CHAPITRE III - LE DEVELOPPEMENT DE LA SILVER ECONOMY ET
SA POSSIBLE CONTRIBUTION A L'ACTIVITE DES PHARMACIES
L'objet de ce chapitre est la confrontation de la Silver
Economy à l'activité des pharmacies d'officine françaises.
Le premier objectif est de présenter les grandes lignes de la Silver
Economy, telle qu'elle a été lancée en France, le 24 avril
2013, par une action conjointe du Ministère de la santé et du
Ministère du redressement productif (Delaunay, Montebourg, 2013 -
Ministère du redressement productif, 2013). Le second objectif est de
caractériser, sur le plan économique, le marché des
séniors, et de souligner les difficultés sous-jacentes de
lancement et de mise en oeuvre (coordination des mesures, investissement,
financement). Les filières « santé » de la Silver
Economy seront évoquées, issues de « l'installation du
comité stratégique de la filière des industries et
technologies de santé » (Fioraso et al., 2013 : pp1-8), ainsi
que la nécessaire mise en place de réseaux d'accueil pour adultes
dépendants. Le rôle éventuel de l'Etat sera abordé
(interventionnisme) ainsi que le caractère « innovant » de la
Silver Economy (recherche et développement, innovation,
brevetabilité) (Schumpeter, 1990, 1999) (section 1). Enfin, il sera
établi la possible contribution de la Silver Economy à
l'activité des pharmacies d'officine françaises :
activités complémentaires, croissance naturelle des
dépenses de santé en lien avec le vieillissement de la
population. Pour finir, une approche marketing, sur le modèle
américain, sera réalisée afin d'identifier les facteurs
clefs de succès de la Silver Economy au niveau français (Nielsen,
2012) (section 2).
Le fondement de la Silver Economy a pour socle une mutation
démographique : « en 2035, un tiers des Français auront
plus de 60 ans. Ils seront plus de 20 millions » (Ministère du
redressement productif, 2013).
La Silver Economy est définie comme « toutes
les activités économiques agissant pour et/ou avec les personnes
âgées : création de produits et services
personnalisés pour les seniors, de technologies pour l'autonomie, de
téléassistance, de dispositifs de prévention etc. Les
secteurs concernés par la Silver économie sont très
divers, ils recouvrent l'habitat, la communication, le transport, la
sécurité, les services, dont bien entendu les services à
la personne, la distribution, les loisirs, la santé, le travail, mais
également le secteur des mutuelles, les institutions de
prévoyance et les assureurs. » (Pôle-emploi, 2014). Il
peut être également précisé que la Silver Economy
regroupe la « création de services personnalisés, de
technologies pour l'autonomie. Ces biens et services seront bientôt
indispensables et sont autant d'activités appelées à se
développer fortement dans les prochaines années »
(Ministère du redressement productif, 2013).
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Le lancement officiel des filières de la Silver Economy
a été réalisé, en France, le 24 avril 2013
(Delaunay, Montebourg, 2013 - Ministère du redressement productif,
2013).
Il est dressé sept ambitions pour la France, prenant
appui sur le contexte mondial prévu à horizon 2025, dans le
rapport « Un principe et sept ambitions pour l'innovation »
(Lauvergeon, 2013). L'ambition numéro six est
représentée par la Silver Economy et l'innovation au service de
la longévité. Les forces et faiblesses de la France pour «
gagner la bataille de 2025 » (Lauvergeon, 2013 : p11) y sont
détaillées. Le secteur de la pharmacie31 est
cité comme faisant partie des domaines d'excellence français
reconnus à l'échelle internationale. Le médicament
représente des rentrées de devises pour la France, il
était le 7ème excédent commercial du pays en 2012 : «
Les échanges commerciaux de médicaments ont
représenté, pour la France, un excédent commercial de 7,1
milliards d'euros en 2012 (+ 34 %), soit + 2 milliards d'euros par rapport
à 2011, en raison de la reprise des exportations, retrouvant les
grandeurs de 2008 à 2010 » (Les Entreprises du
Médicaments (LEEM), 2013 : p20). Le système de santé
français est reconnu mondialement pour sa qualité et son
excellence, incluant le système hospitalier et la recherche clinique, et
il devrait jouer un rôle majeur en termes de recherche et
développement et d'innovation au service de la Silver Economy,
dépassant les frontières nationales. Ce constat démontre
la prise en compte, par les pouvoirs publics, du secteur de la pharmacie dans
le cadre de la Silver Economy (Lauvergeon, 2013).
« La révolution démographique dans le
monde bouleverse l'industrie pharmaceutique : domaines thérapeutiques,
zones de marché et de recherche et production, propension à
consommer en marques et génériques, à investir à
long terme... » (LEEM, 2013 : p83).
Le déploiement et la mise en oeuvre de la Silver
Economy devront lever quelques obstacles pour la réussite du
modèle économique (coordination des mesures, investissement,
financement). Les sujets phares sont les hautes technologies et le
numérique, et la probable et nécessaire intervention des pouvoirs
publics (loi cadre, subventions en recherche et développement,
financement, adaptation des infrastructures, coordination). Une étude du
cabinet Ernst & Young s'appuie notamment sur deux modèles
d'exploitation probants qui sont le Danemark et l'Ecosse (Cornet, 2013). Il est
préconisé une expérimentation à échelle
régionale, dans au moins cinq régions françaises, selon un
plan concerté entre l'Agence Régionale de Santé (ARS), la
Région, et l'Assurance Maladie, permettant aux Conseillers
31 Au sens de l'industrie pharmaceutique.
30
généraux de négocier leur mise en oeuvre
territoriale dans un cadre précis. La signature de contrats (de quatre
ans au minimum) avec des prestataires pilotes (dispensation de soin et usage de
technologies innovantes en particulier) est conseillée. Enfin il est
préconisé la mise en place de plateformes de services (Cornet,
2013).
Pour le bon fonctionnement du lancement de la Silver Economy
en France, deux axes importants ont été identifiés : la
création de « filières des industries et technologies de
santé » (Fioraso et al., 2013 : pp1-8), et la prise en compte
de la nécessité de mettre en place un réseau national
d'accueil pour adultes dépendants (maisons de retraite) (Coquillion,
2007 - Cornet, 2013 - Weber, Verollet, 2011), point
déjà identifié en 2008 (Vasselle, 2008 : pp1-255).
Section 1 - Les filières « santé
» de la Silver Economy et la nécessaire mise en place d'un
réseau national d'accueil pour adultes dépendants
Les filières « santé » de la Silver
Economy appellent de nombreuses innovations, sous-tendant un fort besoin en
recherche et développement (R&D). Cette notion implique d'importants
investissements de départ, appelant une aide probable de
l'Etat32. Le versant opposé est représenté par
le nécessaire retour sur investissement des firmes, jusqu'à la
notion schumpétérienne de rente dans le temps (Schumpeter, 1990,
1999). Une contribution publique doit générer des
externalités positives (Barro, 1990). La Silver Economy repose sur une
croissance de type endogène, appelant à une intervention de
l'Etat (Barro, 1990 - Lucas, 1988 - Romer, 1986, 1990, 1994). Elle semble
correspondre à un cycle économique long de type Kondratiev (40-60
ans) (Kondratieff, 1992 - Schumpeter, 1911, 1939).
Le Comité Stratégique de Filière
santé (CSF) avait prévu, dès 2012, «
l'installation du comité stratégique de la filière des
industries et technologies de santé » (Fioraso et al., 2013 :
pp1-8).
Encore plus en avant, le Sénat, dans son rapport «
Construire le cinquième risque : le rapport d'étape
» (Vasselle, 2008 : pp1-255), s'était penché sur la
capacité du système français à mettre en place,
dans un temps limité, un réseau d'établissements d'accueil
à destination des adultes dépendants.
32 Budgets de recherche, pôles d'innovation et
de compétitivité, pépinières d'innovation, clusters
etc.
31
L'approche macroéconomique du vieillissement de la
population, et le rôle que doit jouer l'Etat en termes de R&D, sont
également évoqués (Bernard et al., 2013), appelant les
pouvoirs publics à trouver une solution à la viscosité des
marchés (Cornet, 2013 - Serrière : « Gérontologie :
raisons des difficultés de ce secteur », 2013)33.
En effet, dans une approche schumpétérienne,
l'innovation croît avec la concentration du marché (Schumpeter,
1990, 1999). La Silver Economy va nécessiter au départ une
proportion de recherche fondamentale (publique ou semi-publique) et une
proportion de recherche appliquée (privée). Les pouvoirs publics
devront mener une politique interventionniste (subventions, labellisations,
incubateurs d'idées et d'initiatives, milieux innovateurs, etc.). Les
variables endogènes dépendront de la stratégie des
firmes34. La question de la propriété industrielle
sera également fondamentale pour permettre aux firmes d'amortir les
budgets consacrés à la R&D, puis de s'assurer une rente
chronologique (Schumpeter, 1990, 1999).
La mise en place d'un réseau d'accueil en France est
indispensable (Coquillion, 2007 - Cornet, 2013 - Vasselle,
2008 - Weber, Verollet, 2011), sur l'exemple de 8 autres pays
: l'Allemagne, le Danemark, les Etats-Unis, l'Italie, le Japon, les Pays-Bas,
le Royaume-Uni, et la Suède (Gimbert, Malochet, 2011).
Ce nouveau marché, en appui des conditions au
déploiement d'une offre réussie à destination des
séniors, pour la France, devrait être comparé aux
démarches des 8 pays de référence pour permettre l'analyse
des voies possibles de déploiement et de financement de la prise en
charge de la dépendance (Cornet, 2013 - Gimbert, Malochet, 2011).
L'interventionnisme de l'Etat (financement, subventions, initiatives nationales
et locales) semble indispensable au lancement de la Silver Economy
française.
Que peut apporter la Silver Economy aux officines
françaises ?
33 « Les marchés émergents des
innovations technologiques pour la santé et l'autonomie relèvent
plutôt d'une approche endogène de la croissance fondée sur
les micros modèles d'innovation avec l'intervention de la puissance
publique » (Cornet, 2013).
34 Technologie, R&D, adaptation à une
modification de la demande, facteurs de profitabilité, conditions de
financement, échelle d'envergure des firmes.
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