II. Maternité et féminisme en art
A. La seconde vague féministe
La première vague féministe de la fin du
XIXe et du début du XXe siècle revendiquait
des droits en fonction de la condition de mère des femmes. Ces demandes
visaient à l'émancipation mais ne remettaient pas en question la
maternité. A partir des années 1960, en lien direct avec les
évènements sociaux qui soulevèrent les foules dans
différents pays Ð mai 68 en France, contestation de la guerre du
Vietnam aux Etats-Unis Ð, la seconde vague du féminisme fit son
apparition sur les scènes sociales et culturelles.
1. Plus fortes ensembles
Cette seconde vague féministe se développa
particulièrement dans les domaines culturels et intellectuels. Comme
l'explique Fabienne Dumont22, il y eut de nombreuses femmes
diplômées d'écoles d'arts après la seconde guerre
mondiale. Cependant, à leur sortie, on leur refusait
22 Dumont, Fabienne, La rébellion du
Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories
féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du
Réel, 2011
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
l'accès à une carrière en galerie ou au
professorat. Pour pouvoir être reconnue comme artiste, il fallait le plus
souvent être l'épouse d'un artiste célèbre. Au sein
des musées, la représentation des artistes femmes était
également presque nulle23. Afin de témoigner et de
lutter contre le sexisme du monde de l'art, les artistes vont se regrouper et
former des collectifs. Par exemple en 1970, Lucy Lippard fondera l'Ad Hoc
Committee of Women Artists qui aura pour but de critiquer l'absence de femmes
au sein des expositions.
Pour contrer ce refus de l'accès des artistes femmes
aux cimaises, les artistes vont ouvrir également des lieux
spécifiques afin d'exposer leurs travaux. Judy Chicago ouvrira notamment
la Womanhouse ainsi que le Los Angeles Woman's building ou la A.I.R
Gallery24 (Artists in Residence).
En France, la prise de conscience de la domination masculine
dans le domaine artistique fut plus longue et moins virulente
qu'outre-Atlantique. On peut néanmoins citer différents groupes
fondés pour l'auto-reconnaissance des artistes-femmes, comme le
collectif Femmes/Art fondé en 1976, Feminie-Dialogue fondé en
1975, La Spirale fondée en 1972, mais également la parution en
1973 de La Création étouffée, de Jeanne Socquet
et Suzanne Horer. Mais ces groupes s'apparentaient plus à des groupes de
soutien. Il faudra attendre les années 1980 pour que soit
créée la Fondation Camille, avec le soutien du Ministère
des droits des femmes, mais également pour qu'émerge une
réelle ambition politique afin de mettre en lumière la
création au féminin25. Cependant, ces groupes
permettaient aux artistes femmes de se rassembler, de débattre et
d'exposer, afin de sensibiliser le public et d'être ensuite reconnues.
2. Nouvelle esthétique au
féminin
23 Voire à ce sujet la thèse de
Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art
contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de
l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand
Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national
de reproduction des Thèses, Lille, 2006
24 Galerie collective de femmes artistes
25 Voir à ce sujet Dumont, Fabienne,
Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain"
version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris,
1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac,
thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction
des Thèses, Lille, 2006
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Que les artistes de cette époque de libération
sexuelle se revendiquent féministes, ou au contraire tendent à
s'éloigner des tumultes engendrés par les luttes et les
différents mouvements, les interrogations soulevées par l'art
féministe se retrouvent très souvent au sein des démarches
artistiques. En investissant le domaine artistique, les féministes
désiraient mettre en lumière la domination masculine qui touchait
également le monde de l'art. Elles souhaitaient aussi développer
une pratique artistique différente. Dès le début, ce qui
sera affirmé, c'est la validité de l'expérience des
femmes, devenant sujet artistique. Le recours à l'autobiographie,
l'utilisation de matériaux assimilés à l'artisanat
féminin, comme la couture ou le tricot, mais aussi le recours à
des figures historiques oubliées26, étaient
perçus comme des alternatives à un système jugé
autoritaire et patriarcale. Lucy Lippard s'exprimait alors sur les
différences entre artistes masculins et artistes féminines «
j'étais habituée à des artistes hommes affichant une
confiance en soi, utilisant le jargon approprié pour exprimer les
problèmes formels - en d'autres termes « sachant ce qu'ils
faisaient ». J'ai constaté que certaines femmes étaient
confuses, peu sûres d'elles-mêmes, beaucoup plus
vulnérables, mais en même temps beaucoup plus disposées
à s'ouvrir et à ouvrir leur travail aux lectures personnelles et
associatives du spectateur, à partager leur art, leur expérience
et leur vie27. » Ce nouveau sens du public évoqué
par Lucy Lippard est développé par Judy Chicago « la notion
d'art féministe dans son ensemble, tel que j'ai tenté de le
formuler, repose sur l'idée que le code formel de l'art contemporain
doit être brisé pour élargir le public [É]. Ce que
je désirais depuis le début était une redéfinition
du rôle de l'artiste, un réexamen de la relation entre l'art et la
communauté, un élargissement des personnes qui contrôlent
l'art et, en fait, un dialogue élargi sur l'art incluant de nouveaux
participants plus diversifiés28. » Ces nouvelles formes
artistiques ainsi que ce nouveau sens du public introduit par les artistes
femmes se développent notamment grâce à la performance, qui
sera un des médiums phare des années soixante-dix.
Léa Lublin, par sa présence au salon de Mai en
1968, avec sa performance Mon Fils, avait pour but de dénoncer
la discrimination réservée aux femmes, liée à leur
probable maternité qui était perçue comme un frein
à leur carrière artistique (figure 1). Lors de cette performance,
elle avait
26 Voire partie III.B., Déesses-mère et
matriarcat
27 Lucy Lippard citée dans Dumont, Fabienne,
La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible
des théories féministes anglo-américaines
(1970-2000), Presses du Réel, 2011, p.39
28 Broude, Norma, Garrard, Mary, «
Conversation with Judy Chicago », The Power of Feminist Art,
p.70-71, cité dans Dumont, Fabienne, La rébellion du
Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories
féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du
Réel, 2011, p.117
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La représentation de la maternité dans la
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jours
recrée une chambre d'enfant dans laquelle elle
pratiquait ses tâches quotidiennes de maman en présence de son
propre fils, pendant les heures d'ouverture du salon. Elle fit de son
expérience de femme le matériau de son intervention en vue de
dénoncer la place des femmes au sein du monde artistique.
Si la volonté d'ouverture du monde de l'art est
attesté, cela ne va pas empêcher les artistes de parvenir,
grâce au recours à leur expérience féminine au sein
de leur pratique artistique, à un recentrement, une redécouverte
de leur subjectivité. Après des siècles d'oppression et de
domination masculine, le domaine artistique allait devenir le
théâtre de la reconstruction du moi féminin.
Figure 1: Léa Lublin, Mon Fils, 1968,
Salon de Mai, photographie de sa performance
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