B. La prise en compte de la lex mercatoria dans l'arbitrage
OHADA
Entendue comme étant la loi des commerçants ou
de la societas mercatorum132, la lex mercatoria
trouve sa source dans les usages du commerce international qui en
constituent la pierre angulaire. M. ERDEN écrivait d'ailleurs à
ce titre que « It can be said that the trade usages constitute the
core and one of the main sources of lex mercatoria
»133.Selon Berthold GOLDMAN, ces dernières
s'entendent comme étant « les comportements des
opérateurs dans les relations économiques internationales, qui
ont acquis progressivement, par leur généralisation dans le temps
et dans l'espace, que peut renforcer leur constatation dans la jurisprudence
arbitrale, ou éventuellement étatique, la force de
véritables prescriptions qui s'appliquent sans que les
intéressés aient à s'y référer, dès
lors qu'ils n'y ont pas expressément ou clairement dérogé
».134 Emmanuel JOLIVET est du même avis lorsqu'il
affirme que « l'usage est une habitude professionnelle d'origine
concertée »135. Il ressort donc que pour être
qualifiés d'usages, les comportements ou habitudes professionnelles
doivent être anciens, leur application par les acteurs du commerce
constante dans le temps et enfin, ils doivent s'imposer comme la solution la
mieux adaptée aux besoins du commerce international136.
Selon YOUGONE Nicéphore137, les usages du
commerce international sont classés en deux grandes catégories.
La première regroupant les usages établis par les parties entre
elles,
131 J-M. TCHAKOUA, « L'arbitrage et les investissements
internationaux en Afrique noire francophone : un mot sur la compétence
de l'arbitre », Rev. Juridis périodique, n°31,
p.67.
132 F. OSMAN, Les principes généraux de la
lex mercatoria, Contribution à l'étude d'un ordre juridique
anational, Paris, LGDJ, 1992, pp. 338 à 346.
133 H. E. ERDEM, « The role of trade usages in ICC
arbitration », in Liber Amicorum en l'honneur de Serge LAZAREFF,
Paris, A. Pedone, 2011, p. 247 à 265, spéc. p. 250.
134 Sur cette définition v. note sous la
décision de la C. Cass. 1ère Ch. Civ., du 22 octobre 1991,
Compania Valenciana de Cementos Portland SA c/ Sté Primary Coal, Inc.,
JDI, 1992, p. 184. Cette définition a été aussi
citée par E. JOLIVET, Les Incoterms, Etudes d'une norme du commerce
international, Paris, Litec, 2003, p. 363. V. F. Y. NICEPHORE.,
op.cit., p.324.
135Op.cit., p. 361.
136V. H. E. ERDEM, op.cit., p. 249. F.Y.
NICEPHORE, Ibid.
137Op.cit., p.325.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
c'est-à-dire les usages entre professionnels, et la
seconde correspondant à celles qui excèdent le cercle des
professionnelles du commerce pour s'appliquer de manière
générale dans le monde entier et au transactions commerciales de
toute nature. L'auteur démontre que la première catégorie
d'usages peut être sectoriels ou corporatifs, c'est-à-dire
limités à un type d'activité particulier et que Parmi ces
usages, tandis que certains jouent un rôle précis dans la
sécurisation des échanges commerciaux comme la présomption
de compétence des opérateurs du commerce international,
l'effectivité de la clause compromissoire et l'inopposabilité du
défaut de pouvoir du négociateur du contrat. D'autres
correspondent aux besoins de mutabilité dans les relations commerciales
comme la présomption d'acquiescement à l'acte d'exécution
différent de celui défini par le contrat et l'obligation de
renégocier. La particularité de ces usages étant qu'ils
constituent des normes impératives pour les opérateurs du
commerce international.
Quant à la deuxième catégorie, on y
retrouve le principe de bonne foi contractuelle ou l'interdiction de se
contredire au détriment d'autrui et les obligations naissant d'une
relation contractuelle, comme l'exécution de bonne foi, l'obligation de
coopération et de renseignement entre autres. Dans tous les cas,
institués pour garantir la stabilité, la cohérence et
à la permanence des règles qui gouvernent les rapports entre les
acteurs du commerce international, la lex mercatoria ou au sens large
les usages du commerce international constituent un véritable ordre
juridique à part entière qui peut être qualifié
« d'ordre juridique mercatique »138.
À ce titre, l'OHADA n'est pas en reste. L'article 15
alinéa 1er AUA dispose : « le tribunal arbitral
tranche le fond du différend conformément aux règles de
droit choisies par les parties. À défaut de ce choix par les
parties, le tribunal applique les règles de droit qu'il estime les plus
appropriées en tenant compte, le cas échéant, des usages
du commerce international ». De même, l'article 17
alinéa 2 du règlement d'arbitrage CCJA qui traite de la loi
applicable au fond du litige dispose que « dans tous les cas, le
tribunal arbitral tient compte des stipulations du contrat et des usages du
commerce international ». Ainsi, dans un arbitrage ad hoc,
lorsque les parties n'auront pas opté pour un droit spécifique,
le tribunal arbitral pourra, en cas de nécessité, trancher au
fond en prenant en compte la lex mercatoria.
138 V. A. PELLET, « La lex mercatoria «
tiers ordre juridique » ? Remarques ingénues d'un internationaliste
de droit public », in Souveraineté étatique et
marchés internationaux à la fin du 20ème siècle A
propos de 30 ans de recherche du CREDIMI, Mélanges en l'honneur de
Philippe Kahn, Paris, Litec, 2000, pp. 53- 74, spéc., p. 69.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
Cette prise en compte est obligatoire dans l'arbitrage se
tenant sous l'égide de la Cour. D'ailleurs, dans l'affaire
Société ivoirienne (SIR) c/ BONA SHIPHOLDING, la Cour estima qu'a
statué en droit l'arbitre qui s'est référé aux
usages du commerce international dès lors que ceux-ci sont connus par
les parties et appliqués de manière constante. Aussi, elle
décida qu'en se référant aux usages du commerce dont
l'existence n'était pas contestée par la requérante, le
tribunal arbitral avait statué en droit ainsi qu'il en avait
l'obligation, conformément au procès-verbal du 13 septembre
2004139. En pratique, Il pourra s'agir par exemple des usages
codifiés par la CCI que sont les incoterms, des usages contenus dans la
réglementation de la fédération du commerce des cacaos
(FCC)140 ou encore des principes UNIDROIT qui, selon plusieurs
acteurs, ne sont rien d'autre qu'une transcription écrite de la lex
mercatoria au sens large141. Une telle prise en compte de la
lex mercatoria dans l'arbitrage de l'OHADA traduit la volonté
du législateur africain de garantir aux acteurs économiques
surtout internationaux stabilité, prévisibilité,
lisibilité, cohérence et permanence de la règle de droit
dans le commerce international. Dans tous les cas, le rôle de la lex
mercatoria dans la sécurisation juridique des activités
économiques est surtout perceptible dans le fait que les arbitres les
utilisent soit pour combler les lacunes des lois nationales, soit pour
interpréter le contrat des parties142.
139 CCJA, Arrêt n°029/2007 du 19 Juillet 2007,
affaire Société ivoirienne de raffinage dite SIR SA contre
1°/ BONA SHIPHOLDING Ltd, 2°/ Monsieur ATLE LEXEROD, 3°/TEEKAY
SHIPPING NORWAY AS, 4°/TEEKAY SHIPPIND CANADA Ltd, 5°/STANDARD
STEAMSHIP OWNER'S PROTECTION AND INDEMNITY ASSOCIATION Ltd., RTDA, n°867,
pp. 226 et s.
140 V. F.N. YOUGONE, op.cit., p. 331.
141 Ibid., p.362.
142Ibid., V. A. PRUJINER, « Comment
utiliser les Principes d'Unidroit dans la pratique contractuelle ? »,
Revue Juridique Thémis, 2002, n°36-2, p. 567 ou l'auteur affirme
que « (...) les Principes d'Unidroit se présentent comme une
traduction de la lex mercatoria ». V. aussi A.-M. TRAHAN,
op.cit., p. 631 où elle cite M. J. BONELL et L. DA GAMA E SOUZA
Jr., comme étant des partisans de la consécration des
Principes comme l'expression d'une nouvelle lex mercatoria.
A contrario, L. MARQUIS, op.cit., p. 554 est plus prudent
quant à la qualification des Principes, il
préfère y voir une sorte de conscience du monde des affaires (un
modus vivendi) plutôt que de la lex mercatoria.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
CONCLUSION DU CHAPITRE I
La sécurité juridique peut être
présentée comme une condition essentielle du développement
durable. Ainsi, si l'arbitrage occupe de plus en plus une place
particulière dans le monde des affaires, c'est parce qu'il
représente une des garanties les plus sures de sécurisation des
activités économiques. Voilà pourquoi le
législateur africain a tenu à en faire le mode par excellence de
règlement des différends d'ordre contractuel dans l'espace OHADA.
On peut donc observer à travers les textes communautaires143
une contribution de l'arbitrage à la sécurité juridique
des activités économiques dans les États parties. Cette
observation peut se faire à trois niveaux.
Tout d'abord, un regard jeté vers l'histoire politique
et juridique des États qui forment aujourd'hui l'OHADA
révèle que l'érection d'un droit supranational de
l'arbitrage a permis de garantir non seulement l'existence d'un droit
accessible au double plan substantiel et matériel, mais également
prévisible et stable.
En outre, la contribution à la sécurité
juridique s'entrevoit à travers l'originalité de l'arbitrage
OHADA. Une originalité traduite par la consécration et
l'encadrement du principe l'unité du régime juridique qui permet
de faciliter la mise en oeuvre des procédures arbitrales dans l'espace
communautaire.
Enfin, à travers l'extension de l'arbitrabilité
subjective aux personnes morales de droit public et la prise en compte de la
lex mercatoria, le système d'arbitrage OHADA fait preuve d'un
modernisme remarquable. Un modernisme qui participe à la
sécurité juridique dans la mesure où, tout en favorisant
l'adaptation de l'arbitrage communautaire aux réalités du
commerce international, il permet d'assurer la cohérence, la
stabilité et la prévisibilité des règles
applicables en matière d'arbitrage, le tout au bénéfice
des acteurs du commerce interne et à ceux du commerce international.
Cependant, si la sécrétion des règles de droit favorables
à la sécurité juridique est d'une nécessité
indéniable pour le développement économique, il reste
encore à les mettre correctement en oeuvre lorsqu'un litige se
présente. Ce qui pose le problème de la manière dont la
justice est rendue et donc de la sécurité judiciaire.
143 Traité OHADA, AUA, RA/ CCJA.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
Quid de la contribution de l'arbitrage OHADA à la
sécurité judiciaire des activités économiques dans
l'espace juridique intégré ?
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
UNE CONTRIBUTION PERCEPTIBLE DE L'ARBITRAGE OHADA A LA
SÉCURITÉ JUDICIAIRE
CHAPITRE II
Selon le Docteur TAMKAM SILATCHOM Guy Armel, « Dans
un espace de liberté, la disparité des juridictions ne peut
qu'encourager la préférence des investisseurs pour le mode
arbitral de règlement de différend. D'une manière
générale, on observe que les procédures judiciaires
nationales ne conviennent pas au règlement du contentieux de
l'investissement international »144. Cette affirmation
traduit la vérité de la Palice que les systèmes
judiciaires des États de l'Afrique subsaharienne présentent de
nombreuses défaillances. Dans la majeure partie des cas, on y constate
le délabrement de l'appareil judiciaire, l'absence de
célérité dans le rendu des décisions de justice, la
dépendance et la partialité des magistrats, la corruption de ces
derniers, voire l'insuffisance de leur formation, qui les rend incapables
à s'acclimater aux questions parfois économiques ou
financières qui caractérisent très souvent les litiges
commerciaux145. De tels problèmes constituent
inévitablement un facteur majeur de dégradation du climat des
affaires en Afrique ; étant donné que l'attractivité d'un
État procède en grande partie de la confiance que les
opérateurs économiques ont à l'égard de la justice
dudit État. C'est dire que l'amélioration du climat des affaires
dépend largement de la bonne marche de la justice, de la manière
dont elle est rendue et de sa capacité à garantir une
sécurité maximale aux investisseurs. À ce titre
d'ailleurs, le Professeur Roger MASSAMBA écrivait que «
l'amélioration du climat des investissements est largement tributaire de
la bonne marche de la justice, c'est-à-dire d'une justice
crédible, équitable, capable de dire le droit avec
compétence et de sécuriser les justiciables
»146. Tel n'étant pas le cas dans les État
africains, l'OHADA s'est fixé comme objectif l'encouragement au recours
à l'arbitrage pour le règlement des litiges d'ordre contractuel.
Aussi, s'est-il doté d'un système d'arbitrage communautaire, en
vue de renforcer la confiance des investisseurs tant locaux qu'étrangers
et d'améliorer significativement le climat des
144 G. A. TAMKAM SILATCHOM, La contribution de l'arbitrage
à la promotion des investissements : étude comparée des
systèmes d'arbitrage de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA)
et du Centre International pour le règlement des différends
relatifs aux investissements (CIRDI), Thèse, Université de
Yaoundé II, 2015, p. 5.
145 R. MASSAMBA, op.cit., p.143.
146Ibid., p.140.
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L'apport de l'arbitrage à la sécurisation des
activités économiques dans l'espace OHADA
affaires dans l'espace juridique intégré. On
peut donc observer la contribution de l'arbitrage OHADA à la
sécurité judiciaire à travers la célébration
de l'autonomie de la volonté (Section 1), l'exigence des principes
directeurs d'une bonne justice (Section 2) et l'assistance du juge d'appui
(Section 3) qui permettent de prévenir certaines incertitudes
judicaires, de garantir des procès justes et équitables aux
acteurs économiques, ainsi que l'efficacité de ce
mécanisme de règlement des différends dans l'espace
OHADA.
Section 1 : La célébration de l'autonomie
de la volonté, une source de prévention des incertitudes
judiciaires nuisibles aux droits économiques des
parties
L'arbitrage est un mécanisme de règlement des
différends fortement marqué par l'autonomie de la volonté.
Cette prééminence se justifie par le fait que dans sa nature,
avant d'être juridictionnel l'arbitrage est contractuel. Ainsi, dans
cette matière, la volonté des parties représente la
clé de voute. Elle constitue la seule base du processus arbitral, de
telle sorte que le pouvoir d'un tribunal arbitral ne doit provenir que d'une
référence consensuelle147. Il s'agit d'une justice
privée dont l'existence est fondée sur l'expression du
consentement (Paragraphe 1), qui permet aux parties de définir librement
les modalités de leur arbitrage (Paragraphe 2).
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