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Le droit de veto au conseil de sécurité des nations-unies entre gage juridique d'une paix internationale d'exclusion et blocage politique du règlement des conflits.( Télécharger le fichier original )par Xavier MUHUNGA KAFAND Université catholique du Congo (UCC) - Licence en droit 2015 |
Paragraphe 2. L'extension des sièges permanents à l'épreuve des obstacles à l'option de nouveaux critères unanimes d'attribution du droit de vetoL'ouverture du Conseil à de nouveaux membres permanents est une voie de solution qui nourrit de plus en plus les débats doctrinaux dans le sens de renforcer l'harmonie de la communauté internationale dans un climat de paix et sécurité communes. Tout le monde ou presque réclame un élargissement du Conseil de Sécurité pour inclure de nouveaux membres permanents. Cependant, depuis des décennies, les Etats sont incapables de se mettre d'accord sur le choix de ces nouveaux membres ou de décider si, à l'instar des membres existants, les nouveaux membres doivent avoir le droit d'opposer leur veto aux accords conclus par les autres membres. Autant dire que cette proposition n'émerge pas sans entorses. Nous étudierons ici les entorses d'ordre politique et celles du rang juridique. Politiquement, les cinq Etats membres permanents du Conseil de Sécurité et, partant, gendarmes du monde, voient très mal l'éventuelle réalisation d'un tel étirement qui, les plaçant dans une concurrence avec d'autres Etats « vautours »201(*), non seulement leur ôterait leur mainmise sur le cours des événements mais émousserait aussi la prépondérance de leur puissance internationale du fait de la rivalité à venir. En effet, le Professeur Michel-Cyr DJIENE WEMBOU202(*) note que les cinq puissances occidentales victorieuses de la Seconde Guerre mondiale n'ont cessé d'être animées par une perception de « tacite réticence » et de méfiance mesurée à l'égard de leurs anciens ennemis de Guerre autrefois baptisés « puissances de l'Axe » toujours vus tels habités par le virus de la traitrise, réticence et méfiance alimentées par la peur justifiée de les voir tramer à tout moment un guet-apens de guerre nouvelle contre leurs intérêts. Un tel état d'esprit ne saurait concourir à une ouverture du Conseil de Sécurité à d'autres membres permanents. D'ailleurs, le Japon et l'Allemagne, pressentis comme candidats sérieux à l'intégration du Conseil dans l'hypothèse de son ouverture à d'autres membres permanents, figurent en avant-plan de la liste noire où l'on classe des Etats considérés comme traitres tels que le sont les vautours dans le monde animal. Aussi, poursuit-il, l'un de plus grands regrets de la France aujourd'hui est d'avoir scellé en 1984 la réconciliation avec l'Allemagne qui a su en tirer profit jusqu'à devenir aujourd'hui la première puissance économique et, donc maitresse, de l'Union européenne dont toutes les orientations et décisions majeures nécessitent son quitus. Fortement diminuée par cette place de seconde zone dans l'UE, la France n'envisage pas de laisser derechef à l'Allemagne la possibilité de lui damer le pion au Conseil de Sécurité de l'ONU où le droit de veto reste l'unique chaire où elle peut lui exercer la pression. Le droit de veto reste à ce jour la seule arme de contrepoids dont dispose la France vis-à-vis de l'Allemagne qui lui a déjà raflé la primauté et le leadership au sein des institutions de l'Union européenne. Il demeure pour ainsi dire autant l'unique et ultime levier d'influence qu'a la France pour infléchir les positions de l'Allemagne jugées outrancières et la contraindre au dialogue ou à la négociation que le garde-fou le plus efficace contre les tendances de celle-ci à rééditer son zèle belliqueux international qui l'amena à déclencher, en l'espace d'une vingtaine d'année seulement, les deux Guerres mondiales.
Dans cette optique, l'extension du droit de veto à d'autres Etats devient une menace à la paix et la sécurité internationales chèrement acquises et qui se situent au coeur de toute la mécanique des Nations Unies ; et le statu quo, un gage incontournable de la paix et la stabilité mondiales. En revanche, le pilier d'entorses juridiques se réfère aux difficultés de taille sur la définition des critères d'attribution des sièges permanents qui pourraient être créés203(*). Les cinq membres permanents ne représentant évidemment plus à eux seuls le monde de 2015, l'impératif de repenser la composition du Conseil de Sécurité dans le sens de la création de nouveaux sièges permanents ou de la recherche de nouveaux membres permanents vaut son pesant d'or. Mais sur quels critères les choisir et dans quelles limites ? Les Etats les plus peuplés ? Les plus grands ? Les plus capables? Les plus démocratiques ? Les plus riches ? Ou bien faudra-t-il tenir compte d'autres variables telle la fréquence de contribution des Etats candidats, par leurs actions et décisions, au maintien de la paix et la sécurité tant régionales que mondiales, leur étendue géographique ou le capital de leurs ressources ? Tant de données qui divisent les points de vue, encore que la détention du droit de veto rime avec l'attribution aux Etats titulaires de ce droit des responsabilités et obligations de plus en plus lourdes sur la scène internationale consistant notamment à imprégner celle-ci de l'empreinte d'une paix constante et d'une sécurité tout aussi stable, et à tirer de la fosse de déliquescence les Etats de toutes les régions du monde assaillis par les catastrophes socio-humanitaires et autres crises insurmontables. En effet, les Etats membres permanents au Conseil de Sécurité, et, partant, titulaires du droit de veto, sont les plus grands contributeurs au budget de l'ONU et de principales institutions internationales gouvernementales. En outre, lorsqu'une crise humanitaire, tel un tsunami ou une épidémie de haute envergure, surgit quelque part, toutes les mains sont tendues à ces dernières, toutes les voix les appellent à intervenir diligemment et le premier réflexe des autorités étatiques faisant face à cette tornade événementielle « irréversible » est de s'en remettre aux grandes puissances mondiales qui se trouvent être en même temps membres permanents du Conseil de Sécurité onusien. Elles n'hésitent pas de les appeler de tous leurs voeux à leur voler au secours, un peu comme si ces grandes puissances avaient l'obligation conventionnelle de résoudre toutes les grandes crises mondiales, en droit international. En cas de crise politique de haute portée - tel un conflit postélectoral découlant d'une contestation des résultats pouvant conduire à une guerre civile ou une rébellion - éclatant ici et là, les révolutionnaires, les putschistes ou les nouveaux maîtres du jeu se hâtent d'engager les tractations de nature à solliciter la reconnaissance de leur régime ou l'approbation de leur légitimité par les grandes puissances pour assurer la longévité à leur pouvoir. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater l'empressement avec lequel ceux-ci se tournent vers celles-là lorsque de telles bourrasques les submergent. Les Etats qui prétendent aujourd'hui au statut de membres permanents au Conseil de Sécurité avec droit de veto, sont-ils capables d'assumer toutes les obligations de conscience, charges et autres responsabilités incombant au rang de leur aspiration? Seraient-ils à la hauteur du rôle régulateur des distorsions et fluctuations qui écument la sphère internationale ? Sans doute devraient-ils, tout compte fait, y penser sérieusement. D'autres auteurs, à l'instar de Linos-Alexandre SICILIANOS204(*) et Richard PERLE,205(*) estiment que l'idée de l'extension de nouveaux membres permanents (non vainqueurs de la Guerre) au Conseil de Sécurité semble inconcevable, au stade actuel, et n'irait pas sans porter un choc catastrophique à la structure de la mécanique de tout le système international, parce que les Etats victorieux de la Seconde Guerre mondiale ne laisseraient nullement d'autres Etats venir leur damer le pion dans ce qu'ils considèrent comme un acquis de gestion et de régulation du jeu qui rythme les méandres du système international, acquis symbolisant le prix de leur triomphe sur les puissances de l'Axe. Et parce que cette hypothèse aboutirait inéluctablement à l'établissement d'un nouvel ordre mondial qui postule la soumission de grandes puissances actuelles à un nouveau guide. Fonctionnant suivant un ordre monarchique fondé sur une certaine aristocratie - des 5 membres permanents -, le Conseil de Sécurité se veut l'organe principal de l'ONU chargé de maintenir l'ordre et la stabilité internationaux aux antipodes de la loi du plus fort. C'est pourquoi Hubert VEDRINE206(*) considère que sa refonte dans le sens de l'extension des sièges permanents conduirait inexorablement à la « Troisième Guerre mondiale » parce que l'équilibre des forces s'en trouverait décongelé et la communauté internationale serait désormais fondée sur la directive des Vainqueurs de la supposée Guerre qui définirait une nouvelle configuration de puissance, pourvu que ceux-ci soient d'autres Etats que ceux siégeant aujourd'hui en permanence au Conseil de Sécurité. Il semble qu'un certain consensus se soit dégagé pour que l'Allemagne et le Japon acquièrent la qualité de membres permanents du Conseil de Sécurité, à une réserve près, celle des pays en développement qui sont peu enclins à creuser le déséquilibre au profit des pays industrialisés207(*). Le poids de l'Allemagne sur la scène internationale ne fait plus l'ombre d'un doute. Il suffit de constater le rôle incontournable qu'elle joue dans la résolution des conflits et dans les négociations sur les grandes questions de sécurité internationale. En effet, les puissances membres permanents du Conseil de Sécurité, garants privilégiés de la préservation de la paix et la sécurité internationales, se voient aujourd'hui obligées de l'associer aux discussions visant le règlement des conflits armés dans le monde et ce, sans pour autant qu'elle soit membre permanent du Conseil. Les représentants du gouvernement allemand sont présents, au titre de médiateurs, aussi bien aux discussions de Lausanne entre les grandes puissances, constituées au sein du groupe des 5+1208(*), et les membres du régime iranien sur l'abandon du développement du programme nucléaire iranien en contrepartie d'un relâchement des sanctions internationales qu'aux pourparlers des accords de Minsk sur la résolution de la crise ukrainienne entre le régime de Kiev209(*) et les rebelles séparatistes dits « pro russes »210(*). Une autre tendance de la communauté internationale soutient plutôt l'idée de l'intégration des Etats émergents faisant partie de la plate-forme dite « BRICS211(*) » à la composition du Conseil de Sécurité en faveur de l'élargissement des sièges permanents eu égard d'une part à la vitalité de leurs PIB et PNB qui, additionnées, transcendent le capital économique des Etats-Unis d'Amérique et, d'autre part, à l'ampleur des efforts démocratiques considérables conjugués par la plupart d'entre eux en vue de la consolidation de l'Etat de droit et de la bonne gouvernance. Les BRICS ont également la vertu d'incarner une représentativité géographique suffisamment probante de chacune de principales régions du monde. Au demeurant, il serait donc judicieux, souligne Géraldine LHOMMEAU212(*), de créer également trois nouveaux sièges de membres permanents attribués à trois grands ensembles géographiques en voie de développement : l'Afrique, l'Asie et l'Amérique Latine. Il reste cependant à identifier les Etats qui pourraient représenter ces ensembles. Tout compte fait, l'élargissement du Conseil de Sécurité de l'ONU est un sujet à l'ordre du jour depuis très longtemps. Il s'agit plus précisément d'accroître le nombre de membres permanents puisque le nombre de membres non-permanents a déjà augmenté au cours de l'histoire213(*). C'est un débat qui a, à l'instar de celui sur la limitation du droit de veto des membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU en cas de « crimes de masse », très peu de chances d'aboutir dans la mesure où le reste de la communauté n'arrive pas à s'entendre sur l'identité des pays qui pourraient rejoindre le Conseil de Sécurité en tant que membres permanents214(*). Ainsi, dans le schéma politique international actuel, les Etats qui auraient la plus forte légitimité de rejoindre ce Conseil de Sécurité sont ceux qui combinent plusieurs critères. D'abord « leur importance économique puis leur disposition à participer activement, à la fois financièrement et militairement, au système de maintien de la paix, qui est la raison pour laquelle le Conseil de Sécurité a été créé »215(*). A partir de là, on peut imaginer que des pays tels que l'Allemagne, le Japon et l'Inde seraient particulièrement légitimes pour devenir membres permanents. Cependant, ce Conseil élargi ne verra sans doute jamais le jour, estime la quasi-totalité d'experts et auteurs, notamment parce que certains des membres permanents ne veulent pas voir leurs rivaux accéder au Conseil. Pour la Chine, par exemple, l'accession de l'Inde ou du Japon n'est pas concevable. Et les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni voient en un éventuel accès au Conseil par l'Allemagne un cautionnement international de la Shoa et une exposition à la menace d'une « Troisième Guerre mondiale »216(*). Conscient de ces difficultés à relever la pente de ces discordes afin de renforcer l'efficacité du Conseil de Sécurité au regard des objectifs lui assignés par la Charte des Nations Unies, Kofi ANNAN217(*), qui fut Secrétaire général des Nations Unies de 1997 à 2006 puis médiateur de l'ONU et de la Ligue arabe en Syrie de février à août 2012, met en avant quatre propositions assez pertinentes qui rejoignent à pic les pistes de solution que nous préconisons pour rendre l'ONU plus forte et plus efficace. Il s'agit en premier lieu d'une idée visant à sortir de cette impasse. Au lieu de nouveaux membres permanents, il convient d'adopter une nouvelle catégorie de membres ayant un mandat bien plus long que celui des membres non permanents et qui seraient éligibles à une réélection immédiate. Autrement dit, ils seraient « permanents », à condition de conserver la confiance des autres Etats membres. Ne serait-ce pas plus démocratique ? En second lieu se trouve l'appel lancé aux cinq membres permanents actuels à prendre un engagement solennel consistant à ne plus laisser leurs désaccords déboucher sur une absence d'action du Conseil, qui plus est lorsque les populations sont menacées de crimes atroces, comme c'est le cas actuellement en Syrie. Les cinq membres permanents devraient s'engager en outre à ne jamais utiliser leur veto simplement pour défendre leurs intérêts nationaux, mais uniquement lorsqu'ils craignent sincèrement que l'action proposée soit plus néfaste que bénéfique pour la paix dans le monde et les populations concernées. Dans ce cas, ils devront expliquer pleinement et clairement la solution alternative qu'ils proposent, comme moyen plus crédible et plus efficace de protéger les victimes. Que l'idéal du consensus passe au devant des intérêts partisans. En troisième lieu, nous proposons, en accord avec Kofi ANNAN, que le Conseil puisse écouter plus attentivement ceux qui sont touchés par ses décisions. Plutôt que de décider derrière des portes closes, sans écouter ceux qui sont directement affectés par leurs décisions, les membres permanents et le Conseil entier devraient donner aux groupes représentant les populations dans les zones de conflit une réelle possibilité d'apporter des informations et d'influencer leurs décisions. En dernier lieu figure l'idée suivant laquelle le Conseil et, en particulier, ses membres permanents devraient s'assurer que l'ONU désigne le type de chef dont elle a besoin. Quoi qu'il en soit, la nécessité d'opérer un réaménagement adéquat au Conseil de Sécurité, précisément dans l'optique d'assouplir la rigide condition de l'unanimité des voix des membres permanents pour l'adoption des décisions majeures, est aujourd'hui une aspiration universellement indéniable218(*). * 201 DJIENA WEMBOU, M.-C., Le droit international dans un monde en mutation, op.cit., p. 177-189. * 202 Idem loco. * 203 CAUBET, C., « Dans les méandres des officines onusiennes », http//www.monde-diplomatique.fr//, page consultée le 2 décembre 2014 à 15h 32'. * 204 SICILIANOS, L-A., « L'autorisation par le Conseil de Sécurité de recourir à la force : une tentative d'évaluation », in RGDIP, 2002-1, pp. 5-9. * 205 PERLE, R., « La chute de l'ONU », in Le Figaro, le 11 avril 2003. * 206 VEDRINE, H., « Réflexions sur la réforme de l'ONU », op.cit., p.3. * 207 SUR, S., « Le Conseil de Sécurité : blocage, renouveau et avenir », in Pouvoirs n°109, op. cit., pp.7-8. * 208 C'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU plus l'Allemagne. * 209 Mené par le Président Petro POROCHENKO et soutenu par les Américains et les Etats membres de l'Union européenne dont l'Allemagne est aujourd'hui la colonne vertébrale. * 210 Bénéficiant du financement et de l'armement en provenance du régime de Moscou. * 211 BRICS étant la combinaison des initiales du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud. Ces pays amassent 20% du PIB mondial et contrôlent 43% des réserves mondiales. * 212 LHOMMEAU, G., Le droit international à l'épreuve de la puissance américaine, op. cit., p. 205. * 213 L'amendement de la Charte de l'ONU adopté par l'Assemblée générale le 17 décembre 1963 et entré en vigueur le 31 août 1965 porte de onze à quinze le nombre des membres du Conseil de Sécurité. En fait, il s'agit du nombre de membres non-permanents qui est passé, à la suite de cet amendement, de six à dix. Celui des membres permanents étant resté à cinq. * 214 TERTRAIS, B., « Vers une réforme du droit de veto au Conseil de Sécurité de l'ONU ? », op.cit., page consultée le 29/09/2014 à 07h19'. * 215 TERTRAIS, B., « Vers une réforme du droit de veto au Conseil de Sécurité de l'ONU ? », op.cit., page consultée le 29/09/2014 à 07h19'. * 216 EMIE, B., « Le droit de veto à l'ONU », op.cit., page consultée le 24 juin à 09h 23'. * 217 ANNAN, K., « Il faut limiter le droit de veto des cinq membres permanents au Conseil de Sécurité de l'ONU », http://www.voxmonde.com//, page consultée le 09 février 2015 à 18h 26'. * 218 CHEMILLIER-GEANDREAU, M., « Pour une organisation de la communauté mondiale », http://www.monde-diplomatique.fr//, page consultée le 13 octobre 2014 à 08h 07'. |
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