Paragraphe 1 : Les difficultés liées
à la reconnaissance des sentences
Par reconnaissance de la sentence arbitrale, il faut entendre
l'admission à la suite ou non d'une procédure, des effets de
celle-ci dans un État384. Considéré comme
étant une justice autonome, l'arbitrage n'est pas rattaché
à l'ordre judiciaire des États. Il s'agit d'une justice
privée qui ne se réalise que parce que les parties l'ont voulu et
dont les sentences qui tranchent les différends sont semblables aux
décisions de justice étrangères. Par conséquent,
elles ne peuvent être exécutées qu'en vertu d'une
décision d'exequatur rendue par le juge étatique.
Dans l'espace OHADA, l'exequatur est rendu soit par le juge
étatique385, soit par le juge communautaire386
selon qu'on soit dans un arbitrage classique où spécifique CCJA.
Dans ce dernier cas, la reconnaissance est systématique, la formule
exécutoire devant tout simplement être apposée sur la
sentence après présentation de la copie certifiée conforme
à l'original de la sentence exequaturée à
l'autorité national compétente387. Malheureusement,
les choses ne se déroulent pas toujours comme le veut la loi dans la
mesure où, dans certains cas,
384 Pour une définition similaire V. G. CORNU,
Vocabulaire juridique, op.cit., p.772.
385Article 30 NAUA : « La
sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en
vertu d'une décision d'exequatur rendue par la juridiction
compétente dans l'État Partie ».
386 Article 30.1 NRA/ CCJA : « La sentence est
susceptible d'exequatur dès son prononcé. L'exequatur est
demandé par une requête adressée au Président de la
Cour, avec copie au Secrétaire Général. Ce dernier
transmet immédiatement à la Cour les documents permettant
d'établir l'existence de la sentence arbitrale et de la convention
d'arbitrage ».
30.2 « L'exequatur est accordé, dans les
quinze (15) jours du dépôt de la requête, par une ordonnance
du Président de la Cour ou du juge délégué à
cet effet et confère à la sentence un caractère
exécutoire dans les Etats Parties. Cette procédure n'est pas
contradictoire ».
387Article 31.1 NRA/ CCJA : « Le
Secrétaire Général délivre à la partie qui
lui en fait la demande, une copie de la sentence certifiée conforme
à l'original déposé conformément à l'article
28 du présent Règlement, sur laquelle figure une attestation
d'exequatur. Cette attestation mentionne que l'exequatur a été
accordé à la sentence, selon le cas, soit par une ordonnance du
Président de la Cour régulièrement notifiée, soit
par un arrêt de la Cour rejetant un recours en annulation, soit par un
arrêt de la Cour infirmant un refus d'exequatur ».
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des difficultés se présentent et font
obstruction à la reconnaissance de la sentence arbitrale. Ces
difficultés sont parfois relatives aux parties elles-mêmes (A),
parfois aux autorités étatiques (B).
A. Les difficultés relatives aux parties
Une fois la sentence arbitrale rendue, la logique est que
suive sa reconnaissance et son exécution. Tel n'est pas toujours le cas,
la pratique révélant que cette phase ultime est souvent
entravée par la partie perdante parfois de mauvaise foi, qui multiplie
les recours dilatoires en vue de gagner du temps, pour tenter de
négocier un accord transactionnel avec la partie gagnante. Cette
pratique est monnaie courante dans les entreprises, qui cherchent toujours
à retarder autant que faire se peut l'exécution des
décisions de justice ou de minorer les créances qui en
découlent. La restriction des voies de recours opérée par
le législateur africain ne suffit pas à faciliter
l'exécution des sentences arbitrales dans l'OHADA, car l'examen du
contentieux arbitral témoigne bien souvent des effets dilatoires des
voies de recours autorisées qui sont d'ailleurs dotées d'un effet
suspensif. Il en est de même pour l'exécution provisoire qui n'est
qu'une possibilité et qui même si elle est accordée peut
faire l'objet d'une défense à exécution, c'est pourquoi un
auteur388suggérait que soit supprimé l'effet suspensif
afin d'assurer l'exécution rapide des sentences. Toutefois, de
manière exceptionnelle, ce dernier pense que le juge chargé du
contentieux de l'exécution des sentences arbitrales ou l'arbitre devrait
avoir la possibilité d'apprécier l'opportunité de
suspendre ou d'aménager l'exécution de la sentence. Ainsi, il
pourra suspendre l'exécution de la sentence tout en ordonnant des
mesures provisoires ou conservatoires en vue d'éviter toute
éventuelle fraude du débiteur de l'exécution et donc de
protéger l'objet du litige. Il suggère également que soit
instituée la possibilité d'exiger du débiteur de
l'exécution une caution bancaire en vue de garantir l'exécution
de la sentence en cas d'échec du recours. Enfin il propose la
médiation ou la conciliation post-arbitrale, le tout dans le but de
concilier la suppression de l'effet suspensif aux droits de la
défense389.
À notre avis, bien qu'il soit juste de protéger
toutes les parties dans un contentieux arbitral, il n'est pas nécessaire
de supprimer l'effet suspensif des voies de recours dans la mesure où,
cela pourrait entraîner des conséquences désastreuses sur
la partie condamnée. Nous pensons que la solution se trouverait dans un
meilleur encadrement de l'exercice des
388 Ab. DIALLO, op.cit., p.198.
389 Ibid.
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voies de recours. C'est pourquoi nous suggérons au
législateur africain de faire de la présentation d'une caution
bancaire une condition de recevabilité du recours en annulation de la
sentence arbitrale. S'agissant du recours en révision et de la tierce
opposition, nous pensons que l'effet suspensif devrait être
accompagné des mesures provisoires ou conservatoires. De telles mesures
si elles sont consacrées auront le mérite non seulement de
dissuader toute partie désirant verser dans les recours dilatoires, mais
aussi et surtout d'assurer la conservation de l'objet du litige.
En tout état de cause, on peut retenir que parfois, les
parties sont responsables des difficultés d'exécution des
sentences arbitrales. Ce qui ne permet pas au système d'arbitrage OHADA
de contribuer suffisamment à la sécurité judiciaire des
activités économiques dans l'espace communautaire. Cependant, les
difficultés décriées ne sont pas l'apanage des parties,
les autorités étatiques ayant souvent leur part de
responsabilité dans l'inexécution des sentences.
B. Les difficultés relatives aux
autorités étatiques
Plusieurs soupçons, à tort ou à raison,
sont jetés sur les autorités étatiques comme pouvant
être responsables d'éventuels des blocages susceptibles de se
présenter lors de la phase de la reconnaissance des sentences, et plus
précisément celles émanant de la CCJA.
En effet, l'une des spécificités de l'arbitrage
CCJA réside dans le fait que l'exéquatur des sentences y
découlant est rendu par la Cour. Toutefois, l'exéquatur
communautaire ne fait pas obstruction à la formule exécutoire qui
reste de la compétence des États parties. Ces derniers devant
designer chacun l'autorité compétente chargée d'accomplir
cette formalité postérieurement à la simple
vérification de l'authenticité du titre
exécutoire390. Cette « domestication » de
la formule exécutoire a donné lieu à une controverse
doctrinale. Ainsi selon le Professeur Jean-Marie TCHAKOUA, la domestication de
la formule exécutoire au profit de chaque État partie n'est non
seulement pas justifiée mais également constitue une
véritable entrave à l'efficacité des sentences issues des
arbitrages CCJA dans la mesure où, si l'autorité chargée
de l'apposer exerce la fonction de juge, il pourrait alors arriver que sous
le
390 Cf. article 46 du règlement de procédure
CCJA qui prévoit : « La formule exécutoire est
apposée, sans autre contrôle que celui de la vérification
de l'authenticité du titre, par l'autorité nationale que le
Gouvernement de chacun des Etats Parties désignera à cet effet et
dont il donnera connaissance à la Cour ». V. aussi l'article
31.2 du règlement d'arbitrage de la Cour communautaire qui stipule
qu'« Au vu de la copie conforme de la sentence revêtue de
l'attestation du Secrétaire Général de la Cour,
l'autorité nationale désignée par l'État Partie
pour lequel l'exequatur a été demandé, appose la formule
exécutoire telle qu'elle est en vigueur dans ledit État
».
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couvert de la souveraineté de l'État dont il se
dit être le défenseur naturel, elle prête attention à
la nationalité de la partie condamnée. Ce qui pourrait l'amener
à procéder au contrôle de la sentence et même
à refuser l'exequatur si cette dernière était un
État. Pour cet auteur, l'idéal serait l'adoption d'une formule
exécutoire communautaire rendue non pas au nom du peuple d'un
État membre, mais au nom de tous les peuples des États
parties391. Solution qui n'est pas du tout partagée par
Marie-Andrée NGWE car selon elle, la formule exécutoire n'est
qu'un instrumentum permettant aux huissiers de procéder
à son exécution, par conséquent il parait difficile de
là communautariser étant entendu qu'elle relève de l'ordre
judiciaire des pays392.
Nous pensons que les inquiétudes relatives à la
domestication de la formule exécutoire sont fondées dans la
mesure où, une telle domestication peut être source
d'insécurité judiciaire découlant de l'inefficacité
des sentences arbitrales au cas où, l'autorité chargée de
l'apposer serait un juge393. En revanche, nous ne sommes pas
favorables à l'idée d'une communautarisation, non pas en raison
du fait que la formule exécutoire relève de l'ordre judiciaire
étatique394 comme le pense Madame NGWE, mais plutôt
parce qu'il serait à notre sens injuste de renforcer la
supériorité de l'arbitrage CCJA vis-à-vis de l'arbitrage
ad hoc. Supériorité déjà existante du fait
de l'exéquatur communautaire. Nous suggérons donc que soit
désigné comme autorité compétente au niveau
communautaire le greffier en chef de la Cour suprême ou de la juridiction
équivalente de l'État partie où la formule est
demandée.
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