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La maternité dans la création contemporaine, de la révolution sexuelle à nos jours


par Jennifer FEVRIER
UFR des Sciences Historiques, Université de Strasbourg - Master 2 Histoire de l'Art 2012
  

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C. La psychanalyse et la maternité : la femme nécessairement mère

Les mouvements féministes des années soixante-dix vont mettre en avant le fait que la femme est un être sexué, et que sa destinée ne s'arrête pas à sa possible fonction biologique d'enfantement. A cela va s'ajouter la psychanalyse qui est en plein essor à cette époque. Les théories se multiplient mais les deux grands noms que l'on retient et qui s'opposent sont Freud et Lacan. Cependant, pour les deux psychanalystes, ce n'est pas de maternité dont il s'agit, mais de féminité, ce qui incorpore la maternité et la sexualité dans un rapport étroit.

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La représentation de la maternité dans la création contemporaine:
de la libération sexuelle à nos jours

1. La théorie de la féminité selon Freud

Selon Freud, la féminité est un aboutissant de l'enfance. L'accession à la féminité ne se fait que par un cheminement négatif ou de remplacement d'un désir par un autre. Lorsque la petite fille nait, elle est dépourvue de pénis. Pour Freud, déjà à sa naissance, la fillette est perçue comme ayant un manque. Le rapport entre le pénis et la fillette fait d'ailleurs penser à l'oeuvre de Louise Bourgeois du nom même de Fillette, particulièrement connue car photographiée par Robert Mapplethorpe en 1982 et qui est une sculpture d'un phallus, maintenue sous l'aisselle de l'artiste sur le cliché en noir et blanc ou comme un poupon parfois. Tout un processus se met en place, avec notamment le complexe oedipien qui renvoie la fillette initialement en relation étroite avec la mère dans le stade préoedipien, c'est-à-dire vers le père. La fillette se tourne vers le père, et souvent dit qu'elle veut se marier avec et avoir des enfants (ou plutôt se marier avec POUR avoir des enfants), pour que son père lui donne ce que la mère ne lui a pas donné à la naissance, un pénis.

Pour Freud, le cheminement normal de la fillette est le dépassement du stade oedipien en s'attachant à un homme extérieur au cercle, ou plutôt à la triade familiale. Seulement la finalité reste inchangée : le désir du pénis pousse les femmes à l'accouplement et au désir d'enfant. Selon Freud, le désir d'enfant n'est que le remplacement du désir du pénis. La féminité, au sens incluant la maternité, est donc une quête du pénis transformée en pénis-enfant.

On retrouve une analogie avec une oeuvre de Niki de Saint-Phalle, L'Accouchement Rose (figure 9). Elle dira de ses représentations d'accouchement « c'est la femme virile. Elle porte l'enfant comme un sexe masculin56. » En effet, dans cette oeuvre, un enfant sort du sexe de la femme, comme serait placé un pénis chez un homme.

56 Schmutz, Lydie, l'art et la vie confondus : la production artistique de Niki de Saint-Phalle de 1961 à 1966, Mémoire de Maitrise Histoire de l'art, Strasbourg, 2004, p.37

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Figure 9: Niki de Saint-Phalle, L'Accouchement Rose, 1964, technique mixte, 219 x 152 x 14 cm

Pour Freud, la maternité est donc l'accomplissement de la féminité, la fin du cheminement entrepris dès la naissance d'une fille. Ne pas aller vers la maternité conduirait, selon lui, à la névrose ou à l'homosexualité.

Nicole Stryckman confirme même que « le désir d'enfant promet, introduit la femme - dans et par le réel de son corps - à la maternité, maternité qui sera la preuve de sa sexuation en tant que femme, autrement dit de sa féminité57. » Elle affirme également qu'un refus de maternité est pour elle toujours un refus de féminité.

Le parallèle entre maternité et sexualité ne s'arrête pas là. Hélène Deutsch, disciple de Freud, explique la maternité, et plus particulièrement l'accouchement comme la fin en soi du rapport sexuel, du coït. Lors d'un accouplement, l'éjaculation de l'homme correspond à la fin de sa

57 Stryckman, Nicole, « Désir d'enfant », Le Bulletin Freudien, n°21, décembre 1993, cité dans Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.91

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fonction reproductive, mais également au soulagement de la tension sexuelle avec l'orgasme qui l'accompagne.

Pour la femme cependant, selon Hélène Deutsch, le processus s'établit en deux actes. Le premier est l'accouplement, avec l'orgasme, mais cela ne correspond pas à l'achèvement de sa fonction reproductive. Pour Hélène Deutsch, la fin réelle de cet accouplement qui a donné lieu à une parturition est l'accouchement, qui est vu au même titre que l'éjaculation, et qui s'accompagne d'un relâchement.

2. Selon Lacan via Dolto:

Pour Françoise Dolto, la fillette ne nait pas avec un manque de pénis. Elle nait justement plus sereinement que le garçon qui lui vit toujours dans la peur de la castration. Pour elle, rien ne peut lui manquer car elle ne connait pas le pénis. La castration, pour elle, survient lors du renoncement à l'inceste.

Là où les deux théories peuvent se retrouver, c'est au fait qu'une femme se confronte à la maternité. Françoise Dolto atteste « gester c'est, pour une femme, manifester par un acte corporel sexuel son refus, son acceptation ou le don asymptotiquement inconditionnel de son sexe aux lois de la création, à travers ses processus biologiques58. »

Le caractère sexuel également lié à la maternité c'est ce pouvoir du désir ou non de l'enfant. En effet, pour Françoise Dolto, le désir de procréer est inhérent à la femme et fait partie intégrante de sa jouissance. Par exemple, le fait même de craindre de tomber enceinte va inhiber le plaisir sexuel. Le fort taux de frigidité avant l'apparition de la contraception et de sa légalisation

58 Dolto, Françoise, Le Féminin, édition établie, annotée et présentée par Muriel Djéribi-Valentin et Elisabeth Kouki, Gallimard, Paris, 1998, p.84

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prouve la puissance de l'inconscient qui désire ou refoule le désir d'enfant, voire l'appréhende. En cela, la contraception va libérer la femme de cette fatalité de la maternité, et du choix qu'elle devait faire, lorsque cela était possible, entre sexualité et maternité. Mais cela n'a pas été sans conséquences, car le désir d'enfant devient alors un désir programmé, responsabilisé.

Les intellectuelles féministes vont remettre en question cette réduction de la femme à la maternité vue par la psychanalyse. Elles développent l'idée que ces principes découlent d'un point de vue masculin ou du côté du masculin. Simone de Beauvoir l'atteste, dans le Deuxième Sexe, s'agissant de la description de l'évolution de la fillette « les deux reproches essentiels que l'on peut adresser à cette description viennent du fait que Freud l'a calquée sur un modèle masculin. Il suppose que la femme se sent un homme mutilé59 [É]. » Elles ne comprennent pas pourquoi la femme doit ressentir un manque face au pénis, et expriment que l'homme peut lui aussi éprouver un manque au regard du pouvoir créateur biologique donné à la femme.

3. La mère dévorante:

La question vue sous un angle psychanalytique de la maternité n'est pas sans poser de problème et résulterait d'un cheminement se faisant dès la naissance, en passant par des stades préoedipiens et oedipiens. Mais qu'en est-il lorsque « l'enfant parait60 » ? On va voir que l'attitude de certaine mère est ambivalente.

Pour certaines femmes, l'enfant est celui qui va régler, réparer ou combler les manques de la mère. Cela peut être un deuil, une solitude, un destin ou un sentiment de perte. La force du désir d'enfant va se transformer pour aller jusqu'à l'obsession parfois. C'est ce que Monique

59 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.84

60 Selon l'ouvrage de Françoise Dolto

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Schneider appelle le « gouffre maternel61. » Danielle Bastien la cite pour expliquer qu'une femme ayant un désir si fort, qu'il devient pour elle inconcevable de ne pas le voir se réaliser, annonce « autant d'amour passionné que dévorant, autant de dévouement que de haine. »

Cette haine est primordiale à la relation mère-enfant, et surtout mère-fille, car c'est cette « hainamoration62 » qui va permettre à l'enfant de se tourner vers le troisième sujet de la triade, à savoir le père, afin d'éprouver le complexe d'OEdipe et le dépasser. L' « hainamoration » c'est aussi le pouvoir que ressent la femme d'avoir donné une vie mortelle.

Mais cette haine est également présente et pesante chez la femme qui éprouve de la haine à l'égard de leur mère. Selon Monique Bydlowsky, lorsqu'une femme est enceinte, elle part vers une rencontre avec elle-même et avec sa propre mère. En quelque sorte, elle devient sa mère, elle la prolonge, à l'image de l'oeuvre de Léonard de Vinci, où l'on voit sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus, les gestes des deux femmes disparaissant pour ne former qu'un. Seulement, Georg Groddeck lui affirme que la haine envers sa mère inhibe la conception, car elle ne permet pas de s'inscrire dans la continuité, « enfanter, c'est reconnaître sa propre mère à l'intérieur de soi63. » Certaines, en tombant enceintes de leurs premiers enfants, ne voient pas d'autres issues que l'avortement, ne supportant pas de porter à l'intérieur d'elle l'image maternelle. Un premier avortement peut être le prix du sang à verser pour devenir femme soi-même, dans la différence. Ce que redoutent ces femmes, c'est d'avoir envers leur mère une certaine dette, qui ne se règle que par l'arrivée d'un enfant.

En effet, le sentiment de haine ne fait qu'entrainer un sentiment de dette, et ce sentiment nous le retrouvons aussi du côté de l'homme. Nombreux conflits interviennent au sein de la famille élargie, c'est-à-dire comprenant les grands-parents, car l'homme laisse sa mère envahir l'espace de sa femme, laisse sa mère intervenir dans sa maternité nouvelle car il existe un lien de dette à l'égard de la grand-mère paternelle. Le fils étant parti fonder sa propre famille, il comble la perte éprouvée par la mère en lui donnant un ou des petits-enfants.

61 Schneider, Monique, « Mère, Terre ouverte », Etudes Freudienne, n°32, novembre 1991, cité dans Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.117

62Selon Jacques Lacan

63 Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.88

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Dans cette optique de maternité liée à l'angoisse, Ruth Francken développa des oeuvres angoissantes, comme Lullabye où elle associe une poussette et une affiche représentant des couteaux pointant sur cette poussette, ou encore Lilith, représentant une paire de ciseaux placée entre des seins et pointant dangereusement vers le ventre. On retrouve également cette ambigüité de mère à la fois don de vie et menace dans les grandes déesses, qui seront développées en troisième partie.

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