3.2 La couverture médiatique en zone de
conflit
La couverture des médias dans les zones de conflit
révèle beaucoup d'éléments jusqu'ici complexes.
Toutefois, les travaux de Manoff (1998) par exemple se focalisent sur le
rôle de ces derniers dans la gestion et la prévention des
conflits. Le résultat de ces travaux montre une responsabilité
des médias dans la gestion d'un conflit. Cela se résume à
un ensemble de défis,
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entre autres des défis d'éthique, surtout en ce
qui concerne la couverture en Afrique (Arous, 2001).
Le tourisme au Sénégal reste encore une
activité lucrative comme le relève une enquête du MTTA
passant de 342 à 358,5 milliards de FCA, soit une hausse de plus de 4%.
Cependant, cette activité reste dominée au nord par la petite
côte (tourisme de loisir), soit 48,34% et à Dakar (tourisme
d'affaires), soit 31,86%. Les arrivées globales enregistrées en
2014 selon les statistiques du MTTA s'élèvent à 1.216.090
contre 1.076.277 arrivées en 2015, soit une baisse de 11,5%. Ces deux
zones polarisent plus de 80% de l'activité et le reste est
partagé entre les différents pôles touristiques (MTTA,
2015). Toutefois, cette enquête a révélé en amont
que les acteurs du tourisme ont noté plusieurs défaillances
liées au bon fonctionnement de l'activité :
? Une absence de communication ; ? Une image mal vendue à
l'étranger ; ? Une crise de confiance entre acteurs ; ? Mauvaise
communication de crise53 ; ? Etc.
Le cas de la région de Ziguinchor, voire toute la
région naturelle de la Casamance du point de vue géographique
(pôle touristique), est très inquiétant. Cette partie du
pays est victime d'une mauvaise communication du fait du conflit
armé.
3.2.1 Médias et objectifs médiatiques
Si le rapport n'est pas direct tant que l'un ne
détermine pas l'autre, mais fondamentalement le conflit en Casamance a
un impact fort sur le tourisme depuis maintenant une trentaine d'années.
Comme tout conflit interne ou externe, on ne saurait nier ses
conséquences sur les secteurs d'activité économiques de
tout genre. Cependant, ces conséquences pourraient être plus
accrues à cause de la communication. D'après l'évolution
de la situation de crise à un moment bien déterminé, on a
des périodes dites chaudes et des périodes dites d'accalmie.
Quand la première se manifeste, bien entendu, le secteur en Casamance
agonise par la baisse de la fréquentation. A cet effet, la projection de
mauvaises images au niveau national et international amplifie cette situation.
Ainsi, il peut y avoir des circonstances liées à la communication
qui fait que les touristes renoncent à cette destination. Certes il
arrive qu'un événement se produise, mais il n'a
53 Cette mauvaise communication fait
référence au phénomène Ebola. Cette dernière
peut donc être prise en exemple aux nombreuses situations en interne :
braquages, viols, tueries, etc.
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parfois aucun rapport avec l'activité touristique sur
le plan géographique. Le problème se situe au niveau des
médias (M. Cissé, membre du GRPC et médiateur de l'UASZ).
Pour avoir travaillé sur le rôle de la presse dans une zone de
conflit, ce dernier soutient qu'on arrive à noter un écart entre
les correspondants locaux et les rédactions au niveau national.
« Les rédactions au niveau national sont beaucoup plus
intéressées par la vente de leur journal, par la promotion de sa
radio, de sa télé et, dans ce cas généralement, ils
sont beaucoup plus intéressés par la commercialisation,
c'est-à-dire les gros titres qui les intéresse f...] Quand c'est
les titres ordinaires, ça n'attire pas. C'est une préoccupation
au niveau des directions qui sont éloignées du champ de conflit
», renseigne-t-il.
Toujours dans son argumentaire, M. Cissé met l'accent
sur l'intervention des acteurs médiatiques, surtout ceux-là qui
appartiennent à la classe traditionnelle (télévision,
radio...). En effet, comme le démontrent les tableaux ci-dessus, on note
la présence effective de ces médias, beaucoup plus à
Ziguinchor. Pourtant, la couverture que ces médias font en l'occurrence
lorsque le conflit est mis en relation devient tout autre. Elle laisse à
désirer surtout lorsqu'elle est afférente au tourisme. Les
informations relayées sont dénaturantes due à la
représentation de la destination en question. La couverture faite par
les médias sur place est issue de nombreuses sources et accrues par un
traitement qui sort de l'ordinaire : « Pluie d'obus sur Ziguinchor
». C'est comme si Ziguinchor avait été littéralement
bombardé par des obus. Il est évident que quand on est à
Dakar, Diourbel et autres, on est vite intéressé par l'achat du
journal. Au niveau national, on a des réactions de peur et d'indignation
au plan international et un impact négatif », ajoute M.
Cissé mesurant ainsi l'ampleur de l'intoxication médiatique.
Pour plus de détails sur la question, voici ce que
révèlent les données quantitatives sur le fait que cette
communication est basée sur des objectifs médiatiques.
Figure 2 : Les objectifs
médiatiques de la communication
Les objectifs médiatiques
5
70
17
8
pas du tout d'accord
pas d'accord
d'accord
totalement d'accord
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Source : enquête de terrain, Avril 2019.
Selon une étude empirique menée dans le cadre
de ce travail, nous avons interrogé via notre questionnaire
préalablement établi, les cibles concernées sur une
possibilité que certaines communications ne sont que le résultat
des objectifs fixés par certains médias comme l'a si bien dit M.
Cissé, plus précisément les rédactions au plan
national. A l'image de ce qui vient d'être démontré par un
argumentaire ci-dessus, voici des données étayant ce postulat
dans le questionnaire. Ainsi, 70% des administrés sont d'avis que la
couverture médiatique est plus une option commerciale. Une
éthique qui a leurs yeux reste positive. Cette thèse est en plus
confirmée par 17% de notre cible qui sont totalement d'accord et au
total 13% contre (voir tableau en annexe). Ce conflit implique ainsi plusieurs
facteurs dont les éléments sont difficiles à
maîtriser. Les professionnels de la communication rejettent la faute sur
l'Etat si l'on en croit M. Ba (journaliste, correspondant de Rfm Ziguinchor,
2019) : « L'Etat est en train de faire des efforts, mais l'Etat oublie
le volet de la sensibilisation par rapport à la communication et
ça, je pense que c'est un grand gap à combler en Casamance et
qu'il n'a pas fait ». En effet, pour M. Ba, la responsabilité
entière revient à l'autorité centrale. Elle doit
promouvoir cet aspect dont le secteur a grandement besoin. Est-ce à dire
que les acteurs de la communication ne sont pas pris en compte dans les
politiques de promotion des destinations touristiques dont la Casamance.
Néanmoins, le journaliste armé d'éthique et de
déontologie, deux principes fondamentaux de la profession, campe sur sa
mission d'informer quelle que soit la nature des
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informations et ne se rend pas compte que l'une empiète
sur l'autre. Toutefois, certains journalistes adoptent une attitude beaucoup
plus responsable. Ils recherchent constamment l'équilibre parfait entre
leur liberté professionnelle et la sauvegarde des intérêts
nationaux « Le journaliste en Casamance est pris dans un étau
entre l'obligation d'information et le désir de préserver la
destination. Le journaliste essaie donc de jouer l'équilibre sur la
balance parce que vous ne pouvez pas refuser au journaliste de rendre compte
d'une situation [...] », nous dit le correspondant de la
Rfm.
Informer, c'est le maître mot que l'on retient dans ce
commentaire car c'est la seule et unique responsabilité du journaliste.
Les acteurs de la communication sont aussi nombreux avec le
développement des TIC. On note une prolifération de la presse en
ligne et des réseaux sociaux. Ainsi, la communication en Casamance
implique plusieurs catégories. Quelques années plus tôt, la
communication était plus dominée par la radio et la
télévision qui étaient moins nombreuses. Mais, tout compte
fait, la communication en Casamance est l'un des obstacles du
développement du tourisme. Sous ce rapport, M. Ba déclare :
« L'exemple des touristes espagnoles soi-disant violés [...] ;
moi je pense qu'il y'a une posture que le journaliste doit incarner pour
éviter de faire mal à la région parce qu'en relayant cette
information nous avons compromis beaucoup d'action [...] ». Dans ce
cas, la communication continue toujours de nuire au tourisme dans la
région naturelle de la Casamance.
Tableau 3 : objectifs médiatiques selon
les professionnels
|
|
|
|
|
Profession
|
domaine du
tourisme
2,0%
|
domaine de la
communication
0,0%
|
autres
3,0%
|
TOTAL
|
Les objectifs médiatiques
|
5,0%
|
1,0%
|
2,0%
|
|
pas du tout d'accord
|
42,0%
|
8,0%
|
20,0%
|
5,0%
|
pas d'accord
|
12,0%
|
1,0%
|
4,0%
|
8,0%
|
d'accord
|
61,0%
|
10,0%
|
29,0%
|
70,0%
|
|
totalement d'accord
TOTAL
Source : Enquête de terrain, avril 2019.
Ce tableau fait ainsi ressortir des données sur les
objectifs médiatiques, qu'ils soient immanents à la profession ou
à une simple concurrence commerciale de l'information. A ce propos, nous
nous sommes intéressés à l'avis des journalistes sur la
question. Cependant, 42% des professionnels du secteur touristique laissent
entendre que la communication fait face à des exigences professionnels
et commerciales ; de même que 8% évoluant dans le secteur de la
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communication, pour la plupart bien évidemment des
journalistes. En outre, nous nous sommes rendu compte lors de l'analyse des
données que 20% des interrogés partagent l'avis que les acteurs
médiatiques sont beaucoup plus préoccupés par la
transmission pure et simple de l'information sans un traitement
(vérification par exemple, voir annexe) et qui ne font ni partie de la
corporation journaliste et touristique. C'est un signal fort en ce sens que
cette observation s'opère aussi au niveau de la population dans son
ensemble.
Des éléments du conflit (informations
liées aux braquages, tuerie, etc.) font que le communiquant qui dispose
d'informations n'a qu'un objectif : être le premier à donner
l'information. Dans ce contexte, on note une inversion des rôles dans le
circuit logique de relai. On donne l'information pour ensuite la
vérifier. Le contexte en Casamance, sa particularité à
faire immédiatement le buzz sur l'opinion national et international,
fait que l'information, élément essentiel à la
communication, n'est presque plus soumis à un temps de filtrage, de
diagnostic, de vérification. En ce sens, M. Ba reconnaît que
certains journalistes ont diffusé de fausses informations qu'ils ont
eux-mêmes démenties en soutenant : « Nous avons eu
à faire des mea-culpa par rapport à certains papiers qu'on a
faits [...] pendant des décennies on a stigmatisé la Casamance,
mais je vous assure qu'être journaliste en Casamance, ce n'est pas facile
». C'est cette posture du journaliste qui est également
à l'origine de la déliquescence du tourisme dans la région
naturelle de la Casamance en général et en particulier dans les
communes de Ziguinchor et Djembéring. Elle affecte également son
essor dans le reste du pays.
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