Conclusion de la première partie
En faisant état de toutes les circonstances qui
conduisent les africains à s'enrôler dans les frontières
ethniques, nous nous trouvons face à deux difficultés.
Première difficulté : prenant acte des bouleversements de la
conscience nationale au sein des États d'Afrique noire, nous avons
relevé l'impossibilité dans laquelle se trouvent les africains de
constituer une identité civique au sein de leurs espaces
étatiques. Puis, nous avons établi que cette identité
civique ne s'actualiserait que lorsque l'ethnique et le civique iraient de
pair. Seconde difficulté : nous n'avons pas découvert
jusqu'à présent le modèle théorique susceptible de
préciser exactement les conditions de ce nouvel ajustement et, par
suite, de refonder les modalités de la communauté politique dans
les États-nations d'Afrique noire. Devrions-nous en conclure que les
États-nations du continent noir sont voués à l'errance
aussi bien à propos de leur diversité ethnique qu'à propos
de la conscience politique vers laquelle doivent converger toutes les
identités ethniques ? Les conditions de cohabitation, sur un même
sol, de plusieurs composantes ethniques ne pouvant se réduire à
la politique des identités ethniques, on en convient à l'issue de
l'analyse précédente, comment alors repenser la cohabitation de
cette diversité au sein de l'État-nation africain ?
Pour percevoir les enjeux et la portée de ces deux
interrogations, il serait important de recourir à un autre modèle
théorique, susceptible d'éclairer le champ de la
réflexion. Ainsi peut-être, nous le verrons in fine, est-ce sur le
terrain d'une nouvelle trajectoire libérale qu'il faut rabattre les
problèmes liés à l'enracinement de la problématique
de l'ethnicité en Afrique noire aujourd'hui : non plus celle de la
tradition libérale valorisant excessivement l'individu ou celle
valorisant péremptoirement l'appartenance à une communauté
particulière, mais celle de la troisième voie libérale qui
est en passe de se généraliser à l'échelle
planétaire. Et si tel devait être le cas, expliciter le concept
d'un « humanisme de la diversité » et dessiner les
modalités de sa mise en oeuvre seraient là un objectif à
ne pas négliger dans la seconde partie.
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DEUXIÈME PARTIE :
REFONDATION DE L'ÉTAT-NATION DÉMOCRATIQUE
EN AFRIQUE NOIRE À LA LUMIÈRE D'UN HUMANISME DE LA
DIVERSITÉ
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Introduction de la deuxième partie
Partant du développement précédent, nous
nous sommes rendu à l'évidence de l'acuité des
revendications liées à des appartenances ethniques en Afrique
noire. Et, de ce point de vue, nul ne saurait négliger
l'hypothèque que ces revendications font peser sur le vivre-ensemble
dans les États africains postcoloniaux au sein desquels, non seulement
les dirigeants comme le souligne Tshiyembe mais les gouvernés eux aussi
« ont une fausse idée de l'intérêt
public115 ». États au sein desquels la
précarité du lien social finit par renvoyer chaque acteur
politique à son appartenance ethnique, tribale ou régionale. Mais
face à cela, il importe de ne pas céder trop rapidement aux
différentes solutions mobilisées jusque-là et qui tendent
toutes à proposer « un plaidoyer en faveur d'une certaine
institutionnalisation de l'ethnicité116 » ou
à rejeter la démocratie, interprétée comme une
valeur purement occidentale, au profit de la politique des identités
ethniques. Le refus des solutions déjà évoquées
tient compte du fait que le phénomène identitaire
imprégnant la démocratie n'est pas spécifique à
notre contexte d'analyse. Rappelons, pour bonne mesure, que si la
diversité ethnique apparaît comme un cran d'arrêt au bon
fonctionnement de la démocratie, la notion même de «
diversité » sous d'autres cieux ne pose pas moins de
problèmes. Il en résulte de nos jours toute une
problématique dont l'analyse conduit Renaut à théoriser un
« humanisme de la diversité » centré sur le projet de
construire un monde commun conscient des différentes identités
qui le composent, mais capable d'entrer en coalescence avec des valeurs
communes de référence. Cet humanisme, qui se formule
expressément comme une « éthique de la diversité
», nous aidera à reconstruire le lien social et politique au sein
des États postcoloniaux d'Afrique noire.
115 M. Tshiyembe, op. cit., p. 232.
116 Confère E.-M. Mbonda, « La « Justice
ethnique » comme fondement de la paix», op. cit., p. 7.
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