même de la
soumission de l'État et de ses administrations au droit147
est perceptible. L'autre changement est la consécration
145 Cité par GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et
institution politiques, XVe édition, Montchrestien,
1990, p. 495.
146 MOYEN Godefroy, « L'exécutif dans le nouveau
constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Bénin et du Togo
», op. cit., p. 41.
147 La redécouverte du concept de l'État de
droit par les philosophes et les juristes est l'un des phénomènes
marquants de la fin du XXe siècle et du début du
XXIe siècle. Il supposait une distinction entre l'État
de droit et l'État de police suivant les thèses
développées par certains juristes comme Mohl et Stahl.
L'État doit se soumettre au régime de droit et l'administration,
bien qu'elle puisse agir contra legem... La seconde étape date
de la fin du XIXe siècle et du début du XXe
siècle lors de la floraison des travaux de Gerber qui trouvent leur
couronnement dans l'oeuvre du juriste autrichien HANS Kelsen et leur
philosophie dans le positivisme juridique. La troisième étape
dite contemporaine suppose une substitution au lien civil fondé sur la
guerre et la conquête, une société politique établie
sur la paix, dans laquelle les litiges sont arbitrés par la
négociation juridique et où le souverain doit reconnaître
et garantir le droit à la sûreté des individus. Il se
caractérise plus particulièrement par diverse institutions et
techniques juridiques : indépendance des juges, séparation des
pouvoirs, contrôle de
41
constitutionnelle de la responsabilité des membres du
Gouvernement (Section 2) qui est un élément
important dans la réalisation de l'État de droit.
SECTION 1 : LE CONTRÔLE DE L'EXÉCUTIF PAR
LE PARLEMENT
Le contrôle politique est l'une des missions
assignées aux parlements à l'instar de la fonction
législative. L'exercice de ces missions forme la fonction essentielle du
parlement. Pourtant, à la différence de la mission
législative dont les procédures sont largement
détaillées par la Constitution148 et le
règlement intérieur de l'AN, le contrôle parlementaire n'y
est qu'à peine évoqué alors qu'il occupe une place
prépondérante dans l'activité parlementaire. Cette
prérogative reconnue à l'AN du Tchad est un moyen par lequel l'AN
vérifie le bon comportement, c'est-à-dire la bonne application du
programme d'actions, des lois, des règlements et du budget de
l'État149. C'est également un vecteur de bonne
gouvernance et de la construction d'un État de droit. De manière
pratique, le contrôle parlementaire concourt à élever
l'efficacité et l'efficience dans la gestion des affaires publiques.
Le contrôle exercé par le Parlement
résulte également du principe de responsabilité des
gouvernants, dans les démocraties pluralistes et libérales,
où la souveraineté appartient au peuple. En effet, les titulaires
du pouvoir d'État doivent en assumer l'exercice dans le cadre de leurs
attributions légales respectives, mais également, rendre compte
au peuple150. La fonction de contrôle est une des plus
importantes activités du Parlement moderne151, en ce sens que
l'essentiel de ses efforts portent sur cette fonction152. C'est un
principe fondamental dans tout État de droit qui résulte du fait
qu'aucun organe du Gouvernement n'a d'autorité qui s'étend
au-delà des bornes qui ont été prescrites par la loi.
constitutionnalité des lois et de la
légalité des actes administratifs ainsi que la protection des
droits de la personne. Voir DUHAMEL Olivier, MENY Y., Dictionnaire
constitutionnel, PUF, 1992, p. 415-418.
148 Voir titre V de la Constitution du 04 mai 2018.
149 BYAZA-SANDA LUTALA David, Le rôle des
Commissions dans le contrôle parlementaire, rapport
présenté au colloque de l'Association des secrétaires
généraux des parlements francophones du 23 au 26 août 2011
à Libreville, p. 2.
150 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 51.
151 BUJADOUX Jean-Félix, « le nouveau Parlement :
la révision du 23 juillet 2008 », Fondation pour
l'innovation politique, Novembre 2011, p. 22.
152 DEBBASCH Charles, BOURDON Jacques, PONTIER Jean-Marie et
RICCI Jean-Claude, La Ve République, 2e
édition, Paris, Montchrestien, 1985, p. 485.
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Au Tchad, le contrôle s'exerce à travers
l'interpellation et les questions parlementaires (paragraphe
1), d'une part et le contrôle de l'exécutif à
travers la commission d'enquête et l'évaluation de la politique
publique, d'autre part (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le contrôle de l'Exécutif
à travers l'interpellation et les questions parlementaires
Le contrôle de l'Exécutif est un moyen dont
dispose l'AN pour s'informer. Ainsi, l'article 145 de la Constitution dispose
que : « le Gouvernement est tenu de fournir à
l'Assemblée Nationale les explications qui lui sont demandées sur
la gestion et sur ses activités ». A cet effet, les
activités informatives du Parlement sont déterminantes dans le
fonctionnement des pouvoirs publics, car elles constituent les moyens à
travers lesquels le peuple doit connaitre le contenu et les motifs des mesures
prises par le Gouvernement153. L'initiative de l'information peut
émaner de l'Exécutif soit parce que la loi contraint celui-ci
à la transmettre au Parlement, soit il considère une telle
initiative nécessaire dans le cadre de l'exercice de ses missions.
Cependant, seule la recherche de l'information à l'initiative des
parlementaires154 paraît nécessaire dans cette
étude. Ainsi, l'information parlementaire participe à
l'encadrement des pouvoirs de l'État. Il s'agit de l'interpellation (A)
et les questions parlementaires (B).
A - L'interpellation des membres du Gouvernement
C'est en vertu des articles 145 alinéa 1 de la
Constitution et 138 du Règlement intérieur de l'AN que les
parlementaires font usage du mécanisme de l'interpellation, comme outil
servant d'information au Parlement. Ce mécanisme s'inscrit dans le cadre
de suivi de la mise en oeuvre effective des politiques publiques par
l'Exécutif, car aux termes des dispositions précitées, le
Gouvernement peut, dans l'exercice de ses fonctions, être
interpellé par l'AN sur toutes questions d'actualité et
d'intérêt national155.
En effet, l'interpellation apparaît comme un instrument
d'analyse, de suivi et de contrôle du Gouvernement et des organismes
publics, y compris la mise en oeuvre des
153 Commission des affaires parlementaires de
l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie, du 6-9 juillet 2006, p.
6.
154 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 52.
155 Ibidem
43
politiques et de la législation. Elle est une demande
d'explication faite par un député au Gouvernement pour qu'il
s'explique sur ses actions ou sur sa politique lors d'une séance
publique de l'AN. Elle engage un débat auquel d'autres parlementaires
peuvent prendre part. L'objectif de l'interpellation est de soutenir
l'État de droit. Les parlementaires doivent protéger les droits
des citoyens en contrôlant les politiques et en examinant
d'éventuels abus de pouvoir, comportements arbitraires, et conduites
illégales ou anticonstitutionnelles de la part du Gouvernement.
L'interpellation se fait au moyen d'une demande qui porte sur
un fait ou un acte de gestion du Gouvernement ; et qui au regard de l'urgence
et de la gravité du fait ou de l'acte nécessite une prise de
position de l'AN. La demande doit être déposée au Bureau de
l'AN au moins 72h avant la tenue de la séance156. La
conférence des présidents de l'AN saisie, apprécie
souverainement la demande et règle son inscription à l'ordre du
jour. Lorsqu'elle juge recevable la requête, elle mandate le
Président de l'AN pour communiquer au Gouvernement ou au membre l'objet
de l'interpellation ainsi que les dates et heures de la séance qui y
seront consacrées. Il s'ensuit qu'au cours de la séance, le
député auteur de l'interpellation dont la présence est
constatée en salle, dispose au maximum de 5 minutes pour en exposer la
teneur. Il faut noter qu'aucun vote, de quelque nature que ça soit, ne
peut avoir lieu à l'occasion de cette interpellation. Cependant, dans la
pratique, les interpellations donnent lieu à de recommandations et
à la constitution des commissions d'enquête.
Bien que l'interpellation prenne la forme des questions
orales, les deux procédés ne doivent pas être confondus.
Dans ce dernier cas, les ministres se bornent à répondre aux
députés qui les interrogent, sans aucune autre intervention dans
le débat et sans vote de clôture. L'interpellation comporte, au
contraire, un développement plus long de la part de son auteur. Elle
ouvre, par conséquent, un débat auquel peuvent participer
d'autres députés157.
En fait, en raison de son importance, l'interpellation est
l'un des modes de contrôle-information les plus usités au sein de
l'AN du Tchad. C'est le procédé privilégié de
l'opposition parlementaire qui y a souvent recours. A titre d'exemple, le
Ministre des postes, des nouvelles technologies de l'information et de la
communication a été interpellé par les
députés le 11 novembre 2019 sur les questions en lien avec les
nouvelles technologies, de l'information et de la communication. Le Ministre a
été interrogé sur la restriction des réseaux
sociaux, la mise en écoute des citoyens par l'Agence Nationale de
Sécurité (ANS). Cette restriction constitue une atteinte aux
droits des citoyens constitutionnellement consacrés. Le
156 Article 132 du Règlement intérieur de l'AN.
157 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L'apport du parlement
à l'État de droit au Tchad, op. cit., p. 62
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Ministre a énoncé les raisons
sécuritaires pour expliquer cette restriction qui a duré à
peu près un an. Il renchérit que « le Tchad est un pays
de droit. Toutefois, pour des raisons de sécurité, les agents de
renseignement surveillent et ce, pour la protection de nos citoyens
»158.
Dans la même lancée, le Ministre de la
santé publique a été interpellé par les
députés le 04 mai 2020 sur la gestion de la pandémie de
COVID-19 au Tchad. Les députés disent ne pas comprendre la
gestion peu orthodoxe de la crise sanitaire en dépit des moyens
injectés par le Gouvernement pour la prise en charge des malades du
Coronavirus. De plus, la réquisition des hôpitaux pour la prise en
charges des malades apparaît, aux yeux des députés, comme
une exposition des citoyens tchadiens aux intempéries, alors que les
citoyens ont droit à un environnement sain et doivent être bonne
santé. En réquisitionnant les hôpitaux de tout genre, le
Gouvernement foule au pied ces droits. Le député KEBZABO Saleh a
fait des propositions telles que : l'ouverture d'un stade avec les tentes pour
la prise en charge des malades, l'assouplissement de certaines mesures telles
que la réouverture des marchés hebdomadaires dans les coins
reculés, afin de permettre à la population rurale de survivre
économiquement159.
Au regard de tout ceci, la pratique des interpellations reste
dominante au sein de l'institution parlementaire tchadienne et contribue
à la modération du pouvoir des institutions et organes de
l'État. Elle a permis, à travers le passage des membres du
Gouvernement, de faire la lumière sur les opérations du
Gouvernement en fournissant un espace public où les politiques et les
actions de l'Exécutif sont débattues et livrées à
l'opinion publique. Il en est ainsi des questions qui, elles aussi, permettent
d'évaluer d'éventuels abus de pouvoir.
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