DEUXIEME PARTIE :
LES RISQUES LIES A L'EXPLOITATION PETROLIERE ET LE
DILEME DU DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LE PARC NATIONAL DES
VIRUNGA
CHAPITRE TROISIEME : RISQUES LIES A L'EXPLOITATION
DU PETROLE DANS LES VIRUNGA
Le présent chapitre examine les risques liés
à l'exploitation pétrolière à l'intérieur et
à la périphérie du Parc des Virunga. La probabilité
et l'incidence de ces risques sont établies sur la base
d'expériences antérieures, telles que les exploitations
pétrolières de la province du Bas-Congo de la RDC et du delta du
Niger au Nigeria.
Le Parc national des Virunga fut l'un des premiers parcs
classés au patrimoine mondial de l'UNESCO (ce statut lui a
été accordé en 1979). En 1996, le parc a été
inscrit sur la Liste des zones humides d'importance internationale («
Liste de Ramsar »).
Section 1 : Risques de l'exploitation du pétrole
aux humains et aux Ecosystèmes
Bien qu'il bénéficie d'une protection
grâce à son statut de zone de nature sauvage
protégée, le parc est menacé depuis plus de deux
décennies par des groupes armés ayant recours au braconnage,
à la déforestation et à d'autres méthodes
d'exploitation des ressources non durables et illégales. C'est pourquoi
le Parc des Virunga figure désormais sur la Liste du patrimoine mondial
en péril.
À ce jour, les cinq sites de la RDC classés au
patrimoine mondial de l'UNESCO sont menacés. En 2006, le gouvernement de
la RDC a signé un contrat de partage de production octroyant une
concession pétrolière à Soco International PLC,
basée au Royaume-Uni, par l'entremise de sa société
enregistrée en RDC, Soco Exploration and Production DRC Sprl.
(désignée ci-après par Soco), à Dominion Petroleum
et à la société pétrolière nationale de la
RDC, la Congolaise des Hydrocarbures (ou Co hydro). Cette concession,
intitulée Bloc V, couvre une superficie de 7 500 kilomètres
carrés, dont plus de la moitié se situe dans l'enceinte du Parc
des Virunga.
58
En juillet 2012, Dominion Petroleum a cédé sa
participation de 46,7 % à Soco.
Nombre des risques décrits ci-dessous peuvent concerner
d'autres parcs nationaux et sites inscrits au patrimoine mondial de la RDC
menacés par des activités d'exploration pétrolière.
Le rapport d'International Crisis Group, publié en juillet 2012 et
intitulé « L'or noir au Congo : risque d'instabilité ou
opportunité de développement ? » souligne que dans un
contexte de pauvreté généralisée, de
fragilité de l'État, de mauvaise gouvernance et
d'insécurité régionale, une ruée vers le
pétrole aura de graves effets déstabilisateurs37.
Les activités d'exploration, comme les études
sismiques et les forages d'exploration, ont des répercussions
environnementales localisées. Ces deux activités
nécessitent l'installation de camps de base ; ceci implique le
défrichement de la végétation naturelle, la construction
de voies d'accès, la production d'eaux usées et la formation de
déchets solides, ainsi qu'une pollution sonore et lumineuse.
En l'absence d'une planification rigoureuse et d'une gestion
appropriée des déchets, les équipes de prospection
risquent d'introduire des espèces végétales exotiques et
envahissantes. En outre, les équipes seront amenées à
puiser les eaux souterraines ou l'eau des lacs, ce qui bouleversera le
réseau hydrographique et aura des répercussions sur la faune et
leurs habitats. Afin de mener des études sismiques, les équipes
d'exploration doivent procéder à un défrichement de la
végétation en ligne droite et sur une largeur moyenne de cinq
mètres.
37 Soco International PLC. 2013. Where is Block
V?
http://www.socointernational.co.uk/block-vand-the-Virunga-national-Park,
consulté en janvier 2015.
38. Ibid 1.
39. Sac Oil Holdings Limited. 2012. Update on Block III,
Albertan Graben, DRC,
http://www.sacoilholdings.com/investors-and-media/company
announcements/update-on-block-albertine-graben-drc, consulté le 10mars
2015.
59
Ces lignes d'exploration permettent d'accéder à
des zones autrefois inaccessibles. Par exemple, au début des
années 1980, avant que Shell ne s'engage à ne pas intervenir sur
les sites inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO, les lignes de son projet
d'exploration pétrolière ont permis d'accéder aux trois
quarts de la réserve de gibier de Selous en République-Unie de
Tanzanie, et ont ensuite servi aux braconniers, aux prospecteurs miniers et aux
cultivateurs.
De même, dans le Parc national de Sarstoon Temash au
Belize, les gardes ont remarqué une intensification du braconnage et de
l'exploitation forestière illégale le long des pistes sismiques
tracées par la société US Capital Energy.
Dans le cadre du Parc des Virunga, de telles lignes
d'exploration pourraient être utilisées par les braconniers, les
exploitants forestiers illégaux et les groupes rebelles. En outre, les
activités d'exploration sismique impliquent l'utilisation d'explosifs
qui provoquent des vibrations et une pollution sonore.
Ces risques s'accentuent avec le développement des
infrastructures pétrolières, qui débute dès la
phase d'exploration et s'intensifie pendant la phase d'exploitation.
La construction de telles infrastructures entraîne
d'autres activités menaçant la conservation des espèces et
des habitats de la région. Par ailleurs, l'aménagement de routes
implique la construction de nouvelles installations le long des voies
d'accès pour gérer le trafic routier.
Ces installations s'étendent progressivement au fil du
temps ; les terres aux alentours sont aménagées pour la
construction d'habitations et l'agriculture. Des images par satellite de
l'Amazonie brésilienne attestent de la fragmentation des forêts
due à ces activités de développement. Par ailleurs, les
habitats forestiers deviennent plus vulnérables aux incendies, les
arbres aux abords des routes dépérissent plus rapidement, la
germination des graines est
60
ralentie et des espèces pionnières comme les
plantes grimpantes empêchent la lumière du soleil de
pénétrer et ralentissent ainsi la
régénération du couvert forestier38.
Les nouveaux occupants peuvent également introduire de
nouvelles espèces d'élevage ou chasser des animaux sauvages aux
alentours pour se procurer une source de protéine peu coûteuse.
Le fait de barrer les couloirs empruntés par les
animaux par des routes ou des installations bouleverse les schémas
migratoires, ce qui menace la survie de certaines espèces.
Par exemple, les éléphants du Bassin du Congo
ont appris à éviter les routes, contraints de peupler des
îlots d'habitat de plus en plus fragmentés face au
développement des réseaux routiers.
Ainsi, les possibilités de croisement sont
limitées et les éléphants ont de plus en plus de
difficultés à trouver la nourriture et les ressources dont ils
ont besoin pour survivre39.
Les polluants provenant des forages d'exploration incluent les
oxydes d'azote, le monoxyde de carbone, le dioxyde de soufre et les
émissions de composés organiques. Les puits d'exploration peuvent
favoriser la présence de contaminants de surface dans les eaux
souterraines. Or, l'exposition à de tels polluants peut engendrer des
problèmes de santé, comme une augmentation des infections
respiratoires ou des cas d'empoisonnement par de l'eau
contaminée40.
Un ensemble d'exigences minimales doit être
respecté pour empêcher la pollution résultant des
déversements d'hydrocarbures, de la combustion du gaz naturel en
torchère et des
38 Cotter, J. 2003. Mahogany Logging Causes
Fragmentation of the Brazilian Amazon, Congrès forestier
mondial,
http://www.fao.org/docrep/article/WFC/XII/0553-
B1.htm, consulté le 21 Avril 2015.
39 Blake, S., Douglas-Hamilton, I. et W.B. Karesh.
2001. GPS Telemetry of Forest Elephants in Central Africa: Results of a
Preliminary Study. African Journal of Ecology 39: 178-186.
40 Tribal Energy and Environmental Information
Clearinghouse (TEEIC). Oïl and Gas
Exploration Impacts,
http://teeic.anl.gov/er/oilgas/impact/explore/index.cfm.consulté
le 23 Avril 2015.
61
rejets de déchets. Tout d'abord, les pipelines et les
équipements de forage nécessitent un entretien régulier et
doivent être protégés des menaces telles que le sabotage et
le détournement de pétrole pour le commerce illégal.
Ensuite, une loi relative à l'entretien, aux solutions
écologiques d'élimination des déchets, à la
fermeture des pipelines et aux travaux de réhabilitation doit être
en vigueur et s'inspirer des meilleures pratiques convenues à
l'échelle mondiale. En outre, cette loi doit être
systématiquement mise en oeuvre.
Dans les régions particulièrement
exposées au risque de conflits violents et ne disposant pas de
législation nationale en vigueur ou de mécanismes d'application
des lois, une extraction non polluante peut s'avérer extrêmement
complexe, si ce n'est impossible à garantir. Plus les pipelines ne sont
longs et les sites éloignés, plus l'entretien et la protection
des équipements sont difficiles.
La province du Nord-Kivu où se situe le Parc des
Virunga est en proie à un conflit armé prolongé dont les
causes sont complexes. L'extraction de pétrole risque d'alimenter ce
conflit, car les minéraux constituent la principale source de revenus
à l'exportation, et donc de devises extérieures, dans le
Nord-Kivu. Le parc possèderait d'importantes réserves de
pétrole.
Il se peut donc que les groupes rebelles abandonnent les
ressources moins rentables comme la cassitérite (un minéral
aujourd'hui extrait dans la province du Nord-Kivu) pour se consacrer uniquement
au pétrole, participant ainsi à l'émergence d'une nouvelle
forme de conflit particulièrement lucrative représentant une
réelle menace pour la stabilité de la région.
Selon International Crisis Group41, la confirmation
de réserves de pétrole exacerberait la dynamique des conflits
à l'oeuvre
41 International Crisis Group. Juillet 2012. L'or
noir au Congo : risque d'instabilité ou
Opportunité de développement ?
http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/centralafrica/noir-au-congo-risque-dinstabilite-ou-opportunite-de-developpement.pdf,
consulté le 24 Avril2015.
62
en RDC, y compris les conflits frontaliers avec les pays
voisins. Le contrôle des routes par les rebelles risque de limiter
l'accès aux sites en cas de déversement d'hydrocarbures,
entravant ainsi les efforts de nettoyage et l'aide apportée aux
communautés affectées.
Du point de vue de la législation, le projet de loi sur
les hydrocarbures de mars 201342 ne précise pas les exigences
liées aux études d'impact environnemental et social et ne fait
aucune mention des règlements pertinents ni du recours aux bonnes
pratiques en matière d'entretien, d'élimination des
déchets, de fermeture et de réhabilitation des gisements de
pétrole43.
De même, le Code de l'environnement de 201144
stipule uniquement que des mesures doivent être mises en oeuvre pour
éviter et limiter le risque de pollution. Face à ce manque de
précision, l'observation des règlements s'avère
extrêmement difficile.
Même si la loi était claire à ce sujet,
son application serait délicate en raison du contexte politique. Une
étude menée récemment par la RDC sur le Parc des Virunga
conclut que « malgré l'existence de règlements relatifs aux
espèces sauvages comme outil au service de la conservation des
espèces à l'échelle mondiale, la plupart ne sont pas
appliqués, notamment en temps de guerre lorsque les ressources humaines
et les financements sont insuffisants pour prévenir les activités
illégales et faire appliquer la loi en vigueur »45.
Cette même étude soutient également que la
principale cause à l'origine de la perte de biodiversité, ainsi
que les menaces liées aux aires protégées, peuvent
être attribuables aux politiques du
42 Commission nationale pour l'environnement de la
RDC. 2013. Ressources naturelles et tourisme. Projet de loi sur les
hydrocarbures.
43 Vale Columbia Center on Sustainable International
Investment. 2013. Comments on DRC Draft hydrocarbons law.
44 Journal Officiel de la République
Démocratique du Congo. 2011. Loi n° 11/009 du 09 juillet 2011
portant principes fondamentaux relatifs à la protection de
l'environnement.
45 Kakira, L.M. Monitoring Law Enforcement Efforts
and Illegal Activity in Selected Protected Areas: Implications for Management
and Conservation, République Démocratique du Congo, 2010.
63
gouvernement et à leur mise en oeuvre. Par ailleurs,
les activités de forage effectuées à proximité des
huit volcans du Parc national des Virunga risquent d'augmenter la
fréquence et l'intensité des éruptions volcaniques. Une
situation similaire a été observée en Indonésie,
où les activités de forage de pétrole et de gaz ont
provoqué une éruption volcanique en 2006 ; au total, 30 000
personnes ont été déplacées et quelque 10 000
maisons, quatre villages et 25 usines ont été détruits. Le
volcan devrait rester actif pendant les 15 à 20 prochaines
années46.
Au cours d'une réunion de l'American Association of
Petroleum Geologists, qui s'est déroulée en Afrique du Sud, 74
géologues ont conclu que l'éruption volcanique avait
été provoquée par les activités de forage de
pétrole et de gaz. Selon l'un des géologues, les données
« montrent clairement que le puits de forage était
défectueux et, par conséquent, la roche s'est fendue ainsi cet
accident de forage a déclenché la coulée de boue.»
Néanmoins, la compagnie pétrolière nie toute erreur de sa
part47.
Nulle part les conséquences de la pollution ne sont
mieux illustrées que dans le delta du Niger. Entre 1976 et 1996, 4 835
déversements d'hydrocarbures représentant près de 1,8
million de barils de pétrole ont été officiellement
signalés à la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC).
Des groupes de vigilance ont signalé que les chiffres
réels pourraient être dix fois plus élevés. Avant
l'interdiction de la combustion du gaz naturel en torchère
(promulguée en 2008, mais peu respectée), le Nigeria était
la principale source de gaz brûlé à la torche dans le monde
- un gaz dont les effets néfastes sur la santé ont
été clairement démontrés.
46 Davies, R., Mathias, S., Swarbrick, R. et M.
Tingay. 2011. Probabilistic longevity estimate for the LUSI mud volcano, East
Java. Journal of the Geological Society 168: 517-523.
47 Morgan, J. 2008. BBC News. Mud eruption
`caused by drilling.'
http://news.bbc.co.uk/2/hi/
science/nature/7699672, consulté le 2 Mai 2015.
64
Selon certaines estimations, la combustion à la torche
a accaparé l'équivalent de 40 % du volume total de gaz naturel
consommé en Afrique48. Souvent, les compagnies
pétrolières présentes dans le delta du Niger ne disposent
pas d'installations appropriées pour le traitement des déchets.
L'absence de décharge isolée entraîne la contamination des
eaux souterraines et des sols par les sous-produits toxiques issus de
l'extraction de pétrole49.
Les conséquences à long terme de la pollution du
delta du Niger sur l'environnement sont désastreuses. Selon les
conclusions d'un rapport récemment publié par le Programme des
Nations unies pour l'environnement (PNUE), les observations sur le terrain et
les études scientifiques ont permis de constater que la contamination
par les hydrocarbures de la région peuplée par l'ethnie Ogoni
« est généralisée et pèse lourdement sur
diverses composantes de l'environnement ». Suite à des fuites de
pétrole et aux retards de nettoyage, des hydrocarbures se sont
infiltrés dans les terres agricoles, puis dans les ruisseaux.
Ceci a fortement détérioré la
santé des mangroves, qui servent de zones d'alevinage et de filtres
naturels contre la pollution. Malgré l'arrêt des activités
d'extraction pétrolière dans la région, des
déversements continuent de se produire.
Les organes internationaux de surveillance des droits de
l'homme et les tribunaux sont de plus en plus conscients qu'un environnement de
qualité médiocre contribue à l'exacerbation des violations
des droits humains50.
48 International Crisis Group. 2006. Africa
Report. Nigeria: Want In the Midst of Plenty
49 PNUD, Rapport national sur le
développement humain dans le delta du Niger ; L'étude du PNUE sur
les impacts de l'exploitation pétrolière en pays Ogoni
révèle l'étendue de la contamination environnementale et
les risques pour la santé humaine, étude de cas, 2010.
50 Amnesty International. 2009. Pétrole,
pollution et pauvreté dans le delta du Niger,
http://www.amnesty.ch/fr/themes/economie-et-droits-humains/shell-nigeria/nettoyez-delta-duniger/
pétrole-pollution-et-pauvreté-dans-le-delta-du-Niger,
consulté le 04 Mai 2015.
65
Ces violations concernent le droit à un niveau de vie
suffisant, le droit de générer un moyen de subsistance, le droit
à une nourriture suffisante, le droit à l'eau, le droit à
un logement décent, le droit à la santé et le droit
à la vie.
Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour
l'environnement (PNUE), le secteur des pêches dans le delta du Niger
subit les conséquences de la destruction des habitats aquatiques et de
la contamination des cours d'eau. Les fermes piscicoles établies par des
entrepreneurs ont été ruinées par la couche permanente
d'huile flottante51. Le PNUE a identifié plusieurs cas de
contamination de l'eau potable par les hydrocarbures.
Des troubles gastriques et des problèmes cutanés
survenus au sein des communautés du delta du Niger ont été
signalés à Amnesty International. Ceux-ci sont dus à une
exposition aux déversements pétroliers à travers la
nourriture ou à un contact direct avec des eaux, des sols et des
aliments contaminés52.
Bien que peu d'études internationales aient
analysé les conséquences de la pollution par les hydrocarbures
sur la santé, lorsque de telles informations existent, les personnes
souffrent des mêmes symptômes53.
Les communautés locales payent souvent le prix fort de
la pollution, comme l'indique la plainte déposée en 2012 par le
peuple Ogoni, dans le delta du Niger, contre Shell.
Quatre agriculteurs Ogoni ont indiqué qu'ils ne
pouvaient plus travailler ou nourrir leurs familles, car les fuites de
pétrole dans la région ont détruit leurs cultures et leurs
fermes piscicoles. Un tribunal néerlandais a rejeté quatre des
cinq allégations, mais a exigé de Shell
51 Ibid.
52 Ibid.
53 Stephens, C. Amnesty International, Reader
in International Environmental Health, Public and Environmental Health Research
Unit Department of Public Health and Policy, London School of Hygiene &
Tropical Medicine, 2009.
54 BBC.Janvier2013. Shell Nigeria case: Court
acquits firm on most charges.
http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-,
consulté le 06Mai 2015 à 15h11'.
66
qu'il verse une indemnité pour compenser les pertes
d'un des agriculteurs54.
De la même façon, la province du Bas-Congo en RDC
illustre parfaitement les risques liés à la pollution par les
hydrocarbures. L'exploration pétrolière a commencé
à Muanda dans le Bas Congo, en 1967 ; les activités d'extraction,
quant à elles, ont débuté en 1981. Au départ, le
forage en mer produisait près de 26 000 barils par jour et le forage
à terre 11 000 barils par jour. L'extraction de pétrole dans la
province du Bas-Congo a entraîné une pollution due à
l'entretien inadéquat des pipelines, à la combustion du gaz
naturel en torchère et au rejet des déchets.
En 2007, par exemple, une fuite au niveau d'un pipeline
vétuste, appartenant autrefois à Gulf Congo, a provoqué un
déversement d'hydrocarbures dans la zone marécageuse et les cours
d'eau de Nzenzi Siansitu, une ville de la province.
Selon des observateurs sur le terrain, une couche d'huile
coagulée de 1,50 m d'épaisseur flottait sur les rivières
de Nzenzi Siansitu, ce qui a pollué les sources d'eau potable et a
engendré des conséquences désastreuses pour
l'écosystème local. En 2010, des déversements de
déchets toxiques ont été constatés par les
habitants des villages de Kongo et Tshiende qui ont organisé des marches
de protestation.
En février 2011, des locaux ont exprimé leurs
inquiétudes quant au déversement de déchets toxiques dans
l'océan Atlantique, qui s'est traduit par le dépérissement
des stocks de plusieurs espèces de poissons dans un rayon de trois
kilomètres.
Les populations locales souffrent d'infections respiratoires
et d'une toux continue en raison de la pollution atmosphérique
résultant de la combustion du gaz naturel en torchère, cause de
maladies pulmonaires.
67
À ce jour, aucune évaluation environnementale
indépendante n'a été réalisée sur les
conséquences de la pollution par les hydrocarbures, mais une
évaluation est en cours. Dans le cas du Parc des Virunga, la pollution
des sources d'eau menacerait l'ensemble du site, les populations du lac
Édouard et du lac Albert et des environs, ainsi que les pays limitrophes
dépendants du Bassin du Nil Blanc pour les ressources
hydriques55.
La pollution due aux activités
pétrolières mettrait en péril la biodiversité du
parc, cette occasion compromettra l'intégrité de sa valeur
universelle exceptionnelle. Le parc risquerait également de perdre son
statut de site du patrimoine mondial et donc d'attirer moins de touristes.
Des faits historiques dans les pays producteurs de
pétrole prouvent que l'exploitation pétrolière ne
réduit pas la pauvreté ni les inégalités, mais
engendre des conséquences négatives sur le plan social et
économique56 et, dans la majorité des cas, alimente
les confits.
Cette « malédiction des richesses naturelles
» est imputable à trois processus. Premièrement,
l'exportation de pétrole s'accompagne d'une appréciation de la
monnaie locale qui nuit à la compétitivité des autres
secteurs d'exportation.
Par conséquent, les travailleurs des autres industries
exportatrices perdent leurs emplois, mais le secteur de l'extraction de
pétrole ne peut compenser ces pertes. L'économie devient donc
tributaire du pétrole et les autres secteurs ont du mal à se
diversifier. Deuxièmement, le prix du pétrole fluctue
considérablement, ce qui augmente le risque de revenus
imprévisibles et entraîne de graves
55 Pole Institute, The Desire to Maintain and
Need to Survive: the Case of the Land Area of Rutshuru Hunting and Virunga
National Park, Avril 2013.
56 Comparé aux économies souffrant
d'un déficit de ressources. ODI. 2006. Meeting the Challenge of the
«Resource Curse» International Experiences in Managing the Risks and
Realizing the Opportunities of Non-Renewable Natural Resource Revenues.
68
perturbations économiques, rendant la planification
à long terme extrêmement difficile57.
Troisièmement, les recettes pétrolières
renforcent le sentiment de pouvoir et confèrent aux politiciens
davantage de moyens pour influencer le résultat des élections, ce
qui contribue à une répartition inadéquate des ressources
dans les autres secteurs de l'économie58. Ceci donne lieu,
entre autres, à une augmentation de la corruption et à une
détérioration du niveau de transparence.
Le scénario ci-dessus s'est produit au Nigeria, sachant
que le delta du Niger est le septième plus grand exportateur de
pétrole au monde. En 2006, l'instabilité de la région
suite aux déversements d'hydrocarbures a entraîné une
hausse record des prix du pétrole sur le marché mondial.
Une étude réalisée par le Fonds
monétaire international (FMI) a constaté qu'entre 1970 et 2000,
l'exploitation pétrolière avait rapporté au Nigeria
environ 350 milliards de dollars US. Cependant, le revenu par habitant a
décliné, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a
progressé, passant de 36 % à 70 %, et les
inégalités se sont creusées59.
Certains pensent que le gouvernement de la RDC pourrait se
servir des recettes pétrolières pour éliminer certaines
causes de conflit, comme la pauvreté et l'inégalité. Or,
selon les expériences conduites en RDC et dans d'autres pays, il est peu
probable que cela se produise dans la province du Nord-Kivu.
En 2005, des chercheurs ont mené une étude
approfondie sur les dynamiques de conflit et l'industrie
pétrolière dans le delta du Niger60. Cette
étude a constaté que même si l'économie
pétrolière
57 Humphreys, M., Sachs, J. et J.E. Stiglitz,
Escaping the Resource Curse. Columbia University Press, NY, USA.
408pp, 2007.
58 Robinson, J.A., Torvik, R. et T. Verdier,
Political foundations of the resource curse. Journal of Development
Economics 79: 447-468, 2006.
59 Ikelegbe, A. 2005. The Economy of Conflict
in the Oil Rich Niger Delta Region of Nigeria. Nordic Journal of African
Studies 14: 208-234.
60 Kundu, B., Le Pétrole de Moanda au
Bas-Congo : Qui en bénéficie ? Février 2009.
69
n'était pas un facteur de conflit à part
entière, elle alimentait les tensions communautaires et ethniques et
accélérait la prolifération des armes.
Au Nigeria, les vols et la contrebande
pétrolière sont en hausse depuis les années
199061. Malgré le peu de données disponibles, le
ministre des Finances du Bénin a déclaré en 2011 que plus
des trois quarts du volume total de carburant consommé au Bénin
avaient été importés illégalement du
Nigeria62.
Compte tenu de la proximité géographique du
Nord-Kivu avec l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi, il se peut que les groupes
rebelles sabotent des pipelines et détournent du pétrole pour le
vendre aux pays voisins, ce qui renforcerait l'instabilité au sein de la
région.
Le Bas-Congo constitue un exemple édifiant.
Conformément à la loi de la RDC, « les titulaires de
concessions continueront à entreprendre des projets sociaux en faveur
des communautés locales dans les régions où leurs
installations sont implantées. » Cependant, en 2008, un rapport
d'enquête sur l'impact de l'extraction de pétrole dans la province
du Bas-Congo63 a conclu que l'exploitation pétrolière
n'avait pas profité à Moanda, ville côtière
où se situe le terminal pétrolier.
En effet, la population vit toujours dans la pauvreté
et aucune des infrastructures sociales promises n'a été
construite. Lors d'un entretien mené en mai 2012 auprès de la
communauté de Rutshuru dans la province du Nord-Kivu, Pole Institute a
déclaré que Soco avait promis une fortune à la
communauté locale, dont une « campagne de recrutement massif
»64.
En réalité, seuls quelques emplois
supplémentaires devraient être créés sur le long
terme dans l'industrie pétrolière, car
61 Ikelegbe, op.cit.
62 The Guardian, Trade in smuggled fuel from
Nigeria oils economies of West Africa,2012
63 Kundu., B, po cit.
64 Ibid.51.
70
l'extraction de pétrole exige énormément
de capitaux et les emplois générés nécessiteront
une expertise technique que les habitants locaux n'auront probablement pas.
Un ancien ministre de la région a indiqué qu'au
cours d'une visite de l'installation en mer de Matadi en RDC, il avait
été surpris de constater que seuls 30 travailleurs congolais
qualifiés étaient présents sur la
plate-forme65. Notons que les analyses fournies dans cette section
s'inspirent fondamentalement de celles faites par la world wide Foundation
portant sur la valeur économique du PNVi de 2013.
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