II. FORMATION CONTINUE ET AMENAGEMENT DES CONDITIONS DE
TRAVAIL ET DE BIEN-ETRE
Pour une gestion optimale des travailleurs vieillissants, il
est aussi impératif de revoir les politiques et pratiques de formations,
mas aussi d'aménager les conditions de travail et bien-être.
1. La formation continue
Le monde du travail se caractérise aujourd'hui par des
changements rapides dans les processus et les pratiques utilisées. Ces
changements, s'ils ne sont pas pris en compte par les entreprises, risquent de
jouer un rôle négatif pour ces dernières en les rendant de
moins en moins compétitives. Les actions de formations permettent de
faire face à ces changements en offrant aux travailleurs la
possibilité de s'y adapter et de continuer ainsi à remplir les
missions et les tâches qui leur sont assignées tout au long de
leur vie professionnelle. Elles jouent donc un rôle essentiel dans le
maintien en emploi des travailleurs, mais aussi dans leur évolution vers
d'autres postes à travers l'apprentissage de nouveaux savoirs. C'est
pourquoi les employeurs et les employés doivent s'engager dans un
processus d'apprentissage tout au long de la vie pour maintenir la position
concurrentielle de l'entreprise.
En dépit de ce constat, la formation des travailleurs
âgés n'est généralement pas une priorité pour
les entreprises. D'autres aspects, tels que le développement de
produits, les besoins de la clientèle, ou les considérations
économiques sont plus importants aux yeux des décideurs. Ceux-ci
ont pourtant tout intérêt à proposer à leurs
salariés âgés de se former afin d'éviter les
dépenses et la perte de temps associées au recrutement de
collaborateurs supplémentaires, et afin d'éviter que les
compétences des travailleurs ne finissent par devenir obsolètes.
Selon Walker (1998), de bonnes pratiques en termes de formation continue
supposent donc que l'ensemble des travailleurs disposent des mêmes
opportunités d'apprentissage tout au long de la vie professionnelle,
avec une éventuelle adaptation des méthodes de formation aux
travailleurs âgés.
a. Le maintien en emploi des travailleurs grâce
à la formation
S'il est vrai que les employeurs ont tout intérêt
à prôner une approche de la formation tout au long de la vie
professionnelle, il n'y a par contre rien d'étonnant à ce que
certains d'entre eux s'étonnent de devoir investir dans des dispositifs
destinés à former des personnes qui ne resteront de toute
manière plus très longtemps dans leur entreprise ; qu'il s'agisse
de jeunes travailleurs risquant de changer d'emploi à la moindre
opportunité, de travailleurs en milieu de carrière souhaitant
donner un nouvel élan à celle-ci, ou de travailleurs
âgés désirant se retirer, partiellement ou
définitivement, du milieu professionnel. Cependant, un discours tel que
celui-ci, s'il est compréhensible, n'en est pas moins dangereux. En
effet, c'est peut-être justement à cause du manque
d'opportunités de se développer dans l'entreprise que les
travailleurs décident à un moment donné de quitter
celle-ci.
Pourtant, les métiers sont en constante
évolution et les capacités individuelles doivent
nécessairement évoluer sous peine de devenir obsolète. Ces
évolutions, couplées à un manque d'opportunités de
développement, expliquent en partie pourquoi les seniors connaissent
aujourd'hui des difficultés d'adaptation aux changements
organisationnels. Par conséquent, la formation demeure un facteur
clé de l'employabilité, en particulier aux âges
élevés. Afin d'éviter une mise à l'écart des
seniors et d'éviter par la même occasion que les travailleurs
moins âgées ne se démotivent au travail en voyant ce
à quoi elles se destinent d'ici quelques années, il est plus que
nécessaire de mettre en place des dispositifs de formation qui
intègrent l'ensemble des travailleurs, et pas uniquement les plus jeunes
d'entre eux. Ces dispositifs de formation sont d'autant plus nécessaires
qu'ils contribuent à l'amélioration du niveau d'habiletés
des travailleurs dans son ensemble, ainsi qu'au respect
intergénérationnel et à la performance globale de
l'organisation.
b. La formation continue en lien avec la gestion des
âges
Dans l'optique d'une gestion des âges inclusive, la
formation continue doit nécessairement tenir compte des
caractéristiques des différentes générations de
travailleurs et s'adapter à celles-ci. En ce sens, certaines pratiques
de formation favorisent un échange de connaissances tacites entre les
travailleurs d'âges différents à travers des situations de
transferts contextualisées. Par exemple, il devient possible pour les
seniors de partager avec les plus jeunes l'expérience qu'ils ont acquise
au fil du temps, ce qui leur procure de nouvelles responsabilités, ainsi
qu'une meilleure reconnaissance de leurs compétences dans
l'organisation. Les connaissances acquises par les plus anciens sont donc
transmises aux jeunes talents. Les échanges de connaissances pouvant se
faire au travers de pratiques telles que :
Ø Le tutorat
L'objectif du tutorat est de « permettre à un
apprenant de se former au contact d'un ancien plus expérimenté
» (Noyé & Piveteau, 2009). Le tuteur doit mettre en place
l'accueil des nouveaux apprenants, il doit leur expliciter son travail et ses
pratiques, leur fournir les moyens et l'aide nécessaires à la
situation d'apprentissage, les encourager et au final, procéder à
l'évaluation de leur parcours et des progrès qu'ils ont
réalisés. Il peut évidemment sembler difficile pour un
opérateur-tuteur de mettre des mots sur les tâches qu'il
exécute automatiquement. C'est pourquoi il est nécessaire de
proposer aux tuteurs de suivre eux-mêmes une formation visant à
apprendre à découper pas à pas les tâches
automatisées, à les lister et à mettre en place un guide
des procédures auquel il est ainsi possible de recourir en cas de besoin
(ARACT, 2010). Le tutorat est non seulement un moyen de transmettre des
pratiques à de nouveaux travailleurs, mais aussi de faire évoluer
les compétences des tuteurs eux-mêmes puisque ceux-ci
expérimentent de nouveaux modes d'action, rompant ainsi avec leurs
habitudes professionnelles. En effet, si l'on considère
généralement que les possibilités d'évolution sont
moindres pour les travailleurs âgés, l'obtention d'un statut de
tuteur contribue par contre à développer leur sentiment
d'utilité et à donner un second souffle à leur
carrière (ARACT, 2010). Aux yeux du jeune travailleur à
présent, le fait d'obtenir du soutien de la part d'un travailleur plus
expérimenté et de pouvoir lui poser les questions
souhaitées sans crainte de le déranger peut s'avérer
rassurant. Enfin, du point de vue organisationnel, le tutorat contribue sur le
long-terme à améliorer la performance de l'entreprise tout en
améliorant les relations intergénérationnelles.
Ø Le mentorat
Selon Bergeron, Duguay, Rivest et Roy (2007), le mentorat peut
se définir comme une « relation fondée sur le respect mutuel
entre un employé d'expérience reconnu et crédible (mentor)
et une personne moins expérimentée (mentoré), qui permet
à cette dernière d'être soutenue dans le
développement de sa carrière et dans ses apprentissages
liés à son intégration professionnelle ». Le mentor
est donc perçu à la fois comme un guide et comme un modèle
à suivre par le jeune travailleur. A ce titre, les travailleurs
âgés, qui sont souvent à un moment de leur vie où
les buts altruistes prennent de l'importance, constituent d'excellents mentors.
Souvent associé au tutorat, les enjeux du mentorat ne
reposent cependant pas sur la transmission de savoirs ou de savoir-faire comme
c'est le cas de cette autre pratique (en tout cas pas de manière
exclusive), mais bien sur la transmission d'un savoir-être au sein de
l'entreprise. En cela, cette approche est parfois décrite comme une
remplaçante du coaching. Le mentor, par son expertise, se met au service
du jeune travailleur afin de l'aider à s'intégrer et à se
développer dans sa nouvelle vie professionnelle. Il contribue à
la socialisation organisationnelle du « mentoré »
à travers l'inculcation des normes, des valeurs et des tabous qui
existent au sein de l'entreprise. Il enseigne également au
« mentoré » quels sont les comportements à
adopter dans différentes situations de travail. Il lui explique comment
intervenir en réunion, comment faire valoir une stratégie. Bref,
le mentor sert de « modèle » au
« mentoré » afin que ce dernier s'identifie à
lui à travers l'observation et l'imitation. Ce n'est que par la suite,
lorsque cette relation de conformité ne sera plus nécessaire et
que le « mentoré » voudra prendre son «
indépendance » qu'il pourra enfin se distancier et se
différencier de son modèle.
Ø Le tutorat inversé
Si le tutorat permet à un travailleur
expérimenté de transmettre son savoir à un plus jeune, il
serait incorrect de penser que cette relation est unidirectionnelle. Le nouvel
arrivant est en effet lui-même souvent porteur de savoirs explicites et
tacites relativement récents qui peuvent constituer une source
d'innovation et d'inspiration pour le travailleur âgé. La
transmission de ces savoirs est alors communément appelée «
tutorat inversé » (ou parfois, « mentorat inversé
») et renvoie à la « possibilité pour les nouveaux
arrivants d'enseigner à ceux qui sont en place ».
Cette pratique est intéressante à plus d'un
égard. En effet, selon Kelley (2005), en autorisant le jeune arrivant
à s'exprimer sur une situation de travail et à transmettre ses
connaissances à un collaborateur plus expérimenté, le
tutorat inversé contribue au cycle de gestion des connaissances dans
l'organisation et à l'apport d'idées nouvelles. Il s'agit donc
d'un outil qui va à l'encontre de la tendance naturelle des travailleurs
âgés consistant à avoir confiance en leur expérience
sans tenir compte de l'évolution de leur métier. Par
conséquent, le tutorat inversé peut être perçu comme
un outil visant à développer les compétences des seniors
et à renouveler par la même occasion le capital de connaissances
de l'organisation.
Cependant, les seniors n'ont pas systématiquement
l'ambition de se voir évoluer sous les traits d'un mentor ou d'un
tuteur. Tous ne portent pas en eux la force d'âme, la compétence
ou la volonté de prendre ce rôle. C'est parfois à travers
l'occupation de nouvelles fonctions ou de nouveaux métiers qu'ils
continuent à s'épanouir.
Enfin, dans l'optique d'une politique de formation incluant
toutes les catégories d'âge, certains critères doivent
être respectés en vue de favoriser l'évolution et le
développement des compétences au sein de l'ensemble des
salariés :
- L'absence de limites d'âge pour déterminer
l'accès aux opportunités de formation ;
- La conciliation entre les plans de formation et le parcours
de vie individuel ;
- La mise en place des opportunités de formation dans
le cadre plus général de la gestion des carrières et pas
uniquement dans le cadre d'une fonction spécifique donnée;
- Le suivi continuel du niveau de compétences des
travailleurs au fil des années ;
- La mise en place de formations aux nouvelles technologies ;
- L'analyse des besoins de l'organisation en termes
d'habiletés et la correspondance de ces besoins aux habiletés des
travailleurs.
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