SECTION 2 : LES GARANTIES SUBSIDIAIRES DES
DROITS FONDAMENTAUX ASSURÉES PAR LES AUTRES JUGES
108 BALDET Sory, « Juge constitutionnel et transition
démocratique. Etude des cas en Afrique subsaharienne francophone »,
p.5. Article disponible sur le site http//
www.juridicas.unam.mx/wccl/ponencias/16.
Consulté le 30 avril 2020.
109 Il s'agit de la loi votée par l'AN dans le contexte
tchadien où il y a une seule chambre. Dans d'autre cas (Cameroun et
autres) nous parlons de la loi votée par le parlement.
110 Nous faisons référence aux lois organiques
ayant valeur constitutionnelle.
111 Il s'agit fondamentalement des actes unilatéraux.
112 Ce contrôle ne concerne que les
lois organiques, les lois ordinaires, le règlement de l'AN et
traités internationaux.
113 GELARD Patrice, Institutions politiques et droit
constitutionnel, Montchrestien, 4ème édition,
2001, p. 34.
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Le pouvoir judiciaire au Tchad est traditionnellement
composé du juge administratif et du juge judiciaire114. Cette
composition matérielle laisse entrevoir que les deux juges doivent
connaître de matières spécifiques et différentes par
leur nature.
En matière des droits fondamentaux, le juge judiciaire
a un rôle traditionnel de gardien des libertés individuelles des
citoyens (Paragraphe 2). Cette mission le conduit à
connaître essentiellement des litiges nés des rapports entre les
particuliers. Mais exceptionnellement, il peut être amené à
connaitre des violations des droits fondamentaux dans des rapports entre les
particuliers et l'administration qui, eux nous intéressent ici, eu
égard aux pouvoirs énormes détenus par les pouvoirs
publics. Ce type de relation est originellement dévolu à la
compétence du juge administratif. C'est ainsi que le juge administratif
affirme son rôle sans cesse grandissant dans la protection des droits
fondamentaux (paragraphe 1).
Paragraphe 1 : La protection des droits fondamentaux par le
juge administratif.
Le contrôle de la validité des actes
administratifs relève de la compétence du juge administratif au
Tchad, compte tenu du rôle important joué par celui-ci dans le
domaine de la protection des droits fondamentaux. Il ressort de l'article 157
alinéa 1 de la Constitution que : « la Cour Suprême est
la plus haute juridiction du Tchad en matière judiciaire,
administrative, constitutionnelle et des comptes ». De cette
formulation, il convient de noter que la Chambre Administrative de la Cour
Suprême, qui est juge administratif dans l'ordre juridique tchadien, mais
les sections administratives des Cour d'Appel et des tribunaux115
jouent également le rôle du juge administratif. Le juge
administratif protège les droits fondamentaux à travers le
contrôle les actes des autorités administratives (A) et les
recours spéciaux (B).
A - Le contrôle des actes administratifs
Le contrôle du juge administratif porte normalement sur
les éléments de la légalité, c'est-à-dire la
légalité externe116 et la légalité
interne117 qui font l'objet du recours. En matière
114 Article 148 de la Constitution : « Le pouvoir
judiciaire est exercé au Tchad par la Cour Suprême, les Cours
d'Appel, la Haute Cour Militaire, les tribunaux et les justices de paix. Il est
gardien des libertés et de la propriété individuelle. Il
veille au respect des droits fondamentaux »
115 Article 148 de la Constitution précitée.
116 Les éléments de la légalité
externe sont : la compétence, les procédures et la forme.
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des droits fondamentaux et des libertés,
l'élément de la légalité, qui est le plus souvent
discuté, est la qualification juridique des faits118. Le
contrôle de cet élément dépend en principe de la
nature du pouvoir de l'administration sur la base de laquelle la
décision attaquée a été prise.
En effet, la fonction du juge administratif n'est pas
prioritairement de protéger les libertés mais de réguler
l'action de l'administration dans son intérêt même,
c'est-à-dire dans l'intérêt public. Ce second point est
lié au premier par cette idée que seul un juge spécifique,
par son lien avec l'administration, peut assurer correctement cette
régulation. S'il doit sans doute en résulter une limitation de la
puissance administrative et, par-là, une protection des libertés,
ce n'est pas l'objectif prioritaire119. L'arme technique au service
de cette fonction est le recours pour excès de pouvoir.
Le juge administratif contrôle la validité des
actes administratifs par la procédure du recours pour excès de
pouvoir. Ce recours est défini par le Professeur DUPUIS comme «
un recours contentieux par lequel toute personne intéressée
peut demander au juge administratif d'annuler, en raison de son
irrégularité, une décision d'une autorité
administrative »120. L'acte administratif doit ainsi, pour
être attaqué devant le juge, émaner d'une autorité
administrative, être irrégulier, c'est-à-dire être en
contradiction avec une norme supérieure, mais surtout faire un grief,
autrement dit, causer un tort à un administré. C'est ainsi que se
manifeste l'intérêt du recours pour excès de pouvoir pour
la protection des droits fondamentaux. En effet, cet intérêt
« réside dans la saisine par les particuliers d'une instance
spécialisée »121. Mais si le recours pour
excès de pouvoir est d'un intérêt primordial pour la
protection des droits par le juge administratif, c'est sans nul doute par ce
qu'il constitue, de l'avis du Professeur JEZE Gaston, « la plus
merveilleuse création des juristes, l'arme la plus efficace, la plus
économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre
les libertés »122. Ainsi, la Chambre Administrative
de la Cour Suprême, dans un arrêt n°016/CS/CA/SC/2008 du 16
avril 2008 X...c/Ministère de l'agriculture, a décidé
qu'« il y a
117 Les éléments de la légalité
interne sont : le but, les motifs de fait et de droit et l'objet (la
conformité à la loi du contenu de la décision).
118 KERKATLY Yehia, Juges administratifs
et les libertés publiques en droit libanais et français,
Thèse Doctorat, Université de Grenoble, 2006, p. 87.
119 PETIT Jacques, Les armes du juge
administratif dans la protection des libertés fondamentales, Revue
général du droit, Colloque organisé par l'association des
étudiants du droit public le 03 avril 2015 à l'université
de Rennes 1, article disponible sur
www.revuegénéraldesdroit.com
consulté le 01 mai 2020.
120 DUPUIS G, Droit administratif,
8ème édition, Paris, Armand Colin, 2002, p. 572,
cité par DIME LI NLEP Paul, La garantie des droits fondamentaux au
Cameroun, Mémoire DEA, Université Abomey-Calavi, 2004, p.
145.
121 DIME LI NLEP Paul, La garantie des
droits fondamentaux au Cameroun, op. cit., p. 145.
122 JEZE Gaston, cité par FLAMME Maurice,
Droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 613.
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violation du principe d'égalité
d'accès à l'emploi, qu'il y a détournement de
procédure induisant au détournement de pouvoir ; qu'il y a
urgence de prendre les mesures conservatoires puisque ledit arrêté
cause de préjudice au requérant dont les conséquences
risquent d'être difficilement réparables et ordonne le sursit
à exécution ». De cette décision, il convient de
préciser que le juge administratif tchadien intervient surtout en cas de
violation des droits fondamentaux, qu'ils soient individuels ou collectifs. Sur
le même principe d'égalité d'accès aux emplois
publics, le juge administratif a annulé un arrêté
interministériel violant ledit principe123.
Le juge administratif s'est prononcé également
sur la rupture de l'égalité des citoyens devant la loi dans un
arrêt n°008/CS/CJ/SS/11 du 06 septembre 2011 au motif que : «
l'organisme habilité à organiser les élections
communales a fixé à moins de six (6) mois la date du scrutin
communal en méconnaissance des dispositions législatives en
vigueur. Se faisant, la Cour reconnaît que la décision
arrêtant la date du scrutin emporte une rupture d'égalité
des citoyens devant la loi. Considérant le caractère
spécial du contentieux électoral, la Cour a ordonné le
sursis à exécution de la décision fixant la date des
élections communales ».
Il est donc possible de constater que l'intervention du juge
est en parfaite évolution dans la dynamique de protection des droits
fondamentaux des citoyens. Dans le même sens, la Chambre Administrative
de la Cour Suprême a annulé l'arrêté
n°033/PM/MISP/08 du 17 octobre 2008 sur l'illégalité et le
non-respect du principe de parallélisme de forme124.
En tout, la finalité ainsi assignée au
contentieux administratif en tant que mécanisme de protection des
libertés, appelé par ses perfectionnements à exprimer une
conception libérale de la société a parfois
été discutée ; car le contrôle dévolu
à un juge sur l'action administrative ne peut révéler
qu'une stratégie politique « susceptible de fournir un
exécutoire légal au mécontentement dont tout régime
autoritaire redoute la fermentation »125.
Le juge administratif ne contrôle pas seulement les
actes administratifs mais protège également les droits
fondamentaux à travers les recours spéciaux.
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