2. Il est aussi fort que son père
Par contre, dès que les termes mis en rapport par
l'outil linguistique entretiennent une rupture isotopique manifeste, il faut
conclure que « comme » exprime la similitude. C'est le cas de
l'affirmation célèbre d'Éluard :
3. La terre est bleue comme une orange
Il ne s'agit plus là d'affirmer de faire avancer la
connaissance de la terre à partir de quelque chose qui est connu, mais
de donner à la métaphore son sens étymologique d'image,
c'est-à-dire de transport d'un lieu à l'autre. Ce changement de
topique dans la linguistique moderne est évalué en termes
d'isotopie. Ce qui permet de dire que métaphoriser est une
manière de voir.
Dans l'exemple (3), ce n'est pas la connaissance de la terre
qui est la motivation de l'énonciation, mais une certaine image de la
terre, une certaine vision de la terre qui ne relève plus de
l'objectivité partagée, mais disons d'une objectivité
subjective au même titre qu'un enfant pleure quand on lui dit que le
Petit Chaperon Rouge est mort. Donnons encore des exemples qui, malgré
leur proximité, marquent néanmoins la distance qui sépare
la comparaison de la similitude.
4. Pierre est aussi fort que Paul
Dans cet exemple, on remarque que le comparé et le
comparant entre dans le même ordre de quantité de force, il s'agit
donc d'une comparaison puisqu'ils appartiennent exactement à la
même isotopie. Ce qui ne sera pas le cas dans l'exemple (5) qui suit :
5. Pierre est fort comme un lion12
Puisqu'il n'y a pas de commune mesure quantitative entre la
force de Pierre en tant qu'être humain et la force d'un lion. On peut
alors conclure que ce comparant qui est en rupture isotopique ne fait pas
intervenir une comparaison mais une similitude, donc une métaphore,
c'est-à-dire une transposition d'un topique à l'autre.
Le problème qui empêche de voir une
métaphore dans (5) est la présence de l'adverbe de la similitude
« comme » que les analystes attachent à la
comparaison. Ce qui en fait justifie la définition de la
métaphore comme elliptique de l'outil de comparaison. En effet, quand on
dit que : « On tend à voir dans la figure « comparaison »
une opération discursive pleine de bon sens et sans envol ni
mystère, tandis qu'on réserve à la métaphore le
privilège de l'intuition poétique, à qui les
affinités des choses sont révélées dans les
éclairs de la génialité.
12 Je dois le contraste de ces exemples à LE
GUERN (LE GUERN, 1972)
Il est aisé de voir que cette distinction risque
d'être purement formelle. Il suffirait donc de biffer un petit adverbe,
dans une « comparaison » pour la transformer en «
métaphore » ? Et l'on abâtardirait une métaphore en y
glissant le même adverbe ? C'est pourtant ce qui se passe, bien souvent.
» (MORIER, 1981, p. 671)
On constate qu'il y a une nette volonté de
séparer la métaphore de tout adverbe avilissant ou d'emploi
déshonorant. La raison en est qu'il y a une confusion entre comparaison
qui intervient entre des éléments du même topique et la
métaphore qui se sert de l'outil de la similitude qui réalise le
transport entre éléments situés sur des isotopies
différentes. La fonction métaphorique est de réduire la
différence isotopique.
Même LE GUERN, le premier qui a introduit cette
différence entre la comparatio et la similitudo, n'ose
pas franchir ce pas de crainte d'avilir la métaphore qui est victime
d'une hagiographie. Il se contente de dire que la similitude et la
métaphore appartiennent au même registre mais elles sont
différentes :
« La distinction que le mécanisme de la
similitude maintient entre les deux représentions garde à l'image
plus d'épaisseur concrète, mais ne lui donne pas la même
force de persuasion que l'identification établie par la
métaphore. On peut rendre compte de la différence des effets
produits en disant que la similitude s'adresse à l'imagination par
l'intermédiaire de l'intellect, tandis que la métaphore vise la
sensibilité par l'intermédiaire de l'imagination. » (LE
GUERN, 1972, p. 57)
Faute de pouvoir gloser sur la différence entre
sensibilité et imagination, nous allons confronter cette dernière
remarque aux exemples qui servent à illustrer le scepticisme d'un MORIER
qui ne fait pourtant pas la différence entre similitudo et
comparatio. En tout cas, de pareille remarque relève de ce que
nous appelons ici une hagiographie de la métaphore, comme si la
métaphore ne pouvait qu'être une invention de poète de
bonne naissance et ne peut pas du tout être attribuée à la
plèbe.
Voici ces exemples : Comparaison en forme
Les eaux fuyaient comme de mouvants miroirs
Les flots glissaient le long du bord comme de vertes
couleuvres
L'amour est pareil à un oiseau qui chante
L'aurore, telle une déesse aux doigts couleur de rose
...
105
Raccourci métaphorique
Les eaux fuyaient, mouvants miroirs (Hugo)
Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres
(Hugo)
L'amour est un oiseau qui chante
L'Aurore aux doigts de rose (Homère) (MORIER, 1981, p.
671)
106
Nous remarquons que tous les exemples de gauche sont anonymes,
peut-être de formation plébéienne, tandis que leur
conversion dans la colonne de droite fait surgir des auteurs
célèbres à un exemple près. Il semble alors que la
consécration de la forme sans outil explicite de liaison vise à
préserver la métaphore de l'atteinte de la plèbe. C'est
une attitude que condamne NIETZSCHE, nous verrons comment se passe cette
condamnation dans la deuxième partie de ce travail.
Parallèlement à la différence entre
performatif explicite et performatif implicite, nous sommes enclin à
croire qu'il faut appeler les exemples de la colonne de gauche «
métaphore explicite » et ceux de la droite « métaphore
implicite ». Puisque de la même manière, que ce soit dans (6)
ou dans (7), l'énonciation accomplit une affirmation, avec cette
différence près que (6) comporte le préfixe performatif,
alors que (7) l'économise.
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