WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La maternité dans la création contemporaine, de la révolution sexuelle à nos jours


par Jennifer FEVRIER
UFR des Sciences Historiques, Université de Strasbourg - Master 2 Histoire de l'Art 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

V. Le corps de la mère disparaissant: la

parentalité ubiquiste

A. La reconquête du corps

1. La science vs le corps féminin

Le combat des femmes mené de front pour obtenir la différenciation entre la sexualité et la procréation, afin d'être considérées comme des femmes et non plus comme des mères en puissance, va vite être rattrapé par la science et la médecine. Si leur liberté de corps, de pouvoir choisir d'avoir des enfants ou non ainsi que du moment, leur a été offert grâce à la médecine, notamment avec la pilule et l'interruption volontaire de grossesse dans des conditions décentes, cela ne sera pas sans une lourde contrepartie. Le constat des artistes va être sans appel, démontrant que le choix d'avoir un enfant va rapidement devenir le droit d'avoir un enfant, et que cette exigence va entrainer les femmes à sacrifier leur corps à la médecine dans cette seule volonté de procréer.

Si l' « histoire de la médecine de la naissance » 121 a mis un temps certain pour se développer, son étude connait une forte évolution dans les années soixante-dix, en marge du mouvement de la libération sexuelle. Au regard de cette « histoire », on découvre que la reproduction humaine a souvent été réduite à ses organes. A partir du XVIIe siècle, le développement de la dissection des animaux et l'homologie, c'est-à-dire l'extrapolation du système reproducteur des animaux notamment à celui de la femme, va conduire à cette réduction de l'Homme à ses organes. Par exemple William Harvey en 1672 découvrira des oeufs chez la lapine, ce qui amènera à la découverte des ovaires chez la femme. La découverte des spermatozoïdes en 1677 dans la semence masculine succède de peu d'années la découverte des ovaires, mais il faudra attendre 1824 pour découvrir que le spermatozoïde féconde l'ovule122.

121 Selon Papiernik, Emile, introduction Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009

122 Par Jean-Louis Prévost et Jean-Baptiste Dumas

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

108

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Le XIXe siècle verra la recherche embryologique se développer en parallèle de découvertes technologiques qui lui serviront par la suite.123 Cependant, tout s'accélère à partir des années 1970 avec le basculement vers une transparence totale du corps qui va se mettre en place par le biais de l'échographie obstétricale, mais également une distanciation du pouvoir des parents par l'institutionnalisation de la reproduction avec le développement d'une véritable politique de santé publique visant la maternité. Ainsi, en 1978 va naître celle que l'on appelle le premier « bébé-éprouvette », Louise Brown en Grande-Bretagne, puis le premier « bébé-éprouvette » français Amandine, en 1982. Ces naissances montrent combien la recherche sur la reproduction et la procréation a fait de progrès, puisque les médecins peuvent « concevoir » des embryons en dehors du corps de la femme. Ces naissances marquent également une rupture : c'est l'aboutissement des recherches sur la procréation car en dévoilant une parfaite connaissance des appareils reproducteurs masculins et féminins ainsi que la mécanique de la fécondation, des questionnements d'ordres éthiques sur le devenir de l'humain et le développement de nouvelles manières de concevoir des enfants s'ouvrent alors.

Les corps, et surtout celui de la femme puisque lieu de la fécondation et de la grossesse, ont été analysés jusqu'à atteindre un niveau de transparence extrême, rendant ce corps obsolète à l'élaboration de l'embryon. Ce constat de disparition du corps va se retrouver chez les artistes dès les prémices même des recherches embryologiques des années 1970.

L'artiste Kiki Smith est celle qui révélera le mieux cette tendance à la disparition du corps au profit du médical. C'est en 1986 qu'elle pose les débuts de son investigation critique de la dépersonnalisation du corps et sa surmédicalisation avec son oeuvre Womb (figure 56). Cette sculpture de bronze représente un utérus isolé du reste du corps d'une femme, transversalement sectionné. Par l'aspect minimaliste de la sculpture, qui lui confère un aspect de récipient par le biais de ses deux anses, Kiki Smith exprime son désir de penser le corps « en terme d'intériorité » et que ce corps « a besoin d'être exploré et dévoilé » non plus sous la houlette d'une science inquisitrice, mais psychologiquement et psychiquement. Le spectateur est confronté directement à cet organe interne de procréation, lieu de vie, brutalement extrait du corps. Ce lieu de mystère est donc révélé, tout comme la science a rendu transparent le corps de la femme. Par la technologie, la femme est dépossédée de son corps, de son intérieur intime,

123 Découverte des rayons X en 1895 par Wilhelm Konrad Röntgen

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

109

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

complètement transparente, presque hors d'elle. Ce rapt du corps par la science est largement décrié par l'artiste : « je veux donner accès aux gens aux choses troublantes et déroutantes. Je n'aime pas la manière dont la médecine a investi le corps. Je n'aime pas l'attitude hiérarchique des médecins envers les patients, comme s'ils étaient les détenteurs du savoir du corps du patient124

Figure 56: Kiki Smith, Womb, 1986, bronze, 45,7x 30,4x 20,3cm (fermé), Courtesy Galerie Pace
Wildenstein, New-York

Si la pratique artistique de Kiki Smith est tournée vers la réappropriation du corps en général, on constate que le corps de la femme lié à sa fonction reproductive tient une large place. Les visées féministes de l'artiste ne sont pas à occulter, car il s'agit pour elle d'une reconquête du territoire corporel, au même titre que les revendications féministes des années de libération sexuelle, mais déplacées dans un contexte scientifique et non plus sociologique. Kiki Smith déclare « nos corps nous sont littéralement volés, et il s'agit de faire en sorte que chacune reconquiert son propre territoire, son propre véhicule qui lui permet d'être là ; il s'agit de le posséder et de l'utiliser, de regarder la manière dont nous existons. L'expérience des femmes

124Codrington, Andréa, « Beneath the Skin », The Journal of Art, octobre 1991, vol.4, n°8, p.42, cite dans Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak, Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre - 8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées nationaux, Paris, 1992, p.88

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

110

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

se vit certainement plus profondément à travers le corps. Dans un certain sens, nous sommes le corps125. » Il n'est donc pas étonnant que cette artiste se penche si fréquemment sur le corps des femmes et leur lien à la reproduction.

Se réapproprier ce pouvoir de donner la vie, de la transporter, se retrouve dans plusieurs autres oeuvres. Alors que dans Black Flag, le corps se trouve littéralement dissout par l'imagerie médicale pour présenter la fécondation d'un ovule par des spermatozoïdes, la reconquête du charnel se fait par les oeuvres comme Through ou la série Shields (figures 57). Ces oeuvres représentent des ventres de femmes enceintes, la première étant une sculpture d'une moitié de femme avec une jambe, le ventre proéminent et un bras. Les secondes ne se focalisent que sur le ventre. Il s'agit de moules de ventres enceints, semblables à des tondi en reliefs. On assiste donc à un véritable réinvestissement de la femme, et surtout de la valeur charnelle, dans le processus de reproduction, tant dans la conception par les plâtres moulés à même les corps, que dans la valeur symbolique.

Figure 57: Kiki Smith, Shield, 1988, collection de David McKee, New York

On peut également rapprocher ces moulages de ventres de femmes enceintes avec le travail de Marie-Ange Guilleminot et sa série de moulages de nombrils vus de l'intérieur en 1991-1992 (figure 40, page 85). Il ne s'agit pas de ventres de femmes enceintes, mais renvoie au corps originel : « le nombril est le résidu de notre origine qui est le corps maternel (l'utérus). Il est la

125 Schleifer, Kristen Brooke, « Inside & Out : An Interview With Kiki Smith », The Print Collector's Newsletter, juillet-août 1991, p.86, cite dans Laboratoire pour une expérience du corps, Exposition, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1995 : Damien Hirst, Fabrice Hybert, Kiki Smith, Patrick Van Caeckenbergh, Presses universitaires de Rennes, 1995, p.92

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

111

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

signature maternelle sur le corps du bébé, indélébile, la trace reste comme un message de la fin déjà décidé dès notre naissance. » Et de rapprocher la démarche des deux artistes de recentrer sur le corps comme individualité « Mais aussi la singularité parce que [...] les nombrils sont des portraits. Ils sont tous différents - uniques, originaires, authentiques [...].126 »

L'artiste canadienne Nell Tenhaaf tend également à critiquer la façon dont la technologie à « usurpé la capacité d'enfanter de la femme127. » Déjà en 1990, elle offrait une vision critique de la pratique de la fécondation in vitro avec son oeuvre In Vitro, où des paires de chromosomes illuminés étaient présentés dans des caissons de plexiglas, réduisant ainsi la reproduction à un symbole génétique.

Avec The Solitary Begets Herself, Keeping All Eight Cells, Nell Tenhaaf met en évidence la crainte de voir réduire le corps humain à un code prédéterminé, qu'est notre ADN, en le mêlant à l'oppression subie de par les organismes scientifiques et médicaux qui briment le corps de la femme à coups de procédures violentes comme la stimulation ovarienne, et l'enfermement de ce corps dans un univers trop scientifique (figure 58). L'oeuvre représente une femme nue allongée dans un caisson, avec, dispersés sur son corps, des groupes de deux, quatre ou huit cellules. Ceci renvoie directement à la médecine de la reproduction et à sa technique de diagnostique prénatale, qui prélève des cellules de l'embryon pour des fins d'essais génétiques. Tout comme pour les oeuvres de Kiki Smith, c'est la disparition du lien charnel du corps de la femme à l'enfant qui est mis en avant, disparition du corps au profit d'un organe, ou même disparaissant complètement derrière un simple code génétique, pour se réduire à l'anonymat.

126 Bronfen, Elisabeth, extrait de notes inédites prises à l'occasion d'une rencontre avec Marie-Ange Guilleminot suivie d'une séance de moulage, le 18 mars 1995, à la galerie Chantal Crousel à Paris, p.260 cité dans L'empreinte, exposition organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 / direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris, 1997

127 Reichle, Ingeborg, « Au confluent de l'art et de la science, le génie génétique en art contemporain », Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.255

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

112

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 58: Nell Tenhaff, The solitary begets herself, keeping all eight cells, 1993, 369 x 19 x 25,5 cm,
Centre of contemporary canadian art

Cette volonté de se réapproprier le pouvoir de reproduction trouve des échos aujourd'hui. Un article du Monde de mars 2012 explique cette volonté des femmes de ne plus être spectatrices de leurs grossesses et de leurs accouchements, et refusent l'usurpation de leur pouvoir d'enfanter. L'une des femmes interrogées s'exprime ainsi « lors de mes contacts avec des établissements hospitaliers, j'avais le sentiment que j'étais un numéro suivi pour une intervention chirurgicale, alors que je voulais être actrice de ma grossesse. » Le constat dressé par ces artistes tels que Smith ou Tenhaaf traduit une réalité concrète qui perdure. Ce constat est d'autant plus marqué pour la femme dans son rapport à la parentalité que c'est elle qui porte l'enfant et le fait naître, mais également parce que la médecine de la reproduction s'est attachée

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

113

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

presque essentiellement à la fonction procréatrice de la femme, comme par exemple avec les méthodes de contraceptions presque exclusivement féminines. Yvonne Knibiehler l'exprime clairement « la médicalisation est une autre manière de contrôler la liberté du corps128

Ces deux artistes ont mis en avant le poids de la science sur les corps, notamment sur le corps de la femme dans le domaine de la reproduction. D'autres vont mettre en évidence l'importance fondamentale de l'espace utérin et du rapport charnel au corps de la mère dans le développement des individus, comme les artistes Lygia Clark ou Egle Rakauskaite. Ces deux artistes, par des moyens plastiques différents, vont amener le spectateur à revivre un état originel déchu, comme pour la performance de Lygia Clark, A casa é o corpo. Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao en 1968, qui proposait une expérience tactile de l'intériorité du corps féminin, ou à constater la ré-expérimentation du corps dans un état foetal reconstitué pour Egle Rakauskaite par son oeuvre Honey (figures 59 et 60).

Figure 59: Lygia Clark, A casa é o corpo. Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao (une
maison pour mon corps. Pénétration, ovulation, germination, expulsion), 1968, installation de
huit mètres de long réalisée pour la Biennale de Venise de 1968

128 Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris, 1997, p.181

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

114

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 60: Egle Rakauskaite, In Honey, 1996, performance, Musée de Arte, Reijkiavik

2. Réalisme et hyperréalisme

La maternité, comme on a pu le démontrer dans les chapitres précedants, a été dissimulée derrière les conceptions religieuses jusqu'à ce que les artistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe révèlent en quelque sorte le rôle maternel, en le glorifiant, par des conceptions dociles d'allaitantes et de maternantes, au sens d'éducatrices. Nous pensons alors à Eugène Carrière. Les années soixante-dix vont bousculer l'image de la maternité, en montrant qu'être mère n'est pas l'idéal féminin, en radicalisant le discours et en dévalorisant le processus maternel, de la grossesse à l'éducation des enfants. Les artistes contemporains, à partir des années 90, vont donner une image de la maternité désacralisée mais toute empreinte de vérisme,

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

115

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

non pas dans une volonté de décrier la maternité, mais de montrer tout simplement la réalité du mystère. Ils montrent ce que l'on ne voit pas habituellement: une rencontre entre une jeune accouchée et son enfant hors de toute béatitude et emprunt de surprise et de doutes chez Ron Mueck; des jeunes mères épuisées par l'accouchement chez Rineke Dijkstra. L'heure n'est plus au mensonge sacralisant la maternité ni à la dénonciation d'une maternité esclave: l'heure est à la véracité.

Ron Mueck, par ses oeuvres comme Mother and Child ou encore Pregnant Woman, tend à nous proposer une expérience peu ordinaire, à savoir de pouvoir voir de près, de très près, des instants de maternité dissimulés habituellement. Pregnant Woman est une sculpture d'une femme enceinte nue, en toute fin de grossesse (figure 61). Sa position n'est pas habituelle, levant les bras derrière sa tête pour étirer ce corps malmené par la maternité. Son visage n'exprime aucune béatitude, mais une crispation qui pourrait faire croire à une extrême concentration durant une contraction utérine douloureuse, annonçant l'accouchement laborieux. Cette femme est corps, elle montre et suggère également par sa dimension129, l'aspect imposant et pesant de la maternité, il se concentre sur le corps, ce ventre proéminent vers lequel toutes forces convergent.

Figure 61: Ron Mueck, Mother and child, 2001, matériaux divers, 24 x 89 x 38 cm, collection
Brandhorts, Allemagne

129 La sculpture fait deux mètres cinquante de hauteur

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Mais s'il est des instants qui sont encore peu dévoilés, ce sont ceux de l'accouchement. Souvent suggéré par les artistes des années 70/80 comme on a pu le voir dans la partie précédente de manière radicale afin de faire prendre conscience que l'accouchement est une réelle souffrance, Ron Mueck va en révéler un fragment, tout en restant dans un vérisme profond, hors de toutes conceptions idéalisées ou dépréciatives. Mother and Child présente une femme nue, allongée sur le dos, les jambes légèrement repliées, les bras le long du corps. Sa tête se détache du socle pour regarder son ventre flasque et découvrir son nouveau-né, cet être énigmatique qui a grandi durant neuf mois dans son intimité et qui lui est brusquement dévoilé. Du sexe de la jeune accouchée, se présentant béant et bouffi, sort le cordon ombilical, reliant encore physiquement la mère à l'enfant et indiquant l'instantanéité de l'acte. Cette sculpture mélange les détails obstétricaux triviaux à la dimension psychologique de l'accouchement, avec cet émerveillement craintif qui se lit sur le visage de la mère découvrant son enfant (figure 62).

Figure 62: Ron Mueck, Pregnant woman, 2002, matériaux divers, 252 x 73 x 68,9 cm, National Gallery

of Australia, Canberra

 

116

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

117

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Ce même état de surprise, mêlé à une sorte de torpeur, se retrouve dans la série photographique Netherlands de l'artiste néerlandaise Reneke Dijikstra (figures 63, 64 et 65). Cette série se compose de trois photographies cadrant des jeunes femmes tenant leurs nouveaux-nés contre elles, à différents moments après leurs accouchement : quelques minutes après, une heure, un jour. Les photographies semblent être prises dans le couloir d'un hôpital, tout du moins dans un environnement neutre, impersonnel, intemporel, qui peut renvoyer au socle froid de Mother and Child de Ron Mueck. Le format et la composition de ces trois oeuvres photographiques donnent l'impression d'un documentaire sur l'accouchement et ses suites. La réalité de l'accouchement est suggérée : les traits de ces femmes sont tirés, attestant de la pénibilité du travail effectué ; le corps est encore gonflé de la présence durant de longs mois de l'enfant qu'elle serre à présent contre elle et le corps de l'enfant, recroquevillé à l'image du nouveau-né de Ron Mueck, porte également la trace de sa vie in vitro, par sa couleur renvoyant aux muqueuses utérines. Rien n'est épargné au spectateur, même pas les culottes-filées d'on l'une des jeunes mères est parée, que les futures mères découvrent sur leur liste de maternité.

Figure 63, 64, 65 : Reneke Dijikstra,

Saskia, Harderwijk, Netherlands, March 16 1994, 1994, photographie sur papier, 117 x 94 cm

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

118

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

La réappropriation de la maternité, du corps de la femme, passe ici par une révélation de l'acte, par l'instantanéité. La maternité est exposée par la confrontation du spectateur à cet acte purement charnel qu'est l'accouchement. Hors de toute sacralisation ou dépréciation, ces oeuvres tendent à montrer la grande humanité de ces femmes.

3. Du « penis envy » à « l'uterus envy »130

La séparation de la reproduction et du corps, notamment du corps de la femme en ce qui concerne la fécondation, mais aussi le fait de pouvoir implanter des embryons dans le ventre d'une femme sans que ceux-ci ne soient les siens, donnent accès à toutes sortes de fantasmes. Ainsi, n'est-il de plus ancien fantasme de la part des hommes que celui de porter la vie également ? Parallèlement à ce que la maternité serait, selon Freud, l'expression de « l'envie du pénis », les progrès technologiques entraineraient ce que l'on pourra appeler « l'envie de l'utérus » chez les hommes. Ce fantasme se traduit également sociologiquement au travers des attitudes des hommes. Elisabeth Badinter le soulignait déjà dans son ouvrage131, ces dernières années nous assistons à une identification des pères vis-à-vis de leurs femmes. Lorsque ces dernières se virilisent et prennent certaines distances à l'égard de la maternité, il serait très certainement apparu un « désir de maternage, sinon de maternité132 » de la part des pères. Ce constat qui s'affirme aujourd'hui, avec notamment l'élaboration d'une politique de la paternité par la mise en place du congé paternité à la naissance de l'enfant et son possible allongement, aurait eu pour racines le dépouillement des pères de toute autorité au profit de l'Etat et des mères. « L'accroissement considérable des responsabilités maternelles, depuis la fin du XVIIe siècle, a progressivement obscurci l'image du père. Son importance et son autorité, si grande au XVIIe siècle, sont en déclin, car en prenant le leadership au sein du foyer, la mère a largement

130 Friedan, Betty dans la femme mystifiée parle p.159 des hommes d'aujourd'hui qui souffrent de « l'envie de l'utérus »

131Badinter, Elisabeth, L'amour en plus : histoire de l'amour maternel, XVIIe-XXe siècle, Flammarion, Paris, 1980 132 Op. cit. p. 365

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

119

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

empiété sur ses fonctions133 » précise Elisabeth Badinter. La science va offrir un terrain neuf pour entretenir ce nouveau fantasme de paternité.

Cette idée est mise en avant par les conceptions psychanalytiques qui se développent dans les années soixante, d'une identification féminine de la part des pères lors de l'arrivée de leur premier enfant. Ce qu'explique Monique Bydlowski psychiatre et psychanalyste à la maternité de Port-Royal, c'est que « la crise induite par l'attente de l'enfant peut faire flamber des fantasmes de grossesse et d'identification féminine134. » La révélation de ce syndrome que l'on nomme « la couvade », et qui se traduit généralement par des troubles psychosomatiques, en revient au contexte sociologique qui permettrait une plus grande expression sociale qu'auparavant.

L'artiste Jana Sterbak affuble un homme d'un ventre de femme enceinte et de seins à la manière d'un tablier de plâtre, dans son installation Inhabitation, en 1983 (figure 66). L'aspect bricolé de ce ventre-prothèse ainsi que le regard froid de cet homme très, voire trop, viril, barbu, porte à montrer un caractère ironique au fantasme qui pouvait se profiler à l'époque. Le fantasme est présent mais il paraît alors chimérique, si ce n'est utopique. L'ironie présente peut renvoyer à ces conceptions nouvelles sur la paternité et cette identification des pères par rapport à leurs épouses.

Figure 66: Jana Sterbak, Inhabitation, 1983, 65 x 37 x 26 cm, résines, photographie

133 Op. cit. p.280

134 Bydlowski, Monique « La crise parentale de la première naissance », Informations sociales 4/2006, n 132, p. 64-75.

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

120

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Le malaise est plus présent dans les oeuvres photographiques d'Hiroko Okada. Dans Future plan n° 1 et 2, cette artiste nippone nous présente des hommes à moitié nus, enceints de vrais ventres ronds (figure 67). Leurs positions reprennent des positions de femmes avancées dans leur grossesse, telle la main sur les reins ou sur le ventre. Leur côté androgyne, par leur manque de pilosité virile et leur longue chevelure, marque l'ambigüité régnant sur leurs corps. Mais ce sont bien d'hommes dont il s'agit. Ces photomontages datant des années 2000 montrent l'aspect de plus en plus probable de cette situation. Là où Jana Sterbak nous proposait une remarque ironique sur les progrès de la médecine reproductive, Hiroko Okada nous laisse entrevoir ce qui pourrait être notre avenir proche, dans un certain malaise. Et l'artiste ne s'y était pas trompée, car quelques années plus tard, la réalité dépasse la fiction, en voyant la photo d'un homme, Thomas Batie135, enceint. Les progrès scientifiques ainsi que les changements des habitudes sexuelles ont donné réalité à la vision numérique de l'artiste.

Figure 67: Okada Hiroko, Future Plan 1 et 2,

2003, tirage lambda, 140.4x90 cm et 102x140.5 cm, Courtesy Mizuma Art Gallery, Tokyo

135 Il s'agit d'une femme anglaise, ayant changé d'apparence pour devenir un homme mais ayant conservé son appareil reproducteur féminin

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

121

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

B. La perte du corps: virtualisation et désacralisation de la reproduction

1. Virtualisation : la « société utérus »

Parallèlement à la médecine qui réalise des progrès dans de nombreux domaines et à une allure incroyable à partir des années soixante-dix, se développe un outil technologique qui deviendra un médium novateur pour les artistes, à savoir Internet et l'informatique. Dès 1995, alors que l'utilisation d'internet en tant que réseau mondial de masse se généralise et que l'essor de la pratique artistique usant de l'internet ne fait que commencer, Marie-Ange Guilleminot et Fabrice Hybert développe l'idée du Bébé virtuel. Cette oeuvre commune, d'un homme et d'une femme, présente la « création » et la naissance d'un bébé par la seule pensée et par la volonté de deux artistes, de deux « cerveaux ». Ce bébé se développe et grandit sur la toile. Les deux artistes en donnent cette description au sein du catalogue de l'exposition Féminin-Masculin, le sexe de l'art « Multiplier la vie au-delà de la mort par n'importe quel moyen, de Gutenberg à la génétique, tous les paliers des échanges ont été peu à peu mobilisés. [...] Mais comment faire un bébé? Le cinéma nous a fait supposer plein de possibilités. Un bébé que tout le monde pourrait venir voir ou aller voir, lui donnant des leçons, des informations, un nom. Le faisant grandir, l'habillant, lui apprenant un métier, sans fin.

Le bébé est en gestation peut-être pour neuf mois, mais peut-être moins ou plus, en tout les cas il est conçu et nous l'aimons déjà beaucoup. Lorsqu'il naîtra dans tous les réseaux possibles, dans toutes les forêts que vous pouvez imaginer, nous sommes certains qu'il vous apportera beaucoup de plaisirs. Vous pouvez en faire ce que vous voulez dans les limites de vos mémoires vives, mais il aura la capacité à produire beaucoup de demandes qui vous obligeront souvent à décoller vos fesses du siège136 [...]. »

136 Guilleminot, Marie-Ange et Hybert, Fabrice, du bébé virtuel, Fémininmasculin: le sexe de l'art, Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24 octobre 1995-12 février 1996 / catalogue par Marie-Laure Bernadac, Bernard Marcadé, Gallimard-Electa, Paris, 1995, p. 263

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

122

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Cette oeuvre fait écho à certaines critiques, notamment celles des fécondations in-vitro. En effet, la FIV peut se faire entre des gamètes mâles et femelles de ceux qui désirent être parents, afin de faire grandir le foetus puis l'enfant au sein de leur couple. Mais la FIV peut se faire également par le biais de donneurs, de spermes ou d'ovocytes, et grandir au sein d'une mère porteuse. L'enfant à naître résulterait alors d'un acte purement médical, produit sans relation charnelle des parents (au sens social de ceux qui vont l'élever) ni relations aucunes entre ses parents biologiques. La perte de la sexualité est alors une critique très présente, critique d'une crainte qui se révèlera chez d'autres artistes, notamment Aziz et Cucher. L'enfant à naître ne serait donc pas réel dans le corps de la femme s'apprêtant à devenir mère, mais virtuel, dans et par les corps d'autrui. Le projet d'enfant se serait mu dans l'impulsion de deux volontés, comme avec les deux artistes, mais nécessite ensuite une pléiade d'intervenants extérieurs au couple, comme les internautes.

Il est important de souligner également le médium utilisé, et le parallèle à faire entre cette perte de sexualité et la critique de la perte de sociabilité que cet outil a entrainé. En effet cette « fenêtre sur le monde » qu'est internet va très vite se révéler comme un possible outil de « désociabilisation » et va considérablement réduire la frontière entre vie réelle et vie virtuelle. « Dans cette société-utérus, les êtres humains n'ont plus de relations sociales, encore moins sexuelles, sinon d'être branchés sur leurs machines, -à commencer par la télévision et tous les écrans- par câbles physiques ou connexions satellites137. »

En 2002, deux artistes reprendront cette démarche d'un bébé se développant par le médium Internet, avec l'oeuvre Silver Alter (figure 68). Il s'agit d'une installation où les spectateurs peuvent sélectionner des humains virtuels afin de générer une descendance. La critique de la manipulation des êtres « humains » ne peut être plus explicite, si ce n'est que le spectateur doit

137 Lachance, Michaël, « Une fiction biopolitique le corps larvaire », Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.182

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

123

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

décider ensuite si cette progéniture pourra survivre à ses parents à la prochaine génération. La critique de l'eugénisme qu'engendre le médium technologique se révèle très fort. Gina Czarnecki et Keith Skene, par le biais de l'univers numérique, offrent par cette oeuvre la possibilité de créer, d'élever ou d'avorter des humains virtuels. Le choix du médium n'est pas anodin et tend à dénoncer l'aspect démiurge qu'il offre, à assimiler à la science, ici technologiquement. L'aspect virtuel consent un pouvoir au spectateur qui dépasse les limites réelles et morales, et qui se traduit par une distanciation des corps qui les rend obsolètes, virtuels et « jetables » par un simple clic.

Figure 68: Gina Czarnecki and Keith Skene. Silvers Alter, 2002

2. La glaciation du corps

Les artistes vont émettre une critique sur l'intrusion de la médecine et la technologie au sein des couples, et montrer que celle-ci entraine une dé-sexualisation de la reproduction, comme l'indique Michael Lachance « [É] la reproduction humaine est devenue un acte mécanique d'insémination en éprouvette, pure répétition nauséeuse de l'espèce dans un cauchemar eugénique138. » Bien plus qu'un écartement du corps de la femme, c'est la sexualité même qui va être remis en question. En effet, comme le souligne Marie-Madeleine Chatel dans son

138 Ibidem

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

124

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

ouvrage Malaise dans la procréation139, ce qui était une affaire de couple, à savoir le désir d'enfant, va entrer dans un triptyque en laissant s'introduire la médecine et la science, afin d'accéder ou d'accéder plus rapidement à ce désir d'enfant. L'intimité du couple, tout comme l'équilibre psychique de la famille, comme on pourra le voir plus loin, avec le clonage notamment, se trouve bouleversée par cette intrusion. Faire entrer la médecine au coeur même de la procréation, c'était alors faire disparaître la sexualité et l'érotisme du fait de la reproduction. L'acte de reproduction n'était et n'est plus charnel, « Si la procréation est pensée en termes de manoeuvres de substances, le désir est tout simplement atteint dans sa logique même, il est exclu de l'aventure procréative140. » Alors que les mouvements féministes avaient lutté pour acquérir le droit de disposer librement de son corps et de dissocier sexualité et reproduction, les artistes vont montrer que l'intrusion de la science se fait à l'encontre de la sexualité et annihile cette liberté de dissociation au nom d'un nouveau droit revendiqué « d'avoir des enfants » à tout prix.

Ce constat a été fait notamment lors de l'exposition L'Hiver de l'amour, présentée au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1994. Dominique Baqué commente cette exposition et rapporte qu'elle a montré la « glaciation du corps. » Cela est dû également à l'émergence du sida et de cette sorte de peur sexuelle qui se développe, et qui a poussé à se diriger vers une sexualité aseptisée où le médical paraissait rassurant.

Paraissant emblématique de cette angoisse émergente liée à la perte de la sexuation et de la glaciation du désir, l'oeuvre des artistes Aziz et Cucher Woman and Child, provenant de la série Faith, Honour and Beauty, confronte le spectateur à une femme enceinte nue, accompagnée d'un jeune enfant, nu également, mais tous deux dépourvus d'organes sexuels (figure 69). Les seins ainsi que le sexe de la femme ont été effacés, ce qui est le cas également du sexe de l'enfant. La femme est réduite au seul stéréotype de sa condition de mère, de sa capacité sexuelle et biologique à enfanter et à sa fonction sociale d'élever son enfant. Comme l'indique Dominique Baqué « en dé-sexualisant les corps mais en maintenant pour chaque sexe des objets archétypiques de la virilité et de la féminité les plus conventionnelles, Aziz et Cucher

139 Chatel, Marie-Magdeleine, Malaise dans la procréation : les femmes et la médecine de l'enfantement, Albin Michel, Paris, 1993

140 Op. Cit., p.76

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

interrogent simultanément la perte de tout érotisme possible, les risques fascisants des pratiques eugénistes et le terrifiant « formatage » auquel la culture américaine livre des corps de plus en plus dociles, de plus en plus normés141. » On assiste à un retour en arrière : la femme n'est plus pensée en termes sexuels, mais par sa fonction de mère. Son corps disparait derrière sa fonction biologique.

 

Figure 69: Aziz+cucher, Faith, Honor and beauty, 1992, photographie couleur, 86 x 38 cm, Espace d'art Yvonamor Palix, Paris.

125

Dans un registre plus ironique, l'artiste Anne Esperet livre également une critique de la disparition de l'acte charnel dans le processus de reproduction. Avec Fabrication à l'ancienne, oeuvre comprenant la photographie d'une femme enceinte portant un t-shirt avec cette même inscription, ainsi que la possibilité d'achat dudit t-shirt, l'artiste renvoie à la manière non scientifique et toute prosaïque dont cette femme en photo est tombée enceinte (figure 70). La

141 Baqué, Dominique, Mauvais genre(s): érotisme, pornographie, art contemporain, Ed. Regard, Paris, 2002, p.71

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

médecine procréative est certes omniprésente dans l'univers de la reproduction, mais il ne faut pas oublier la façon originelle de concevoir des enfants. Elle critiquera également, par le même procédé, les possibles déviances de la médecine procréative, avec Pièce Unique, une photographie d'une enfant portant un body avec l'inscription pièce unique et la possibilité d'achat du body en question, écho aux techniques du clonage et de médecine préimplantatoire (figure 71).

 

Figure 70: Anne Esperet, Fabrication A L'ancienne, 2003, Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard "Fabrication à l'ancienne"

 

Figure 71: Anne Esperet, Piece Unique, 2003, Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard "Pièce unique fournie, Photographie couleur de 53/40 cm.

126

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

127

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Les différentes oeuvres offrent le constat que le corps de la femme devient obsolète et se voit de nouveau assujettie à la reproduction par le fait d'avoir mis au centre du couple l'enfant tant désiré et qui tarde, dans une société d'impatience. La science a engendré cela, en rendant plus qu'accessibles les méthodes de procréation assistées, en précédent l'impatience de leurs patients à concevoir un enfant naturellement.

C. La maternité au XXIe siècle : « Demain les post-humains »

Avec l'avènement des nouvelles technologies, en matière de médecine, mais également avec la découverte de l'ADN et le développement des médias numériques tels internet et l'informatique entre autre, s'est développé un courant de pensée qui traite du rapport entre l'humain et la machine. Ce courant que l'on appelle Post-humanisme rassemble des scientifiques ainsi que des artistes et se scinde en deux catégories de penseurs : les technophiles, qui considèrent positivement l'avènement d'êtres humains supérieurs grâce aux biotechnologies ; et les technophobes qui craignent les conséquences néfastes qu'une telle omniprésence des biotechnologies dans notre quotidien et notre intimité, voire notre identité, pourraient engendrer. Le post-humanisme commence dès l'apparition de la pilule et de la banalisation des fécondations in-vitro, car il y a alors l'idée d'en finir avec le déterminisme de la naissance, mais également avec le fatalisme de la vie, car il englobe les greffes ainsi que les prothèses ou tout ce qui va contribuer à repousser les limites de l'humain, de la vieillesse et de la mort - et bien sur de la naissance.

1. Du miracle de la vie au monstre de la science

Le fait de pouvoir intervenir au niveau des gênes et des cellules, de pouvoir manipuler voire transformer le vivant presque à la source, entraine des discours artistiques emplis de fantasmes,

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

128

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

mais également d'espoirs et d'angoisses mêlés. Certains artistes vont encenser la biotechnologie et y voir les promesses d'un homme nouveau, d'un homme meilleur. Les autres, plus sceptiques, vont mettre l'accent sur la possibilité du manque de recul nécessaire à toute apologie de la manipulation du vivant, en montrant que le chemin pour aller vers une création parfaite peut vite déraper vers la création d'un monstre, comme l'indique le roman Frankenstein.

La figure du monstre a toujours été présente dans le champ de l'art. Aux siècles passés, on se souvient des femmes à barbes ou encore des enfants atteints de membres sous ou surnuméraires peints par les plus grands artistes, pour le plus grand plaisir des monarques et autres puissants. L'étymologie du terme monstre se rapporte à monstrum, « montrer ». En effet, le monstre est celui que l'on montre, grossièrement du doigt, du fait de son anomalie, de son irrégularité. Mais il faut se pencher également sur une deuxième étymologie possible, monestrum, dérivé du latin, et qui signifie « avertir ». Au Moyen-âge, le monstre est celui qui annonce un événement extraordinaire, mais plus souvent, une catastrophe. Le monstre fait apparaître chez l'autre des sentiments confus, il fascine et il angoisse. Cette volonté de « montrer » par le monstrueux va se retrouver chez des artistes, tels SubRosa par exemple, ou Patriccia Picinini, dans une démarche d'avertissement envers le spectateur sur les dérives de notre société en matière de biotechnologies.

Mais la définition du corps monstrueux a évolué depuis le Moyen-âge. Ce qui apparaissait aux siècles passés comme des corps monstrueux ne le sont plus aujourd'hui. Une nouvelle notion du monstrueux est apparue. Elle se retrouve dans cette volonté nouvelle de faire disparaître ou tout du moins d'atténuer la proportion d'êtres humains « anormaux » qui va faire réagir les artistes. La volonté avérée de la médecine, de la science, de ce qu'on peut appeler les anthropotechniques142 est de tendre vers la normalisation, l'uniformisation de la population. Le monstrueux à la fin du XXe siècle et en ce début du XXIe apparaît dans le risque de l'eugénisme. Cette pratique de vouloir acquérir l'art de bien engendrer, c'est à dire d'avoir une descendance sans tares, apporte nombres de questionnements.

Ceux qui sont mis en avant par le professeur Nisand dans le deuxième forum européen de bioéthique de Strasbourg, c'est qu'au nom de cet eugénisme, la dimension de mort entre très -

142Etter, Valérie et Le Dref, Gaelle, Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

129

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

trop- tôt dans le processus de la vie. En effet, avec les moyens de dépistages et de diagnostiques prénatals, mis en place notamment pour réduire le cas de trisomie 21, la mort fait son intrusion bien avant la naissance. Car si l'on détecte une anomalie, le couple va devoir se prononcer sur le meurtre de son enfant. Le monstrueux ici, n'est pas de l'ordre de l'anomalie corporelle, même si on l'entrevoit sur cet enfant à naître, mais sur la dimension psychologique de la décision à prendre, d'un infanticide, qui est « proposé » par la société. Ce risque eugénique est pour certains grands pontes de la médecine foetale, déjà avancé. Jacques Testart, le biologiste de la première fécondation in-vitro en France en 1982 aux côtés de René Frydman, dénonce désormais un eugénisme inauguré par les procréations artificielles et qui se développe par la sélection des embryons découlant des diagnostics, tout cela au nom d'un idéal de santé et de normalité des individus. Il ne cache pas que ces finalités ne soient rejointes très rapidement par des fins de convenances143 . Ce risque est tellement grand, dès 1986, qu'il décide d'arrêter cette pratique. Le Professeur Nisand confirme en quelque sorte les craintes posées par Jacques Testart, puisqu'il nous informe sur l'augmentation avérée d'interruption volontaire de grossesse pour, dit-il, « des anomalies curables » types bec de lièvre. La finitude de la convenance serait donc bien atteinte, puisque le dépistage de la trisomie 21, comme le souligne le Professeur Nisand, est proposé et remboursé par la sécurité sociale dans le but avoué d'une large économie pour l'Etat. En effet, cela coute plus cher de payer des structures d'accueil pour les personnes atteintes de ce handicap que de payer à toutes les femmes enceintes le dépistage. On ne sait plus très bien où se cache la monstruosité, où est la raison de l'éthique, la morale. Surtout lorsque La loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain complète le Code civil et le Code pénal en interdisant et sanctionnant les pratiques eugéniques. Les pratiques eugénistes sont regardées comme des atteintes à l'intégrité de l'espèce humaine. La législation nouvelle s'oppose donc avant tout à l'eugénisme collectif. En effet, l'article 16.4 du Code civil énonce : « Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine » et que « toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite. » L'article 511.1 du Code pénal, quant à lui, dispose « Le fait de mettre en oeuvre une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est puni de vingt ans de réclusion criminelle. »

143Testart, Jacques, L'oeuf Transparent, Flammarion, Paris, 1986

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

130

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Déjà les artistes de l'art corporel, telle Orlan, développaient les questionnements liés à la possibilité de dépasser les limites du corps, de pouvoir rectifier les anomalies corporelles grâce à la chirurgie esthétique. C'était déjà montrer que la société allait vers une nouvelle monstruosité, créée de toute pièce par les normes sociétales du beau.

Mais avec la découverte de l'ADN et les diverses manipulations génétiques possibles, le risque est bien de ne plus être unique et de rectifier ces « anomalies » bien avant la naissance, bien avant d'être corps. C'est donc la question de l'eugénisme que les artistes vont traiter, pour atteindre le thème de l'identité de l'individu. Avec l'oeuvre Family Romance, Charles Ray tend à identifier cette normalisation de la population (figure 72). Cette oeuvre représente une famille de quatre personnes, composée du père et de la mère, ainsi que d'un garçon et d'une fille. Seulement, bien qu'il s'agisse d'une famille, tous les personnages ont la même dimension, ils se ressemblent à s'y méprendre, mais bien plus que dans un rapport de filiation. Cette oeuvre illustre parfaitement les propos d'Henri Atlan qui voit dans le clonage un « chaos des filiations »: « des individus produits par clonage reproductif seraient génétiquement identiques à des frères ou soeurs jumeaux de ceux ou celles à partir desquels ils seraient clonés, mais ils seraient éventuellement décalés dans le temps au point qu'ils pourraient en être considérés comme appartenant à la génération des « enfants » ou des « petits-enfants ». Or, une telle situation, au premier abord, risque de désorganiser totalement tous les repères humains connus dans le domaine des filiations. Bien que les anthropologues décrivent des systèmes de filiations multiples, et très différents de celui traditionnellement établi dans nos sociétés, aucun système de filiation ne fait purement et simplement l'économie d'un des deux parents biologiques, puisqu'ils reposent tous sur l'expérience universelle de la reproduction sexuée. La reproduction asexuée que réaliserait le clonage reproductif perturberait tous les systèmes de filiation existants et pourraient conduire, à terme, à la suppression même des relations de filiation144. »

144 Atlan, Henri, « Possibilités biologiques, impossibilités sociales », L'art contemporain au risque du clonage / sous la direction de Richard Conte ; Publications de la Sorbonne : ACTE 91, Paris, 2002, p.22

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

131

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 72: Charles Ray, Family Romance, 1993. Fibre de verre et cheveux synthétiques,
134.6 x 215.9 x 27.9 cm. The Norton Family Foundation.

Mais si certains artistes développent l'idée que la normalisation va demeurer notre prochain fléau, d'autres se posent en critique de cette science prétentieuse. Les recherches sur les embryons ainsi que les manipulations toujours plus poussées ne vont-elles pas conduire l'être humain à créer de nouveau monstres, à déraper, voire à régresser? Ce qui devrait apparaitre comme un progrès ne pourrait-il pas se révéler régressif ? Les oeuvres de l'artiste Patricia Piccinini nous invitent à ce questionnement. Ses sculptures aux formes mi-humaines mi-animales paraissent comme le résultat d'expériences trop poussées et ayant échouées. Elle développe par ses sculptures des sortes de corps mutants qui s'annoncent comme des prémonitions sur les déviances que peuvent générer les biotechnologies appliquées à la reproduction (figure 73). C'est montrer que la manipulation du vivant n'est pas sans risques, et que la volonté eugéniste de normalisation n'est pas forcément positive, et peut entrainer notre déchéance.

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 73: Patricia Piccinini, Big Mother, 2005, silicone, fibre de verre, cheveux, cuir, toiles,
175 cm, Galerie Yvon Lambert, New-York

2. Libération du corps-fardeau?

La vision positiviste, ou autrement dite aujourd'hui technophile, se trouvait déjà dans des oeuvres coïncidant aux prémices des théories post-humaines. Valie EXPORT dans son Installation Fragmente der Bilder einer Berührung en 1994 présente un mécanisme immergé d'où sortent des ampoules allumées dans des bocaux de verres remplis de lait, d'huile usagée ou d'eau sans provoquer aucun court-circuit (figure 74). On peut alors y voir une évocation des techniques de reproduction afin de libérer le corps de sa destinée procréatrice en le déléguant à la technologie.

132

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

133

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 74 : Valie EXPORT, Fragmente der Bilder einer Berührung, 1994

Cette orientation sera le crédo des féministes les plus extrémistes, celles qui désiraient pouvoir s'émanciper totalement des hommes en même temps que de leur fatalité biologique pour se reproduire. Dans cette optique, les perspectives envisagées sont celles de l'utérus artificiel appelé également ectogénèse, qui ôterait la dimension sexuelle de la reproduction mais également la notion de corporéité dans la relation de la mère à l'enfant ; et la deuxième perspective est celle de la parthénogénèse, qui là émanciperait la femme de l'homme, en pouvant se reproduire sans l'aide d'un gamète mâle.

3. L'art contemporain au risque du clonage

La question du clonage, d'un point de vue anthropologique, entrainerait une grande scission dans le rapport homme/femme. Pour Françoise Héritier, le développement de cette technique est normal, cependant, sa banalisation ne pourrait en être de même. Le risque ne serait, pour elle, pas dans le résultat du clonage et du statut des êtres clonés, mais celui de l'assujettissement entre homme et femme. Les hommes pourraient se reproduire avec l'aide d'une femme, car il leur faudrait quand même un ovule. Quant aux femmes, elles pourraient se reproduire à l'identique sans avoir besoin du recours des hommes145.

145 Héritier, Françoise, Une pensée en mouvement, Odile Jacob, Paris, 2009, p.115

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Le clonage humain est à craindre également s'il est effectué à des fins de prélèvements d'organes. L'aspect consumériste est d'ailleurs décrié par de nombreux artistes, qui s'intéressent au corps morcelé. Dans le même but, les bébés médicaments, qui n'auraient d'autres destins que de soigner d'autres personnes. C'est la prédétermination du corps de ces enfants, faisant de la reproduction une sorte de supermarché d'organes et de cellules qui est dénoncée. Cette procréation de « remplacement » n'est pas nouvelle, le professeur Nisand dénonce lui, la volonté des parents ayant perdu un enfant de le remplacer par un autre, identique. Cette question est très présente dans le paysage scientifique et éthique également, comme l'annonce le thème de l'édition 2013 du forum européen de bioéthique de Strasbourg, à savoir « l'Homme en pièces détachées ».

L'artiste Chrissy Conant développe avec humour et ironie cette vision du corps consumériste qui se met d'ores et déjà en place. Pour son oeuvre intitulée Chrissy Caviar, elle s'est pliée à une stimulation ovarienne afin de récupérer une douzaine d'ovules qu'elle plaça dans un contenant en verre semblable aux bocaux qui contiennent le caviar Beluga (figure 75). La référence au caviar Beluga se retrouve également dans les couleurs du label donné à ces gamètes, situées sur le couvercle de chaque pot. Ces douze oeufs, dont on remarque la référence certaine au même conditionnement des oeufs de poules, sont labellisés « Caucasian: Packed by Private IVF Center, USA. Product of Conant Ovaries, Keep Refrigarated. » Le recours à la méthode de reproduction assistée afin d'obtenir un nombre élevé d'ovules, ainsi que l'utilisation que leur conditionnement et leur vente assimilés à de la marchandise de luxe périssable, indique la critique d'un corps fragmenté, réduit à un produit de consommation. En attestent les sociétés proposant des bases de données de mères susceptibles d'offrir leurs ovocytes par le biais de sites internet.

134

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

135

136

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

Figure 75: Chrissy Conant, Chrissy Caviar®, douze oeufs humains (un par pot), 2001-2002, fluide tubaire humain, Polyester, nylon, verre, cuivre, équipement de réfrigération, 122 x 131 x 126 cm, Galerie Saatchi, Londres

4. Vers un nouveau corps-objet: poursuite du combat féministe

Si certains artistes voient un véritable progrès dans l'élaboration d'un homme supérieur, d'autres vont mettre en évidence que ce progrès se révèle vain et qu'il s'agit d'un retour en arrière considérable, notamment pour l'image du corps de la femme qui va transparaitre au même titre qu'un objet.

En effet, le groupe cyberféministe de bioart SubRosa démontre par ses performances que les pratiques biotechnologiques tendent à percevoir le corps comme un objet devenu inefficace et devant être amélioré afin de poursuivre l'évolution de l'espèce humaine.

Par le biais d'une performance participative intitulée U-Gen-A-Chix: cultures of Eugenics de 2003146, le groupe désirait mettre en relation technologie de reproduction, eugénisme et statut

146 Voir http://www.cyberfeminism.net/

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

corps-objet de la femme. La performance s'organisait en deux parties: un kiosque fournissait des informations sur les dons d'ovocytes et les conséquences de l'assimilation du corps féminin à celui d'une poule pondeuse que cela entrainait. Le deuxième proposait de gouter un biscuit préparé apparemment à partir d'oeufs de poules améliorés (ce qui renforçait l'image de la poule pondeuse pour la femme), ayant la prétendue capacité d'améliorer la mémoire et l'intelligence. Derrière un certain humour, la volonté du groupe était de démontrer la fausse bienveillance de la bio-science, qui se cache derrière une volonté d'aider des couples infertiles, mais qui peut se révéler dangereux pour le statut du corps de la femme et celui de l'enfant, qui se voit amélioré, prédéterminé. Cette volonté de pouvoir choisir l'enfant serait née de la transparence du mystère mise en place avec l'avènement de l'échographie obstétricale. En effet, auparavant, l'enfant désiré et porté n'était qu'imaginaire jusqu'à sa naissance, et la possible déception des parents qui se produisait à la naissance disparaissait derrière la joie de la rencontre. Mais avec l'imagerie médicale, la rencontre des parents et de l'enfant se fait bien en amont de la naissance, dès les premiers signes de la grossesse. Il est même possible aujourd'hui, avec l'imagerie 3D, d'avoir une image du visage de son enfant avant qu'il naisse. L'imaginaire n'a plus sa place. « L'échographie foetale a cependant cela de particulier, qu'elle a conduit à la rencontre d'un être qui auparavant ne pouvait s'inscrire que dans l'imaginaire147. » Ce corps-objet est renforcé également par l'eugénisme qui fait que grâce à la médecine de la reproduction, au suivi de grossesse ultra-médicalisé et la médecine préimplantatoire, la possibilité est donnée aux parents de mettre fin aux jours de l'enfant.

147 Triadou, Patrick, « Transparence et obscurité », Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009, p.129

Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de M. Valérie Da Costa

FEVRIER Jennifer

137

La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus