A. XVIIIe siècle : l'Emile ou l'appel à la
maternité
C'est à partir du XVIIIe siècle que
vont être développées des conceptions nouvelles de la
maternité et que celle-ci va être théorisée.
Auparavant, le rôle des femmes ne se cantonnait pas à faire des
enfants, la plupart travaillaient auprès de leurs maris, d'autres
paradaient en société. La place de l'enfant au sein du couple est
alors minime, et cela s'explique par différentes raisons. Tout d'abord,
le très fort taux de mortalité infantile ne permettait pas
l'attachement à l'enfant. Ensuite, il était d'usage, très
souvent, de placer le nourrisson chez une nourrice mercenaire dès ses
premières heures, et cela jusqu'à l'âge de quatre ans en
général1. Lorsque l'enfant survivait jusqu'à
cet âge, il revenait alors chez ses parents, pour une durée assez
courte car les garçons étaient envoyés au collège,
le plus souvent en pension, et les filles, elles, rejoignaient le couvent. Pour
les classes les plus défavorisées, l'enfant représentait
un poids pour la famille, une bouche de plus à nourrir. Il fallait
également penser à une dot lorsqu'il s'agissait d'une fille. Le
plus souvent donc l'enfant est ressenti comme une gêne nécessaire,
dans l'idée de filiation et de perpétuation du nom par exemple.
La question de la maternité était naturelle, il s'agissait d'une
suite logique qui venait après le mariage. Comme le souligne Elisabeth
Badinter, le choix d'avoir des enfants ne se posait pas. La reproduction
était à la fois un instinct2, un devoir religieux mais
également une nécessité à la survie de
l'espèce. C'était alors pour les familles, officiellement, une
bénédiction de Dieu, mais aussi une plaie officieuse pour les
plus modestes. Cela n'exclut en rien l'amour, mais c'était une valeur
réservée souvent aux plus aisés ou un sentiment d'ordre
plus religieux.
1 Selon Badinter, Elisabeth, L'amour en plus :
histoire de l'amour maternel, XVII-XXe siècle, Flammarion, Paris,
1980
2 Le même instinct maternel qui fera
polémique dans les années 1970
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Au XVIIIe siècle se produisit par ailleurs
un changement : la philosophie des Lumières se pencha sur la question de
la maternité, en termes d'amour maternel et d'éducation. Une date
qui marque le changement de regard sur la maternité est retenue dans
l'ouvrage de Philippe Ariès, l'Enfant et la vie familiale sous
l'Ancien régime3, il s'agit de 1760. C'est à
partir de ce moment qu'apparaissent des ouvrages développant les
sentiments parentaux et appuyant l'idée de l'amour maternel plus
particulièrement. L'ouvrage qui fera date et qui marque
l'émergence d'une nouvelle considération de l'enfant est
l'Emile de Jean-Jacques Rousseau en 1762. Il y expose ses principes
d'éducation visant à considérer l'enfant en dehors des
préoccupations d'adultes et en y apposant ses idées de nature. Il
préconise par exemple l'allaitement maternel, ce qui va à
l'encontre de l'usage très rependue des nourrices puisqu'il faut garder
l'enfant auprès de soi. Les médecins appuyèrent ce point
de vue, dans l'optique de réduire le taux de mortalité infantile.
La préoccupation et le développement d'un amour ou instinct
maternel émergent donc à cette période, forçant
dans un certain sens l'affection maternelle et théorisant de
manière moderne le rôle de la mère vis-à-vis de ses
enfants, offrant un point d'ancrage à l'aliénation maternelle.
B. Fin XIXe - début XXe
: l'émergence d'une conscience politique
féminine - première vague de féminisme
Entre autre chose, c'est l'apparition d'un nouveau statut de
l'enfant, acquis avec le triomphe de la pensée rousseauiste, qui va
amener les femmes à reconsidérer la maternité. En effet,
la mère va acquérir le rôle de nourrice et
d'éducatrice, rôles auparavant délégués aux
nourrices mercenaires et aux précepteurs. Les premières
revendications féministes découleront de ce nouveau statut de la
femme, qui n'est plus vue comme la génitrice, mais comme
l'élément incontournable de l'éducation des hommes.
Au bout d'un siècle de valorisation du sentiment
maternel et d'un développement de la place de l'enfant au sein du couple
et de la société, celui-ci allant à l'encontre de la
liberté de la mère,
3 Philippe Ariès, L'Enfant et la vie
familiale sous l'ancien régime, Paris, Editions Du Seuil, 1975
cité par Elisabeth Badinter dans L'Amour en plus.
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les femmes vont émettre des volontés
liées à leur nouveau statut d'éducatrice. Ces demandes
auront pour but de protéger leur maternité, mais on peut y voir
explicitement une volonté d'émancipation, grâce à
leur fonction biologique si importante aux yeux des théoriciens. Les
femmes ont alors compris l'importance de leur maternité et les
féministes qui apparaissent à cette période vont
revendiquer la maternité comme une haute fonction sociale. Ces
dernières vont mettre en avant l'activité maternelle non comme
découlant de leur fonction biologique, mais s'apparentant à un
véritable travail.
Ce travail était tout d'abord d'ordre moral : les
femmes faisaient naître et éduquaient les citoyens de demain,
elles revendiquaient donc un travail « dont dépendait l'avenir de
la Nation4. » Elles réclamaient notamment le droit
à l'instruction, afin de mieux assumer leur rôle
d'éducatrice auprès de leurs enfants. Elles demandaient
également l'accession à des professions mieux payées et
mieux considérées sous le postulat de la maternité «
spirituelle » ou « sociale » comme l'enseignement, qui mettait
en avant les valeurs d'éducatrices. Il y avait aussi les professions
médicales qui relevaient des vertus de soins prodigués aux
enfants. « Il n'y a pas de travail plus productif que celui de la
mère- puisque c'est la mère qui élabore seule cette valeur
par excellence, cette valeur pensante et agissante qui s'appelle être
humain5 », voila comment les féministes percevaient leur
rôle vis-à-vis des enfants, en montrant l'importance de leur
mission et de leurs bienfaits pour l'Etat. Il allait en découler par la
suite la revendication des propres droits de citoyenneté « en se
fondant sur leur propre nature, qu'elles concevaient comme une contribution
unique à la société6. » La politisation du
mouvement prend corps en 1885 avec Hubertine Auclert qui se présenta
illégalement aux élections législatives avec comme
programme l'instauration d'un « Etat-mère », qui viendrait en
aide aux enfants et aux femmes. Elle plaida pour des allocations
maternités et un peu plus tard pour que les mères soient
rémunérées pour « services indispensables rendus
à l'Etat ». Le début du féminisme avec les
premières revendications politiques s'étendra dans toute
l'Europe. Mais c'est en France que les idées et les propositions furent
les plus avancées et les plus diverses.
4 Knibiehler, Yvonne, Histoire des mères :
du Moyen âge à nos jours, Hachette, Paris, 1982, p.88
5 Kâthe Schirmacher lors d'une réunion
publique, Duby, Georges, Histoire des femmes en Occident, tome 5 : le
XXe siècle, Plon, Paris, 1992, p.395
6 Op. Cit. p.392
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jours
Nelly Roussel qui appelait à une « grève
des ventres » soulignait que « de toutes les fonctions sociales, la
première, la plus magnifique, la plus pénible et la plus
nécessaire est la seule à n'avoir jamais reçu de
salaire7.» La question d'un salaire maternel était
posée, mais aussi vivement contestée, les détracteurs
affirmant que la maternité était une responsabilité
individuelle ou familiale, et non pas sociale. La valorisation
économique de la maternité aboutira entre le début de la
première guerre mondiale et la fin de la seconde guerre mondiale selon
les pays. En France, l'allocation maternelle entra en vigueur en 1932.
A la fin du XIXe siècle et au début
du XXe, les féministes défendaient leurs idées
contre les pronatalistes. En effet, pour obtenir gain de cause, les plus
radicales appelèrent à la « grève des ventres ».
Les féministes savaient cette menace redoutable surtout depuis que les
taux de fécondité étaient en déclin depuis la
défaite des troupes françaises devant une Allemagne très
peuplée en 1871. La politique nataliste ne désirait pas voir leur
main d'oeuvre mais surtout leur effectif de « chair à canon »
diminuer aux vues d'une prochaine guerre. En effet, la taille de la population
participait à la fierté ainsi qu'à la puissance de la
nation. C'est à partir de cette prise de conscience, qui s'effectua dans
toute l'Europe, que sera mis en place les politiques de protection de l'enfant,
que l'on étudiera de plus près le taux de mortalité
infantile et maternel. Les avancées ne sont donc pas liées
à une certaine empathie des pouvoirs étatiques envers la
population féminine, mais partent d'une notion de grandeur nationale et
d'hégémonie européenne. Ce sont donc des politiques
divergentes qui amenèrent à la protection de la maternité
: les féministes pour protéger les femmes et aller vers
l'indépendance ainsi que les états pour inciter les couples
à faire des enfants par une politique pronataliste. Cette
dualité, sorte de donnant-donnant, est révélée par
la phrase de Maria Martin, rédactrice du Journal des femmes, « si
vous voulez des enfants, apprenez à honorer les mères » en
1896, apostrophant la politique pronataliste d'après-guerre.
Après la première guerre mondiale, la politique nataliste va
s'accroitre, car après un fleurissement des naissances juste
après la guerre, le déclin des naissances
s'accéléra. A partir de ce moment, les objectifs
féministes et pronatalistes vont se rejoindre dans les solutions
à apporter pour régler le problème de la croissance
démographique, même si les intentions divergent encore. Les
féministes travaillent à la protection des mères, les
natalistes se servent de la protection des mères pour assurer la
grandeur de la nation.
7 Op. Cit. p.386
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L'industrialisation va également engendrer la question
fondamentale de la régulation des naissances et la protection des
mères. Le besoin de main d'oeuvre fait que beaucoup de femmes
travaillaient et ne pouvaient pas s'arrêter pour leur grossesse sous
peine de perdre leur travail et le salaire qui allait de pair. Les
féministes formulèrent alors leur voeu d'un congé
maternité, afin que ces femmes puissent prendre le temps d'accoucher et
de récupérer de l'accouchement, avant de reprendre le travail. Il
était question également de l'allocation maternité pour
ces femmes qui effectuaient des doubles journées : en effectuant leur
travail à l'usine, par exemple, puis leur travail domestique.
Ce qui pouvait apparaitre comme une formidable avancée
était cependant sujet à contestation : les femmes
réclamaient que cette loi s'applique à tous les domaines
professionnels. Mais ce qui rebuta certaines féministes, c'est qu'une
assurance maternité assimilait grossesse et maladie. On constate un
écart flagrant entre le discours nataliste des politiques, qui font de
l'enfantement un devoir, et leur déni pour reconnaitre et donner des
droits aux femmes, afin d'assurer leur sécurité et leur
santé ainsi que celle de l'enfant, qui ne faisait pas le poids face aux
problématiques capitalistes. On remarque cela dans le discours des
femmes contre ces projets de rémunérations ou d'aides aux
mères. Certaines, comme Maria Lischnewska, soutenaient que le travail
ménager était improductif et parlaient de la
ménagère qui ne travaillait pas comme d'une consommatrice
uniquement, entretenue et surtout « sans valeur pour l'économie
nationale. » Une aide, sous quelques noms qu'elle prenne, était
perçue négativement, car elle rendait, supposément, les
femmes moins compétitives, et renforçait certains
préjugés qui assimilaient maternité avec faiblesse des
femmes.
En France, il faut attendre la loi Engerand de 1909 pour
garantir leur emploi aux femmes qui s'absentaient pour maternité, pour
une durée de huit semaines après l'accouchement. Mais c'est en
1913, avec la loi Strauss que le congé maternité fut
réellement instauré, en prévoyant une allocation pour
certaines catégories professionnelles de femmes. Là où les
féministes concentraient leur colère, c'est que ces allocations
étaient versées au père, ce qui faisait des épouses
de « simples appendices de leurs maris8. » On voit donc
l'apparition d'une demande égalitaire.
8 Duby, Georges, Histoire des femmes en Occident,
tome 5 : le XXe siècle, Plon, Paris, 1992, p.403
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Car même si l'égalité entre les hommes et
les femmes n'était pas encore perçue comme la revendication
ultime, la critique des valeurs sociétales masculines se mettait en
place. Käthe Schirmacher l'énonça en ces termes « nous
vivons dans un monde hoministe, créé par l'homme, pour l'homme,
au point de vue de l'homme et pour ses fins. Dans cette création qu'il a
faite à son image, l'homme s'est aussi considéré comme la
mesure de tout. Il fallait être son pareil pour être son
égal, faire ce qu'il faisait pour avoir droit à son respect. Pour
lui, l'identité seule du travail en établissait aussi
l'équivalence. Dans le travail de la femme, il a vu non un service mais
une infériorité9. » C'est alors le prémice
du féminisme de l'égalité, qui sera à son
apogée à la fin des années 1970.
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