WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La maternité dans la création contemporaine, de la révolution sexuelle à nos jours


par Jennifer FEVRIER
UFR des Sciences Historiques, Université de Strasbourg - Master 2 Histoire de l'Art 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. L'expérience de la maternité : le corps de la création au féminin

1. L'avortement

La lutte féministe pour acquérir l'autonomie du corps et de l'esprit de la femme eut pour point d'ancrage l'avortement et la demande d'accession à la contraception. En effet, c'est après avoir assisté à des suites d'avortements clandestins tragiques, et en constatant les multiples humiliations auxquelles les femmes étaient en proie lorsqu'elles avortaient que Mme Lagroua Weill-Hallé décida de fonder « Maternité Heureuse » : une association au titre lourd de sous-entendus. Sans contraception, les femmes de cette génération étaient réduites à diverses méthodes peu efficaces afin de contrôler leurs nombres d'enfants. Lorsque ces méthodes se révélaient peu concluantes et que se profilait une nouvelle grossesse non désirée, les femmes avaient recourt à l'avortement. Dans son livre Paroles d'avortées104, Xavière Gauthier nous plonge dans l'univers de ces femmes, qui sont nos mères ou nos grands-mères. Là est révélée la désolation qu'éprouvaient ses femmes, prêtent à mourir plutôt que de prendre le risque de mener à terme une nouvelle grossesse.

« Il suffit d'écouter les femmes » clamait Simone Veil, alors ministre de la santé, lors de son discours devant l'assemblée Nationale105. Ce que l'on constate, c'est que ces femmes ont su se faire écouter par le biais de la littérature, du cinéma, mais que le sujet resta plus discret en art dit plastique. Pourtant, les plasticiennes n'étaient pas épargnées par cette horreur ordinaire, et beaucoup militaient pour l'avortement et la contraception.

C'est par le biais d'un nouveau médium que les artistes vont s'exprimer sur la question de l'avortement volontaire, et bien au-delà, les artistes vont par ce biais militer. Histoire d'A de Charles Belmont et Marielle Issartelle porte à l'écran en 1973 la bataille pour la légalisation de l'avortement en montrant une intervention avec la méthode Karman. Le film fit scandale, mais ce qu'il montre, c'est également l'emploi récurrent de ce type de vidéo, le cinéma étant aussi hermétique aux femmes, si ce n'est pour les actrices. Ce médium a permis aux artistes femmes

104 Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004

105 Discours du 26 novembre 1974

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

95

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

de se faire connaitre et reconnaitre, et d'accéder ensuite aux sphères cinématographiques les plus élevées, mais là encore non sans mal. Sous forme de vidéos documentaires, ce médium a été mis sur le devant de la scène artistique, mais également sociale et politique, grâce au mouvement féministe.

Plus récemment, cinéma et art se sont rejoints dans le film Histoire d'un secret, de Marianna Otero daté de 2002. Ce film revient sur l'avortement tragique de l'artiste Clotilde Vaultier-Otero alors qu'elle était sur le point de faire une grande exposition. C'est un film qui touche ce tabou de l'avortement en plein coeur : c'est la fille de l'artiste décédée des suites de cet avortement qui réalise le film et mène l'enquête, car la mort de sa mère fut tenue sous silence, même ignorée de ses enfants dans un premier temps. On ressent alors le poids d'un lourd secret, les conséquences d'un tel mutisme mais également l'omerta qui régnait sur cette pratique qui était pourtant courante mais humiliante pour la famille de la défunte.

Cependant, certains artistes tenteront de transmettre plastiquement ce qui se révèle être un devoir de mémoire dans l'histoire des femmes.

Marie Mercié, qui faisait partie du groupe Féminie, a traité du sujet de l'avortement avec un réalisme glauque, mais criant de réalisme à la lecture de certaines confessions tirées du livre de Xavière Gauthier. Dans L'avortement, elle représente une cuisine dans une boîte en trois dimensions, à l'aide de meubles de poupée. Sur la table de cette cuisine, une femme allongée le dos contre la table, les jambes ouvertes repliées en position gynécologique, la robe retroussée sur ses cuisses et une cuvette placée sous les jambes. Une deuxième femme se tient debout dans cette minuscule pièce, c'est la « faiseuse d'anges », nom donné aux femmes pratiquant les avortements. Cette femme devait coller aux clichés de l'époque : une vieille femme, à la robe de chambre usée, aux bas limés, les cheveux grisonnant. On retrouve cette description dans les témoignages de Xavière Gauthier, « Là, il y avait une femme, avec une sale tronche. Elle faisait cela uniquement pour le fric et elle avait un souverain mépris pour les petites jeunes qui se retrouvaient dans cette situation-là ; elle a été odieuse tout le temps. [É] Puis on est passés dans la cuisine, on m'a demandé de m'assoir sur la table de la cuisine, qui était recouverte d'une toile cirée, je me suis allongée sur cette table.106 » Ou encore « je me suis allongée sur la table

106 Temoignage de Anne, Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.138

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

96

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

de la cuisine et elle a introduit dans le col de mon utérus un (ou plusieurs, je ne me souviens plus) de ces bigoudis de l'époque en métal caoutchouté en forme de haricot vert107.» Xavière Gauthier, esquisse un profil type de l'avorteur ou plutôt de l'avorteuse à travers le ressenti des victimes qui témoignent. « Elles les décrivent de manière négative : sale, vieille, revêche, intéressée, brutale. Elle est négligée, son peignoir de nylon baille sur sa poitrine. Ses cheveux blancs semblent plutôt une marque de laisser-aller qu'un signe d'expérience et de sagesse. On la voit marginale, cartomancienne, sorcière108

L'univers de la cuisine, qui va être énormément utilisé pour contester les conditions de vie des femmes, est ici assez révélateur également de l'univers domestique de l'avortement. En effet, pour déclencher les avortements, les femmes se servaient souvent d'ustensiles de cuisine, de la pharmacie ou de la couture. Cela allait de la poire à lavement qui faisait souvent partie de l'armoire à pharmacie, additionnée à un mélange d'eau et de moutarde quand ce n'était pas de la javel ou de l'alcool. Mais on utilisait aussi des ciseaux, des fourchettes, des tiges de persil. Les femmes, désemparées par ces nouvelles grossesses, utilisaient tout ce qui leur passait sous la main, tout ce qui faisait parti de leur univers. Les instruments de beauté ne furent pas en reste, comme on le remarque dans la citation précédente. Elles s'inséraient dans le vagin des aiguilles à tricoter, des baleines de parapluie ou de corset, des épingles de cheveux, bigoudis. Lorsqu'elles avaient l'aide d'un médecin, qui faisait cela soit par amitié pour la condition féminine soit, bien moins honorable, pour arrondir leurs fin de mois, ils leurs disaient d'acheter des tuyaux d'aquarium. Tout cela afin de provoquer une hémorragie et que le foetus « se décolle » et tombe.

L'univers domestique, mais aussi le sentiment complet de solitude et d'isolement, se retrouvent également dans une série d'oeuvres plus récentes de l'artiste Paula Rego (figure 48). L'attitude désemparée se lit sur les visages des jeunes femmes en train d'avorter, l'une pliée en deux par la douleur provoquée par cette entreprise, l'autre se tenant sur une cuvette, attendant la fin de l'hémorragie salvatrice, mais qui pourrait se révéler fatale. Le réalisme est frappant dans cette série, à la lecture des témoignages parus dans l'ouvrage de Xavière Gauthier. On retrouve le lit,

107 Témoignage d'Oriane, Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.176

108 Gauthier Xavière, Paroles d'avortées : quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.59

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

97

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

la cuvette, l'attente, la solitude voire l'isolement. On ressent par ailleurs autant la détresse au travers de cette série que dans les témoignages.

Figure 48: Paula Rego, Triptych,

1998, Pastel sur papier, monté sur aluminium, 110 x 100 cm

Michel Journiac lui, représente l'avortement dans sa série des 24 heures dans la vie d'une femme ordinaire (figure 49). Une photographie représentant une femme assise dans un lit, le même que celui emprunté pour représenter la naissance, tenant entre ses jambes ce qui s'apparente à un morceau de viande. En confrontant la photographie représentant la naissance et celle de l'avortement, on remarque des similitudes qui dépassent la simple reprise du lit. En effet, la posture de l'artiste travesti en femme est la même : assis, la jambe droite repliée vers le torse, la jambe gauche repliée sous le corps. La chemise de nuit est la même. La différence s'opère à l'objet entre les jambes ainsi que l'attitude de cette femme. L'enfant de la Naissance se substitue à un morceau de viande, constitué principalement de sang et de muscles, qui fait l'analogie avec un foetus. On peut aussi penser au placenta, qui, lorsqu'il est expulsé, est appelé « délivrance » : c'est ce que semble exprimer le visage de la femme et le fait qu'elle se tienne le ventre. Il est très étonnant qu'un homme représente cet acte, car la plupart du temps, les hommes étaient absents de la problématique de l'avortement. C'était, comme Claude Chabrol titre son film, Une affaire de femme109.

109 Une affaire de femme, film de Claude Chabrol, MK2 Diffusion, 21 septembre 1988

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 49 : Michel Journiac, 24h dans la vie d'une femme ordinaire, Réalités/Fantasmes, l'avortement, Série des fantasmes, 1974, photographie noire et blanc

Un autre homme va traiter ce sujet si féminin et tabou de l'avortement, Edward Kienholz, avec The Illegal Operation en 1962 (figure 50). C'est en plein pendant les campagnes pour l'avortement qu'il présente cette sculpture qui, par son aspect repoussant, tend à dénoncer les conditions dans lesquelles les femmes doivent interrompre leur grossesse. Au milieu d'un amoncellement de pots et de seaux rouillés, le corps d'une femme représentée par un sac en toile côtoie des instruments chirurgicaux douteux.

 

Figure 50: Edward Kienholz, The Illegal Operation, 1962, Technique

mixte,

149.9 x 121.9 x 137.2 cm, Collection Betty and Monte Factor Family

98

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

99

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Une des premières représentations d'un avortement, mais d'ordre spontané, s'est fait par l'artiste mexicaine Frida Kahlo. Dans l'Hôpital Henry Ford (figure 51), l'artiste se représente nue, allongée sur un lit sur lequel elle saigne. Autour d'elle, et relié par un cordon de sang, on trouve un foetus, un escargot, symbolisant la lenteur de la fausse couche, une orchidée et trois représentations de l'appareil reproductif féminin. Avant de faire cette fausse-couche qu'elle traduira picturalement, elle aura pratiqué un avortement volontaire. Le rapport à la maternité de Frida Kahlo est très intéressant, car elle questionne la fragilité de la femme, qui a peur de ne pouvoir enfanter à cause de ses soucis de santé ; mais aussi cette ambivalence entre le refus de maternité et le besoin de tomber enceinte pour se rassurer sur son identité de femme, sur sa propension à enfanter. Elle questionne la position de l'artiste femme et le rapport à sa carrière mais également à la carrière de son amant, Diego Rivera. Elle dira « Je ne suis pas très forte et une grossesse m'affaiblit encore plus.... Je ne pense pas que Diego aimerait avoir un enfant car c'est son travail qui le préoccupe avant tout et il a bien raison... De mon point de vue, je ne sais pas s'il serait bon ou non d'avoir un enfant, car Diego est continuellement en voyage et pour aucune raison, je ne voudrais le laisser et rester sans lui à Mexico. Il n'y aurait donc que des difficultés et des problèmes pour tous les deux110. »

Figure 51: Frida Kahlo, Henry Ford Hospital, 1932, Huile sur metal, 32.5 x 40.2 cm, Collection
Museo Dolores Olmedo Patiño, Mexico City

110 H.Herrera, Frida, biographie de Frida Kahlo, new-york, Harper and Row, 1983, p.138-139, Whitney Chadwick, Les femmes dans le mouvement surréaliste, p.134

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

100

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Au-delà du rendu du vécu des femmes avortées, il y a la représentation de la prise de position. Cette question qui est encore aujourd'hui épineuse, de l'avortement. Dès l'origine teintée de débats religieux, les artistes des années 2000 prennent plus facilement position, et même de façon plus radicale. Marc Quinn, un artiste anglais, prend clairement position contre l'avortement avec son oeuvre Rainbow Angel, une sculpture de 2008, représentant un foetus-squelette en position de prière, agenouillé et mains jointes, placé à la cathédrale de Winchester (figure 52). La sculpture de cet artiste tend à défendre son opinion qui est très fortement liée à la religion, par l'emplacement qu'il lui confère.

Figure 52 : Marc Quinn, Rainbow Angel, 2008, bronze à patine chromée, 30cm de haut, Courtesy
Gallery Hopkins-Custot

2. La naissance : l'élan vers la vie, mais le début du chemin vers la mort

Le rapprochement de la femme et de la mort a très souvent été fait, notamment dans les représentations populaires où l'on trouvait la mort allégoriquement représentée sous les traits d'une femme. Simone de Beauvoir nous explique également qu'il revient aux femmes de pleurer les morts111. La maternité va également être étroitement liée à la mort, car la naissance

111 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.249

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

101

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

est nécessairement « le début de la fin », en ce sens que la femme qui donne la vie annonce également la mort comme terme de cette vie, « la naissance, même quand tout se passe bien, est toujours, déjà, un « drame », car dans l'instant où la mère inscrit l'enfant dans l'ordre des vivants, elle l'inscrit dans celui de la mortalité112. » La femme est souvent liée à la mort dans le sens que ses règles sont le résultat d'un échec de fécondation. Certains y voient une mort car il n'y a pas eu nidation de l'embryon. Et pensons aussi à ces déesses de la maternité comme Fraja, la déesse nordique, qui préside aux accouchements tout en étant également la déesse des morts.

Quelques fois, l'expérience de la naissance rencontre celle de la mort dans un même instant. On dit d'un enfant « mort-né » lorsqu'il nait, ce qui lui donne une reconnaissance en tant que personne, mais déjà à sa venue au monde, paradoxalement, « il n'est plu ». Il y a donc eu une grossesse, un accouchement, mais pas d'enfant. Cette douloureuse expérience fut traduite chez certaines artistes. La douleur, profonde et humaine, est traduite sous la plume de Marguerite Dumas113 dans un texte paru dans la revue Sorcière sous le nom « l'horreur d'un pareil amour » : « La peau de mon ventre me collait au dos tellement j'étais vide. L'enfant était sorti, nous n'étions plus ensemble. Il était mort d'une mort séparée (É). Mon ventre était retombé lourdement sur lui-même, un chiffon usé, une loque, un drap mortuaire, une dalle, un néant que ce ventre. Il avait porté cet enfant et dans la chaleur glaireuse et veloutée de sa chair, ce fruit marin avait poussé. Le jour l'avait tué. Les gens disaient : « ce n'est pas si terrible à la naissance, il vaut mieux ça ! » Etait-ce terrible ? Je le crois ; précisément ça : cette coïncidence entre sa venue au monde et sa mort. Ce vide était terrible, je n'avais pas eu d'enfant même pendant une heure. »

Bill Viola, mêle vie et mort dans une oeuvre vidéo, dans Nantes Triptych, en 1992, l'artiste présente une vidéo de sa femme en train d'accoucher et la vidéo de sa mère agonisant sur son lit d'hôpital. Cette référence permet d'évoquer le mystère de la vie et l'impulsion vers la chute inévitable que sera la mort. Ce qui est intéressant également, c'est de constater que dans cette oeuvre, le passage du néant à la vie et de la vie à trépas se fait via le corps d'une femme, de surcroit le corps maternel.

112 Benhaïm, Michèle, La folie des mères, j'ai tué mon enfant, p.11, Création au féminin, Volume 1, Littérature, textes réunis et présentés par Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006, p.74

113 Egalement dans sa pièce Détruire, dit-elle, Editions de Minuit, Paris, 1969

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

102

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Christian Boltanski fait également se rencontrer la naissance et la mort dans son oeuvre Chance114, où il mêle les images de visages de nouveau-nés et décompte en temps réel des naissances et des décès dans le monde.

Cependant, l'expérience de la mort lors de la naissance peut donner lieu à un acte de renaissance qui va souvent se traduire en création. Monique Bydlowski l'exprime en ces termes « l'intense chagrin de la perte d'un enfant à peine naissant peut paradoxalement se métamorphoser, pour certains êtres, en un « merveilleux malheur »É une catastrophe intime qui se convertit en connaissance secrète capable d'illuminer les décades ultérieures. C'est le cas de celles qui transforment leur chagrin en une création originale115. » Ainsi Marguerite Duras qui transformera son chagrin en pièce de théâtre avec Détruire dit-elle, mais également d'Orlan qui fera de la fin d'une grossesse extra-utérine une oeuvre en la filmant et en la présentant116, marquant le début de ses séries d'opérations chirurgicales.

3. L'accouchement

i. Désacralisation

Si la naissance laisse penser à un instant joyeux, du fait de la rencontre avec le mystère qui a grandi pendant neuf mois, l'accouchement, lui, véhicule une image beaucoup moins positive. Le vocabulaire associé à la parturition fait référence à un travail douloureux, épuisant, long, mettant le corps à l'épreuve. « La délivrance » qui coïncide avec la dernière partie d'un accouchement - la sortie du placenta- est fortement révélatrice de l'intensité de la tâche. L'origine de la maternité a elle aussi une valeur négative : il s'agit « d'enfanter dans la douleur117 » selon la bible. Il n'est pas étonnant alors de retrouver dans les oeuvres traitant de l'accouchement une certaine violence. L'artiste photographe Howtan décide de rendre hommage aux souffrances de la femme accouchant dans une photographie lumineuse, Scream of War, représentant une femme ensanglantée et nue, proche de l'hystérie. La violence de

114 Réalisée au sein du pavillon français lors de la 54e Biennale de Venise, 2011

115 Bydlowski, Monique, Je rêve un enfant, l'expérience intérieure de la maternité, p.152, Création au féminin, Volume 1, Littérature, textes réunis et présentés par Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006, p.75

116 En 1979

117 Genèse 3,16

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

103

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

l'accouchement est révélée également dans une vidéo de Pipilotti Rist, When My Mother's Brother Was born, It Smelled Like Wild Pear Blossom In Front Of The Brown-Burnt Still118, où l'on voit un accouchement et notamment l'épisiotomie pratiquée, sur fond de paysage montagneux.

De manière plus symbolique, Anita Molinero suggère la pénibilité de l'accouchement avec Cocoerrance, une table d'accouchement où le corps disparu semble avoir malmené la table au point d'y laisser son empreinte (figure 53). Cette table devient métaphore du corps accouchant.

Figure 53 : Anita Molinero, Cocoerrance, 1997, Table de travail et plaque d'inox, vue de l'exposition Cocoerrance, La BF15, Lyon, 2007

Il y a donc par ces oeuvres une désacralisation de l'acte d'enfanter, notamment en s'appuyant sur les notions de violence envers le corps de la femme et de douleurs. La dénonciation de ces souffrances maternelles est constatée par Patrizia Romito qui montre dans son étude sur l'expérience de la maternité, que les femmes gardent en souvenir de cette expérience un choc, et 80% d'entre elles parlent même de douleur plus insupportable que prévue.

118 1992

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

104

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

ii. Accouchement comme emblème de l'artiste

La représentation de l'accouchement va être traitée dans l'optique symbolique de l'affirmation de soi en tant qu'artiste, dans l'idée d'un acte libérateur vis-à-vis du monde de l'art accaparé par les hommes.

En 1979, lors d'une exposition sur l'artiste Artémisia Gentileschi à la galerie Yvon Lambert, l'artiste Léa Lublin proposa une relecture d'une oeuvre fondamentale d'Artémisia. Dans le meurtre d'Holopherne, Artémisia représente Judith, l'héroïne qui se sacrifie pour son peuple et tranche la gorge de l'oppresseur (figure 54). Lorsque l'on connait l'histoire de cette artiste, le tableau s'éclaire davantage. En effet, Artémisia peint deux versions du meurtre d'Holopherne, à partir de l'ouverture du procès pour viol intenté par son père contre un peintre, Agostino Tassi. Le tableau est alors perçu comme la lutte d'Artémisia contre son bourreau, en tentant de reconquérir son honneur. Mais à bien y regarder, Léa Lublin y voit la naissance, l'accouchement de la femme-artiste. Dans son article, Le Milieu du tableau en 1979, elle met en avant que la disposition des protagonistes du tableau s'apparente plus à un accouchement qu'à une mise à mort. Pour elle, les bras d'Holopherne ressemblent plus aux jambes d'une accouchée qu'aux bras d'un homme en train de mourir, avec un dernier sursaut pour se défendre. La position des deux femmes, Judith et la servante, évoque pour elle le travail des sages-femmes en train de tirer la tête du bébé. « Scène de mort, la mise en scène du corps par le retournement de ces fragments fait apparaître aussi la scène de la défloration, la scène du viol, la scène de la castration, la scène de l'accouchement, de l'enfantement. »119 Léa Lublin accompagne ses propos de dessins réalisés en isolant les différents actes. Artemisia renverse donc la violence pour se mettre au monde en tant qu'artiste.

119 Lublin, Léa, espace perspectif et désirs interdits d'Artemisia Gentileschi ; Artemisia mot pour mot, Galerie Yvon Lambert, Paris, 1979, p.50, cité dans, Bonnet, Marie-Jo, Les femmes dans l'art, qu'est-ce que les femmes ont apporté à l'art?, Editions de la Martinière, Paris, 2004, p.107

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 54: Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, 1620, peinture sur toile,
Galerie des Offices, Florence

Louise Bourgeois, qui a largement traité les sujets de maternité tout au long de sa carrière artistique, se représente en train d'accoucher dans Femme accouchant. D'entre ses jambes parait une tête de même dimension que la jeune parturiente. La corrélation entre création et procréation est encore plus nette avec l'oeuvre photographique Orlan accouche d'elle m'aime (figure 55).

105

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

106

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 55 : ORLAN, ORLAN accouche d'elle-m'aime, 1964, 81 x 76 cm (avec cadre),
photographie en noir et blanc, tirage unique

Dans cette oeuvre, on voit ORLAN elle-même, nue, à demi couchée sur un drap. La photographie fige l'artiste en une position d'enfantement méditatif, sa main gauche tenant sa tête comme plongée dans une réflexion. Sa main droite effleure un être androgyne sans bras, qui sort de son sexe, figure ni homme ni femme. ORLAN accouche d'elle m'aime, du verbe aimer, avec la volonté revendiquée de se créer autant que d'avoir été créée. Malgré ce titre qui nous informe qu'elle accouche, la scène ne laisse pas apparaître un corps en souffrance, en « travail » à proprement parler. La douleur de l'enfantement, précisée par la Bible, « tu accoucheras dans la douleur », ne se lit pas sur le visage d'ORLAN. Et pour cause, elle ne donne pas naissance à un être humain, mais à elle-même. L'accouchement ici se révèle être spirituel, et non plus charnel. Elle se place en artiste démiurge, reprenant les mots d'Antonin Artaud « je suis mon fils, mon père, ma mère et moi120. » « Je suis une homme et un femme » affirme ORLAN. Cette démarche renvoie à se donner naissance comme artiste idéal, dépourvue de sexe, quittant la guerre des genres en art.

120 Antonin Artaud, "Ci-gît", dans OEuvres Complètes vol. XII, Paris, Gallimard, 1974, p.78.

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

107

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle