4.4. La juste distance
Pour Silvana Monello Houssin, « il e iste deu
manières de s'approcher ou prendre du recul: dans l'espace avec son
corps et à l'intérieur de soi. La pro imité ph sique peut
e ister alors que nous sommes psychiquement loin, tout comme nous pouvons
être physiquement distants et psychiquement proches.» Il semble
donc que cette notion de distance se rattache à la fois à
l'aspect physique mais également à la dimension psychique. La
juste distance sous-entend alors de prendre en compte ces deux aspects pour
trouver l'équilibre, et même si, selon D. Friard « la pro
émie ne s'évalue pas en centimètre », il faut
garder en tête qu'il serait difficile d'écouter ou de rassurer un
patient qui se trouve loin de nous. Ainsi, cette distance peut être
caractérisée de « juste » mais aussi de «
bonne » ou encore de « thérapeutique »
mais ces expressions sont abstraites et rendent ce concept non palpable et
difficilement définissable.
Cependant, pour illustrer cette notion de juste distance et
nous aider à la comprendre, l'UNAFAM nous raconte une simple histoire :
«Deu hérissons s'aimaient tendrement ; pour se prouver leur
amour ils s'entrelaçaient très fort, ce qui les faisait souffrir.
Vo ant cela, ils décidèrent de se séparer, ce qui les
rendait malheureux. Alors, ils essayèrent de se retrouver en se
rapprochant doucement et, progressivement, ils réussirent ainsi à
trouver la bonne distance pour s'aimer sans se faire souffrir.»
Malgré le caractère «intime» de cette histoire, cette
métaphore nous permet tout simplement de comprendre les deux
extrêmes dans une relation: être trop proche ou trop distant. Deux
aspects qui seraient délétères dans la prise en charge du
patient. La juste distance sous-entend donc une évaluation des
circonstances et un travail progressif pour arriver à trouver
l'équilibre idéal et ainsi protéger les deux
protagonistes.
D'autre part, selon P. Prayez, la juste distance est la «
capacité à être au contact d'autrui malgré la
différence des places ». Ainsi, dans un contexte de soin, nous
comprenons donc que la juste distance n'est pas d'être distant avec le
patient mais plutôt d'être là pour
DESPREZ Chloé | Travail de Fin d'Etudes IFSI de
Lisieux | Mai 2019 29
lui, pour l'accompagner tout au long de la prise en charge,
sans oublier notre statut de soignant. Autrement dit, le soignant ne doit pas
oublier le but défini lorsqu'il est en relation avec le patient. De
plus, dans l'article « oser la relation », D. Friard nous
explique que « penser la relation seulement à partir de la
distance empêche de penser la proxémie. Qui ose la relation doit
donc savoir la doser pour allier les deux. Doser la relation implique de
considérer la distance comme un traitement en mesurant les
bénéfices qu'elle aura sur le patient » en d'autres
termes, il faut avoir conscience de cette distance et de cette
proxémie dans la relation, pour pouvoir établir une
distance juste et thérapeutique pour le patient. Ensuite, P. Sureau dans
« de la confiance dans la relation de soin »,
représente la relation entre patient et soignant par une
métaphore: un élastique « dont chacun tient une
extrémité ». Il nous dit que « la distance qui
sépare les deux acteurs peut alors varier en même temps que la
tension de l'élastique: selon qu'ils seront proches ou distants, selon
que l'élastique sera tendu ou non, l'enjeu de la relation changera.
» c'est à dire que si par exemple un des deux acteurs devient trop
distant, il sera difficile de garder le lien de confiance établi avec le
patient. Une confiance qui, comme nous l'avons vu, est primordiale. Ainsi, nous
comprenons que la juste distance thérapeutique n'est pas figée et
souvent remise en question. Elle bouge suivant les situations, les
circonstances et en fonction de la dynamique de la relation. Elle fluctue
également en fonction de l'évolution du patient
schizophrène, de ses envies et de son projet de vie. Il convient donc au
soignant d'évaluer lui-même cette distance et d'adapter celle-ci
pour une bonne prise en charge et pour que le patient se sente bien.
D'une part, comme nous l'avons vu précédemment,
la relation de soin constitue un élément primordial dans la prise
en charge. Mais être en relation avec un patient contraint ou non, marque
une différence. En effet, ces situations peuvent amener le soignant
à reconsidérer cette notion de juste distance car lorsque l'on
prend en charge un patient schizophrène hospitalisé sous
contrainte, délirant, qui affirme n'avoir aucun problème, il en
découle une difficulté. L'intensité des troubles et le
refus de se faire soigner sous-entend de prendre contrôle de sa
liberté d'aller et venir, pour sa protection et pour la protection
d'autrui. Il apparait donc plus compliqué de créer un lien avec
une personne persécutée à qui on impose des mesures
répressives, qui l'empêchent de faire ce dont il a envie. La
personne peut également penser que les soignants sont là pour lui
faire du mal et ne comprendra pas toujours ce qu'il se passe. La distance
apparait donc ici comme plus facile, comme si la proxémie était
une chose inaccessible et impossible à mettre en place. Nous pouvons
dire que cette distance apparait comme nécessaire dans le sens où
le soignant ne doit pas être trop proche du patient pour ne pas entrer
dans son délire et mettre en péril la prise en charge. Pourtant,
la personne schizophrène a malgré tout besoin d'une rencontre,
de
DESPREZ Chloé | Travail de Fin d'Etudes IFSI de
Lisieux | Mai 2019 30
construire un lien avec les soignants pour pouvoir avancer
avec sa maladie. Il y a donc ici une réelle difficulté dans
l'établissement d'une bonne distance.
Ainsi, la juste distance doit donc être
considérée comme un outil thérapeutique, pour stabiliser
la relation de soin. Une distance qui sépare tout en gardant une
approche suffisante, un équilibre qui se traduit par une valse entre
écartement et rapprochement. Le soignant doit donc fixer des limites
dans la relation et les maintenir, prendre du recul mais aussi être
humble pour passer le relais dans les situations difficiles afin de se
protéger et de protéger le patient. En outre, plus la distance
est juste dans la relation entre le patient et le soignant, plus la confiance
s'installera et permettra donc une prise en charge de qualité.
Pour conclure, il semblerait donc que tous les concepts
abordés dans ce cadre théorique soient en lien les uns avec les
autres et confirment le raisonnement de ma question de départ. Mais nous
savons que la théorie n'est pas toujours identique à la pratique
et peut être différente. La suite de mon travail consistera donc
à rencontrer des professionnels ayant une expérience en
psychiatrie et plus précisément avec les patients
schizophrènes. Le but étant de comparer mes recherches avec la
réalité pour ensuite faire une analyse des données et
ainsi essayer d'approfondir de la plus juste manière mon sujet de
départ.
DESPREZ Chloé | Travail de Fin d'Etudes IFSI de
Lisieux | Mai 2019 31
5) L'enquête auprès des professionnels 5.1.
Moyens d'enquête
Afin de confronter mes recherches à la
réalité du terrain et ainsi approfondir ma question de
départ, j'ai décidé de réaliser deux entretiens
semi-directifs. Mon choix s'est porté sur cet outil car ce type
d'entretien est une technique de communication basée sur le partage qui
permet à la fois de centrer la discussion autour de thèmes
définis en lien avec mon sujet et à la fois d'élargir mon
champ de recherche. Globalement, il faut savoir que l'entretien n'enferme pas
le discours et permet également de développer et d'orienter les
propos. Ce qui est important. Le but de mes entretiens étant de pouvoir
apporter une richesse et des précisions sur mon cadre conceptuel mais
aussi de découvrir de nouvelles choses. De plus, mon sujet étant
principalement basé sur le relationnel, il était important de
choisir une méthode qualitative. En d'autres termes, un outil qui me
permettrait de recueillir le ressenti et le vécu des soignants. Des
aspects qui sont non quantifiables. Ainsi, pour pouvoir recueillir l'avis et
l'expérience des professionnels, je me suis appuyée sur un guide
d'entretien construit au préalable en fonction de mes recherches
théoriques. (Cf. Annexe 1)
Par ailleurs, ces entretiens ont été
enregistrés avec l'accord des professionnels puis retranscrits par la
suite (Cf. Annexe 2 et Annexe 3). A la demande des soignants
interrogés, le tutoiement a été utilisé lors de
l'échange.
5.2. Choix des professionnels
En ce qui concerne le choix des personnes interrogées,
mon sujet étant principalement porté sur la psychiatrie, il me
semblait légitime de questionner des soignants travaillant dans ce
domaine. J'ai donc pris contact avec un infirmier et une infirmière
exerçant tous deux en psychiatrie mais pas dans le même type de
structure. Choisir des lieux d'exercices différents se justifie par le
fait que je voulais recueillir diverses expériences avec
différents patients. J'ai également cherché à
rencontrer des infirmiers avec un parcours et des âges différents
pour pouvoir comparer et voir si les réponses variaient en fonction de
ces éléments. Pour finir, il me semble important de
préciser que le fait d'avoir choisi un homme et une femme n'est qu'un
simple hasard, cela n'est pas un choix particulier.
Ainsi, suite aux informations recueillies au cours de
l'entretien, le premier infirmier rencontré est un homme ayant
commencé à l'IFSI en 2013 pour terminer en 2016. Il a tout
d'abord travaillé dans un service d'entrant en psychiatrie pendant 1 an
puis a effectué 10 mois de nuit dans le même service. Maintenant,
il travaille dans un service de réhabilitation
DESPREZ Chloé | Travail de Fin d'Etudes IFSI de
Lisieux | Mai 2019 32
depuis quelques mois. En ce qui concerne l'infirmière
interrogée lors du second entretien, il s'agit d'une femme qui a
commencé à travailler en psychiatrie en 1988 quand elle avait une
vingtaine d'années en tant qu'aide-soignante en service
d'hospitalisation. Elle a eu l'opportunité de faire l'école
d'infirmière, ce qui lui a ensuite permis de travailler dans un centre
d'accueil de crise sur Paris et d'acquérir beaucoup de connaissances.
Elle a également eu l'occasion de travailler sur le domaine de la
précarité avec des gens à la rue lors de cette
expérience. Par la suite, elle est arrivée en 2008 aux urgences
psychiatriques puis après cela a travailler dans un centre
d'hébergement thérapeutique pour les adolescents. En 2017, elle
commença à travailler dans une unité de moyen/long
séjour en psychiatrie, mais depuis peu, elle fait partie d'une
équipe mobile du même pôle.
|