V. Le corps de la mère disparaissant: la
parentalité ubiquiste
A. La reconquête du corps
1. La science vs le corps féminin
Le combat des femmes mené de front pour obtenir la
différenciation entre la sexualité et la procréation, afin
d'être considérées comme des femmes et non plus comme des
mères en puissance, va vite être rattrapé par la science et
la médecine. Si leur liberté de corps, de pouvoir choisir d'avoir
des enfants ou non ainsi que du moment, leur a été offert
grâce à la médecine, notamment avec la pilule et
l'interruption volontaire de grossesse dans des conditions décentes,
cela ne sera pas sans une lourde contrepartie. Le constat des artistes va
être sans appel, démontrant que le choix d'avoir un enfant va
rapidement devenir le droit d'avoir un enfant, et que cette exigence va
entrainer les femmes à sacrifier leur corps à la médecine
dans cette seule volonté de procréer.
Si l' « histoire de la médecine de la naissance
» 121 a mis un temps certain pour se développer, son étude
connait une forte évolution dans les années soixante-dix, en
marge du mouvement de la libération sexuelle. Au regard de cette «
histoire », on découvre que la reproduction humaine a souvent
été réduite à ses organes. A partir du
XVIIe siècle, le développement de la dissection des
animaux et l'homologie, c'est-à-dire l'extrapolation du système
reproducteur des animaux notamment à celui de la femme, va conduire
à cette réduction de l'Homme à ses organes. Par exemple
William Harvey en 1672 découvrira des oeufs chez la lapine, ce qui
amènera à la découverte des ovaires chez la femme. La
découverte des spermatozoïdes en 1677 dans la semence masculine
succède de peu d'années la découverte des ovaires, mais il
faudra attendre 1824 pour découvrir que le spermatozoïde
féconde l'ovule122.
121 Selon Papiernik, Emile, introduction Avant la
naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre,
24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman,
Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du
Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009
122 Par Jean-Louis Prévost et Jean-Baptiste Dumas
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Le XIXe siècle verra la recherche
embryologique se développer en parallèle de découvertes
technologiques qui lui serviront par la suite.123 Cependant, tout
s'accélère à partir des années 1970 avec le
basculement vers une transparence totale du corps qui va se mettre en place par
le biais de l'échographie obstétricale, mais également une
distanciation du pouvoir des parents par l'institutionnalisation de la
reproduction avec le développement d'une véritable politique de
santé publique visant la maternité. Ainsi, en 1978 va
naître celle que l'on appelle le premier «
bébé-éprouvette », Louise Brown en Grande-Bretagne,
puis le premier « bébé-éprouvette »
français Amandine, en 1982. Ces naissances montrent combien la recherche
sur la reproduction et la procréation a fait de progrès, puisque
les médecins peuvent « concevoir » des embryons en dehors du
corps de la femme. Ces naissances marquent également une rupture : c'est
l'aboutissement des recherches sur la procréation car en
dévoilant une parfaite connaissance des appareils reproducteurs
masculins et féminins ainsi que la mécanique de la
fécondation, des questionnements d'ordres éthiques sur le devenir
de l'humain et le développement de nouvelles manières de
concevoir des enfants s'ouvrent alors.
Les corps, et surtout celui de la femme puisque lieu de la
fécondation et de la grossesse, ont été analysés
jusqu'à atteindre un niveau de transparence extrême, rendant ce
corps obsolète à l'élaboration de l'embryon. Ce constat de
disparition du corps va se retrouver chez les artistes dès les
prémices même des recherches embryologiques des années
1970.
L'artiste Kiki Smith est celle qui révélera le
mieux cette tendance à la disparition du corps au profit du
médical. C'est en 1986 qu'elle pose les débuts de son
investigation critique de la dépersonnalisation du corps et sa
surmédicalisation avec son oeuvre Womb (figure 56). Cette
sculpture de bronze représente un utérus isolé du reste du
corps d'une femme, transversalement sectionné. Par l'aspect minimaliste
de la sculpture, qui lui confère un aspect de récipient par le
biais de ses deux anses, Kiki Smith exprime son désir de penser le corps
« en terme d'intériorité » et que ce corps « a
besoin d'être exploré et dévoilé » non plus
sous la houlette d'une science inquisitrice, mais psychologiquement et
psychiquement. Le spectateur est confronté directement à cet
organe interne de procréation, lieu de vie, brutalement extrait du
corps. Ce lieu de mystère est donc révélé, tout
comme la science a rendu transparent le corps de la femme. Par la technologie,
la femme est dépossédée de son corps, de son
intérieur intime,
123 Découverte des rayons X en 1895 par Wilhelm Konrad
Röntgen
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
complètement transparente, presque hors d'elle. Ce rapt
du corps par la science est largement décrié par l'artiste :
« je veux donner accès aux gens aux choses troublantes et
déroutantes. Je n'aime pas la manière dont la médecine a
investi le corps. Je n'aime pas l'attitude hiérarchique des
médecins envers les patients, comme s'ils étaient les
détenteurs du savoir du corps du patient124.»
Figure 56: Kiki Smith, Womb, 1986, bronze,
45,7x 30,4x 20,3cm (fermé), Courtesy Galerie Pace Wildenstein,
New-York
Si la pratique artistique de Kiki Smith est tournée
vers la réappropriation du corps en général, on constate
que le corps de la femme lié à sa fonction reproductive tient une
large place. Les visées féministes de l'artiste ne sont pas
à occulter, car il s'agit pour elle d'une reconquête du territoire
corporel, au même titre que les revendications féministes des
années de libération sexuelle, mais déplacées dans
un contexte scientifique et non plus sociologique. Kiki Smith déclare
« nos corps nous sont littéralement volés, et il s'agit de
faire en sorte que chacune reconquiert son propre territoire, son propre
véhicule qui lui permet d'être là ; il s'agit de le
posséder et de l'utiliser, de regarder la manière dont nous
existons. L'expérience des femmes
124Codrington, Andréa, « Beneath the
Skin », The Journal of Art, octobre 1991, vol.4, n°8, p.42, cite dans
Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak,
Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre -
8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées
nationaux, Paris, 1992, p.88
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
se vit certainement plus profondément à travers
le corps. Dans un certain sens, nous sommes le corps125. » Il
n'est donc pas étonnant que cette artiste se penche si
fréquemment sur le corps des femmes et leur lien à la
reproduction.
Se réapproprier ce pouvoir de donner la vie, de la
transporter, se retrouve dans plusieurs autres oeuvres. Alors que dans
Black Flag, le corps se trouve littéralement dissout par
l'imagerie médicale pour présenter la fécondation d'un
ovule par des spermatozoïdes, la reconquête du charnel se fait par
les oeuvres comme Through ou la série Shields (figures
57). Ces oeuvres représentent des ventres de femmes enceintes, la
première étant une sculpture d'une moitié de femme avec
une jambe, le ventre proéminent et un bras. Les secondes ne se
focalisent que sur le ventre. Il s'agit de moules de ventres enceints,
semblables à des tondi en reliefs. On assiste donc à un
véritable réinvestissement de la femme, et surtout de la valeur
charnelle, dans le processus de reproduction, tant dans la conception par les
plâtres moulés à même les corps, que dans la valeur
symbolique.
Figure 57: Kiki Smith, Shield, 1988, collection
de David McKee, New York
On peut également rapprocher ces moulages de ventres de
femmes enceintes avec le travail de Marie-Ange Guilleminot et sa série
de moulages de nombrils vus de l'intérieur en 1991-1992 (figure 40, page
85). Il ne s'agit pas de ventres de femmes enceintes, mais renvoie au corps
originel : « le nombril est le résidu de notre origine qui est le
corps maternel (l'utérus). Il est la
125 Schleifer, Kristen Brooke, « Inside & Out : An
Interview With Kiki Smith », The Print Collector's Newsletter,
juillet-août 1991, p.86, cite dans Laboratoire pour une
expérience du corps, Exposition, Université de Rennes 2
Haute-Bretagne, 1995 : Damien Hirst, Fabrice Hybert, Kiki Smith, Patrick Van
Caeckenbergh, Presses universitaires de Rennes, 1995, p.92
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
signature maternelle sur le corps du bébé,
indélébile, la trace reste comme un message de la fin
déjà décidé dès notre naissance. » Et
de rapprocher la démarche des deux artistes de recentrer sur le corps
comme individualité « Mais aussi la singularité parce que
[...] les nombrils sont des portraits. Ils sont tous différents -
uniques, originaires, authentiques [...].126 »
L'artiste canadienne Nell Tenhaaf tend également
à critiquer la façon dont la technologie à «
usurpé la capacité d'enfanter de la femme127. »
Déjà en 1990, elle offrait une vision critique de la pratique de
la fécondation in vitro avec son oeuvre In Vitro, où des
paires de chromosomes illuminés étaient présentés
dans des caissons de plexiglas, réduisant ainsi la reproduction à
un symbole génétique.
Avec The Solitary Begets Herself, Keeping All Eight
Cells, Nell Tenhaaf met en évidence la crainte de voir
réduire le corps humain à un code
prédéterminé, qu'est notre ADN, en le mêlant
à l'oppression subie de par les organismes scientifiques et
médicaux qui briment le corps de la femme à coups de
procédures violentes comme la stimulation ovarienne, et l'enfermement de
ce corps dans un univers trop scientifique (figure 58). L'oeuvre
représente une femme nue allongée dans un caisson, avec,
dispersés sur son corps, des groupes de deux, quatre ou huit cellules.
Ceci renvoie directement à la médecine de la reproduction et
à sa technique de diagnostique prénatale, qui
prélève des cellules de l'embryon pour des fins d'essais
génétiques. Tout comme pour les oeuvres de Kiki Smith, c'est la
disparition du lien charnel du corps de la femme à l'enfant qui est mis
en avant, disparition du corps au profit d'un organe, ou même
disparaissant complètement derrière un simple code
génétique, pour se réduire à l'anonymat.
126 Bronfen, Elisabeth, extrait de notes inédites
prises à l'occasion d'une rencontre avec Marie-Ange Guilleminot suivie
d'une séance de moulage, le 18 mars 1995, à la galerie Chantal
Crousel à Paris, p.260 cité dans L'empreinte, exposition
organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de
création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 /
direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris,
1997
127 Reichle, Ingeborg, « Au confluent de l'art et de la
science, le génie génétique en art contemporain »,
Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et
Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université
du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.255
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 58: Nell Tenhaff, The solitary begets
herself, keeping all eight cells, 1993, 369 x 19 x 25,5 cm, Centre of
contemporary canadian art
Cette volonté de se réapproprier le pouvoir de
reproduction trouve des échos aujourd'hui. Un article du Monde
de mars 2012 explique cette volonté des femmes de ne plus
être spectatrices de leurs grossesses et de leurs accouchements, et
refusent l'usurpation de leur pouvoir d'enfanter. L'une des femmes
interrogées s'exprime ainsi « lors de mes contacts avec des
établissements hospitaliers, j'avais le sentiment que j'étais un
numéro suivi pour une intervention chirurgicale, alors que je voulais
être actrice de ma grossesse. » Le constat dressé par ces
artistes tels que Smith ou Tenhaaf traduit une réalité
concrète qui perdure. Ce constat est d'autant plus marqué pour la
femme dans son rapport à la parentalité que c'est elle qui porte
l'enfant et le fait naître, mais également parce que la
médecine de la reproduction s'est attachée
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
presque essentiellement à la fonction
procréatrice de la femme, comme par exemple avec les méthodes de
contraceptions presque exclusivement féminines. Yvonne Knibiehler
l'exprime clairement « la médicalisation est une autre
manière de contrôler la liberté du
corps128.»
Ces deux artistes ont mis en avant le poids de la science sur
les corps, notamment sur le corps de la femme dans le domaine de la
reproduction. D'autres vont mettre en évidence l'importance fondamentale
de l'espace utérin et du rapport charnel au corps de la mère dans
le développement des individus, comme les artistes Lygia Clark ou Egle
Rakauskaite. Ces deux artistes, par des moyens plastiques différents,
vont amener le spectateur à revivre un état originel
déchu, comme pour la performance de Lygia Clark, A casa é o
corpo. Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao en 1968,
qui proposait une expérience tactile de l'intériorité
du corps féminin, ou à constater la
ré-expérimentation du corps dans un état foetal
reconstitué pour Egle Rakauskaite par son oeuvre Honey (figures
59 et 60).
Figure 59: Lygia Clark, A casa é o corpo.
Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao
(une maison pour mon corps. Pénétration, ovulation,
germination, expulsion), 1968, installation de huit mètres de long
réalisée pour la Biennale de Venise de 1968
128 Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle :
Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris,
1997, p.181
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 60: Egle Rakauskaite, In Honey, 1996,
performance, Musée de Arte, Reijkiavik
2. Réalisme et hyperréalisme
La maternité, comme on a pu le démontrer dans
les chapitres précedants, a été dissimulée
derrière les conceptions religieuses jusqu'à ce que les artistes
de la fin du XIXe siècle et du début du XXe
révèlent en quelque sorte le rôle maternel, en le
glorifiant, par des conceptions dociles d'allaitantes et de maternantes, au
sens d'éducatrices. Nous pensons alors à Eugène
Carrière. Les années soixante-dix vont bousculer l'image de la
maternité, en montrant qu'être mère n'est pas
l'idéal féminin, en radicalisant le discours et en
dévalorisant le processus maternel, de la grossesse à
l'éducation des enfants. Les artistes contemporains, à partir des
années 90, vont donner une image de la maternité
désacralisée mais toute empreinte de vérisme,
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
non pas dans une volonté de décrier la
maternité, mais de montrer tout simplement la réalité du
mystère. Ils montrent ce que l'on ne voit pas habituellement: une
rencontre entre une jeune accouchée et son enfant hors de toute
béatitude et emprunt de surprise et de doutes chez Ron Mueck; des jeunes
mères épuisées par l'accouchement chez Rineke Dijkstra.
L'heure n'est plus au mensonge sacralisant la maternité ni à la
dénonciation d'une maternité esclave: l'heure est à la
véracité.
Ron Mueck, par ses oeuvres comme Mother and Child ou
encore Pregnant Woman, tend à nous proposer une
expérience peu ordinaire, à savoir de pouvoir voir de
près, de très près, des instants de maternité
dissimulés habituellement. Pregnant Woman est une sculpture
d'une femme enceinte nue, en toute fin de grossesse (figure 61). Sa position
n'est pas habituelle, levant les bras derrière sa tête pour
étirer ce corps malmené par la maternité. Son visage
n'exprime aucune béatitude, mais une crispation qui pourrait faire
croire à une extrême concentration durant une contraction
utérine douloureuse, annonçant l'accouchement laborieux. Cette
femme est corps, elle montre et suggère également par sa
dimension129, l'aspect imposant et pesant de la maternité, il
se concentre sur le corps, ce ventre proéminent vers lequel toutes
forces convergent.
Figure 61: Ron Mueck, Mother and child, 2001,
matériaux divers, 24 x 89 x 38 cm, collection Brandhorts,
Allemagne
129 La sculpture fait deux mètres cinquante de hauteur
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Mais s'il est des instants qui sont encore peu
dévoilés, ce sont ceux de l'accouchement. Souvent
suggéré par les artistes des années 70/80 comme on a pu le
voir dans la partie précédente de manière radicale afin de
faire prendre conscience que l'accouchement est une réelle souffrance,
Ron Mueck va en révéler un fragment, tout en restant dans un
vérisme profond, hors de toutes conceptions idéalisées ou
dépréciatives. Mother and Child présente une
femme nue, allongée sur le dos, les jambes légèrement
repliées, les bras le long du corps. Sa tête se détache du
socle pour regarder son ventre flasque et découvrir son
nouveau-né, cet être énigmatique qui a grandi durant neuf
mois dans son intimité et qui lui est brusquement dévoilé.
Du sexe de la jeune accouchée, se présentant béant et
bouffi, sort le cordon ombilical, reliant encore physiquement la mère
à l'enfant et indiquant l'instantanéité de l'acte. Cette
sculpture mélange les détails obstétricaux triviaux
à la dimension psychologique de l'accouchement, avec cet
émerveillement craintif qui se lit sur le visage de la mère
découvrant son enfant (figure 62).
Figure 62: Ron Mueck, Pregnant woman, 2002,
matériaux divers, 252 x 73 x 68,9 cm, National Gallery
of Australia, Canberra
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Ce même état de surprise, mêlé
à une sorte de torpeur, se retrouve dans la série photographique
Netherlands de l'artiste néerlandaise Reneke Dijikstra (figures
63, 64 et 65). Cette série se compose de trois photographies cadrant des
jeunes femmes tenant leurs nouveaux-nés contre elles, à
différents moments après leurs accouchement : quelques minutes
après, une heure, un jour. Les photographies semblent être prises
dans le couloir d'un hôpital, tout du moins dans un environnement neutre,
impersonnel, intemporel, qui peut renvoyer au socle froid de Mother and
Child de Ron Mueck. Le format et la composition de ces trois oeuvres
photographiques donnent l'impression d'un documentaire sur l'accouchement et
ses suites. La réalité de l'accouchement est
suggérée : les traits de ces femmes sont tirés, attestant
de la pénibilité du travail effectué ; le corps est encore
gonflé de la présence durant de longs mois de l'enfant qu'elle
serre à présent contre elle et le corps de l'enfant,
recroquevillé à l'image du nouveau-né de Ron Mueck, porte
également la trace de sa vie in vitro, par sa couleur renvoyant aux
muqueuses utérines. Rien n'est épargné au spectateur,
même pas les culottes-filées d'on l'une des jeunes mères
est parée, que les futures mères découvrent sur leur liste
de maternité.
Figure 63, 64, 65 : Reneke Dijikstra,
Saskia, Harderwijk, Netherlands, March 16 1994, 1994,
photographie sur papier, 117 x 94 cm
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
La réappropriation de la maternité, du corps de
la femme, passe ici par une révélation de l'acte, par
l'instantanéité. La maternité est exposée par la
confrontation du spectateur à cet acte purement charnel qu'est
l'accouchement. Hors de toute sacralisation ou dépréciation, ces
oeuvres tendent à montrer la grande humanité de ces femmes.
3. Du « penis envy » à
« l'uterus envy
»130
La séparation de la reproduction et du corps, notamment
du corps de la femme en ce qui concerne la fécondation, mais aussi le
fait de pouvoir implanter des embryons dans le ventre d'une femme sans que
ceux-ci ne soient les siens, donnent accès à toutes sortes de
fantasmes. Ainsi, n'est-il de plus ancien fantasme de la part des hommes que
celui de porter la vie également ? Parallèlement à ce que
la maternité serait, selon Freud, l'expression de « l'envie du
pénis », les progrès technologiques entraineraient ce que
l'on pourra appeler « l'envie de l'utérus » chez les hommes.
Ce fantasme se traduit également sociologiquement au travers des
attitudes des hommes. Elisabeth Badinter le soulignait déjà dans
son ouvrage131, ces dernières années nous assistons
à une identification des pères vis-à-vis de leurs femmes.
Lorsque ces dernières se virilisent et prennent certaines distances
à l'égard de la maternité, il serait très
certainement apparu un « désir de maternage, sinon de
maternité132 » de la part des pères. Ce constat
qui s'affirme aujourd'hui, avec notamment l'élaboration d'une politique
de la paternité par la mise en place du congé paternité
à la naissance de l'enfant et son possible allongement, aurait eu pour
racines le dépouillement des pères de toute autorité au
profit de l'Etat et des mères. « L'accroissement
considérable des responsabilités maternelles, depuis la fin du
XVIIe siècle, a progressivement obscurci l'image du
père. Son importance et son autorité, si grande au
XVIIe siècle, sont en déclin, car en prenant le
leadership au sein du foyer, la mère a largement
130 Friedan, Betty dans la femme mystifiée
parle p.159 des hommes d'aujourd'hui qui souffrent de « l'envie de
l'utérus »
131Badinter, Elisabeth, L'amour en plus :
histoire de l'amour maternel, XVIIe-XXe
siècle, Flammarion, Paris, 1980 132 Op. cit. p. 365
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
empiété sur ses fonctions133 »
précise Elisabeth Badinter. La science va offrir un terrain neuf pour
entretenir ce nouveau fantasme de paternité.
Cette idée est mise en avant par les conceptions
psychanalytiques qui se développent dans les années soixante,
d'une identification féminine de la part des pères lors de
l'arrivée de leur premier enfant. Ce qu'explique Monique Bydlowski
psychiatre et psychanalyste à la maternité de Port-Royal, c'est
que « la crise induite par l'attente de l'enfant peut faire flamber des
fantasmes de grossesse et d'identification féminine134.
» La révélation de ce syndrome que l'on nomme « la
couvade », et qui se traduit généralement par des troubles
psychosomatiques, en revient au contexte sociologique qui permettrait une plus
grande expression sociale qu'auparavant.
L'artiste Jana Sterbak affuble un homme d'un ventre de femme
enceinte et de seins à la manière d'un tablier de plâtre,
dans son installation Inhabitation, en 1983 (figure 66). L'aspect
bricolé de ce ventre-prothèse ainsi que le regard froid de cet
homme très, voire trop, viril, barbu, porte à montrer un
caractère ironique au fantasme qui pouvait se profiler à
l'époque. Le fantasme est présent mais il paraît alors
chimérique, si ce n'est utopique. L'ironie présente peut renvoyer
à ces conceptions nouvelles sur la paternité et cette
identification des pères par rapport à leurs épouses.
Figure 66: Jana Sterbak, Inhabitation, 1983, 65
x 37 x 26 cm, résines, photographie
133 Op. cit. p.280
134 Bydlowski, Monique « La crise parentale de la
première naissance », Informations sociales 4/2006, n 132,
p. 64-75.
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création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Le malaise est plus présent dans les oeuvres
photographiques d'Hiroko Okada. Dans Future plan n° 1 et 2, cette
artiste nippone nous présente des hommes à moitié nus,
enceints de vrais ventres ronds (figure 67). Leurs positions reprennent des
positions de femmes avancées dans leur grossesse, telle la main sur les
reins ou sur le ventre. Leur côté androgyne, par leur manque de
pilosité virile et leur longue chevelure, marque l'ambigüité
régnant sur leurs corps. Mais ce sont bien d'hommes dont il s'agit. Ces
photomontages datant des années 2000 montrent l'aspect de plus en plus
probable de cette situation. Là où Jana Sterbak nous proposait
une remarque ironique sur les progrès de la médecine
reproductive, Hiroko Okada nous laisse entrevoir ce qui pourrait être
notre avenir proche, dans un certain malaise. Et l'artiste ne s'y était
pas trompée, car quelques années plus tard, la
réalité dépasse la fiction, en voyant la photo d'un homme,
Thomas Batie135, enceint. Les progrès scientifiques ainsi que
les changements des habitudes sexuelles ont donné réalité
à la vision numérique de l'artiste.
Figure 67: Okada Hiroko, Future Plan 1 et 2,
2003, tirage lambda, 140.4x90 cm et 102x140.5 cm, Courtesy Mizuma
Art Gallery, Tokyo
135 Il s'agit d'une femme anglaise, ayant changé
d'apparence pour devenir un homme mais ayant conservé son appareil
reproducteur féminin
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
B. La perte du corps: virtualisation et
désacralisation de la reproduction
1. Virtualisation : la «
société utérus »
Parallèlement à la médecine qui
réalise des progrès dans de nombreux domaines et à une
allure incroyable à partir des années soixante-dix, se
développe un outil technologique qui deviendra un médium novateur
pour les artistes, à savoir Internet et l'informatique. Dès 1995,
alors que l'utilisation d'internet en tant que réseau mondial de masse
se généralise et que l'essor de la pratique artistique usant de
l'internet ne fait que commencer, Marie-Ange Guilleminot et Fabrice Hybert
développe l'idée du Bébé virtuel. Cette
oeuvre commune, d'un homme et d'une femme, présente la «
création » et la naissance d'un bébé par la seule
pensée et par la volonté de deux artistes, de deux «
cerveaux ». Ce bébé se développe et grandit sur la
toile. Les deux artistes en donnent cette description au sein du catalogue de
l'exposition Féminin-Masculin, le sexe de l'art « Multiplier la vie
au-delà de la mort par n'importe quel moyen, de Gutenberg à la
génétique, tous les paliers des échanges ont
été peu à peu mobilisés. [...] Mais comment faire
un bébé? Le cinéma nous a fait supposer plein de
possibilités. Un bébé que tout le monde pourrait venir
voir ou aller voir, lui donnant des leçons, des informations, un nom. Le
faisant grandir, l'habillant, lui apprenant un métier, sans fin.
Le bébé est en gestation peut-être pour
neuf mois, mais peut-être moins ou plus, en tout les cas il est
conçu et nous l'aimons déjà beaucoup. Lorsqu'il
naîtra dans tous les réseaux possibles, dans toutes les
forêts que vous pouvez imaginer, nous sommes certains qu'il vous
apportera beaucoup de plaisirs. Vous pouvez en faire ce que vous voulez dans
les limites de vos mémoires vives, mais il aura la capacité
à produire beaucoup de demandes qui vous obligeront souvent à
décoller vos fesses du siège136 [...]. »
136 Guilleminot, Marie-Ange et Hybert, Fabrice, du
bébé virtuel, Fémininmasculin: le sexe de l'art,
Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24
octobre 1995-12 février 1996 / catalogue par Marie-Laure Bernadac,
Bernard Marcadé, Gallimard-Electa, Paris, 1995, p. 263
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Cette oeuvre fait écho à certaines critiques,
notamment celles des fécondations in-vitro. En effet, la FIV peut se
faire entre des gamètes mâles et femelles de ceux qui
désirent être parents, afin de faire grandir le foetus puis
l'enfant au sein de leur couple. Mais la FIV peut se faire également par
le biais de donneurs, de spermes ou d'ovocytes, et grandir au sein d'une
mère porteuse. L'enfant à naître résulterait alors
d'un acte purement médical, produit sans relation charnelle des parents
(au sens social de ceux qui vont l'élever) ni relations aucunes entre
ses parents biologiques. La perte de la sexualité est alors une critique
très présente, critique d'une crainte qui se
révèlera chez d'autres artistes, notamment Aziz et Cucher.
L'enfant à naître ne serait donc pas réel dans le corps de
la femme s'apprêtant à devenir mère, mais virtuel, dans et
par les corps d'autrui. Le projet d'enfant se serait mu dans l'impulsion de
deux volontés, comme avec les deux artistes, mais nécessite
ensuite une pléiade d'intervenants extérieurs au couple, comme
les internautes.
Il est important de souligner également le
médium utilisé, et le parallèle à faire entre cette
perte de sexualité et la critique de la perte de sociabilité que
cet outil a entrainé. En effet cette « fenêtre sur le monde
» qu'est internet va très vite se révéler comme un
possible outil de « désociabilisation » et va
considérablement réduire la frontière entre vie
réelle et vie virtuelle. « Dans cette
société-utérus, les êtres humains n'ont plus de
relations sociales, encore moins sexuelles, sinon d'être branchés
sur leurs machines, -à commencer par la télévision et tous
les écrans- par câbles physiques ou connexions
satellites137. »
En 2002, deux artistes reprendront cette démarche d'un
bébé se développant par le médium Internet, avec
l'oeuvre Silver Alter (figure 68). Il s'agit d'une installation
où les spectateurs peuvent sélectionner des humains virtuels afin
de générer une descendance. La critique de la manipulation des
êtres « humains » ne peut être plus explicite, si ce
n'est que le spectateur doit
137 Lachance, Michaël, « Une fiction biopolitique le
corps larvaire », Art et biotechnologies, sous la direction de
Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de
l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.182
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
décider ensuite si cette progéniture pourra
survivre à ses parents à la prochaine génération.
La critique de l'eugénisme qu'engendre le médium technologique se
révèle très fort. Gina Czarnecki et Keith Skene, par le
biais de l'univers numérique, offrent par cette oeuvre la
possibilité de créer, d'élever ou d'avorter des humains
virtuels. Le choix du médium n'est pas anodin et tend à
dénoncer l'aspect démiurge qu'il offre, à assimiler
à la science, ici technologiquement. L'aspect virtuel consent un pouvoir
au spectateur qui dépasse les limites réelles et morales, et qui
se traduit par une distanciation des corps qui les rend obsolètes,
virtuels et « jetables » par un simple clic.
Figure 68: Gina Czarnecki and Keith Skene. Silvers
Alter, 2002
2. La glaciation du corps
Les artistes vont émettre une critique sur l'intrusion
de la médecine et la technologie au sein des couples, et montrer que
celle-ci entraine une dé-sexualisation de la reproduction, comme
l'indique Michael Lachance « [É] la reproduction humaine est
devenue un acte mécanique d'insémination en éprouvette,
pure répétition nauséeuse de l'espèce dans un
cauchemar eugénique138. » Bien plus qu'un
écartement du corps de la femme, c'est la sexualité même
qui va être remis en question. En effet, comme le souligne
Marie-Madeleine Chatel dans son
138 Ibidem
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
ouvrage Malaise dans la
procréation139, ce qui était une affaire de
couple, à savoir le désir d'enfant, va entrer dans un triptyque
en laissant s'introduire la médecine et la science, afin
d'accéder ou d'accéder plus rapidement à ce désir
d'enfant. L'intimité du couple, tout comme l'équilibre psychique
de la famille, comme on pourra le voir plus loin, avec le clonage notamment, se
trouve bouleversée par cette intrusion. Faire entrer la médecine
au coeur même de la procréation, c'était alors faire
disparaître la sexualité et l'érotisme du fait de la
reproduction. L'acte de reproduction n'était et n'est plus charnel,
« Si la procréation est pensée en termes de manoeuvres de
substances, le désir est tout simplement atteint dans sa logique
même, il est exclu de l'aventure procréative140. »
Alors que les mouvements féministes avaient lutté pour
acquérir le droit de disposer librement de son corps et de dissocier
sexualité et reproduction, les artistes vont montrer que l'intrusion de
la science se fait à l'encontre de la sexualité et annihile cette
liberté de dissociation au nom d'un nouveau droit revendiqué
« d'avoir des enfants » à tout prix.
Ce constat a été fait notamment lors de
l'exposition L'Hiver de l'amour, présentée au
Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1994. Dominique Baqué
commente cette exposition et rapporte qu'elle a montré la «
glaciation du corps. » Cela est dû également à
l'émergence du sida et de cette sorte de peur sexuelle qui se
développe, et qui a poussé à se diriger vers une
sexualité aseptisée où le médical paraissait
rassurant.
Paraissant emblématique de cette angoisse
émergente liée à la perte de la sexuation et de la
glaciation du désir, l'oeuvre des artistes Aziz et Cucher Woman and
Child, provenant de la série Faith, Honour and Beauty,
confronte le spectateur à une femme enceinte nue, accompagnée
d'un jeune enfant, nu également, mais tous deux dépourvus
d'organes sexuels (figure 69). Les seins ainsi que le sexe de la femme ont
été effacés, ce qui est le cas également du sexe de
l'enfant. La femme est réduite au seul stéréotype de sa
condition de mère, de sa capacité sexuelle et biologique à
enfanter et à sa fonction sociale d'élever son enfant. Comme
l'indique Dominique Baqué « en dé-sexualisant les corps mais
en maintenant pour chaque sexe des objets archétypiques de la
virilité et de la féminité les plus conventionnelles, Aziz
et Cucher
139 Chatel, Marie-Magdeleine, Malaise dans la
procréation : les femmes et la médecine de l'enfantement,
Albin Michel, Paris, 1993
140 Op. Cit., p.76
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
interrogent simultanément la perte de tout
érotisme possible, les risques fascisants des pratiques
eugénistes et le terrifiant « formatage » auquel la culture
américaine livre des corps de plus en plus dociles, de plus en plus
normés141. » On assiste à un retour en
arrière : la femme n'est plus pensée en termes sexuels, mais par
sa fonction de mère. Son corps disparait derrière sa fonction
biologique.
|
Figure 69: Aziz+cucher, Faith, Honor and beauty,
1992, photographie couleur, 86 x 38 cm, Espace d'art Yvonamor Palix, Paris.
|
125
Dans un registre plus ironique, l'artiste Anne Esperet livre
également une critique de la disparition de l'acte charnel dans le
processus de reproduction. Avec Fabrication à l'ancienne,
oeuvre comprenant la photographie d'une femme enceinte portant un t-shirt avec
cette même inscription, ainsi que la possibilité d'achat dudit
t-shirt, l'artiste renvoie à la manière non scientifique et toute
prosaïque dont cette femme en photo est tombée enceinte (figure
70). La
141 Baqué, Dominique, Mauvais genre(s):
érotisme, pornographie, art contemporain, Ed. Regard, Paris, 2002,
p.71
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
médecine procréative est certes
omniprésente dans l'univers de la reproduction, mais il ne faut pas
oublier la façon originelle de concevoir des enfants. Elle critiquera
également, par le même procédé, les possibles
déviances de la médecine procréative, avec
Pièce Unique, une photographie d'une enfant portant un body
avec l'inscription pièce unique et la possibilité d'achat du body
en question, écho aux techniques du clonage et de médecine
préimplantatoire (figure 71).
|
Figure 70: Anne Esperet, Fabrication A
L'ancienne, 2003, Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard
"Fabrication à l'ancienne"
|
|
Figure 71: Anne Esperet, Piece Unique, 2003,
Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard "Pièce unique
fournie, Photographie couleur de 53/40 cm.
|
126
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Les différentes oeuvres offrent le constat que le corps
de la femme devient obsolète et se voit de nouveau assujettie à
la reproduction par le fait d'avoir mis au centre du couple l'enfant tant
désiré et qui tarde, dans une société d'impatience.
La science a engendré cela, en rendant plus qu'accessibles les
méthodes de procréation assistées, en
précédent l'impatience de leurs patients à concevoir un
enfant naturellement.
C. La maternité au XXIe siècle :
« Demain les post-humains »
Avec l'avènement des nouvelles technologies, en
matière de médecine, mais également avec la
découverte de l'ADN et le développement des médias
numériques tels internet et l'informatique entre autre, s'est
développé un courant de pensée qui traite du rapport entre
l'humain et la machine. Ce courant que l'on appelle Post-humanisme rassemble
des scientifiques ainsi que des artistes et se scinde en deux catégories
de penseurs : les technophiles, qui considèrent positivement
l'avènement d'êtres humains supérieurs grâce aux
biotechnologies ; et les technophobes qui craignent les conséquences
néfastes qu'une telle omniprésence des biotechnologies dans notre
quotidien et notre intimité, voire notre identité, pourraient
engendrer. Le post-humanisme commence dès l'apparition de la pilule et
de la banalisation des fécondations in-vitro, car il y a alors
l'idée d'en finir avec le déterminisme de la naissance, mais
également avec le fatalisme de la vie, car il englobe les greffes ainsi
que les prothèses ou tout ce qui va contribuer à repousser les
limites de l'humain, de la vieillesse et de la mort - et bien sur de la
naissance.
1. Du miracle de la vie au monstre de la
science
Le fait de pouvoir intervenir au niveau des gênes et des
cellules, de pouvoir manipuler voire transformer le vivant presque à la
source, entraine des discours artistiques emplis de fantasmes,
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
mais également d'espoirs et d'angoisses
mêlés. Certains artistes vont encenser la biotechnologie et y voir
les promesses d'un homme nouveau, d'un homme meilleur. Les autres, plus
sceptiques, vont mettre l'accent sur la possibilité du manque de recul
nécessaire à toute apologie de la manipulation du vivant, en
montrant que le chemin pour aller vers une création parfaite peut vite
déraper vers la création d'un monstre, comme l'indique le
roman Frankenstein.
La figure du monstre a toujours été
présente dans le champ de l'art. Aux siècles passés, on se
souvient des femmes à barbes ou encore des enfants atteints de membres
sous ou surnuméraires peints par les plus grands artistes, pour le plus
grand plaisir des monarques et autres puissants. L'étymologie du terme
monstre se rapporte à monstrum, « montrer ». En effet, le
monstre est celui que l'on montre, grossièrement du doigt, du fait de
son anomalie, de son irrégularité. Mais il faut se pencher
également sur une deuxième étymologie possible, monestrum,
dérivé du latin, et qui signifie « avertir ». Au
Moyen-âge, le monstre est celui qui annonce un événement
extraordinaire, mais plus souvent, une catastrophe. Le monstre fait
apparaître chez l'autre des sentiments confus, il fascine et il angoisse.
Cette volonté de « montrer » par le monstrueux va se retrouver
chez des artistes, tels SubRosa par exemple, ou Patriccia Picinini, dans une
démarche d'avertissement envers le spectateur sur les dérives de
notre société en matière de biotechnologies.
Mais la définition du corps monstrueux a
évolué depuis le Moyen-âge. Ce qui apparaissait aux
siècles passés comme des corps monstrueux ne le sont plus
aujourd'hui. Une nouvelle notion du monstrueux est apparue. Elle se retrouve
dans cette volonté nouvelle de faire disparaître ou tout du moins
d'atténuer la proportion d'êtres humains « anormaux »
qui va faire réagir les artistes. La volonté avérée
de la médecine, de la science, de ce qu'on peut appeler les
anthropotechniques142 est de tendre vers la normalisation,
l'uniformisation de la population. Le monstrueux à la fin du
XXe siècle et en ce début du XXIe
apparaît dans le risque de l'eugénisme. Cette pratique de vouloir
acquérir l'art de bien engendrer, c'est à dire d'avoir une
descendance sans tares, apporte nombres de questionnements.
Ceux qui sont mis en avant par le professeur Nisand dans le
deuxième forum européen de bioéthique de Strasbourg, c'est
qu'au nom de cet eugénisme, la dimension de mort entre très -
142Etter, Valérie et Le Dref, Gaelle,
Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et
Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université
du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
trop- tôt dans le processus de la vie. En effet, avec
les moyens de dépistages et de diagnostiques prénatals, mis en
place notamment pour réduire le cas de trisomie 21, la mort fait son
intrusion bien avant la naissance. Car si l'on détecte une anomalie, le
couple va devoir se prononcer sur le meurtre de son enfant. Le monstrueux ici,
n'est pas de l'ordre de l'anomalie corporelle, même si on l'entrevoit sur
cet enfant à naître, mais sur la dimension psychologique de la
décision à prendre, d'un infanticide, qui est «
proposé » par la société. Ce risque eugénique
est pour certains grands pontes de la médecine foetale,
déjà avancé. Jacques Testart, le biologiste de la
première fécondation in-vitro en France en 1982 aux
côtés de René Frydman, dénonce désormais un
eugénisme inauguré par les procréations artificielles et
qui se développe par la sélection des embryons découlant
des diagnostics, tout cela au nom d'un idéal de santé et de
normalité des individus. Il ne cache pas que ces finalités ne
soient rejointes très rapidement par des fins de
convenances143 . Ce risque est tellement grand, dès 1986,
qu'il décide d'arrêter cette pratique. Le Professeur Nisand
confirme en quelque sorte les craintes posées par Jacques Testart,
puisqu'il nous informe sur l'augmentation avérée d'interruption
volontaire de grossesse pour, dit-il, « des anomalies curables »
types bec de lièvre. La finitude de la convenance serait donc bien
atteinte, puisque le dépistage de la trisomie 21, comme le souligne le
Professeur Nisand, est proposé et remboursé par la
sécurité sociale dans le but avoué d'une large
économie pour l'Etat. En effet, cela coute plus cher de payer des
structures d'accueil pour les personnes atteintes de ce handicap que de payer
à toutes les femmes enceintes le dépistage. On ne sait plus
très bien où se cache la monstruosité, où est la
raison de l'éthique, la morale. Surtout lorsque La loi du 29 juillet
1994 relative au respect du corps humain complète le Code civil et le
Code pénal en interdisant et sanctionnant les pratiques
eugéniques. Les pratiques eugénistes sont regardées comme
des atteintes à l'intégrité de l'espèce humaine. La
législation nouvelle s'oppose donc avant tout à
l'eugénisme collectif. En effet, l'article 16.4 du Code civil
énonce : « Nul ne peut porter atteinte à
l'intégrité de l'espèce humaine » et que « toute
pratique eugénique tendant à l'organisation de la
sélection des personnes est interdite. » L'article 511.1 du Code
pénal, quant à lui, dispose « Le fait de mettre en oeuvre
une pratique eugénique tendant à l'organisation de la
sélection des personnes est puni de vingt ans de réclusion
criminelle. »
143Testart, Jacques, L'oeuf Transparent,
Flammarion, Paris, 1986
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Déjà les artistes de l'art corporel, telle
Orlan, développaient les questionnements liés à la
possibilité de dépasser les limites du corps, de pouvoir
rectifier les anomalies corporelles grâce à la chirurgie
esthétique. C'était déjà montrer que la
société allait vers une nouvelle monstruosité,
créée de toute pièce par les normes sociétales du
beau.
Mais avec la découverte de l'ADN et les diverses
manipulations génétiques possibles, le risque est bien de ne plus
être unique et de rectifier ces « anomalies » bien avant la
naissance, bien avant d'être corps. C'est donc la question de
l'eugénisme que les artistes vont traiter, pour atteindre le
thème de l'identité de l'individu. Avec l'oeuvre Family
Romance, Charles Ray tend à identifier cette normalisation de la
population (figure 72). Cette oeuvre représente une famille de quatre
personnes, composée du père et de la mère, ainsi que d'un
garçon et d'une fille. Seulement, bien qu'il s'agisse d'une famille,
tous les personnages ont la même dimension, ils se ressemblent à
s'y méprendre, mais bien plus que dans un rapport de filiation. Cette
oeuvre illustre parfaitement les propos d'Henri Atlan qui voit dans le clonage
un « chaos des filiations »: « des individus produits par
clonage reproductif seraient génétiquement identiques à
des frères ou soeurs jumeaux de ceux ou celles à partir desquels
ils seraient clonés, mais ils seraient éventuellement
décalés dans le temps au point qu'ils pourraient en être
considérés comme appartenant à la génération
des « enfants » ou des « petits-enfants ». Or, une telle
situation, au premier abord, risque de désorganiser totalement tous les
repères humains connus dans le domaine des filiations. Bien que les
anthropologues décrivent des systèmes de filiations multiples, et
très différents de celui traditionnellement établi dans
nos sociétés, aucun système de filiation ne fait purement
et simplement l'économie d'un des deux parents biologiques, puisqu'ils
reposent tous sur l'expérience universelle de la reproduction
sexuée. La reproduction asexuée que réaliserait le clonage
reproductif perturberait tous les systèmes de filiation existants et
pourraient conduire, à terme, à la suppression même des
relations de filiation144. »
144 Atlan, Henri, « Possibilités biologiques,
impossibilités sociales », L'art contemporain au risque du
clonage / sous la direction de Richard Conte ; Publications de la Sorbonne
: ACTE 91, Paris, 2002, p.22
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 72: Charles Ray, Family Romance, 1993. Fibre de
verre et cheveux synthétiques, 134.6 x 215.9 x 27.9 cm. The Norton
Family Foundation.
Mais si certains artistes développent l'idée que
la normalisation va demeurer notre prochain fléau, d'autres se posent en
critique de cette science prétentieuse. Les recherches sur les embryons
ainsi que les manipulations toujours plus poussées ne vont-elles pas
conduire l'être humain à créer de nouveau monstres,
à déraper, voire à régresser? Ce qui devrait
apparaitre comme un progrès ne pourrait-il pas se révéler
régressif ? Les oeuvres de l'artiste Patricia Piccinini nous invitent
à ce questionnement. Ses sculptures aux formes mi-humaines mi-animales
paraissent comme le résultat d'expériences trop poussées
et ayant échouées. Elle développe par ses sculptures des
sortes de corps mutants qui s'annoncent comme des prémonitions sur les
déviances que peuvent générer les biotechnologies
appliquées à la reproduction (figure 73). C'est montrer que la
manipulation du vivant n'est pas sans risques, et que la volonté
eugéniste de normalisation n'est pas forcément positive, et peut
entrainer notre déchéance.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 73: Patricia Piccinini, Big Mother, 2005,
silicone, fibre de verre, cheveux, cuir, toiles, 175 cm, Galerie Yvon
Lambert, New-York
2. Libération du corps-fardeau?
La vision positiviste, ou autrement dite aujourd'hui
technophile, se trouvait déjà dans des oeuvres coïncidant
aux prémices des théories post-humaines. Valie EXPORT dans son
Installation Fragmente der Bilder einer Berührung en 1994
présente un mécanisme immergé d'où sortent des
ampoules allumées dans des bocaux de verres remplis de lait, d'huile
usagée ou d'eau sans provoquer aucun court-circuit (figure 74). On peut
alors y voir une évocation des techniques de reproduction afin de
libérer le corps de sa destinée procréatrice en le
déléguant à la technologie.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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Figure 74 : Valie EXPORT, Fragmente der Bilder einer
Berührung, 1994
Cette orientation sera le crédo des féministes
les plus extrémistes, celles qui désiraient pouvoir
s'émanciper totalement des hommes en même temps que de leur
fatalité biologique pour se reproduire. Dans cette optique, les
perspectives envisagées sont celles de l'utérus artificiel
appelé également ectogénèse, qui ôterait la
dimension sexuelle de la reproduction mais également la notion de
corporéité dans la relation de la mère à l'enfant ;
et la deuxième perspective est celle de la
parthénogénèse, qui là émanciperait la femme
de l'homme, en pouvant se reproduire sans l'aide d'un gamète
mâle.
3. L'art contemporain au risque du clonage
La question du clonage, d'un point de vue anthropologique,
entrainerait une grande scission dans le rapport homme/femme. Pour
Françoise Héritier, le développement de cette technique
est normal, cependant, sa banalisation ne pourrait en être de même.
Le risque ne serait, pour elle, pas dans le résultat du clonage et du
statut des êtres clonés, mais celui de l'assujettissement entre
homme et femme. Les hommes pourraient se reproduire avec l'aide d'une femme,
car il leur faudrait quand même un ovule. Quant aux femmes, elles
pourraient se reproduire à l'identique sans avoir besoin du recours des
hommes145.
145 Héritier, Françoise, Une pensée en
mouvement, Odile Jacob, Paris, 2009, p.115
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Le clonage humain est à craindre également s'il
est effectué à des fins de prélèvements d'organes.
L'aspect consumériste est d'ailleurs décrié par de
nombreux artistes, qui s'intéressent au corps morcelé. Dans le
même but, les bébés médicaments, qui n'auraient
d'autres destins que de soigner d'autres personnes. C'est la
prédétermination du corps de ces enfants, faisant de la
reproduction une sorte de supermarché d'organes et de cellules qui est
dénoncée. Cette procréation de « remplacement »
n'est pas nouvelle, le professeur Nisand dénonce lui, la volonté
des parents ayant perdu un enfant de le remplacer par un autre, identique.
Cette question est très présente dans le paysage scientifique et
éthique également, comme l'annonce le thème de
l'édition 2013 du forum européen de bioéthique de
Strasbourg, à savoir « l'Homme en pièces
détachées ».
L'artiste Chrissy Conant développe avec humour et
ironie cette vision du corps consumériste qui se met d'ores et
déjà en place. Pour son oeuvre intitulée Chrissy
Caviar, elle s'est pliée à une stimulation ovarienne afin de
récupérer une douzaine d'ovules qu'elle plaça dans un
contenant en verre semblable aux bocaux qui contiennent le caviar Beluga
(figure 75). La référence au caviar Beluga se retrouve
également dans les couleurs du label donné à ces
gamètes, situées sur le couvercle de chaque pot. Ces douze oeufs,
dont on remarque la référence certaine au même
conditionnement des oeufs de poules, sont labellisés « Caucasian:
Packed by Private IVF Center, USA. Product of Conant Ovaries, Keep
Refrigarated. » Le recours à la méthode de reproduction
assistée afin d'obtenir un nombre élevé d'ovules, ainsi
que l'utilisation que leur conditionnement et leur vente assimilés
à de la marchandise de luxe périssable, indique la critique d'un
corps fragmenté, réduit à un produit de consommation. En
attestent les sociétés proposant des bases de données de
mères susceptibles d'offrir leurs ovocytes par le biais de sites
internet.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 75: Chrissy Conant, Chrissy Caviar®,
douze oeufs humains (un par pot), 2001-2002, fluide tubaire humain,
Polyester, nylon, verre, cuivre, équipement de
réfrigération, 122 x 131 x 126 cm, Galerie Saatchi, Londres
4. Vers un nouveau corps-objet: poursuite du combat
féministe
Si certains artistes voient un véritable progrès
dans l'élaboration d'un homme supérieur, d'autres vont mettre en
évidence que ce progrès se révèle vain et qu'il
s'agit d'un retour en arrière considérable, notamment pour
l'image du corps de la femme qui va transparaitre au même titre qu'un
objet.
En effet, le groupe cyberféministe de bioart SubRosa
démontre par ses performances que les pratiques biotechnologiques
tendent à percevoir le corps comme un objet devenu inefficace et devant
être amélioré afin de poursuivre l'évolution de
l'espèce humaine.
Par le biais d'une performance participative intitulée
U-Gen-A-Chix: cultures of Eugenics de 2003146, le groupe
désirait mettre en relation technologie de reproduction,
eugénisme et statut
146 Voir http://www.cyberfeminism.net/
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corps-objet de la femme. La performance s'organisait en deux
parties: un kiosque fournissait des informations sur les dons d'ovocytes et les
conséquences de l'assimilation du corps féminin à celui
d'une poule pondeuse que cela entrainait. Le deuxième proposait de
gouter un biscuit préparé apparemment à partir d'oeufs de
poules améliorés (ce qui renforçait l'image de la poule
pondeuse pour la femme), ayant la prétendue capacité
d'améliorer la mémoire et l'intelligence. Derrière un
certain humour, la volonté du groupe était de démontrer la
fausse bienveillance de la bio-science, qui se cache derrière une
volonté d'aider des couples infertiles, mais qui peut se
révéler dangereux pour le statut du corps de la femme et celui de
l'enfant, qui se voit amélioré,
prédéterminé. Cette volonté de pouvoir choisir
l'enfant serait née de la transparence du mystère mise en place
avec l'avènement de l'échographie obstétricale. En effet,
auparavant, l'enfant désiré et porté n'était
qu'imaginaire jusqu'à sa naissance, et la possible déception des
parents qui se produisait à la naissance disparaissait derrière
la joie de la rencontre. Mais avec l'imagerie médicale, la rencontre des
parents et de l'enfant se fait bien en amont de la naissance, dès les
premiers signes de la grossesse. Il est même possible aujourd'hui, avec
l'imagerie 3D, d'avoir une image du visage de son enfant avant qu'il naisse.
L'imaginaire n'a plus sa place. « L'échographie foetale a cependant
cela de particulier, qu'elle a conduit à la rencontre d'un être
qui auparavant ne pouvait s'inscrire que dans l'imaginaire147.
» Ce corps-objet est renforcé également par
l'eugénisme qui fait que grâce à la médecine de la
reproduction, au suivi de grossesse ultra-médicalisé et la
médecine préimplantatoire, la possibilité est
donnée aux parents de mettre fin aux jours de l'enfant.
147 Triadou, Patrick, « Transparence et obscurité
», Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum
d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la
direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric
Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du
Havre, Paris, 2009, p.129
Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de
M. Valérie Da Costa
FEVRIER Jennifer
137
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
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