Pragmatique, narrativité, illocutoire et délocutivité généralisées.( Télécharger le fichier original )par Jean Robert RAKOTOMALALA Université de Toliara - Doctorat 2004 |
7. L'ILLOCUTOIRE DES FIGURES RÉSUMÉ :En fonction du principe d'économie du fonctionnement linguistique qui s'interdit le seuil du langage hapax et le seuil du langage infinitisé, le principe de l'oubli comme mécanisme synecdochique est partout à l'oeuvre dans le langage, notamment dans les figures. Cette étude tend à montrer que les figures sont commandées par des buts pragmatiques. En effet, la figure met en jeu le sens littéral et le sens figuré. Ce qui veut dire que la figure est un choix du locuteur en fonction des buts qu'il recherche dans le rapport interlocutif Mots clés : paternité, littéral, figuratif, énonciation, illocutoire, préservation de la face, métaphore ABSTRACT:On the basis of the principle of economy of linguistic functioning which prohibits hapax language threshold and the threshold of the infinite language, the principle of oblivion as a mechanism synecdochique is everywhere at work in language, especially in the figures. This study tends to show that the figures are controlled by pragmatic goals. Indeed, the figure involves literally meaning and figuratively meaning. Which means that the figure is a choice of speaker based on the goals that it searches the report interaction Key words: fatherhood, literal, figurative, enunciation, illocutionary, preservation of the face, metaphor La sémantique générative à partir des travaux de Georges LAKOFF s'inspire effectivement des données de la grammaire générative et transformationnelle laquelle distingue une structure profonde qui aboutit à une structure de surface en passant par des transformations diverses. La motivation de cette théorie prend naissance du constat de la généralisation des performatifs à tout le langage pour sortir de la dichotomie constatif vs performatif qui semble n'être qu'un palier heuristique dans les travaux d'AUSTIN. En définitive, selon que le verbe performatif soit présent ou absent de la structure de surface, on a affaire respectivement à un performatif primaire ou performatif secondaire; ou encore la dichotomie performatif direct et performatif indirect. Il y a une réelle difficulté d'attribuer la paternité de la pragmatique en tant que dernière-née de la linguistique. AUSTIN et SEARLE sont souvent cités pour avoir vraiment rompu avec la sémantique traditionnelle. Mais avant eux, de la même manière que SAUSSURE a défini le projet de sémiologie comme science de la vie des signes au sein de la société, à côté de la linguistique structurale, il y a également lieu d'admettre que c'est Charles MORRIS qui avait, pour la première fois, jeté les bases de la pragmatique quand il identifiait dans toute sémiotique la distribution complémentaire suivante : la syntaxe est l'étude de la relation des signes entre eux, la sémantique désigne l'étude de la relation des signes avec les objets auxquels ils sont applicables et la pragmatique, enfin, qui est l'étude de la relation des signes 92 à leurs interprètes. À peu près, à la même époque que MORRIS, dans le vieux continent, Rudolf CARNAP définissait le domaine de la pragmatique comme une référence aux utilisateurs de la langue. Ici encore la paternité de MORRIS peut être mise en doute, car le mot « pragmatique » avec un sens quelque peu différent est apparu dans les textes du sémioticien Charles Sander PEIRCE en 1938, et MORRIS n'est autre que le disciple du sémioticien. On peut comprendre le pragmatisme de PEIRCE à partir de son opposition au doute cartésien. Cette idée de pragmatisme conduit PEIRCE à penser que ce n'est pas l'autorité ni la raison qui décident de la signification mais l'action. Non pas l'action individuelle, mais la mise à l'épreuve publique c'est-à-dire que la pensée humaine trouve son point de départ uniquement dans un doute pratique et elle est dirigée vers une fixation des croyances (connaissances) à travers des expériences qui déterminent des habitudes. Si le pragmatisme ainsi compris n'est pas le sens que la théorie pragmatique véhicule actuellement, il n'en demeure pas moins que la théorie de la sémiotique triadique peut servir d'argument à la revendication de paternité. Le numéro 58 de la revue Langages (1980) est entièrement dédié à la lecture de la sémiotique de Charles Sander PEIRCE. L'article de David SAVAN inaugurant ce volume est explicite quant à l'authentification de la paternité. Prenons-en connaissance : « Comme il existe trois types de representamen ou de relation-signe, il s'ensuit qu'il existe trois sémiotiques subsidiaires. Premièrement la grammaire formelle qui est l'étude des fondements des signes étudiés en eux-mêmes et indépendamment de leurs relations avec leurs objets ou leurs interprétants. Deuxièmement, la logique ou la critique qui est l'étude de la relation des signes à leurs objets. Troisièmement la rhétorique formelle qui est l'étude de la relation des signes à leurs interprétants, PEIRCE a repris ces termes à la philosophie grecque et à la philosophie médiévale, mais il est évident qu'il a anticipé sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. » (SAVAN, 1980, p. 9) On ne manque pas de remarquer l'identité substantielle de cette interprétation qui date de 1867 avec la distribution de CARNAP ou celle de MORRIS, et si elle est admise, il ne nous reste plus qu'à interpréter dans ce sens la théorie du signe triadique pour authentifier définitivement la paternité. Parmi les définitions les plus citées, celle-ci vient en première place : « Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un Second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... (2.274). » (PEIRCE C. S., 1979, p. 147) 93 On connaît les propriétés de ces trois instances du signe triadique. La catégorie de la priméité est celle du possible qui s'accommode de n'être point actualisé. La sécondéité est le mode de l'existant et la tiercéité est l'ordre de la loi qui instaure la prévisibilité comme une conséquence logique de la sémiosis. La priméité est donc le domaine de l'arbitraire. Mais nous sommes loin du conflit qui opposait naguère SAUSSURE et BENVENISTE sur ce point, car il faut admettre que cette pure possibilité repose sur une convention que le code lui-même impose. En effet, les tropes nous enseignent tous les jours qu'un signifiant donné auquel l'habitude associe un signifié donné peut recevoir d'autres signifiés totalement étrangers aux premiers. Cependant, cette prolifération de signifié par le code n'est pas du type cancéreux. C'est-à-dire, ce n'est pas une fluctuation incontrôlable, sinon on ne comprendra pas pourquoi le langage dispose de plusieurs unités lexicales, par exemple, pour s'en tenir à celles-là, car les unités linguistiques peuvent se trouver en deçà et au-delà. En réalité, s'il y a possibilité pour un signifiant de recevoir des signifiés diversifiés que la diachronie finit par lexicaliser par voie de délocution ou non - Saussure a déjà abordé cette question sous la question de la mutabilité des signes - c'est parce que le langage s'interdit deux pôles qu'il exploite partiellement. D'un côté, il y a l'interdit d'un langage hapax mais qui se réalise dans les noms propres, pour des raisons évidentes de surcharge des mémoires qui risque de compromettre la communication, car avant tout, le langage a pour mission de nous libérer du poids néfaste du réel pour accomplir l'autonomie linguistique. Les noms propres sont en effet des éléments difficilement mémorisés dans la langue. D'autre part, le langage réduit à un seul élément ne saurait non plus être le fonctionnement normal du langage. Pourtant, nous avons quelquefois recours à ce langage monolithique. Quand nous sommes pris en défaut de nomination, nous employons des termes au sens très générique du type « machin » ou « chose ». Le langage est un équilibre entre ces deux pôles extrêmes. Mais si cet équilibre est possible, c'est parce que la tiercéité, l'ordre de la loi, donc de la prévisibilité, engage la sémiosis dans ce que nous pouvons appeler un parcours d'évocations. Illustrons cette propriété du signe de renvoyer à d'autres signes, une propriété qui atteste de la propriété isomorphe du mot et de la chose que résume WITTGENSTEIN en cet aphorisme : « [...], nous ne pouvons imaginer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets » (2.0121) (WITTGENSTEIN L. J., 1961). Soit le mot « zébu ». Dans la culture malgache, il y a ce que l'on peut appeler une civilisation du zébu dans laquelle, l'animal en fonction de sa robe sert de contre-don à la cérémonie fortement marquée par la transcendance verticale comprise comme un rapport de l'homme avec les divinités, alors que dans la culture européenne, d'une manière générale, c'est au contraire la civilisation de la vache en fonction de la place qu'y prennent les produits laitiers. 94 Dans le premier cas, la connexion est une dimension spirituelle de la vie tandis que dans le second, c'est la dimension matérielle qui est mise en avant. C'est ainsi que le mot « zébu » renvoie à « sacrifice », à « prêtre », à « office », à « offrande », à « foule » etc. et que de l'autre côté, le mot « vache » renvoie à « lait », « beurre », « fromage », « tartine », etc. Il suffit de faire remarquer que chaque palier du parcours peut être le point de départ d'une nouvelle orientation de l'arthrologie. C'est de cette manière que nous concevons cet ad infinitum qui rebute plus d'un des meilleurs linguistes français dont BENVENISTE, de la lecture de l'oeuvre de PEIRCE en plus du fait que la terminologie de PEIRCE est des plus fluctuantes. À cela, il faut ajouter un autre facteur qui a contribué à une méconnaissance de l'oeuvre du sémioticien de l'autre côté de l'Atlantique : presque à la même époque, l'édifice de SAUSSURE est publié à titre posthume par ses étudiants, il y a une sorte de domination de l'oeuvre de SAUSSURE dans le ciel de la linguistique quand le texte rassemblé et traduit par Gérard DELEDALLE faisait son apparition en Europe. La deuxième illustration doit prendre en compte une dimension énonciative. Soit l'énoncé « il va pleuvoir » produit dans un contexte d'agriculture de la campagne malgache. Si la tiercéité stipulée par l'énonciateur est un acte illocutoire de mise en garde, alors les dérivations illocutoires successives peuvent également être infinies : donner l'ordre de ramasser les paddy qui sont en train de sécher, s'arroger le pouvoir réaliser cet ordre, destiner cet ordre à une personne précise qui de la sorte n'a plus l'ascendance, faire preuve de grand expérience, dominer l'autre, se dispenser de la tâche impliquée, etc. évidemment si la tiercéité convoquée dans cet énoncé peut être comprise comme une attente de cette pluie afin que les plantes soient arrosées, nous allons dans une autre arthrologie. Ce deuxième exemple qui nous semble être l'argument fondamental qui permet de comprendre que, parmi les pères de la pragmatique qui se sont illustrés chacun de manière différente, la sémiotique triadique se révèle être une théorie puissante qui inclut par sa conception elle-même la dimension pragmatique du langage. Mais ce qu'il faut retenir dans cette illustration de la théorie des interprétants, c'est qu'elle permet l'équilibre du langage entre les deux extrêmes. En effet, l'ordre de la loi qu'est la tiercéité non seulement autorise une prévisibilité, mais surtout, il est ce qui permet le changement de sens. Avec l'essor de la linguistique, nous savons actuellement que la théorie substitutive des tropes ne peut plus être défendue. Les tropes sont une illustration de cet équilibre que le langage maintient entre les deux pôles hapax et monolithique, et tel qu'il se présente l'interprétant dans la sémiotique triadique, il est ce qui fonde la théorie des figures comme une modification de contenu et non une substitution de signe, le premier étant égal à lui-même pour renvoyer à son objet. Dès lors, c'est le troisième du signe triadique qui permet la variation du sens dans les tropes. La deuxième illustration de la nature de processus de la sémiosis nous a permis de comprendre la dimension pragmatique de la sémiotique triadique. La question est maintenant de savoir si les tropes sont de nature pragmatique en tant que changement de sens. 95 Pour répondre à cette question, il nous faut passer par deux détours qui sont une affirmation sur le langage. La première affirmation est celle de NIETZSCHE : « la métaphore est l'essence du langage » nous rapporte TODOROV qui revoit à l'aune de la linguistique moderne cette affirmation et conclut que c'est de la synecdoque qu'il s'agit en réalité. En effet, la synecdoque est un mécanisme qui permet l'oubli les différences individuelles au profit du plus petit dénominateur commun. (Cf. (TODOROV, 1970, pp. 28-29) qui cite NIETZSCHE). C'est la question de l'être et du paraître qui est ainsi renouvelée. Position que ne désavoue pas le groupe u, une dizaine d'années plus tard. Cependant, il faut reconnaître que le groupe est moins catégorique sans que la raison de cette restriction soit apportée. Néanmoins, dans l'ensemble, on peut admettre que la synecdoque est au coeur du langage : « Dans tous nos discours, les sèmes essentiels apparaissent certes, mais enrobés d'une information supplémentaire inessentielle, non point redondante, mais latérale. Selon ce point de vue, presque toutes nos dénominations sont synecdochiques » (DUBOIS, et al., 1982, p. 36) S'il faut interpréter la logique du raisonnement du père de la linguistique structurale quand il dit que dans la langue il n'y a que des différences, certes il ne s'agit de la même différence dont parle NIETZSCHE. La différence qu'il faut oublier chez le philosophe est celle qui permet de définir un type dans le sens où quand on dit : « L'eau bout à 100° », il ne s'agit pas d'une eau déterminée, isolée de ses semblables, en dépit de la présence de l'article défini singulier qui fonctionne ici au titre de générique. Il s'agit de n'importe quelle eau, par oubli justement de leur différence. Cette unité de typisation dans la terminologie de LAFONT ne retient que les éléments pertinents à l'identification. « La praxis linguistique rend compte du réel en transférant à l'unité de typisation toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message, en ramenant à l'unité de hiérarchie signifiante toutes les occurrences présentes en une. La praxème ne produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité. » (LAFONT, 1978, p. 134) C'est ainsi qu'en tant qu'unité de hiérarchie signifiante, un arbre sera décomposé de la manière suivante : racines et tronc et branches et feuilles. C'est la décompostion sur le mode référentiel ou mode ð selon le groupe ì (DUBOIS J. , EDELINE, KLINKENBERG, & MINGUET, 1977, p. 47 et passim). En tant qu'unité de typisation, le concept arbre sera : peuplier ou eucalyptus ou platane, etc. Ce dernier type de décomposition est appelé par le Groupe ì : décomposition sur le mode conceptuel ou mode Ó. La validité de la différence dans la langue chez SAUSSURE ne saurait donc concerner l'identification des unités sémiotiques de la première articulation de cette manière. Elle n'est pas dans l'unité de la hiérarchie signifiante, mais dans ce que Robert LAFONT appelle unité de typisation qui fonctionne par ajout ou suppression de traits caractéristiques Il est évident que plus on remonte dans la classe des unités de typisation, on finit par arriver à des abstractions comme « végétal » et au-delà du végétal, on peut avoir « vivant ». 96 Ces exemples nous montrent que l'oubli des différences caractéristiques est ce qui permet au langage de maintenir l'équilibre entre les deux extrêmes, justifiant du coup que, sur un plan diachronique, c'est tout le langage qui est tropique, plus exactement synecdochique, car du point de vue synchronique le caractère tropique du langage n'est que partiel du fait que la mémoire collective oublie la nature figurative de la dénomination. Le mot grève illustre bien cette amnésie de la mémoire collective. Désignant d'abord, une bande de terrain couvert de sable ou de graviers bordant un plan d'eau, il a fini par signifier directement la cessation volontaire du travail dans un but protestataire ou revendicatif. Ce qui est oublié, c'est que l'acquisition de ce sens dérive d'une pratique politique des Grecs dont la première victime fut TEMISTOCLE (471 avant J.C.) : les réunions qui visent à l'exercice de la démocratie par comptage de voix sur l'ostrakon (tesson de poterie) se passaient sur une grève. Ainsi, on peut tenir l'expression « je suis en grève » pour une dérivation délocutive car s'il décrit un état de chose, en même temps, son énonciation atteste l'opposition à une situation, donc l'intimation de changer cette situation, comme ce fut le cas sur la grève athénienne jadis. Autrement dit, le mot grève dans le sens actuel était d'abord une métonymie. C'est une métonymie fréquente. Elle consiste à nommer l'endroit de production pour l'objet produit en cet endroit. D'une manière générale, la métonymie de ce type est motivée par l'excellence de l'objet. Par exemple un cachemire désigne une laine de chèvre du cachemire Cet exemple nous permet de comprendre que cette figure est de nature tropique, car il s'agit bien de cela, même si actuellement, les locuteurs du français ne perçoivent plus cette dérivation délocutive. La question est donc de savoir s'il y a des raisons qui nous autorisent d'étendre cette dimension illocutoire à toutes les figures. Nous ne pouvons pas encore tirer de conclusion sur ce point que si nous mentionnons la singulière aventure de la synecdoque, lisible par intertextualité avec celle de Cendrillon de Charles PERRAULT. La cadette oubliée au profit de ses deux soeurs aînées se fut révélée à la fin plus intéressante. De la même manière, la synecdoque, définie négligemment comme une sorte de métonymie fut longtemps éclipsée par cette dernière et la figure reine : la métaphore. Cette aventure intertextuelle, voici comment TODOROV la décrit : « Tout comme dans les contes de fées ou dans le ROI LEAR, où la troisième fille, longuement méprisée, se révèle être à la fin la plus belle ou la plus intelligente, Synecdoque, qu'on a longtemps négligée - jusqu'à ignorer son existence - à cause de ses aînées, Métaphore et Métonymie, nous apparaît aujourd'hui comme la figure la plus centrale (FOUQUELIN et CASSIRER l'avaient pressenti). » (TODOROV, 1970, p. 30) La réhabilitation vient de chez le groupe u qui atteste à deux reprises en deux endroits différents que la métaphore est une double synecdoque complémentaire. Il en est de même pour la métonymie mais dans cette dernière les synecdoques sont de fonctionnement inverse. Dès lors, c'est faux de croire que c'est la métaphore qui est l'essence du langage, mais c'est bel et bien la synecdoque. Il est vrai que la rhétorique traditionnelle pêche par une démultiplication classificatoire, au contraire, les recherches actuelles tendent maintenant vers un mouvement inverse de 97 réduction. La théorie des figures gagne ainsi en puissance explicative sans qu'elle puisse évincer de l'habitude les dénominations redondantes dans le champ des figures. De cette manière, il y a lieu de faire une distinction nette entre la synecdoque, comprise comme une sorte de métonymie et la métonymie elle-même. Cette distinction est nécessaire afin que les mêmes exemples ne soient évoqués pour illustrer les deux figures. C'est malheureusement le cas de l'un de nos dictionnaires de référence à l'usage des étudiants : le Dictionnaire de linguistique (DUBOIS, et al., [1973] 1982). L'histoire de la rhétorique est décidément vouée à connaître régulièrement des soubresauts. Si TODOROV a bien accepté la réhabilitation de la synecdoque opérée par le groupe hexacéphale de liège, les linguistes du groupe ì, il faut reconnaître que des résistances se font savoir dont celle de Michel LEGUERN, auteur, pourtant, d'un ouvrage de référence très éclairant sur la question de la métaphore (LEGUERN, 1972). Nous tenons cependant pour établie la distribution suivante que nous devons à Parfait DIANDUÉ BI KACOU : « -Lorsque le rapport du signifiant au signifié est un rapport de substitution totale, nous parlons du « degré englobant ». C'est donc la métaphore. Exemple : cheminée vivante (fumeur) -lorsque le rapport du signifiant au signifié est un rapport inné, naturel, consubstantiel, nous parlons du « degré naturel ». C'est donc la synecdoque. Exemple : demander la main d'une fille. - Lorsque le rapport du signifiant au signifié est un rapport créé, conditionné, nous parlons du « degré non-naturel ». C'est donc la métonymie. Exemple : la rue revendique sa liberté. » (DIANDUÉ BI KACOU, 2008) Faute d'avoir aménagé ces distinctions nécessaires, JAKOBSON (1963) et LEGUERN (1973), par exemple, considèrent que la synecdoque n'est qu'une sorte de métonymie. La source de la confusion étant le fait que les deux figures se construisent sur une relation de la partie au tout. Avec cette différence près que dans la synecdoque cette relation de la partie au tout, est au sein d'une totalité aux parties inaliénables tandis que, dans la métonymie, les deux parties qui forment la totalité existent l'une indépendamment de l'autre. En outre dans la synecdoque, le mouvement tropique peut aller dans les deux sens. Quand il est dans le sens de la partie au tout, on parle de synecdoque particularisante ou de synecdoque décroissante puisque l'on évoque la partie pour le tout. Ainsi, quand on dit un troupeau de cinq têtes, il s'agit d'une synecdoque décroissante, l'expression tête est mise pour l'animal tout entier ; en revanche quand on dit : faites rentrer les animaux, la synecdoque est décroissante parce l'expression animal désigne un ensemble infini alors qu'à travers elle on veut désigner les animaux domestiques en nombre fini. Pour la métonymie, les deux parties qui forment un tout permettent tout simplement d'évoquer l'une pour l'autre et cela, uniquement dans un sens conventionnel. Par exemple : boire un verre. 98 Notre première thèse consiste à dire que l'on emploie des tropes pour éviter au langage un défaut de fonctionnement, soit par basculement dans le seuil monolithique, soit par glissement dans le seuil d'un langage infinitisé. Ces deux seuils ont pour conséquence de rendre le langage inapte à la communication, pourtant dans le fonctionnement du langage lui-même nous nous approchons de ces seuils. Quand nous sommes pris en défaut de nomination, nous utilisons le langage monolithique dans des expressions comme « chose », « truc », « machin ». Ces expressions sont de nature synecdochique : une synecdoque généralisante puisqu'on dit le plus pour le moins. « Chose » désigne tout ce à quoi nous pouvons référer alors que dans l'énonciation de ce mot en tant qu'événement unique, nous faisons référence à un individu linguistique précis. Nous approchons également du langage infinitisé dans le fonctionnement hapax des noms propres dans lequel la répétition est interdite. C'est le blocage de la métaphore car des individus semblables reçoivent des noms différents. Le langage infinitisé a une utilité pratique dans l'anthroponymie, mais il présenterait tellement de difficultés sérieuses si les hommes n'ont pas la possibilité de dire leur propre nom dans cette activité illocutoire que l'on appelle « se présenter ». Mais s'il faut nommer chaque feuille des arbres d'un nom différent, on ne s'en sortira pas même pour un seul arbre du fait qu'aucune feuille n'est pas capable de se présenter. Alors, pour s'en sortir, on applique les tropes comme le signale ce passage de NIETZSCHE : « Comment se forment en effet les mots et les concepts qu'ils contiennent ? « Tout concept - dit Nietzsche - naît de la comparaison de choses qui ne sont pas équivalentes. S'il est certain qu'une feuille n'est jamais parfaitement égale à une autre, il est tout aussi certain que le concept de feuille se forme si on laisse tomber arbitrairement ces différences individuelles, en oubliant l'élément discriminant » (1873, p. 181)" (DI CESARE, 1986, p. 98) La seconde thèse est une affirmation du caractère illocutoire des tropes. Il y a lieu de croire que le choix des locuteurs pour employer une expression désignative parmi toutes les possibles n'est pas neutre. Ce choix montre une attitude devant la chose nommée. C'est le cas particulièrement des euphémismes qui sont une manifestation de tabou linguistique. Cette explication correspond exactement à la problématique qui a conduit à la généralisation du performatif dans tout le langage, une attitude non neutre étant exactement une attitude motivée. Pour faire la jonction entre ce que nous nommons ici « attitude motivée » au sein du langage et la théorie de l'énonciation, nous allons nous référer à François RECANATI. RECANATI a un parcours singulier, véritable lacanien, il fut convié par Roland BARTHES à une charge de conférences à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, mais dès la deuxième année, il enseignait la philosophie analytique aux apprentis sémiologues médusés ; le « coupable » est le séminaire d'Oswald DUCROT qui avait découvert la même discipline dix ans plutôt, dans la même École qu'il fréquentait assidûment pendant une décennie. L'enseignement de l'année en question (1976 - 1977) paru en 1979 sous le titre de La Transparence et l'énonciation, pour introduire à la pragmatique, aux éditions du Seuil (L'Ordre Philosophique) (RECANATI, 1979), tant la « conversion » fut radicale (RECANATI, 2001). 99 Cet ouvrage est une bonne vulgarisation des travaux de John Langshaw AUSTIN. Nous retenons de ses arguments contre la transparence du langage celui-ci qui nous paraît fondamental : un énoncé représente un fait mais il est en lui-même un fait observable, donc signifiant sans que cette signification fasse l'objet d'une mention : « Un énoncé a un sens s'il représente un fait, auquel cas il est signe de ce fait ; par ailleurs, son énonciation, qui est aussi un fait peut témoigner pour l'auditeur de l'état psychologique du locuteur : l'énoncé représente un fait, et le fait de son énonciation montre que le locuteur est dans tel état psychologique » (RECANATI, 1979, p. 94) L'énonciation comme fait apparaît clairement quand on se pose la question de savoir pourquoi le sens prend cette forme de l'énonciation et non de telle autre. Prenons un exemple contraire afin de faire mieux ressortir la particularité de telle énonciation. Que l'on dise ou non que le chat est sur le lit ne change rien au fait qu'il existe un chat et qu'il est sur le lit. Alors, il faut conclure que le fait de le dire n'est pas une tautologie du réel mais poursuit un but pragmatique, c'est-à-dire que son énonciation a pour but de modifier un rapport interlocutif. Le fait de le dire constitue une énonciation dont la force illocutoire est définie comme une affirmation. Dès lors, il faut admettre que la motivation la plus claire d'une affirmation est de faire croire. Tout se passe de la manière suivante : avant mon énonciation, j'estime que mon interlocuteur ignore où se trouve le chat et après, il le sait. Autrement dit, l'affirmation est un acte qui prend naissance de l'occasion de la parole. On peut transposer cette conclusion sur les tropes. Les tropes portent sur un segment linguistique précis et sont identifiables par une rupture isotopique. Ils peuvent donc être contenus dans une affirmation, dans une interrogation, ou encore dans d'autres illocutoires. Ce qui nous permet de comprendre que leur force illocutoire est dérivée par rapport à celle qui le contient ; et il y a lieu de croire que la force illocutoire des tropes s'articule sur la notion de préservation de la face qui nous impose de taire les paroles de mauvais augure et de dire les paroles de bon augure. Il est un tabou linguistique universel : parler du sexe dans la mesure où cet organe sert à la miction et qu'il se trouve à proximité de l'organe de déjection. Or tout ce que nous rejetons de ces organes porte la marque de la pourriture à hauteur de mort, donc compris comme une violence contre la vie. C'est cette part de pourriture de la vie que BATAILLE appelle la part maudite qui est à l'origine des tabous entourant ces parties. Si de plus, l'acte sexuel est compris comme une transgression d'un interdit : la souillure qui marque notre animalité par opposition au monde du travail marqué par l'ordre et l'humanité ; on comprend mieux que ce tabou linguistique est une manière de taire les paroles de mauvais augure comme le souligne le passage suivant : «La vérité des interdits est la clé de notre attitude humaine» : «sans le primat de l'interdit, l'homme n'aurait pu parvenir à la conscience claire et distincte, sur laquelle la science est fondée»; «l'homme est un animal qui demeure "interdit" devant la mort, et devant l'union sexuelle». Les interdits ne sont pas imposés du dehors et ils 100 ont pour objet fondamental de contrer, faute d'éliminer, la violence : la violence de la mort et la violence de la sexualité -- la part maudite. Les interdits entourant la mort concernent le mort, le cadavre et ce qui s'y apparente (les excrétions), et le meurtre. Devant la nature (la décomposition, la pourriture, l'ordure, la saleté), devant son animalité, l'homme ne peut éprouver que la nausée (dégoût, répugnance, écoeurement, effroi, horreur) : Freud avait bien fait remarquer que la station verticale de l'homme diminue l'acuité de son odorat; mais, en même temps, la nausée -- le dégoût des ordures et des odeurs naturelles qui atteint son summum en toute société parfumée et aseptisée -- en face de l'animalité contribue à la station verticale et, de là, à l'oralité... » (LEMELIN, 1996) Mais, l'interdit a ceci de paradoxal : il n'y a pas d'interdit absolu ; ce que l'interdit censure, en même temps il le postule. Justement, ce mouvement de la censure et de la postulation, nous l'obtenons dans le mouvement des tropes en vertu du principe selon lequel « nommer, c'est faire exister ». Ainsi, nous nommons le sexe par le terme absolument neutre de « chose » que le contexte désambiguïse. De la même manière quand nous disons « prendre un verre » pour « boire » la métonymie a pour effet de préserver la face sous le terme absolument neutre de verre, car le verre ne peut pas conduire à l'ivresse qui risque de nous renvoyer à notre propre animalité par absence de pudeur. Pareillement quand Jésus, dans sa prière au Gethsémani dit « éloigne-moi de cette coupe » ; la métonymie « coupe » lui permet de taire l'affront qui consiste à considérer Dieu son père comme un donneur de poison à son enfant bien que la métonymie ait ici une coloration métaphorique. Même quand on dit « voile » pour « bateau », la préservation de la face n'est plus très bien sentie actuellement, mais si l'on admet qu'avant la maîtrise de l'énergie à vapeur, c'est le moyen essentiel de communication entre pays mais c'est ce qui peut aussi amener la guerre comme en témoigne la guerre de Troie qui a valu à Iphigénie d'être sacrifiée à Aulis pour permettre aux Spartiates de voguer sur la mer afin de mener la guerre aux Troyens. Une parole flatteuse ou galante comme « jolie robe » adressée à une femme rentre dans la même catégorie parce que la robe est métonymique du corps qui la porte. Cette parole permet d'éviter d'aborder de front la question du corps de la femme ; elle fonctionne à la fois comme une censure et postulation du corps et de cette manière nous ne tombons pas dans l'animalité. Cependant, la valeur illocutoire des tropes ne s'inscrit pas toujours au niveau irénique selon un principe de coopération dans le parcours conversationnel, elle peut être aussi dans le registre polémique. Ainsi, dans les insultes quand on qualifie quelqu'un de « singe », c'est lui dénier les propriétés de l'humain pour lui attribuer celles de l'animal mentionné. Autrement dit, si la généralisation du performatif à tous les énoncés est acceptée, il s'ensuit logiquement que les tropes ont aussi une valeur illocutoire. C'est ce que nous avons tenté de démontrer dans ces pages. 101 Travaux cités DI CESARE, D. (1986, Juilet). "Langage, oubli et vérité dans la philosophie de Nietzsche". Histoire, épistémologie, langage, pp. 91 - 106. DIANDUÉ BI KACOU, P. (2008, août). éditions publibooks. Récupéré sur Google books: http://www.publibook. com/boutique2006/detaillu-1878PB.HTML DUBOIS, J., EDELINE, F., KLIKENBERG, J.-M., MINGUET, P., PIRE, F., & TRINON, H. e. (1982). Rhétorique Générale. 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