Pour Ratzel (1988), la géopolitique est « la
science qui établit que les caractéristiques et conditions
géographiques, et plus spécialement les grands espaces, jouent un
rôle décisif dans la vie des Etats, et que l'individu et la
société humaine dépendent du sol sur lequel ils vivent
ayant son destin déterminé par la loi de la géographie
». Lacoste (1986), quant à lui, se focalise sur «
l'étude des différents types de rivalités de pouvoirs sur
les territoires, [...] la puissance se mesurant en fonction de
potentialité territoriale interne et de la capacité à se
projeter à l'extérieur de ce territoire et à des distances
de plus en plus grandes ». Ces deux définitions sont
complémentaires en ce sens qu'elles traitent du rôle des acteurs
étatiques dans la gestion de l'espace et la société et les
conflits éventuellement existants. La géopolitique devient alors
une analyse politique et géographique du monde ou d'un territoire par
rapport à un autre, de ses individus dans un espace commun
partagé. Il s'agit de comprendre l'origine des conflits actuels
54 Le Sénégal, dans l'initiative de
libéraliser la parole, a permis la prolifération de radios
privées, de télévisions privées et un taux de
pénétration exceptionnel sur internet avec un boom en nombre
exponentiel de la presse online et des internautes sur les réseaux
sociaux. On assiste ainsi à une multitude d'acteurs et donc à une
multitude d'intervenants libres sur des faits parfois qu'ils ne
maîtrisent pas. L'Etat a alors mis sur pied une loi sur la gestion
d'internet au Sénégal vu les débordements de tous genres
qui s'y opèrent impunément au quotidien.
et les enjeux stratégiques qui pourraient à un
moment donné conduire à des conflits, notamment futurs.
Le conflit en Casamance implique plusieurs acteurs. En tant
que destination, elle entraîne la diplomatie des différents pays
émetteurs du Sénégal et en interne les
collectivités et l'Etat. Le tourisme est un secteur transversal qui
affecte presque tous les secteurs de l'économie, il développe les
territoires et comprend de nombreux intervenants au niveau national et
international. Pour ce faire, nous allons nous concentrer sur les ambassades
d'abord. En effet, dans le cas échéant, les ambassades en raison
de leurs missions diplomatiques interviennent directement et
géographiquement dans des affaires qui les concernent dans un espace
bien déterminé. Ensuite, il s'agira d'examiner les politiques de
l'Etat au niveau territorial dans le domaine du tourisme et les
collectivités dans ce sens afin d'en faire une analyse globale
géopolitique selon qu'il impacte ou non dans la gestion des conflits et
le tourisme.
Appelée aussi Ambassade, le rôle d'une
chancellerie ou d'un consulat est d'entretenir des rapports diplomatiques avec
le pays d'accueil. Cela entre en phase avec les relations géopolitiques.
Tous les pays pratiquement disposent d'une ambassade ou d'une
représentation consulaire, etc., pour garantir un service maximum
à leurs ressortissants, mais aussi mener des activités
culturelles55 ou politiques avec le pays hôte. Au
Sénégal, la représentation diplomatique française a
une forte réputation, notamment dans le sud du pays, en Casamance. A ce
propos, les dispositions prises dans le domaine du tourisme affecté par
le conflit ne sont pas toujours justes et consensuelles si l'on se fie aux
données du terrain. Le cas du Quai d'Orsay,56 qui colorie en
rouge toutes les trois régions administratives de la Casamance à
l'exception du Cap-Skirring où se trouve le club-Med, vient
étayer cette hypothèse.
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55 Direction de la coopération (Alliance
franco-sénégalaise, par exemple).
56 Ministère français des affaires
étrangères.
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Figure 4 : carte illustrative de la « zone
rouge »
Source : Au-Sénégal (2018).
Conformément à l'article 6 du code de
l'éthique pour le tourisme, l'OMT met en garde les acteurs (les
chancelleries) en leur accordant certes le droit d'informer leurs
ressortissants sur la situation de crise qui sévit dans une destination,
mais précise que ces informations ne doivent en aucun cas porter
préjudice à la destination en question. Cet article souligne
aussi que ces avis doivent faire l'objet de consensus entre les gouvernements
récepteurs et émetteurs et doivent être strictement
limités à l'étendue géographique concernée.
Par ailleurs, on constate dans cette décision visible sur la carte
ci-dessus que cette décision implique toute la Casamance,
c'est-à-dire les trois régions : Ziguinchor, Sédhiou et
Kolda. Or, si on prend l'exemple de la Tuerie de Bofa-Bayotte qui se trouve
dans la forêt de Ziguinchor ou l'histoire de touristes violés
à Kafountine, on en déduit que la chancellerie ne joue pas
sérieusement son rôle. Evidemment, cette décision a un
caractère purement unilatéral avec un impact géographique
conséquent.
Toutefois, seul le club-Med se situant au Cap-Skirring dans
le département d'Oussouye où le conflit est quand même
assez pacifié échappe à cette règle : cette zone
est colorée en vert. Ainsi, les questions qui taraudent notre esprit est
: la France protège-t-elle ses intérêts au détriment
de la destination tout entière de la Casamance ? Sur le plan
géopolitique, est-ce que ce n'est pas la
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France qui crée des « conflits »57
impactant sur les relations humaines et le territoire de manière
générale ? C'est ce que semble affirmer M. Tamba (guide
touristique et responsable du bureau d'acceuil et d'information au
Cap-Skirring, commune de Djembéring, 2019) lorsqu'il avance : «
Le club-Med sert de locomotive, d'assurance. Même si tu as des gens qui
te disent qu'il y'a le conflit et que le club est ouvert, les gens viennent,
c'est un gage ici au Cap-Skirring ». Sur l'épineuse question
de la zone rouge, nous avons interrogé un touriste français sur
la question, en l'occurrence M. Faye Fall (touriste français, 2019), a
donné cette réponse assez illustrative : « Quand on fait
des recherches pour venir, on nous recommande des circuits dont la Casamance ne
fait même pas partie. Mais après le parcours qu'on a fait je ne me
suis pas senti en insécurité ». Notons que 57% de la
population touristique (acteurs) interrogée de même que 10% dans
la communication ont une connaissance de la « zone rouge » en tant
que décision infligée à la destination Casamance toute
entière. A cela s'ajoute une autre catégorie qui est consciente
de la question, soit 21%(voir annexe). Dans cette carte, le constat
n'échappe à personne. Déclarer la Casamance zone rouge
impliquant de surcroît les régions de Sédhiou et Kolda ou
le département d'Oussouye pour un événement survenu dans
la région de Ziguinchor ou à Kafountine, par exemple, est une
décision que les acteurs eux-mêmes ne comprennent pas. C'est
d'ailleurs ce qu'affirme M. Ferancioli (promoteur italien, directeur des
Alizés beach Resort, Cap-Skirring, 2019) : « Je pense que les
ambassades ne jouent pas leur rôle. Je sais que pour la carte de
l'ambassade de France la Casamance était en rouge et très
franchement quand on vit ici on se rend compte que ce n'est pas la
réalité ».
De tels manquements dans la compréhension
géographique même du conflit ont toujours bouleversé le
secteur du tourisme et ont suscité de nombreuses questions sur le plan
politique. Des décisions malencontreuses sont prises alors que les faits
se déroulent le plus souvent dans des zones pacifiées. Même
si la responsabilité des chancelleries est de protéger leurs
concitoyens, elle ne devrait pas pour autant nuire à l'activité
touristique pour des raisons généralement injustifiées.
Ainsi, le traitement de l'information et la communication sur la question sont
aussi des éléments non moins réductibles compte tenu de
leur forte implication dans le relai de ses informations sans traitement
transparente et juste. C'est dans ce contexte que nous avons, sur la base d'une
question sur la situation, recueilli des données ci-dessous.
57 Ici conflit veut dire une situation qui peut
lésée quelque ou tout simplement la destination dans le cas
échéant.
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Tableau 4 : Une décision à impact
temporel
Source : Enquête de terrain, avril 2019.
Ce tableau donne des informations qui ont un rapport avec la
décision d'inscrire la destination dans la zone rouge. A travers nos
enquêtes de terrain, nous avons soumis aux enquêtés cette
question : les décisions des chancelleries sur la base du conflit
ont-elles un impact sur l'activité touristique à court et moyen
terme ? Sous ce rapport, 97% ont répondu positivement. Autrement dit,
ces individus sont catégoriques sur la question qui met en péril
à chaque occasion le secteur pendant une durée qui évolue
selon la situation. A ce titre 63% affirment que le secteur peut vivre des
moments difficiles allant au-delà d'une année sur les territoires
affectés. La communication à ce niveau peut aussi être
analysée. Ainsi, M. Cissé déclare : « Les
chancelleries ont la responsabilité de veiller sur leurs concitoyens.
Maintenant est-ce que la réaction est à la mesure de la
gravité de la situation ? C'est là où effectivement la
presse peut jouer un rôle d'accentuation de la psychose
sécuritaire ou d'atténuation de la psychose sécuritaire.
Quand vous imaginez un peu qu'une presse par exemple dire qu'on a
dynamité un pont [...] lorsqu'on lit cela, on est effrayé et on a
la réaction de dire que c'est une zone à risque ». En
effet, nous pouvons ajouter que cette situation est accentuée par la
communication. Evidemment, d'une part la prise d'une telle décision va
dans le sens de la responsabilité républicaine. Cependant, cette
décision doit être étudiée avant de compromettre le
développement du tourisme en Casamance. Au préalable, il est
alors impératif de comprendre les spécificités
géographiques et les enjeux socio-politiques de ce conflit. Ainsi,
est-ce que la « zone rouge » est véritablement un obstacle au
tourisme en Casamance ? Ce graphique en est une illustration.
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Figure 5 : La « zone rouge », un
obstacle majeur à l'essor du tourisme
La zone rouge comme f acteur bloquant x La
localité
100
47
5 3 4
Non réponse
oui
28
8
2 3
non
Ziguinchor Djembéring autre
47
Source Enquête de terrain, avril 2019.
0
Dans ce graphique, nous avons essayé d'en savoir un
peu plus sur l'impact de la décision de considérer la Casamance
comme une zone « d'insécurité ». En plus, nous avons
cherché à savoir si les acteurs sont convaincus que c'est l'une
des entraves au secteur touristique dans cette partie du pays. En ce sens, nous
avons accordé un intérêt particulier à la question
selon les zones étudiées qui peuvent être touchées
par cette décision. Ainsi, au niveau de Ziguinchor, 47% des personnes
auxquelles nous nous sommes adressés affirment que c'est un
élément crucial du tourisme contre 28% dans la commune de
Djembéring. Il faut également retenir que 53% de ces informations
ressortent des acteurs touristiques et 10% (voir annexe) des professionnels de
la communication qui abondent dans ce sens.