Section 2 - Les pharmacies d'officine
françaises
L'objectif est de vérifier s'il existe un handicap
spécifiquement français à la bonne santé
financière des officines nationales. Il est également
nécessaire de rechercher les similitudes, sur le plan européen,
au péril économique que vit la profession. Enfin, les pistes
23
de développement seront abordées, tant à
l'initiative des professionnels qu'à celles émanant des pouvoirs
publics, afin de préserver cette profession
indispensable22.
L'âge moyen du pharmacien français, toutes classes
confondues, est de 46,4 ans (en 2012). Les femmes sont deux fois plus
nombreuses que les hommes dans cette profession (33 % d'hommes, 67 % de
femmes). L'âge moyen de départ en retraite est de 63 ans (Conseil
de l'Ordre des Pharmaciens, 2013). Seul le pharmacien d'officine sera
abordé dans l'étude23.
En 2012, 27 594 pharmaciens d'officine étaient inscrits
à l'Ordre national des pharmaciens. La moyenne d'âge de
l'officinal est de 49,2 ans. 45 % d'entre eux sont des hommes, 55 % sont des
femmes. La France comptait, en 2012, 21 929 pharmacies (-0,6 % par rapport
à 2011). En 2011, 241 officines ont été
transférées (changement d'adresse, à l'intérieur de
la commune d'implantation). La moyenne d'habitants par pharmacie est en France
de 2 890 (pour la même année de référence). Une
nouvelle pharmacie peut obtenir une licence d'exploitation dès que la
population croît localement de 4 500 habitants24 (Conseil de
l'Ordre des Pharmaciens, 2013). La filière emploi en France
environ 140 000 personnes (Bras et al., 2011).
« Les pharmacies en plein malaise »
(Bohineust, 2011 : p1) cherchent des solutions pour survivre et
compléter leur rémunération. La décroissance de
l'activité, la baisse des marges bénéficiaires, la
faiblesse de la rentabilité, la mauvaise maîtrise du fonds de
roulement, les politiques de rémunération inadaptées, sont
des sujets permettant au pharmacien d'affirmer : « ma
trésorerie est malade » (Gainza, 2009).
Le pharmacien doit faire évoluer son mode de
rémunération des médicaments remboursables pour pallier
à ses difficultés économiques (sans générer
de surcoût pour l'assurance maladie). Il doit également «
identifier les missions de service public de nature à
bénéficier d'une rémunération directe, en proposer
les modes et identifier les outils nécessaires à l'optimisation
du réseau » (Bras et al., 2011 : p3).
22 Considérant
l'arrivée massive des séniors à horizon proche.
23 A l'exclusion des pharmaciens
biologistes, des pharmaciens de l'industrie, de ceux rattachés à
la distribution
en gros (grossistes répartiteurs pharmaceutiques), et des
professionnels exerçant en établissements de santé.
24 Depuis 2011 ; antérieurement il fallait
seulement 3 500 habitants de plus pour pouvoir créer une nouvelle
structure officinale.
24
Depuis peu, les pharmaciens se sont vus confier des missions
complémentaires (article 38 de la loi HPTS)25. « La
dispensation à domicile et la préparation de doses à
administrer par les pharmaciens participeront au maintien à domicile qui
va se développer avec le vieillissement de la population »
(Bras et al., 2011 : p4) : la Silver Economy, issue du vieillissement de
la population, est bien présente en filigrane de la profession
officinale.
Il est à noter que « la dispensation à
domicile n'est pas une nouvelle mission des pharmaciens. D'après
l'enquête de l'ARS, la dispensation à domicile est
déjà pratiquée par 57,6 % des officines. Elle est
différente du simple portage de médicament qui peut être
réalisé par des tiers et pour lesquels aucun conseil ni suivi
d'observance ne sont réalisés » (Bras et al., 2011 :
p45).
Cependant dans le cadre d'un élargissement des missions
du pharmacien, ce « déploiement des nouveaux services à
l'officine implique que les pharmaciens d'officine suivent des formations
spécifiques. La formation initiale doit également être
adaptée pour répondre à ces nouveaux besoins notamment en
matière de pharmacie clinique, de politiques de prévention, de
diététique, de sciences sociales et de l'éducation...
» (Bras et al., 2011 : p38).
Depuis la loi HPTS, le pharmacien d'officine a
d'ores-et-déjà la possibilité de signer un «
protocole de coopération entre professionnels de santé »
(annexe 2) démontrant « le rôle des pharmaciens dans les
Etablissements Hospitaliers Pour Adultes Dépendants »
(EHPAD) (Hazebroucq, Moreau, 2009 : pp1-18), et la
généralisation susceptible de voir le jour, s'agissant d'un
partenariat entre pharmacies d'officine et EHPAD26 (Delomenie et
al., 2005 - Thierry, 2012).
D'autres pistes sont à l'étude pour venir en
aide à cette profession en proie à des difficultés
économiques27 (Bras et al., 2011). Cependant, ces mesures
risquent de prendre du temps à être mises en place par les
modifications règlementaires qu'elles imposent.
La vente de médicaments sur Internet (issue de
l'officine) commence à voir le jour, ayant trouvé les moyens de
« déverrouiller » ses contraintes (Code de déontologie,
Ethique, Code de la santé publique), et permettant par
là-même d'anticiper « une concurrence
25 Renouvellement d'ordonnances pour des pathologies
chroniques, dépistage, suivi vaccinal...
26 Activité en sous-traitance de
déconditionnement de médicaments et de préparation
nominative des doses à administrer (PDA) aux patients, et
préparations magistrales réalisées par une pharmacie
d'officine pour le compte d'une maison de retraite.
27 Gel des créations d'officines,
augmentation des quotas (nombre d'habitants par pharmacie), encouragement des
regroupements, possibilité pour un pharmacien de posséder
plusieurs officines...
25
européenne se faisant pressante, car envieuse de
servir le marché français »28 (Ordre
national des pharmaciens, 2008 : p16).
Enfin, sous pression européenne, et pour aller dans le
sens de l'avancée des technologies de l'information et du
numérique, l'IGAS « appelle de ses voeux un
développement actif de la prescription électronique et encourage
les partenaires conventionnels à être ambitieux sur ce sujet. La
dématérialisation des ordonnances, complémentaire à
celle des feuilles de soins, ouvre en effet des perspectives prometteuses, en
termes sanitaires comme économiques » (Bras et al., 2011 :
p5).
« La pharmacie n'attire plus les jeunes pharmaciens
» (Bohineust, 2012), c'est un constat de mauvaise santé
économique et financière du secteur des pharmacies d'officine en
France (nécessitant une revalorisation de la profession). L'IGAS, dans
son rapport « Pharmacie d'officine : rémunération,
missions, réseau » (Bras et al., 2011), fait un point sur la
question de l'évolution envisageable du réseau des pharmacies
françaises. Il y est notamment abordé la vente à distance,
la dématérialisation des ordonnances, l'e-prescription, et
l'e-santé. La réforme permettant « une évolution
du mode de rémunération pour la délivrance des
médicaments destinée à se substituer à la marge
dégressive lissée » (Bras et al., 2011 : p11) est
également à l'étude29.
Le pharmacien doit faire évoluer son mode de
rémunération des médicaments remboursables pour pallier
à ses difficultés économiques, démontrées
dans le tableau 3 (baisse de chiffre d'affaires et prépondérance
de la vente des médicaments remboursés).
28 Une affaire a fait la une
de l'actualité pharmaceutique en 2003, celle de la pharmacie
néerlandaise Doc Morris qui entend développer en Allemagne
à la fois la vente de médicaments par correspondance et
l'acquisition d'officines dans des conditions contraires à la
réglementation allemande. La Cour de Justice des Communautés
Européennes (CJCE) a rendu sur cette affaire un arrêt important
(arrêt Doc Morris, 11 décembre 2003). Elle a jugé qu'il
n'est pas possible pour un Etat membre d'interdire la vente des
médicaments par correspondance au seul motif que leur vente est
réservée aux officines.
29 Une réforme a été
récemment opérée en ce sens en Belgique.
26
Tableau 3 : Evolution du Chiffre d'Affaires hors taxe
global des officines et des ventes de médicaments remboursés
(taux de croissance annuels en termes réels)
Source : Bras et al., 2011 : p17
En France, « les médicaments remboursables
représentent en moyenne 80 % du chiffre d'affaires et 76,5 % de
la marge » d'une officine (Bras et al., 2011 : p12). Cette
marge bénéficiaire a du mal à évoluer, tel que
l'expose le tableau 4.
Tableau 4 : Taux d'évolution de la marge des
pharmaciens sur le médicament remboursable
En euros constants
|
2006 / 2007
|
2007 / 2008
|
2008 / 2009
|
Moyenne 2006 / 2009
|
Marge réglementaire
|
6,10%
|
-1,60%
|
1,20%
|
1,90%
|
Estimation marge corrigée médicaments
génériques
|
0,40%
|
-0,40%
|
0,00%
|
-0,30%
|
Total
|
5,70%
|
-2,10%
|
1,20%
|
1,60%
|
Source : Bras et al., 2011 : p17. Caisse Nationale d'Assurance
Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) et Groupement pour
l'Elaboration et la Réalisation de Statistiques (GERS)
De fait, « Les pharmacies en plein malaise
» (Bohineust, 2011 : p1), tel que le démontre le tableau 5,
doivent trouver des solutions pour survivre et compléter leur
rémunération.
27
Tableau 5 : Evolution du résultat courant moyen
avant impôt des officines soumises à l'impôt sur le
revenu entre 2004 et 2009
|
2006 /
|
2007 /
|
2008 /
|
2006 /
|
En euros constants
|
2007
|
2008
|
2009
|
2009
|
DGFIP
|
-3,40%
|
-2,10%
|
-4,70%
|
-9,90%
|
FCGA
|
-4,30%
|
-2,60%
|
-2,80%
|
-9,40%
|
Source : Bras et al., 2011 : p18. Direction
Générale des Finances Publiques (DGFIP) et
Fédération des Centres de Gestion Agréés (FCGA).
Calculs IGAS
Il existe une volonté, tant européenne (Adenot,
2012) que française (Ordre National des Pharmaciens, 2008), de faire
évoluer cette profession pour répondre aux besoins des patients
et relever le défi contemporain en matière de soins.
L'e-santé est une des priorités européennes. De nombreux
sujets sont débattus au niveau européen : l'assurance maladie,
l'optimisation de la dispensation des médicaments, la
nécessité d'un « maillage » territorial de pharmacies
d'officine, notamment en perspective des évolutions
démographiques (dont le vieillissement de la population), les nouveaux
rôles à assumer dans le système de santé (notamment
sur le MAD), la promotion d'une entreprise officinale
renouvelée30, et enfin, la nécessité d'un cadre
d'exploitation élargi (réformes que demande la profession).
Il existe une volonté, tant européenne (Adenot,
2012) que française (Ordre National des Pharmaciens, 2008), de faire
évoluer cette profession pour répondre aux besoins des patients
et relever le défi contemporain en matière de soins, cependant,
pour la France, « l'évolution qui se dessine ne correspond pas
à l'irruption d'une donnée nouvelle qui viendrait bouleverser
l'activité de dispensation du médicament. On se trouve
plutôt devant une série d'éléments qui,
rassemblés, vont probablement conduire à une forte
évolution de la profession » (Ordre national des pharmaciens,
2008 : p4).
Il est observé une parfaite similitude entre la
situation économique des officines françaises et celle des
pharmacies européennes. Il semblerait donc qu'il n'existe pas de
problème spécifiquement français au marasme
économique des pharmacies. D'autre part, la profession obéit aux
mêmes caractéristiques, et subissent les mêmes contraintes.
Les pistes de développement sont également proches, tant sur le
plan privé que public (élargissement des missions du pharmacien).
La France toutefois semble appliquer une politique de concentration (Bras et
al., 2011), qui, pour sauver la profession, peut mettre en péril le
« maillage » territorial nécessaire à l'arrivée
de la Silver Economy.
30 Notamment sur l'utilisation des NTIC
28
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