C. La psychanalyse et la maternité : la femme
nécessairement mère
Les mouvements féministes des années
soixante-dix vont mettre en avant le fait que la femme est un être
sexué, et que sa destinée ne s'arrête pas à sa
possible fonction biologique d'enfantement. A cela va s'ajouter la psychanalyse
qui est en plein essor à cette époque. Les théories se
multiplient mais les deux grands noms que l'on retient et qui s'opposent sont
Freud et Lacan. Cependant, pour les deux psychanalystes, ce n'est pas de
maternité dont il s'agit, mais de féminité, ce qui
incorpore la maternité et la sexualité dans un rapport
étroit.
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La représentation de la maternité dans la
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1. La théorie de la féminité selon
Freud
Selon Freud, la féminité est un aboutissant de
l'enfance. L'accession à la féminité ne se fait que par un
cheminement négatif ou de remplacement d'un désir par un autre.
Lorsque la petite fille nait, elle est dépourvue de pénis. Pour
Freud, déjà à sa naissance, la fillette est perçue
comme ayant un manque. Le rapport entre le pénis et la fillette fait
d'ailleurs penser à l'oeuvre de Louise Bourgeois du nom même de
Fillette, particulièrement connue car photographiée par
Robert Mapplethorpe en 1982 et qui est une sculpture d'un phallus, maintenue
sous l'aisselle de l'artiste sur le cliché en noir et blanc ou comme un
poupon parfois. Tout un processus se met en place, avec notamment le complexe
oedipien qui renvoie la fillette initialement en relation étroite avec
la mère dans le stade préoedipien, c'est-à-dire vers le
père. La fillette se tourne vers le père, et souvent dit qu'elle
veut se marier avec et avoir des enfants (ou plutôt se marier avec POUR
avoir des enfants), pour que son père lui donne ce que la mère ne
lui a pas donné à la naissance, un pénis.
Pour Freud, le cheminement normal de la fillette est le
dépassement du stade oedipien en s'attachant à un homme
extérieur au cercle, ou plutôt à la triade familiale.
Seulement la finalité reste inchangée : le désir du
pénis pousse les femmes à l'accouplement et au désir
d'enfant. Selon Freud, le désir d'enfant n'est que le remplacement du
désir du pénis. La féminité, au sens incluant la
maternité, est donc une quête du pénis transformée
en pénis-enfant.
On retrouve une analogie avec une oeuvre de Niki de
Saint-Phalle, L'Accouchement Rose (figure 9). Elle dira de ses
représentations d'accouchement « c'est la femme virile. Elle porte
l'enfant comme un sexe masculin56. » En effet, dans cette
oeuvre, un enfant sort du sexe de la femme, comme serait placé un
pénis chez un homme.
56 Schmutz, Lydie, l'art et la vie confondus :
la production artistique de Niki de Saint-Phalle de 1961 à 1966,
Mémoire de Maitrise Histoire de l'art, Strasbourg, 2004, p.37
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Figure 9: Niki de Saint-Phalle, L'Accouchement
Rose, 1964, technique mixte, 219 x 152 x 14 cm
Pour Freud, la maternité est donc l'accomplissement de
la féminité, la fin du cheminement entrepris dès la
naissance d'une fille. Ne pas aller vers la maternité conduirait, selon
lui, à la névrose ou à l'homosexualité.
Nicole Stryckman confirme même que « le
désir d'enfant promet, introduit la femme - dans et par le réel
de son corps - à la maternité, maternité qui sera la
preuve de sa sexuation en tant que femme, autrement dit de sa
féminité57. » Elle affirme également qu'un
refus de maternité est pour elle toujours un refus de
féminité.
Le parallèle entre maternité et sexualité
ne s'arrête pas là. Hélène Deutsch, disciple de
Freud, explique la maternité, et plus particulièrement
l'accouchement comme la fin en soi du rapport sexuel, du coït. Lors d'un
accouplement, l'éjaculation de l'homme correspond à la fin de
sa
57 Stryckman, Nicole, « Désir d'enfant
», Le Bulletin Freudien, n°21, décembre 1993, cité dans
Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité
et maternité, Imago, Paris, 2008, p.91
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fonction reproductive, mais également au soulagement de
la tension sexuelle avec l'orgasme qui l'accompagne.
Pour la femme cependant, selon Hélène Deutsch,
le processus s'établit en deux actes. Le premier est l'accouplement,
avec l'orgasme, mais cela ne correspond pas à l'achèvement de sa
fonction reproductive. Pour Hélène Deutsch, la fin réelle
de cet accouplement qui a donné lieu à une parturition est
l'accouchement, qui est vu au même titre que l'éjaculation, et qui
s'accompagne d'un relâchement.
2. Selon Lacan via Dolto:
Pour Françoise Dolto, la fillette ne nait pas avec un
manque de pénis. Elle nait justement plus sereinement que le
garçon qui lui vit toujours dans la peur de la castration. Pour elle,
rien ne peut lui manquer car elle ne connait pas le pénis. La
castration, pour elle, survient lors du renoncement à l'inceste.
Là où les deux théories peuvent se
retrouver, c'est au fait qu'une femme se confronte à la
maternité. Françoise Dolto atteste « gester c'est, pour une
femme, manifester par un acte corporel sexuel son refus, son acceptation ou le
don asymptotiquement inconditionnel de son sexe aux lois de la création,
à travers ses processus biologiques58. »
Le caractère sexuel également lié
à la maternité c'est ce pouvoir du désir ou non de
l'enfant. En effet, pour Françoise Dolto, le désir de
procréer est inhérent à la femme et fait partie
intégrante de sa jouissance. Par exemple, le fait même de craindre
de tomber enceinte va inhiber le plaisir sexuel. Le fort taux de
frigidité avant l'apparition de la contraception et de sa
légalisation
58 Dolto, Françoise, Le
Féminin, édition établie, annotée et
présentée par Muriel Djéribi-Valentin et Elisabeth Kouki,
Gallimard, Paris, 1998, p.84
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prouve la puissance de l'inconscient qui désire ou
refoule le désir d'enfant, voire l'appréhende. En cela, la
contraception va libérer la femme de cette fatalité de la
maternité, et du choix qu'elle devait faire, lorsque cela était
possible, entre sexualité et maternité. Mais cela n'a pas
été sans conséquences, car le désir d'enfant
devient alors un désir programmé, responsabilisé.
Les intellectuelles féministes vont remettre en
question cette réduction de la femme à la maternité vue
par la psychanalyse. Elles développent l'idée que ces principes
découlent d'un point de vue masculin ou du côté du
masculin. Simone de Beauvoir l'atteste, dans le Deuxième Sexe,
s'agissant de la description de l'évolution de la fillette « les
deux reproches essentiels que l'on peut adresser à cette description
viennent du fait que Freud l'a calquée sur un modèle masculin. Il
suppose que la femme se sent un homme mutilé59 [É].
» Elles ne comprennent pas pourquoi la femme doit ressentir un manque face
au pénis, et expriment que l'homme peut lui aussi éprouver un
manque au regard du pouvoir créateur biologique donné à la
femme.
3. La mère dévorante:
La question vue sous un angle psychanalytique de la
maternité n'est pas sans poser de problème et résulterait
d'un cheminement se faisant dès la naissance, en passant par des stades
préoedipiens et oedipiens. Mais qu'en est-il lorsque « l'enfant
parait60 » ? On va voir que l'attitude de certaine mère
est ambivalente.
Pour certaines femmes, l'enfant est celui qui va
régler, réparer ou combler les manques de la mère. Cela
peut être un deuil, une solitude, un destin ou un sentiment de perte. La
force du désir d'enfant va se transformer pour aller jusqu'à
l'obsession parfois. C'est ce que Monique
59 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I,
Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.84
60 Selon l'ouvrage de Françoise Dolto
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Schneider appelle le « gouffre maternel61.
» Danielle Bastien la cite pour expliquer qu'une femme ayant un
désir si fort, qu'il devient pour elle inconcevable de ne pas le voir se
réaliser, annonce « autant d'amour passionné que
dévorant, autant de dévouement que de haine. »
Cette haine est primordiale à la relation
mère-enfant, et surtout mère-fille, car c'est cette «
hainamoration62 » qui va permettre à l'enfant de se
tourner vers le troisième sujet de la triade, à savoir le
père, afin d'éprouver le complexe d'OEdipe et le dépasser.
L' « hainamoration » c'est aussi le pouvoir que ressent la femme
d'avoir donné une vie mortelle.
Mais cette haine est également présente et
pesante chez la femme qui éprouve de la haine à l'égard de
leur mère. Selon Monique Bydlowsky, lorsqu'une femme est enceinte, elle
part vers une rencontre avec elle-même et avec sa propre mère. En
quelque sorte, elle devient sa mère, elle la prolonge, à l'image
de l'oeuvre de Léonard de Vinci, où l'on voit sainte Anne, la
Vierge et l'Enfant Jésus, les gestes des deux femmes disparaissant pour
ne former qu'un. Seulement, Georg Groddeck lui affirme que la haine envers sa
mère inhibe la conception, car elle ne permet pas de s'inscrire dans la
continuité, « enfanter, c'est reconnaître sa propre
mère à l'intérieur de soi63. » Certaines,
en tombant enceintes de leurs premiers enfants, ne voient pas d'autres issues
que l'avortement, ne supportant pas de porter à l'intérieur
d'elle l'image maternelle. Un premier avortement peut être le prix du
sang à verser pour devenir femme soi-même, dans la
différence. Ce que redoutent ces femmes, c'est d'avoir envers leur
mère une certaine dette, qui ne se règle que par l'arrivée
d'un enfant.
En effet, le sentiment de haine ne fait qu'entrainer un
sentiment de dette, et ce sentiment nous le retrouvons aussi du
côté de l'homme. Nombreux conflits interviennent au sein de la
famille élargie, c'est-à-dire comprenant les grands-parents, car
l'homme laisse sa mère envahir l'espace de sa femme, laisse sa
mère intervenir dans sa maternité nouvelle car il existe un lien
de dette à l'égard de la grand-mère paternelle. Le fils
étant parti fonder sa propre famille, il comble la perte
éprouvée par la mère en lui donnant un ou des
petits-enfants.
61 Schneider, Monique, « Mère, Terre
ouverte », Etudes Freudienne, n°32, novembre 1991,
cité dans Bastien Danielle, Le plaisir et les mères :
féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.117
62Selon Jacques Lacan
63 Bastien Danielle, Le plaisir et les
mères : féminité et maternité, Imago, Paris,
2008, p.88
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Dans cette optique de maternité liée à
l'angoisse, Ruth Francken développa des oeuvres angoissantes, comme
Lullabye où elle associe une poussette et une affiche
représentant des couteaux pointant sur cette poussette, ou encore
Lilith, représentant une paire de ciseaux placée entre
des seins et pointant dangereusement vers le ventre. On retrouve
également cette ambigüité de mère à la fois
don de vie et menace dans les grandes déesses, qui seront
développées en troisième partie.
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