Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).( Télécharger le fichier original )par Eric FARGES Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013 |
ANNEXE 12 : LA RÉFORME AMOR DE 1945 ET LE MODÈLE DU « TOUT-CARCÉRAL »Plus politique qu'administrative, la réforme carcérale de 1945 avait pour fonction, souligne Monique Seylier, « de conforter l'autorité morale de l'Etat dans un domaine - celui de l'enfermement - que les camps d'extermination nazis avaient discrédité »2067(*). En dépit de la confusion qui affecte alors le système pénitentiaire français (désorganisation administrative issue du rattachement au secrétariat d'Etat à l'Intérieur, nouveaux personnels de direction, accroissement de la population carcérale, conditions de détention exécrables), le contexte semble propice à une telle réforme2068(*). En effet, alors que les tribunaux d'exception et la question des condamnés pour faits de collaboration occupent les esprits, les administrateurs en charge de la réforme bénéficient d'une grande marge de manoeuvre en raison de l'instabilité qui frappe le ministère de la Justice (seize gardes des Sceaux se succèdent de 1945 à 1958). La définition de la politique pénitentiaire dépend ainsi pour l'essentiel des responsables de cette administration2069(*). Une commission présidée par le directeur de l'Administration pénitentiaire, Paul Amor, est chargée par un arrêté du 9 décembre 1944 « d'étudier, d'élaborer et de soumettre au garde des Sceaux les réformes relatives à l'Administration pénitentiaire ». Son activité s'avère confuse jusqu'à ce que Paul Amor nomme Pierre Cannat secrétaire de la commission. Magistrat marqué par un humanisme chrétien, celui-ci se montre réticent aux théories de la « défense sociale » qui mettaient en avant l'idée de dangerosité du délinquant. Fidèle aux principes défendus par les représentants de l'utopie philanthropique de la première Restauration comme Charles Lucas, Pierre Cannat soutient qu'il est possible d'obtenir l'amendement du condamné par sa rééducation morale comme le reflète le premier des quatorze principes réformateurs auxquels aboutit la commission : « La peine privative de liberté a pour but essentiel l'amendement et le reclassement social du condamné »2070(*). Dans cet objectif d'amendement, certains traitements imposés aux détenus sont supprimés telle la « salle de discipline », la tonte obligatoire des cheveux ou le port des sabots. Des activités en commun sont parfois organisées (sport, radio). Outre cette idée d'amendement, Pierre Cannat réussit à imposer le modèle du « tout-carcéral ». Celui-ci postule qu'il est possible de réaliser le rachat du condamné à l'aide du seul dispositif pénitentiaire et notamment à partir du régime progressif selon lequel le détenu suit un parcours graduel allant de la phase d'observation jusqu'à la semi-liberté, précédent sa libération2071(*). Cette tâche de rééducation morale des détenus est confiée à un corps d'éducateurs et, faute de personnels suffisants, aux infirmières-assistantes sociales de la Croix-Rouge. Ainsi, si selon les concepteurs de la réforme, les « prisons doivent être organisées de manière à "récupérer" le plus possible d'hommes utiles à la Société »2072(*) ou si « le but de la peine est l'amendement du coupable et son reclassement social »2073(*), cet objectif de réconciliation entre le détenu et la société se déroule dans le cadre confiné du milieu carcéral : « Le but de la peine est de profiter de l'état de souffrance de l'enfermé pour parvenir à l'amendement »2074(*). La coupure entre le délinquant et la société est ainsi pensée comme la condition de possibilité de sa réintégration future. C'est justement cette coupure que les militants de la cause carcérale remettent cause durant les années soixante-dix, afin de réinscrire le détenu au coeur de la Cité. * 2067 SEYLIER Monique, « La banalisation pénitentiaire », Déviance et société, vol.4., n°2, 1980, p.133. * 2068 FAUGERON Claude, « De la Libération à la guerre d'Algérie », art.cit., p.289. * 2069 FAUGERON Claude, LE BOULAIRE Jean-Michel, « La création du service social des prisons et l'évolution de la réforme pénitentiaire de 1945 à 1958 », Déviance et société, vol.12., n°4, 1988, p.319. * 2070 FAUGERON Claude, « De la Libération à la guerre d'Algérie », art.cit., p.292. * 2071 LETENEUR Henri, « La politique pénitentiaire française », art.cit., p.188. * 2072 BOUZAT P., « De quelques réformes pénitentiaires actuellement réalisables », Revue internationales de droit pénal, 1946, p.88. * 2073 GAYRAND M., « La réforme pénitentiaire », RPDP, 1958, p.702. * 2074 FAUGERON Claude, LE BOULAIRE Jean-Michel, « La création du service social des prisons et l'évolution de la réforme pénitentiaire de 1945 à 1958 », Déviance et société, vol.12., n°4, 1988, p.319 |
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